Tribunal administratif N° 35022 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 août 2014 2e chambre Audience publique du 13 juillet 2015 Recours formé par la société anonyme ….., …, contre deux décisions du ministre de l’Economie en matière d’autorisation d’établissement
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35022 du rôle et déposée le 6 août 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Mario Di Stefano, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme ….., établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés du Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Économie du 28 janvier 2014 portant rejet de sa demande en obtention d’une autorisation d’établissement, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 9 mai 2014 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 décembre 2014 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Mario Di Stefano déposé au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2015 pour compte de la demanderesse ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 février 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marc Ravelli, en remplacement de Maître Mario Di Stefano, et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 avril 2015.
Le 12 novembre 2013, la société anonyme ….., ci-après désignée par « la société …..», introduisit auprès du ministre des Classes moyennes et du Tourisme une demande tendant à l’obtention d’une autorisation d’établissement pour l’exercice de l’activité de « Restauration – Débit de boissons alcooliques et non-alcooliques ; Traiteur – événementiel ».
Par décision du 28 janvier 2014, le ministre de l’Économie, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », refusa de faire droit à cette demande, cette décision étant libellée comme suit :
1« (…) Je reviens par la présente à votre demande d’autorisation d’établissement référencée sous rubrique, qui a entre-temps fait l’objet de l’instruction administrative prévue à l’article 28 de la loi d’établissement du 2 septembre 2011.
Il en résulte que le dirigeant social, Monsieur [….] ….., remplit la condition de qualification professionnelle légalement requise à l’article 3 de la loi du 2 septembre 2011 pour l’exercice d’activités et de services commerciaux et l’exploitation d’un établissement de restauration.
Toutefois, la société en faillite ….., dont Monsieur ….. était le dirigeant, a accumulé d’importantes dettes auprès des créanciers publics (….,- € au titre de la TVA ; … € au titre de la CCSS ; …,- € au titre des Impôts Directs).
Or, conformément à l’article 4.4. de la loi du 2 septembre 2011, Monsieur ….. devra au préalable rembourser ces dettes ou du moins produire un plan de remboursement afin d’apurer les dettes.
Je vous rappelle la teneur de l’article 4.4. :
« Art. 4. L’entreprise qui exerce une activité visée à la présente loi désigne au moins une personne physique, le dirigeant, qui :
(…) 4. ne s’est pas soustrait aux charges sociales et fiscales, soit en son nom propre, soit par l’intermédiaire d’une société qu’il dirige ou a dirigée. [»].
Dans ces conditions, Monsieur ….. voudra se mettre en rapport avec ces organismes et me faire parvenir une copie, soit de la quittance qui atteste que tous les arriérés ont été réglés, soit de l’arrangement transactionnel déterminant un plan de remboursement des arriérés.
Dès réception de ces documents, l’autorisation sollicitée pourra être délivrée. (…) ».
Par courrier de son mandataire adressé le 16 avril 2014 au ministre, la société …..fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle, précitée, du 28 janvier 2014, qui fut rejeté par une décision ministérielle du 9 mai 2014, libellée comme suit :
« (…) Par la présente, j’ai l’honneur de me référer à votre recours gracieux du 16 avril 2014.
Votre demande a entre-temps fait l’objet d’une nouvelle instruction prévue à l’article 28 de la loi d’établissement du 2 septembre 2011.
D’emblée, j’aimerais vous préciser que les développements présentés dans votre courrier du 16 avril 2014 ne sont pas pertinents.
Le remboursement des dettes dans le courrier ministériel du 28 janvier 2014 a effectivement été demandé sur base de l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011.
Il appert en effet d’après l’extrait de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines que les dettes résultent de la période où Monsieur ….. était le dirigeant de la société …… Durant cette période, Monsieur ….. avait l’obligation de faire les déclarations de TVA et de payer la TVA y afférente.
Or, il ne l’a pas fait.
En laissant tomber la société en faillite, il s’est donc soustrait aux charges fiscales, tel que cela est prévu par l’article 4 (4). Par ailleurs, je vous rappelle que dans la décision contre laquelle vous adressez votre recours, il n’est pas question d’un défaut d’honorabilité tel que prévu par l’article 6 (4).
Par ailleurs, il est correct que l’article 4 (4) ne prévoit pas d’obligation de remboursement.
Fait est cependant que l’article 4 (4) conditionne l’octroi d’une autorisation à la condition que le dirigeant ne se soit pas soustrait aux charges sociales et fiscales. En l’espèce, nous sommes cependant en présence d’une telle soustraction.
Monsieur ….. ne satisfait donc pas aux exigences de l’article 4 (4) et l’argumentation avancée est sans fondement.
Par conséquent, aucune nouvelle autorisation d’établissement ne saurait être délivrée aussi longtemps que les arriérés échus auprès des créanciers publics n’auront pas été réglés.
(…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 août 2014, la société …..a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 28 janvier 2014, ainsi que de la décision confirmative sur recours gracieux du 9 mai 2014.
Dans la mesure où ni la loi du 2 septembre 2011 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel, ainsi qu’à certaines professions libérales, ci-après désignée par « la loi du 2 septembre 2011 », ni aucune autre disposition légale n’instaurent un recours au fond en la matière, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre des décisions ministérielles déférées, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’audience publique des plaidoiries, le tribunal a invité les parties à prendre oralement position quant à la recevabilité ratione temporis du mémoire en réplique de la société demanderesse, dans la mesure où il a été déposé au greffe du tribunal administratif le mardi, 13 janvier 2015, tandis que le mémoire en réponse du délégué du gouvernement a été déposé le 12 décembre 2014.
Le litismandataire de la société …..n’a pas pris position de façon spécifique sur cette question, tandis que le délégué du gouvernement a conclu à l’irrecevabilité du mémoire en réplique et du mémoire en duplique subséquent.
L’article 5 (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », dispose que « Le demandeur peut fournir une réplique dans le mois de la communication de la réponse (…) ».
Le point de départ pour le mémoire en réplique étant la communication de la réponse à la partie défenderesse, c'est à partir de la réception du mémoire en réponse par cette dernière que court le délai de fourniture de la réplique.1 En l’espèce, il ressort d’une mention apposée sur le mémoire en réponse de la partie étatique par les services du greffe du tribunal administratif que ledit mémoire a été transmis au litismandataire de la société demanderesse par envoi postal du vendredi 12 décembre 2014, de sorte qu’il a été réceptionné par ledit litismandataire au plus tôt le lundi, 15 décembre 2014, premier jour ouvrable suivant la date de son expédition par le greffe du tribunal administratif. Par conséquent, le délai visé à l’article 5 (5) de la loi du 21 juin 1999 a expiré au plus tôt le 15 janvier 2015, de sorte que le mémoire en réplique de la société demanderesse, déposé au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2015, est recevable ratione temporis.
A l’appui de son recours, la société …..expose les faits et rétroactes des décisions déférées.
En droit, elle fait valoir que les décisions litigieuses devraient encourir l’annulation pour violation de la loi, en ce qu’elles reposeraient sur une application erronée de l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011. En s’appuyant sur un arrêt de la Cour administrative du 24 juillet 2013, inscrit sous le numéro 32031C du rôle, elle soutient qu’en cas de subsistance, dans le chef du dirigeant au sens de l’article 4 de la loi du 2 septembre 2011, de dettes envers les créanciers publics se rapportant à une faillite antérieurement prononcée, tel que ce serait le cas en l’espèce, la question du respect, par ledit dirigeant, des obligations fiscales et sociales devrait être appréciée exclusivement sous l’angle de l’article 6 (4) d) de la loi susmentionnée, disposition spéciale écartant l’application de la disposition générale que constituerait l’article 4 (4) de la même loi. Il s’ensuivrait que le ministre, en conditionnant la délivrance de l’autorisation sollicitée au remboursement des dettes de la société anonyme ….. en faillite, ci-
après désignée par « la société ….. », sur base de l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011, se serait livré à une fausse application de la loi.
A titre subsidiaire, la société …..conclut à l’annulation des décisions déférées, au motif qu’elles manqueraient d’établir une accumulation, dans le chef de son dirigeant, Monsieur … ….., de dettes importantes auprès des créanciers publics, la seule existence de dettes n’étant pas suffisante à cet égard. En citant les travaux parlementaires relatifs à la loi du 2 septembre 2011, elle reproche au ministre de s’être contenté de mentionner des dettes accumulées, sans aucune référence « (…) à la chronologie de leur naissance, respectivement à une éventuelle accumulation, et à un comportement fautif de Monsieur ….. (…) ». Sur ce dernier point, elle soutient que la faillite de la société ….. serait davantage due à la conjoncture économique et à d’autres éléments extrinsèques, tels que notamment une concurrence accrue de la part des établissements de la « Rive de Clausen », plutôt qu’à un comportement fautif de Monsieur …… 1 Cour adm., 18 mai 2006, n° 21112C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 716 et les autres références y citées.
A titre plus subsidiaire, elle donne à considérer que si le ministre pouvait, sur pied de l’article 7 de la loi du 2 septembre 2011, exiger d’un dirigeant impliqué dans une faillite l’accomplissement d’une formation en matière de gestion d’entreprise, ladite loi ne prévoirait cependant aucune autre condition pouvant être imposée au demandeur d’une autorisation d’établissement, telle que le remboursement de dettes auprès des créanciers publics se rapportant à une faillite antérieurement prononcée.
Par ailleurs, elle soutient que le simple constat d’arriérés ne suffirait pas pour établir l’existence, dans le chef du dirigeant, d’une soustraction à ses obligations fiscales et sociales, au sens de l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011.
Elle soutient encore que si Monsieur ….. était à considérer comme responsable à l’égard de l’administration des Contributions directes, sa responsabilité pourrait éventuellement être engagée sur le fondement du paragraphe 103 de de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégée « AO », en application duquel le non-paiement des charges fiscales ne serait pas ipso facto un comportement fautif qui engagerait la responsabilité du représentant de la société en question. En effet, conformément au paragraphe 109 AO, la mise en cause de la responsabilité personnelle des dirigeants serait conditionnée par une inexécution fautive de leurs obligations envers l’administration des Contributions directes, un simple manquement à une obligation fiscale n’étant pas suffisante à cet égard.
La société demanderesse fait encore valoir que si l’administration des Contributions directes a le pouvoir de mettre en œuvre la responsabilité personnelle du représentant d’une société, par le biais d’un appel en garantie pour le paiement « (…) des sommes retenues au titre d’impôts de la société, suite à un manquement fautif à ses obligations envers le fisc (…) », il n’existerait aucune base légale permettant au ministre de soumettre l’octroi d’une autorisation d’établissement à la condition de rembourser les dettes d’une société en faillite, en l’occurrence la société ….., de sorte que les décisions déférées devraient encourir l’annulation en ce qu’elles lui auraient imposé une condition illégale.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours. En citant les travaux parlementaires relatifs à la loi du 2 septembre 2011, il fait valoir que dans l’hypothèse de l’existence de dettes envers les créanciers publics, les articles 4 (4) et 6 (4) d) de la loi du 2 septembre 2011 devraient s’appliquer cumulativement, contrairement à ce qui aurait été retenu par la Cour administrative, dans son arrêt, précité, du 24 juillet 2013. Il soutient qu’afin de garantir la sécurité du commerce, la concurrence loyale entre professionnels, ainsi que la sécurité des consommateurs et des cocontractants, l’article 4 de la loi du 2 septembre 2011 poserait quatre exigences auxquelles tout dirigeant d’entreprise devrait satisfaire, à savoir, premièrement, se conformer aux exigences de qualification et d’honorabilité professionnelles, deuxièmement, assurer effectivement et en permanence la gestion journalière de l’entreprise, troisièmement, avoir un lien réel avec l’entreprise en qualité de propriétaire, d’associé, d’actionnaire ou de salarié de celle-ci et, quatrièmement, ne pas s’être soustrait aux charges sociales et fiscales, soit en nom propre, soit par l’intermédiaire d’une société qu’il dirige ou a dirigée. Dès lors, pour qu’une autorisation d’établissement puisse être obtenue ou maintenue, chacune de ces quatre conditions devrait être remplie dans le chef du dirigeant.
L’existence de dettes auprès du Centre commun de la sécurité sociale, ci-après désigné par « le CCSS », de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines ou de l’administration des Contributions directes tomberait toujours dans le champ d’application de l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011, en vertu duquel, dès que le dirigeant aurait accumulé des arriérés de TVA, de cotisations sociales ou d'impôts relevant soit de son activité en nom propre, soit de son activité comme dirigeant d'une entreprise, et ce, quel qu'en soit le montant, la délivrance d’une autorisation d'établissement pourrait être refusée. Cette disposition légale trouverait ainsi application dès que des dettes envers des créanciers publics existeraient, peu importe leur montant et l’existence ou non d’une faillite. Le délégué du gouvernement soutient encore qu’il se dégagerait des travaux parlementaires relatifs à la loi du 2 septembre 2011 que conformément à l’article 4 (4) de ladite loi, dont l’objectif serait d'éviter des situations de concurrence déloyale et des préjudices pour la collectivité, l'autorisation d'établissement serait délivrée dès que les créanciers publics informent le ministre qu'il y a eu remboursement ou arrangement.
Par ailleurs, l’article 6 (4) d) de la loi du 2 septembre 2011 ne trouverait application que s'il y a eu une faillite dans le cadre de laquelle d'importantes dettes auraient été accumulées auprès des créanciers publics. Dans ce cas, l'honorabilité professionnelle du dirigeant en serait automatiquement affectée. En raison de ce défaut d'honorabilité, il ne pourrait plus détenir ou obtenir d'autorisation d'établissement pendant dix ans. L’application de cet article, qui aurait pour objectif d'écarter les professionnels peu scrupuleux et d'assurer par ce biais la sécurité du commerce, serait réservée aux cas les plus graves.
Le délégué du gouvernement soutient encore que l’interprétation donnée aux articles susmentionnés par la Cour administrative, dans son arrêt, précité, du 24 juillet 2013, selon laquelle à partir du moment où il y aurait une faillite, l'existence de dettes auprès des créanciers publics ne tomberait plus dans le champ d’application de l'article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011, mais relèverait exclusivement de l'article 6 (4) d) de la même loi, serait contreproductive et contraire à la volonté du législateur. En effet, afin que l'article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011 puisse atteindre son objectif et que cet article puisse être appliqué de façon cohérente, il serait essentiel qu'il s'applique de façon générale à toutes les dettes existantes, indépendamment de leur montant et de l’existence ou non d’une faillite, les travaux parlementaires afférents précisant que la situation du dirigeant devrait être appréciée dans son intégralité. Or, d'après l'approche de la Cour administrative, un dirigeant présentant des impayés auprès des créanciers publics se verrait demander le remboursement de ceux-ci dès qu'il demanderait une nouvelle autorisation. Par contre, s'il se laissait tomber en faillite, tout en faisant attention à ce que ces dettes ne soient pas considérées comme « importantes », il arriverait à en éviter le remboursement. En outre, aucun défaut d'honorabilité professionnelle ne lui serait reproché. Cette approche inciterait les professionnels à privilégier les faillites et l'Etat à durcir son approche au niveau de l'honorabilité professionnelle, tandis que la démarche préconisée par l’Etat serait plus respectueuse de la liberté du commerce, en ce qu’elle donnerait au ministre la flexibilité nécessaire lui permettant de trouver une solution acceptable tant pour le professionnel concerné que pour les créanciers publics et de laisser des perspectives professionnelles aux débiteurs. Dans ce contexte, le délégué du gouvernement donne à considérer que les faits de l’espèce seraient tels que la jurisprudence aurait sans aucun doute permis de retenir un défaut d'honorabilité professionnelle sur base de l'article 6 (4) d) de la loi du 2 septembre 2011, dans le chef de Monsieur …… La conséquence en aurait été que toutes les autorisations d'établissement de ce dernier auraient été révoquées pour au maximum dix ans. D'un côté, une telle approche n'aurait pas permis aux créanciers publics d'obtenir remboursement de leurs créances. D'un autre côté, la carrière professionnelle de Monsieur …..
aurait été anéantie. Pour atteindre les objectifs prévus par la loi d'établissement, tout en donnant à Monsieur ….. une perspective pour le futur, l'Etat aurait décidé de ne pas mettre en cause son honorabilité professionnelle sur base de l'article 6 (4) d) de la loi du 2 septembre 2011, mais de privilégier en revanche le remboursement des dettes par le biais de l'article 4 (4) de la même loi. Le délégué du gouvernement en conclut qu’à la lecture du texte de la loi et des travaux parlementaires afférents, il apparaîtrait que l'article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011 devrait s'appliquer de façon générale à toutes les dettes de TVA, d'impôts et de cotisations sociales, indépendamment de leur montant et de l’existence ou non d’une faillite.
Il en conclut que les articles 4 (4) et 6 (4) d) de ladite loi, qui formuleraient des exigences divergentes comportant des critères différents, devraient s'appliquer cumulativement.
En l’espèce, dans la mesure où les créanciers publics auraient informé le ministre du fait, d’une part, que Monsieur ….. aurait accumulé, à leur égard, des dettes en son nom personnel, en l’occurrence des arriérés d’impôts à hauteur de 23.971,50 euros, au titre des années d’imposition 2010 à 2014, ainsi que des arriérés de TVA d’un montant de 1.822,55 euros concernant les années 2011 à 2013 et, d’autre part, que la société ….., dont Monsieur …..
aurait été le seul titulaire des autorisations d’établissement, l’administrateur-délégué et l’un des bénéficiaires économiques, aurait accumulé des arriérés de TVA de 52.721,55 relatifs aux années 2011 à 2013, des arriérés d’impôts à hauteur de 85.177,81 euros, au titre des années d’imposition 2006 à 2012, ainsi que des arriérés de cotisation sociales de 45.294,86 relatifs à la période se situant entre février et novembre 2012, ce serait à bon droit que le ministre aurait décidé de garder la délivrance de l'autorisation d’établissement sollicitée en suspens jusqu'au règlement de toutes ces dettes.
A titre subsidiaire, pour autant que le tribunal devrait estimer que les dettes litigieuses devraient être appréciées sous l’angle de l’article 6 (4) d) de la loi du 2 septembre 2011, le délégué du gouvernement, en renvoyant aux travaux parlementaires relatifs à la loi du 2 septembre 2011 et en se référant à l’importance des dettes tant de Monsieur ….. que de la société ….. à l’égard des créanciers publics, dont le montant total s’élèverait à 208.988,27 euros, à la période à laquelle elles se rapporteraient et au contenu du rapport du curateur de la faillite de la société ….., dont il ressortirait que la cause de la faillite de cette dernière résiderait dans le non-paiement des dettes à l’égard des créanciers publics, fait valoir que la condition ayant trait à l’accumulation de dettes importantes auprès de ces derniers serait remplie en l’espèce. Il en conclut que tous les éléments nécessaires pour qu'un défaut d'honorabilité professionnelle soit retenu sur base de l'article 6 (4) d) seraient réunis en l’espèce.
En outre, il conclut au rejet, pour défaut de pertinence, des développements de la société …..ayant trait à la responsabilité fiscale des dirigeants de sociétés.
Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement réfute l’argumentation de la société demanderesse selon laquelle le simple constat d’arriérés auprès des créanciers publics ne suffirait pas pour établir l’existence, dans le chef du dirigeant, d’une soustraction à ses obligations fiscales et sociales, au sens de l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011, en donnant à considérer que d’après le dictionnaire « Le Larousse », les termes « se soustraire à », « échapper à » et « se dérober à » seraient des synonymes.
Par ailleurs, il insiste sur le fait que l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011 serait d’application générale, dans la mesure où aucune disposition de la loi en question ne limiterait son application au cas où aucune faillite n’aurait été prononcée.
L’article 2 de la loi du 2 septembre 2011 définit sous son n° 15 la notion d’ « entreprise » comme étant « toute personne physique ou morale qui exerce, à titre principal ou accessoire, une activité économique visée à la présente loi ».
En l’espèce, il n’est pas contesté que l’activité de « Restauration – Débit de boissons alcooliques et non-alcooliques ; Traiteur – événementiel », en vue de l’exercice de laquelle la société …..avait demandé une autorisation d’établissement, tombe dans le champ d’application de la loi du 2 septembre 2011, de sorte que la société demanderesse doit être qualifiée d’entreprise au sens de l’article 2 de ladite loi.
Aux termes de l’article 3 de la loi du 2 septembre 2011, « l’autorisation d’établissement requise au préalable pour l’exercice d’une activité visée par la présente loi est délivrée par le ministre si les conditions d’établissement, d’honorabilité et de qualification prévues aux articles 4 à 27 sont remplies ».
L’article 4 de la même loi précise les exigences à remplir par le dirigeant d’une entreprise dans les termes suivants : « L’entreprise qui exerce une activité visée à la présente loi désigne au moins une personne physique, le dirigeant, qui:
1. satisfait aux exigences de qualification et d’honorabilité professionnelles;
et 2. assure effectivement et en permanence la gestion journalière de l’entreprise;
et 3. a un lien réel avec l’entreprise en étant propriétaire, associé, actionnaire, ou salarié;
et 4. ne s’est pas soustrait aux charges sociales et fiscales, soit en nom propre, soit par l’intermédiaire d’une société qu’il dirige ou a dirigée ».
L’article 6 de la loi du 2 septembre 2011 précise le régime de la condition de l’honorabilité professionnelle dans les termes suivants :
« (1) La condition d’honorabilité professionnelle vise à garantir l’intégrité de la profession ainsi que la protection des futurs cocontractants et clients.
(2) L’honorabilité professionnelle s’apprécie sur base des antécédents du dirigeant et de tous les éléments fournis par l’instruction administrative pour autant qu’ils concernent des faits ne remontant pas à plus de dix ans.
Le respect de la condition d’honorabilité professionnelle est également exigé dans le chef du détenteur de la majorité des parts sociales ou des personnes en mesure d’exercer une influence significative sur la gestion ou l’administration de l’entreprise.
(3) Constitue un manquement privant le dirigeant de l’honorabilité professionnelle, tout comportement ou agissement qui affecte si gravement son intégrité professionnelle qu’on ne peut plus tolérer, dans l’intérêt des acteurs économiques concernés, qu’il exerce ou continue à exercer l’activité autorisée ou à autoriser.
(4) Par dérogation au paragraphe (3), constituent d’office un manquement qui affecte l’honorabilité professionnelle du dirigeant:
a) le recours à une personne interposée ou l’intervention comme personne interposée dans le cadre de la direction d’une entreprise soumise à la présente loi;
b) l’usage dans le cadre de la demande d’autorisation de documents ou de déclarations falsifiés ou mensongers;
c) le défaut répété de procéder aux publications légales requises par les dispositions légales relatives au registre de commerce et des sociétés ou le défaut de tenir une comptabilité conforme aux exigences légales;
d) l’accumulation de dettes importantes auprès des créanciers publics dans le cadre d’une faillite ou liquidation judiciaire prononcées;
e) toute condamnation définitive, grave ou répétée en relation avec l’activité exercée ».
En l’espèce, il ressort des décisions déférées que le ministre, après avoir constaté que le dirigeant de la société demanderesse, Monsieur ….., se serait soustrait aux charges fiscales et sociales, au sens de l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011, au motif qu’il aurait accumulé d’importantes dettes auprès des créanciers publics, en sa qualité de dirigeant de la société ….., déclarée en état de faillite par un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale, du 21 janvier 2013, a refusé d’accorder à la société ….. l’autorisation d’établissement sollicitée, tant que Monsieur ….. n’aurait pas remboursé les dettes susvisées.
Les parties sont en désaccord sur la question de l’applicabilité de l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011, dans les cas où, tel qu’en l’espèce, le dirigeant de l’entreprise concernée présente des arriérés envers les créanciers publics se rapportant à une faillite antérieurement prononcée, la société demanderesse soutenant, en s’appuyant sur l’arrêt, précité, de la Cour administrative du 24 juillet 2013, que dans pareille hypothèse, la question du respect, par ledit dirigeant, des obligations fiscales et sociales devrait être appréciée exclusivement sous l’angle de l’article 6 (4) d) de la loi susmentionnée, disposition spéciale écartant l’application de la disposition générale que constituerait l’article 4 (4) de la même loi, tandis que le délégué du gouvernement soutient que, dans l’hypothèse en question, les articles 4 (4) et 6 (4) d) de ladite loi auraient vocation à s’appliquer cumulativement.
Le tribunal partage l’interprétation des articles 4 (4) et 6 (4) d) de la loi du 2 septembre 2011, telle que faite par le délégué du gouvernement.
En effet, l’article 4 prévoit quatre conditions cumulatives que le dirigeant d’une entreprise doit remplir en vue de la délivrance d’une autorisation d’établissement2, à savoir, premièrement, satisfaire aux exigences de qualification et d’honorabilité professionnelles, deuxièmement, assurer effectivement et en permanence la gestion journalière de l’entreprise, troisièmement, avoir un lien réel avec l’entreprise en étant propriétaire, associé, actionnaire, ou salarié de celle-ci et, quatrièmement, ne pas s’être soustrait aux charges sociales et fiscales, soit en nom propre, soit par l’intermédiaire d’une société qu’il dirige ou a dirigée. Il s’ensuit que le respect des obligations fiscales et sociales prévu par l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011, d’une part, et la condition tenant à la l’honorabilité professionnelle inscrite à l’article 4 (1) de la même loi, d’autre part, constituent des exigences distinctes que le dirigeant de l’entreprise sollicitant une autorisation d’établissement doit remplir cumulativement.
Par ailleurs, aux termes du commentaire de l’article 3 (4) du projet de loi n° 6158 devenu l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011, « (…) il doit être certifié par l’Administration des contributions directes, de l’Administration de l’enregistrement et des domaines et le Centre commun de la sécurité sociale que le dirigeant de l’entreprise satisfait à [l’]exigence [tenant au défaut de soustraction aux charges fiscales et sociales]. Cette exigence s’inspire de l’article 2 alinéa 5 de la loi modifiée du 28 décembre qui prévoyait déjà à l’époque qu’en cas de violation des obligations professionnelles, fiscales ou sociales, l’autorisation d’établissement pouvait être refusée ou révoquée. Le présent texte maintient le principe déjà fixé sous la loi modifiée du 28 décembre 1988, tout en l’adaptant à la réalité de 2009. Durant les dernières années, il a en effet pu être constaté qu’il devenait de plus en plus habituel d’accumuler des arriérés auprès des créanciers publics. Dans certains cas particulièrement graves, il a même pu être constaté que certains dirigeants, après avoir accumulé des arriérés auprès des créanciers publics, abandonnaient l’entreprise en temps utile avant la faillite, tout en se relançant aussitôt avec une nouvelle entreprise, en laissant derrière eux des coquilles vides, bourrées de dettes qui végétaient jusqu’à ce qu’elles soient finalement assignées en faillite. Face à de telles constatations, le ministre des Classes moyennes se trouvait souvent dans une situation ambiguë. D’une part, il ne pouvait pas conditionner la délivrance de la nouvelle autorisation d’établissement au paiement des dettes générées par le dirigeant dans le cadre de la société abandonnée. D’autre part, la situation d’espèce ne suffisait souvent pas pour décider que l’honorabilité professionnelle de l’ancien dirigeant était affectée. (…) Le non-respect des obligations fiscales ou sociales, surtout lorsqu’il se termine dans une faillite sera traité plus en détail sous le chapitre relatif à l’honorabilité professionnelle. Le présent article tente cependant de résoudre le problème de l’accumulation des dettes auprès des créanciers publics plus en amont. Désormais, une nouvelle autorisation d’établissement ne pourra être délivrée que si les créanciers publics certifient au ministre des Classes moyennes que le dirigeant n’a pas accumulé, ni en nom personnel, ni au nom d’une autre entreprise qu’il dirige, des dettes auprès d’eux. Cette disposition a l’avantage d’apprécier la situation du dirigeant dans son intégralité. Le présent article préserve pour le surplus une grande flexibilité en permettant d’éviter toute immixtion 2 Cf. projet de loi n° 6158, Commentaire des articles, p. 23, ad art. 3 : « (…) En droit d’établissement, le dirigeant doit remplir cumulativement quatre conditions : (1) Il doit satisfaire personnellement aux exigences de qualification et d’honorabilité professionnelles visées à l’article 2 (3) et 2 (4). 2) Il doit assurer effectivement et en permanence la gestion journalière de l’entreprise (…). (3) Le dirigeant doit avoir un lien réel avec l’entreprise en étant salarié, directeur, propriétaire ou actionnaire ou, si l’entreprise est une personne physique, être cette personne. (…). (4) Le dirigeant de l’entreprise ne doit pas avoir des arriérés de dettes auprès de l’Administration des contributions directes, de l’Administration de l’enregistrement et des domaines et du Centre commun de la sécurité sociale qui relèvent soit de son activité professionnelle en nom propre, soit d’une activité de dirigeant au sein d’une autre entreprise. (…) » du ministre des Classes moyennes dans la politique de recouvrement des créanciers publics.
Ainsi, si les créanciers publics émettent des réserves en invoquant l’existence de dettes, la délivrance de l’autorisation d’établissement sera gardée en suspens jusqu’au règlement de toutes les dettes. Par contre, si les créanciers publics, malgré l’existence de dettes, donnent leur accord en se référant par exemple à un arrangement amiable qui serait en cours, l’autorisation d’établissement pourra néanmoins être délivrée. Il est important de noter que le présent article ne concerne que le refus ou la révocation de l’autorisation d’établissement en raison de l’accumulation de dettes auprès des créanciers publics. Il ne touche cependant pas à l’aspect de l’honorabilité professionnelle. (…) ». Ainsi, l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011, qui a pour finalité d’éviter l’accumulation de dettes auprès des créanciers publics, permet au ministre de subordonner l’octroi d’une nouvelle autorisation d’établissement au règlement préalable de telles dettes accumulées par le dirigeant de l’entreprise concernée soit en son nom personnel, soit par l’intermédiaire d’une entreprise qu’il dirige ou qu’il a dirigée, indépendamment de la question d’une éventuelle remise en cause de l’honorabilité professionnelle de l’intéressé en raison des dettes ainsi accumulées. Il s’ensuit d’ores et déjà que le moyen de la demanderesse, selon lequel le ministre lui aurait imposé une condition illégale, en ce qu’il a exigé le règlement préalable des dettes de la société ….. à l’égard des créanciers publics, est à écarter.
Cependant, si les dettes accumulées par le dirigeant en question à l’égard des créanciers publics sont considérées comme étant « importantes » et si elles se rapportent à une faillite prononcée, ledit dirigeant ne satisfait non seulement pas à l’exigence inscrite à l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011, selon laquelle l’intéressé ne doit pas s’être soustrait aux charges sociales et fiscales, de sorte que la délivrance d’une nouvelle autorisation d’établissement peut être subordonnée au règlement préalable des dettes en question, mais encore moins à la condition d’honorabilité professionnelle visée par l’article 4 (1) de ladite loi, l’honorabilité professionnelle de l’intéressé lui étant, dans pareille hypothèse, automatiquement refusée, en application de l’article 6 (4) d) de la même loi.
Tel que le délégué du gouvernement le soutient à juste titre, cette interprétation est conforme à la volonté du législateur et non pas celle faite par la demanderesse, selon laquelle le non-respect, par le dirigeant de l’entreprise concernée, des obligations fiscales et sociales dans le cadre d’une faillite prononcée relèverait exclusivement de l’article 6 (4) d) de la loi du 2 septembre 2011. En effet, cette dernière interprétation aurait pour conséquence que dans les cas où l’accumulation, par le dirigeant de l’entreprise intéressée, de dettes auprès des créanciers publics aurait entraîné l’ouverture d’une procédure de faillite, peu importe le montant de ces dettes, le ministre se verrait dans l’impossibilité de subordonner l’octroi d’une nouvelle autorisation d’établissement au règlement préalable des dettes en question, en application de l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011. Par ailleurs, si, dans une telle hypothèse, lesdites dettes ne sont pas suffisamment élevées pour pouvoir être qualifiées d’ « importantes », le dirigeant en question pourrait ne pas voir son honorabilité professionnelle remise en cause sur le fondement de l’article 6 (4) d) de la loi du 2 septembre 2011.
S’il ressort du commentaire de l’article 5 (4) e) du projet de loi n° 6158, devenu l’article 6 (4) d) de la loi du 2 septembre 2011 que « (…) L’article 2 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 prévoyait déjà que l’autorisation d’établissement pouvait être refusée ou révoquée en cas d’inobservation des obligations professionnelles, fiscales ou sociales par le dirigeant. Le volet relatif à l’observation des obligations professionnelles, qui est de nature plus générale est désormais couvert par l’article 3 paragraphe (3) alinéa 1er qui contient la définition générale de l’honorabilité professionnelle (…). Le respect des obligations fiscales ou sociales est subdivisé en deux parties, dont la première se retrouve à l’article 2 et la seconde dans la présente énumération. La présente disposition ne vise que les situations dans lesquelles une entreprise a accumulé des dettes auprès de l’Administration des Contributions directes, de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines ou auprès du Centre Commun de la Sécurité Sociale, pour ensuite s’échouer dans une faillite. (…) », tel que relevé par la Cour administrative dans son arrêt, précité, du 23 juillet 2013, le tribunal est amené à conclure qu’il se dégage dudit commentaire que l’article 6 (4) d) de la ladite loi – aux termes duquel l’accumulation de dettes importantes auprès des créanciers publics dans le cadre d’une faillite prononcée constitue d’office un manquement privant le dirigeant de l’honorabilité professionnelle, notion dont la définition générale est donnée à l’article 6 (3) de la même loi, ces dispositions s’inscrivant dans le chapitre 3 de la loi en question, intitulé « L’honorabilité professionnelle » et précisant la condition d’honorabilité professionnelle prévue par l’article 4 (1) de la même loi – n’est applicable qu’en cas de faillite, sans cependant exclure l’application de l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011 dans pareille hypothèse. Par ailleurs, tel que le délégué du gouvernement le soutient à juste titre, aucune disposition de la loi du 2 septembre 2011 ne limite l’application de l’article 4 (4), précité, de la même loi au cas où aucune faillite n’aurait été prononcée.
Il suit des considérations qui précèdent que le moyen tiré d’une application erronée de l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011 n’est pas fondé.
En l’espèce, il est constant que le dirigeant de la société .…, Monsieur ….., avait la qualité d’administrateur-délégué de la société ….. dont il était, par ailleurs, l’unique titulaire des autorisations d’établissement, ainsi que cela ressort des explications du délégué du gouvernement, non contestées sur ce point par la demanderesse, de sorte qu’il doit être considéré comme ayant eu la qualité de dirigeant de la société en question, au sens de l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011, l’affirmation non autrement démontrée de la société demanderesse, selon laquelle Monsieur ….. n’aurait pas été l’administrateur unique de la société en question étant sans pertinence à cet égard pour ne pas être de nature à renverser le constat ci-avant établi.
Il est encore constant en cause que lors de l’adoption des décisions déférées, la société ….. était débitrice à raison de …. euros à l’égard de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines, de … euros à l’égard du CCSS et de … euros à l’égard de l’administration des Contributions directes.
Quant à l’argumentation de la société …., selon laquelle la simple existence d’arriérés ne suffirait pas pour caractériser une « soustraction » du dirigeant aux charges fiscales et sociales, au sens de l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011, le tribunal est amené à relever qu’aux termes du commentaire dudit article, tel que figurant aux travaux parlementaires relatifs à la loi du 2 septembre 2011, « (…) Désormais, une nouvelle autorisation d’établissement ne pourra être délivrée que si les créanciers publics certifient au ministre des Classes moyennes que le dirigeant n’a pas accumulé, ni en nom personnel, ni au nom d’une autre entreprise qu’il dirige, des dettes auprès d’eux. (…) Ainsi, si les créanciers publics émettent des réserves en invoquant l’existence de dettes, la délivrance de l’autorisation d’établissement sera gardée en suspens jusqu’au règlement de toutes les dettes.
(…) ». Le tribunal en déduit qu’en principe, la seule existence d’arriérés à l’égard des créanciers publics soit dans le chef du dirigeant de l’entreprise concernée en personne, soit dans le chef d’une entreprise que le dirigeant dirige ou qu’il a dirigé, pour autant que lesdits arriérés se rapportent à une période pendant laquelle il avait la qualité de dirigeant, suffit pour qu’il y ait soustraction aux charges sociales et fiscales dans le chef dudit dirigeant, au sens de l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011. Il ressort cependant des travaux parlementaires qu’il en va autrement en cas de faillite, hypothèse dans laquelle les créances de l’Administration des Contributions directes, de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines ou auprès du Centre Commun de la Sécurité Sociale qui trouvent leur cause dans les affaires de l’année, du trimestre ou du mois courant, suivant ce qui est applicable, ne sauraient être interprétées comme un non-respect des obligations fiscales ou sociales.3 Or, il ressort du dossier administratif, plus particulièrement des déclarations de créance déposées par les créanciers publics dans le cadre de la faillite de la société ….., que les dettes de cette dernière à leur égard concernent, dans leur écrasante majorité, des périodes antérieures à l’année, au trimestre, respectivement au mois courant au 21 janvier 2013, jour du prononcé du jugement déclaratif de faillite. En effet, du montant total de la dette d’impôts de la société ….. à l’égard de l’administration des Contributions directes, s’élevant à … euros, seuls 62 euros ont trait à l’année d’imposition 2013, le surplus se rapportant aux années d’imposition 2006 à 2012. Par ailleurs, la créance de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines à l’égard de la société ….., d’un montant total de … euros, est composée, en sus d’une amende fiscale à hauteur de 50 euros, d’arriérés de TVA d’un montant de ….. euros, de ….. euros, de ….. euros et de … euros se rapportant respectivement aux années 2010, 2011, 2012 et 2013, tandis que la créance du CCSS à l’égard de la société en faillite s’élève à …..
euros, à titre d’arriérés de cotisations sociales concernant l’exercice 2012.
Dans ces circonstances, le tribunal est amené à conclure que le dirigeant de la société …, Monsieur ….., s’est soustrait aux charges fiscales et sociales, par l’intermédiaire de la société ….., soit d’une société qu’il a dirigée, de sorte que c’est à bon droit qu’en application de l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011, le ministre a refusé d’accorder à la société demanderesse l’autorisation d’établissement sollicitée tant que les dettes susmentionnées n’auront pas été réglées.
Cette conclusion n’est pas énervée par les développements de la demanderesse ayant trait à la responsabilité fiscale des dirigeants de sociétés, ces développements étant dépourvus de pertinence en l’espèce, le tribunal n’étant pas saisi dans la présente affaire d’un recours en matière fiscale.
Par ailleurs, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le dirigeant de la société demanderesse ne satisfait pas à l’exigence inscrite à l’article 4 (4) de la loi du 2 septembre 2011, selon laquelle le dirigeant ne doit pas s’être soustrait aux charges fiscales et sociales, il devient surabondant d’analyser la question de savoir s’il ne satisfait, par ailleurs, pas à l’exigence d’honorabilité professionnelle prévue à l’article 4 (1) de ladite loi, en ce qu’il aurait accumulé d’importantes dettes auprès des créanciers publics, au sens de l’article 6 (4) d) de la même loi et, par conséquent, de trancher les contestations afférentes de la partie demanderesse, le tribunal venant de retenir que les exigences énumérées par l’article 4 de la loi du 2 septembre 2011 sont cumulatives, de sorte que le refus d’une autorisation d’établissement est légalement justifiée dès que le dirigeant ne remplit pas l’une seule de ces exigences, ainsi que cela est le cas en l’espèce.
3 Projet de la loi 6158, commentaire des articles, ad article 5.
Il suit de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Au vu de l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.000 euros formulée par la demanderesse sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 est à rejeter, étant encore précisé qu’elle omet de spécifier la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et qu’elle ne précise pas en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à sa charge.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;
dit non fondée la demande de la société anonyme ….. en obtention d’une indemnité de procédure de 1.000 euros sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi délibéré par:
Anne Gosset, premier juge, Paul Nourissier, juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 13 juillet 2015 par le premier juge en présence du greffier Monique Thill.
s. Monique Thill s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15.7.2015 Le greffier du tribunal administratif 14