Tribunal administratif N° 36304 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mai 2015 2e chambre Audience publique du 9 juillet 2015 Recours formé par Monsieur …. et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 36304 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2015 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …., né le … à … (Kosovo), et de son épouse, Madame …., née le … à … (Kosovo), agissant en leur nom personnel ainsi qu’au nom et pour le compte de leur fille mineure, …., née le … à … (Serbie), tous de nationalité kosovare, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 avril 2015 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 29 avril 2015 refusant de faire droit à leur demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 juin 2015 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 juin 2015 par Maître Ardavan Fatholahzadeh au nom et pour le compte de ses mandants ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Caroline Peffer en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 juin 2015.
Le 26 février 2015, Monsieur …. et son épouse, Madame …., agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leur fille mineure …., ci-après dénommés « les consorts …. », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».
Le 5 mars 2015, les époux ….-…. furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leur demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 126 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».
Monsieur …. fut encore entendu le 23 mars 2015 par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, l’audition de Madame ….-…. ayant eu lieu le 30 mars 2015.
Par décision du 29 avril 2015, notifiée aux intéressés par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa les consorts …. qu’il avait été statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1), a) et c) de la loi du 5 mai 2006, laquelle avait été refusée comme non fondée, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. La décision du ministre est tout d’abord motivée par la considération que, selon les dispositions de l’article 1er, paragraphe (1) du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, désigné ci-après par « le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 », les consorts …. proviendraient d’un pays d’origine sûr au sens des dispositions de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, c’est-à-dire d’un pays dans lequel il n’existerait généralement et de façon constante pas de persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York le 31 juillet 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces textes étant ci-après désignés par « la Convention de Genève ».
Le ministre releva par ailleurs que le meurtre de l’oncle de Monsieur …. en 2003, respectivement l’agression de Monsieur …. en 2004 par un Albanais seraient trop éloignés dans le temps pour pouvoir être pris en considération dans le cadre de leur demande de protection internationale. Il fit encore valoir que les agissements de la personne albanaise dénommée …., consistant à menacer Monsieur …. afin de le dissuader de revendiquer son droit de propriété par rapport à un terrain, n’auraient pas été motivés par un des critères de fond définis par la Convention de Genève et la loi du 5 mai 2006. Il estima en effet que les agissements de …. constitueraient des délits relevant du droit commun et seraient punissables selon la loi kosovare. En outre, il ne ressortirait pas des explications des demandeurs qu’ils n’auraient pas pu bénéficier de la protection des autorités de leur pays d’origine qui seraient d’ailleurs toujours venues sur les lieux lorsque les consorts …. auraient sollicité de l’aide et qui auraient expulsé …. du terrain de Monsieur ….. En ce qui concerne les problèmes rencontrés par les demandeurs avec le père de Monsieur …., ce dernier étant alcoolique et ayant été violent, à plusieurs reprises, à l’égard de Madame ….-…., le ministre indiqua que ces faits constitueraient également des délits relevant du droit commun et que, ces faits émanant d’une personne privée, l’absence de protection étatique ne serait pas établie, de sorte que ces faits ne sauraient pas non plus fonder une demande de protection internationale. Des raisons économiques n’entreraient pas non plus dans le champ d’application de la Convention de Genève et ne sauraient justifier leur demande.
Finalement, le ministre estima que les consorts …. auraient pu bénéficier d’une fuite interne en rejoignant le frère de Madame ….-…., respectivement en déménageant dans une des enclaves serbes au Kosovo, dans la mesure où leurs problèmes n’auraient eu qu’un caractère local.
2S’agissant de la protection subsidiaire, le ministre conclut que le récit des consorts ….
ne comporterait aucun motif sérieux et avéré de croire qu’ils courraient un risque réel de subir l’une des atteintes graves définies à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans leur pays d’origine.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2015, les consorts ….
firent introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision du ministre du 29 avril 2015 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du ministre du 29 avril 2015 refusant de faire droit à leur demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
A l’appui de leur recours, les consorts …. exposent avoir fait l’objet de menaces de mort de la part d’une personne albanaise dénommée …. qui aurait revendiqué la propriété d’un terrain agricole leur appartenant suite au meurtre non résolu de l’oncle de Monsieur ….
en 2003. …. aurait été régulièrement expulsé du terrain des demandeurs par les autorités policières kosovares qui seraient cependant restées en défaut d’entreprendre d’autres démarches à son égard, de sorte qu’il serait, à chaque fois, revenu sur le terrain en question suite au départ des policiers. Les demandeurs font encore valoir qu’en raison de leur origine ethnique serbe, d’une part, ils ne bénéficieraient pas d’une liberté de circulation au Kosovo dans la mesure où la population albanaise du Kosovo les aurait régulièrement insultés et menacés et, d’autre part, ils seraient dans l’impossibilité d’y trouver un emploi rémunéré.
1) Quant au recours en annulation visant la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale des consorts …. dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
En droit, les demandeurs estiment que ce serait à tort que le ministre, pour traiter leur demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée, s’est notamment basé sur le fait que le Kosovo figure sur la liste des pays d’origine sûrs fixée par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007. A cet égard, ils estiment que le règlement précité serait contraire aux dispositions de la directive 2005/85/CE du conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, ci-après désignée par « la directive 2005/85/CE » et à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après dénommée « la CEDH », de sorte que le tribunal devrait refuser de l’appliquer dans le cadre du présent litige. Ainsi, ils s’emparent de la volonté affichée par l’Union européenne d’harmoniser la politique d’asile pour considérer, qu’à défaut de liste commune minimale, il ne pourrait y avoir aucune harmonisation, puisque l’établissement d’une liste nationale de pays d’origine sûrs conduirait nécessairement à une discrimination tant du point de vue du pays d’origine que du point de vue des Etats chargés d’instruire la demande d’asile. Dans cet ordre d’idées, ils exposent que ce serait « surprenant que le Luxembourg ait pu établir une telle liste », alors que les Etats membres de l’Union européenne auraient échoué à établir une 3liste commune dans ce sens.
Par ailleurs, les consorts …. affirment que la notion de « pays d’origine sûr » aurait toujours été fortement critiquée et rappellent que l’UNHCR aurait estimé que l’application de cette notion devrait être limitée et inclure la possibilité réelle de réfuter une présomption de sécurité. Les demandeurs soulignent que l’UNHCR aurait dès lors retenu que chaque cas devrait être examiné individuellement quant au fond et qu’il faudrait des critères clairs pour déterminer à quel moment un pays peut être inclus dans une liste commune des pays d’origine sûrs. Dans le même ordre d’idées, les demandeurs rappellent que la Commission consultative des Droits de l’Homme aurait souligné que l’adoption d’une liste des pays d’origine sûrs serait contraire à l’article 3 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, alors qu’elle conduirait à une discrimination entre réfugiés en raison de leur nationalité. Par ailleurs, la Commission consultative des Droits de l’Homme aurait mis en évidence la difficulté matérielle pour le demandeur de renverser cette présomption et aurait constaté que souvent le seul critère utilisé pour dresser une telle liste serait l’adhésion des pays à des instruments internationaux de droits de l’Homme, mais non pas le respect effectif des droits de l’Homme par ces pays. Ils soulignent encore que dans son avis du 3 mai 2005 sur le projet de loi relatif au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, le Conseil d’Etat a proposé de supprimer la possibilité de fixer une liste de pays d’origine sûrs. Les demandeurs reprochent également au règlement grand-ducal de rester muet quant aux critères d’après lesquels la liste a été établie, de sorte que la pluralité des sources exigée par la directive 2005/85/CE ne saurait être valablement vérifiée. Finalement, les demandeurs affirment que d’après l’article 21(4) de la loi du 5 mai 2006, la désignation de pays d’origine sûr se ferait pour chaque pays après un examen détaillé de la situation particulière dudit pays, les demandeurs se référant à ce sujet à un article publié le 13 mars 2015 sur le site internet « www.touteleurope.eu » et intitulé « Etat des lieux des négociations », ainsi qu’à deux jugements du 5 juin 2014 du tribunal administratif, inscrits sous les numéros 34266 et 34315 du rôle. Ils concluent que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 violerait tant l’article 3 de la Convention de Genève précitée que les dispositions de la directive 2005/85/CE.
Les demandeurs invoquent encore une violation de l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006, alors que contrairement à l’appréciation ministérielle, ils auraient invoqué des questions pertinentes au regard de l’examen visant à déterminer s’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut de la protection internationale. Ils seraient en effet victimes de persécutions en raison de leur appartenance ethnique à la minorité serbe du Kosovo et sans que les autorités policières kosovares seraient en mesure de leur accorder une protection adéquate. En retenant que ces faits seraient sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au sens de l’article 20 (1) a), alors même qu’ils risqueraient leur vie en cas de retour au Kosovo, les demandeurs concluent que le ministre aurait commis une erreur d’appréciation.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale des consorts …. dans le cadre d’une procédure accélérée et conclut au rejet du recours en annulation.
En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, aux termes desquels : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
4 a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
(…) c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi (…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, soit si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
Plus particulièrement en ce qui concerne le point c) de l’article 20 (1), précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de relever qu’un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine, sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme un pays d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
5c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.» Dans ce cadre, s’agissant du moyen tendant à ce que le tribunal n’applique pas le règlement grand-ducal précité dans la présente affaire, il échet tout d’abord de rappeler que le rôle du tribunal consiste à vérifier, dans le cadre de l’article 95 de la Constitution, que la norme réglementaire incriminée est conforme aux lois, et le cas échéant, d’en écarter l’application, mais non de contrôler l’exactitude matérielle des faits pris en considération et d’annuler le cas échéant la disposition réglementaire. Ainsi, à défaut de violation alléguée d’une quelconque disposition légale par un règlement grand-ducal, le tribunal n’est pas autorisé à en refuser l’application dans un cas concret.
Or, aux termes de l’article 21, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 : « Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr : a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; b) le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève ; c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés ».
Au vu de l’habilitation légale accordée par la disposition légale précitée au pouvoir réglementaire de prendre un règlement grand-ducal en vue de la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, au vu des moyens et arguments développés par une partie demanderesse, de vérifier si le règlement grand-ducal a été pris en conformité à l’article 21, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 fixant le champ d’application de ladite disposition.
En ce qui concerne les développements des demandeurs consistant à affirmer que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 ne serait pas conforme à l’article 3 de la Convention de Genève, il y a lieu de rappeler que cet article consacre le principe de non-
discrimination des réfugiés et dispose que « Les Etats contractants appliqueront les dispositions de cette convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d’origine ». Or, s’il peut certes y avoir une discrimination prima facie, alors qu’il peut sembler que les personnes cherchant refuge dans un pays disposant d’une liste de pays sûrs ne bénéficieraient plus d’un examen individuel de la situation actuelle de leur pays d’origine, il convient cependant de relever que, d’une part, l’inscription d’un pays sur une telle liste constitue l’aboutissement de l’examen de la situation de ce pays, certes non pas à un niveau individuel, mais à un niveau réglementaire et, d’autre part, qu’en l’espèce, le ministre, au-delà du constat de l’inscription du Kosovo sur la liste des pays d’origine sûrs, a procédé à une analyse in specie de la situation actuelle des demandeurs dans le contexte de la situation générale de ce pays.
Ainsi, il résulte de la lecture de la décision ministérielle déférée que les demandes des consorts …. ont fait l’objet d’un examen individuel et que tant en ce qui concerne la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, qu’en ce qui concerne le refus de leur accorder la protection internationale, le 6ministre a non seulement pris en compte l’origine des demandeurs, mais a également fait un examen précis de leur situation individuelle, notamment sur la toile de fond de la situation sécuritaire et légale du Kosovo. En effet, la décision ministérielle entreprise n’est pas basée sur le simple motif que les demandeurs proviennent d’un pays considéré comme étant d’origine sûr, mais bien au contraire sur de nombreux motifs différents, correspondant aux critères contenus dans la Convention de Genève, ainsi que dans la loi du 5 mai 2006.
Les demandeurs, comme relevé ci-avant, reprochent en outre au règlement grand-
ducal en cause de rester muet quant aux critères d’après lesquels la liste est à établir, de sorte que la pluralité des sources exigée par la directive 2005/85/CE ne saurait être valablement vérifiée. De même, ils reprochent au règlement grand-ducal de contrevenir aux dispositions de l’article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006, alors qu’en établissant une liste des pays d’origine sûrs, il n’existerait pas de garantie qu’il y ait eu effectivement un examen pays par pays comme l’exigerait la loi. Sur base de ces affirmations, les demandeurs invoquent dès lors un manque de motivation du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007.
Force est toutefois au tribunal de rappeler que contrairement à ce qui est imposé pour les décisions administratives individuelles par l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 sur la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, inapplicable en matière réglementaire, aucun texte n’oblige l’administration à formuler de manière expresse et explicite les motifs gisant à la base d’un acte à caractère réglementaire, dont toutefois le motif doit être légal et à cet égard vérifiable par la juridiction administrative1. S’agissant en l’espèce d’un acte à caractère réglementaire, il peut valablement contenir sa motivation dans son exposé des motifs et son commentaire des articles, lesquels contiennent par ailleurs une motivation explicite en ce qui concerne les sources et critères retenus pour qualifier certains pays comme pays d’origine sûrs, motivation qui n’a pas fait l’objet de critiques de la part des demandeurs2. Il y a encore lieu de préciser que la Cour administrative a retenu dans un arrêt du 2 octobre 2014, inscrit sous le numéro 34778C du rôle, que « le Kosovo est un pays qui dispose d'une constitution démocratique et procède à la désignation de ses dirigeants en vertu d'élections libres et pluralistes, qui a intégré dans sa législation nationale les droits de l'homme et les libertés fondamentales garanties par la CEDH et d'autres instruments internationaux garantissant le respect de ces droits et libertés. Il s'est engagé dans la voie de réformes profondes de son système politique et judiciaire dans le sens d'une consolidation de l'Etat de droit conformément aux exigences du partenariat envisagé avec l'UE, assurant une sanction effective, par les autorités policières et judiciaires en place, des violations des droits de l'homme et des droits fondamentaux, en dépit de certaines difficultés persistantes dans l'affirmation de l'autorité de l'Etat et des particularités de la situation de différentes minorités qui éprouvent plus de difficultés à affirmer et à voir respecter leurs droits » et elle est arrivée à la conclusion, par réformation du jugement du tribunal administratif du 19 mai 2014, inscrit sous le numéro 33385 du rôle, ayant annulé l'article 1er, paragraphe 1er, du règlement grand-ducal du 19 juin 2013 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, que le Kosovo est à considérer comme pays d'origine sûr au sens de l'article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006.
Au vu des développements qui précèdent, le moyen quant à la contrariété du 1 Cour adm. 23 février 2006, n° 20173C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 95.
2 Trib. adm. 24 septembre 2009, n°25522 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Etrangers, n° 101, et autres références y citées.
7règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 aux dispositions de la directive 2005/85/CE et à l’article 3 de la Convention de Genève laisse d’être fondé. Le tribunal se doit donc d’appliquer le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 précité.
En l’espèce, il est constant en cause que par ledit règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, le Kosovo a été retenu comme constituant un pays d’origine sûr, tandis qu’il se dégage des éléments du dossier que les demandeurs ont la nationalité kosovare et qu’ils ont habité au Kosovo avant de venir au Luxembourg.
Comme le tribunal vient de le rappeler au niveau des principes, dès lors que l’énumération d’un pays d’origine sûr dans la liste du prédit règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 ne constitue qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006 un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et dans les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006, de vérifier, compte tenu des moyens invoqués, si les demandeurs lui soumettent, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans leur chef, d’un pays d’origine sûr en raison de leur situation personnelle.
Or, l’analyse de la situation personnelle des demandeurs ne permet pas d’en dégager des éléments suffisants pouvant mener à une réévaluation de la situation générale du Kosovo et à mettre en doute la présomption que le Kosovo est à qualifier de pays d’origine sûr au sens du règlement grand-ducal précité. Le simple fait que les demandeurs estiment que les forces de l’ordre kosovares auraient refusé de leur accorder la protection requise ou seraient incapables de leur fournir cette protection n’est pas suffisant à ce sujet, d’autant plus qu’il ressort, d’une part, des pièces soumises à l’appréciation du tribunal par les consorts …. eux-
mêmes, et plus particulièrement du rapport du « Immigration and Refugee Board of Canada » du 30 novembre 2011 intitulé « Kosovo : information sur la force policière, y compris sa structure ; la procédure à suivre pour déposer une plainte contre la police et la réceptivité relativement aux plaintes », ainsi que du rapport de l’organisation « Human Rights Watch » du 21 janvier 2014 intitulé « World Report 2014 – Kosovo », que la composition de la police kosovare est multiethnique, qu’il s’agit de « (…) la plus forte des institutions du Kosovo pour ce qui est d’assurer la primauté du droit (…) », qui intervient en cas d’incidents concernant des minorités ethniques kosovares, et qu’il existe des institutions kosovares auprès desquelles il est possible de déposer une plainte pour des actes d’inconduite policière, même s’il se dégage desdits rapports que l’effectif de la police kosovare est probablement trop réduit et qu’elle a des difficultés à combattre la criminalité de haut niveau en raison de l’ingérence politique, des problèmes de sécurité et de formation limitée – les demandeurs n’alléguant toutefois pas avoir fait l’objet de tels actes de criminalité de haut niveau – et, d’autre part, des rapports d’audition respectifs des consorts …. qu’ils ont pu faire appel aux policiers kosovares à chaque fois que la personne albanaise dénommée …. se serait rendue sur leur terrain agricole et aurait menacé Monsieur …..
En ce qui concerne le fait que des personnes d’origine albanaise non autrement identifiées auraient entravé la liberté de circulation des consorts …. en les menaçant et en les insultant, il ne ressort pas des propos des consorts …. tenus lors de leurs entretiens respectifs auprès de la direction de l’Immigration qu’ils auraient requis officiellement et formellement 8la protection des autorités kosovares. Si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces de violences et d’insultes régulières, communément la forme d’une plainte.
Les demandeurs entendent justifier l’absence de dépôt de plainte par leur prétendue perte de confiance dans les autorités kosovares.
Or, s’il se dégage des éléments soumis à l’appréciation du tribunal qu’il reste de nombreux problèmes à résoudre au sein de la police kosovare, notamment en ce qui concerne la corruption au sein de l’appareil judiciaire, ainsi que l’insuffisance des moyens humains et financiers de la police, il n’en ressort pas que le fonctionnement des autorités policières kosovares serait défaillant à tel point qu’il ne serait en tout état de cause pas raisonnable de recourir à leurs services.
Les demandeurs n’ont donc pas fourni d’éléments de nature à renverser le constat du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 précité, selon lequel le Kosovo est à considérer comme pays d’origine sûr.
Il suit des considérations qui précèdent que les demandeurs n’invoquent pas de faits démontrant que le Kosovo ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr dans leur chef, de sorte que c’est à bon droit que le ministre, après analyse de leur situation concrète, a conclu qu’ils sont originaires d’un pays d’origine sûr, et qu’il a à bon droit pu statuer sur leur demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter sans qu’il y ait lieu de statuer sur l’application de l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006, cet examen devenant surabondant.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en réformation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de ce volet de leur recours, les demandeurs se basent sur les mêmes faits que ceux invoqués dans le cadre du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer sur leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée. En se basant sur différents articles de presse publiés sur internet, sur les rapports susmentionnés du « Immigration and Refugee Board of Canada » du 30 novembre 2011 et de l’organisation « Human Rights Watch » du 21 janvier 2014 afin de décrire la situation générale au Kosovo et en prenant appui sur l’article 31 de la loi du 5 mai 2006, les consorts …. font plaider qu’en refusant leur demande de protection internationale, le ministre aurait commis une erreur d’appréciation alors que contrairement aux conclusions ministérielles, ils auraient subi pendant des années des harcèlements de la part de la population albanaise tout en précisant 9que le Kosovo ne pourrait pas faire bénéficier ses citoyens d’une protection effective. Ils auraient ainsi fait l’objet de violations graves et répétées des droits de l’homme dans leur pays d’origine en raison de leur origine ethnique serbe. La nature des persécutions ainsi subies par eux devrait être regardée comme résultant de mesures administratives mises en œuvre de manière discriminatoire au sens des articles 31 (1) et 31 (2) b) de la loi du 5 mai 2006.
Le délégué du gouvernement pour sa part estime que ce serait à bon droit que le ministre a refusé le statut de réfugié aux demandeurs.
En ce qui concerne la demande d’asile des demandeurs, le tribunal rappelle qu’en vertu de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est quant à elle définie par l’article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) ».
L’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 dispose : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
10a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) » Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Ainsi, la notion de « réfugié » implique, outre nécessairement des persécutions dans le pays d’origine, une absence de protection dans le pays d’origine, soit que la personne concernée refuse d’accepter la protection des autorités du pays dont elle a la nationalité, soit qu’elle n’y a pas accès.
Dès lors, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale3. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut4.
Il y a, à cet égard, encore lieu de rappeler l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 qui définit la protection comme suit : « La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables 3 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.
4 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.
11pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection ». Si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions - cette exigence n’impose toutefois pas pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.
En effet, tel que relevé auparavant, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
Force est tout d’abord au tribunal de relever que c’est à juste titre que le ministre a retenu que les agissements de la personne albanaise dénommée …. à l’égard des demandeurs, consistant à avoir tiré sur Monsieur …. en 2004 et à le menacer pour revendiquer la propriété d’un terrain agricole ayant appartenu au grand-père de ce dernier, seraient trop anciens pour pouvoir fonder une demande de protection internationale. Il ressort en effet des déclarations du demandeur que les agissements de …. aurait cessé en 2004, Monsieur …. ayant déclaré sur la question de savoir si …. aurait encore une fois, depuis 2004, tenté de tirer sur lui ou de l’agresser : « Non, car on ne va plus sur les terres et à cause de la police »5, le tribunal tenant par ailleurs à préciser que les affirmations du demandeur selon lesquelles …. aurait tiré sur lui doivent être qualifiées de simples suppositions dans la mesure où il ressort des déclarations de ce dernier, d’une part, qu’il aurait simplement entendu des rafales de tirs apparemment tirées, pour l’effrayer, à partir de la maison de …. située à un kilomètre et demi du terrain agricole litigieux6 et, d’autre part, qu’il n’aurait jamais vu …. en possession d’une arme, mais qu’étant donné qu’il serait de notoriété que les Albanais porteraient tous des armes, il en aurait déduit que …. devrait également en posséder une7. A titre superfétatoire, force est encore au tribunal de constater, d’une part, que les agissements de …. ne sont pas motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, en l’occurrence par des considérations ethniques, mais par des revendications relatives à la propriété d’un terrain agricole8 et, d’autre part, que les demandeurs ont pu, à chaque fois, faire appel aux autorités policières kosovares qui sont intervenues pour expulser …. de leur terrain agricole, de sorte que l’absence de protection étatique n’est pas établie en l’espèce.
5 Page 4 du rapport d’audition de Monsieur …. du 23 mars 2015.
6 Ibidem 7 Page 6 du rapport d’audition de Monsieur …. du 23 mars 2015.
8 « (…) Il veut nous prendre les terres. Les Albanais sont tous pareils. », Page 4 du rapport d’audition de Monsieur …. du 23 mars 2015.
12 En ce qui concerne les menaces et harcèlements proférés de manière constante par la population d’origine albanaise à l’égard des consorts …., ces agissements ayant eu pour conséquence de restreindre la liberté de circulation de ces derniers, force est au tribunal de constater que ces menaces n’ont pas été suivies d’actes concrets et que si ces agissements constituent certes des actes condamnables, ils sont toutefois, au regard de leur gravité, insuffisants pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie des demandeurs leur serait, à raison, intolérable dans leur pays de provenance.
Il y a finalement lieu de relever que les demandeurs sont restés en défaut de soumettre au tribunal des éléments de nature à appuyer leurs affirmations selon lesquelles ils auraient été dans l’impossibilité de trouver un emploi rémunéré en raison de leur origine ethnique serbe, ce fait, par ailleurs fondé sur des considérations exclusivement économiques, devant partant être analysé comme une crainte purement hypothétique, de sorte à ne pas pouvoir justifier l’octroi du statut de réfugié aux demandeurs.
Par conséquent, les faits invoqués par les demandeurs à la base de leurs demandes d’un statut de réfugié ne sont pas à considérer comme des actes de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder aux demandeurs le statut de réfugié.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder aux demandeurs le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, il y lieu de préciser que la « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes 1) et 2), n’étant pas applicable à cette personne et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Il échet de rappeler que l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c) « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Le tribunal constate qu’à l’appui de leur demande de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leur demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié, pour en conclure qu’ils risqueraient de faire l’objet d’atteintes graves au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans leur pays d’origine.
Or, au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, force est de constater qu’il a été retenu qu’il n’est pas démontré que les autorités kosovares seraient dans l’incapacité de fournir aux demandeurs une protection adéquate au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 : en effet, tout 13comme la notion de « réfugié », celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » implique, outre nécessairement des atteintes graves, ou à tout le moins le risque d’atteintes graves, une absence de protection dans le pays d’origine, de sorte que les demandeurs ne sauraient faire valoir un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 précité.
Le tribunal est amené à constater qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que les consorts …. encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir la peine de mort ou l’exécution, ou encore des menaces graves et individuelles contre leurs vies ou leurs personnes en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres éléments, c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».
En l’espèce, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire au motif que la décision portant refus de reconnaissance d’une protection internationale devrait être réformée.
Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale des demandeurs comme non justifiée, de sorte que, compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, 14 le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 29 avril 2015 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale des consorts …. dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 29 avril 2015 portant refus d’une protection internationale aux consorts …. ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 29 avril 2015 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé :
Anne Gosset, premier juge, Paul Nourissier, juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 9 juillet 2015 par le premier juge, en présence du greffier Monique Thill.
s. Monique Thill s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 juillet 2015 Le greffier du tribunal administratif 15