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08/07/2015 | LUXEMBOURG | N°36289

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 juillet 2015, 36289


Tribunal administratif N° 36289 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 mai 2015 Ire chambre Audience publique du 8 juillet 2015 Recours formé par Monsieur … et consort, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36289 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2015 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, ins

crit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (M...

Tribunal administratif N° 36289 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 mai 2015 Ire chambre Audience publique du 8 juillet 2015 Recours formé par Monsieur … et consort, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36289 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2015 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Monténégro), et de son épouse, Madame…, née le … à .., tous les deux de nationalité monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 6 mai 2015 ayant décidé de statuer sur leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même jour refusant de faire droit à leurs demandes de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juin 2015 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 24 juin 2015 par Maître Louis Tinti pour le compte de ses mandants ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh, en remplacement de Maître Louis Tinti, et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth Pesch en leurs plaidoiries respectives.

Le 30 décembre 2014, Monsieur … et son épouse, Madame…, ci-après dénommés « les époux … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes des demandes de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, dénommée ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».

Le même jour, les époux … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leurs identités respectives et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Le 13 janvier 2015, les époux … furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leurs demandes de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

Monsieur … fut encore entendu le 18 mars 2015 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale. Madame … fut entendue séparément le même jour à ces mêmes fins.

Par décision du 6 mai 2015, expédiée par courrier recommandé remis à la poste le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa les époux … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1), a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leurs demandes avaient été refusées comme non fondées, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2015, les époux … ont fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision du ministre du 6 mai 2015 ayant décidé de statuer sur leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même jour refusant de faire droit à leurs demandes de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

A l’appui de leur recours, et en fait, les époux … expliquent qu’ils seraient menacés de la part de l’ex-époux de Madame … et que Monsieur … subirait également des menaces de la part de ses parents qui se seraient opposés à son mariage avec une femme divorcée.

Madame … fait relever qu’elle aurait été frappée pendant deux ans par son premier époux qui l’aurait ensuite menacée dès leur rupture et surtout après son remariage et que, malgré avoir déposé plainte auprès de la police et après avoir demandé de l’aide à un service social, elle n’aurait pas obtenu une quelconque protection, la police lui disant qu’elle ne pouvait rien faire tout en se bornant à l’orienter vers un service social.

Monsieur … fait valoir qu’il aurait été menacé de mort tant par sa propre famille que par l’ex-époux de sa conjointe, précisant que, sur plainte verbale concernant les problèmes avec sa famille, la police n’aurait pas jugé utile d’y réserver des suites, estimant que « ça allait s’arranger ».

A l’audience des plaidoiries et à titre liminaire, le litismandataire des demandeurs concède à la question d’ordre public du respect des délais d’instruction que son mémoire en réplique n’a été déposé au greffe du tribunal administratif qu’en date du 24 juin 2015, tandis que le tribunal avait fixé un délai pour déposer le mémoire en réplique expirant le 22 juin 2015.

Ce délai étant prévu à peine de forclusion, il s’ensuit que le mémoire en réplique doit être écarté pour être tardif.

En effet, dans la présente matière, l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit que le tribunal doit statuer dans les deux mois de l’introduction de la requête, ce qui conduit le tribunal, pour des raisons de bonne administration de la justice, et plus particulièrement afin de concilier les droits de la défense avec son obligation légale de statuer dans les deux mois de la requête, à fixer des délais d’instruction plus courts, par dérogation aux délais ordinaires.

Une fois un calendrier fixé pour la production des mémoires, ce sont ces délais spécifiques qui s’imposent par rapport aux délais ordinaires et leur non-respect est sanctionné par analogie à la sanction de la forclusion prévue à l’article 5 (6) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives en cas de non-

respect des délais ordinaires.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur les demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre la décision de statuer sur une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, seul un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre ce volet de la décision ministérielle déférée. Le recours en annulation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs soulignent en premier lieu que leurs demandes de protection internationale devraient être analysées en considération de la situation des femmes monténégrines victimes de violences, ainsi que des capacités des autorités monténégrines à leur assurer une protection adéquate.

Ils invoquent dans ce contexte un rapport déposé en 2011 auprès du Conseil de l’Europe ayant pour objet « la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique » qui relaterait que la violence à l’égard des femmes, y compris la violence domestique, représenterait « en Europe l’une des plus graves violations des droits de la personne fondées sur le genre ».

Ils se basent également sur une proposition de résolution du Parlement européen du 6 février 2014 sur le droit des femmes dans les pays Balkans candidats à l’adhésion que les violences domestiques resteraient toujours préoccupantes au Monténégro, invitant le gouvernement monténégrin à fournir des fonds et des efforts suffisants pour la mise en œuvre de la législation pertinente et du code de conduite. Ces conclusions seraient partagées par une résolution du Parlement européen du 6 février 2014 sur le rapport de suivi 2013 concernant le Monténégro, où le gouvernement monténégrin aurait été invité à sensibiliser davantage le public aux violences familiales et à adopter des mesures supplémentaires en vue de mettre en œuvre efficacement la loi sur la protection contre la violence domestique.

Quant à leur crédibilité mise en doute par le ministre, les demandeurs affirment qu’en application de l’article 26 (5) e) de la loi du 5 mai 2006, le doute devrait leur profiter du fait que leur récit serait à considérer comme crédible dans sa globalité.

Madame … souligne, en ce qui concerne les contradictions relevées par le ministre relatives à la manière avec laquelle son ex-époux l’aurait menacée, qu’avant son nouveau mariage, c’est-à-dire à l’époque où elle aurait encore vécu avec ses parents à …, elle aurait été menacée dans la rue et que, par après, elle aurait été victime de menaces téléphoniques qui auraient cependant cessé à partir du moment où elle aurait changé de numéro.

En ce qui concerne les menaces de la part de la famille de Monsieur …, les demandeurs expliquent que le fait d’être, à leur retour de …, retournés vivre chez les parents de ce dernier, et ce, malgré les menaces de mort de leur part, s’expliquerait par la circonstance que la famille aurait seulement accepté leur retour au motif qu’ils auraient eu un enfant à charge en bas-âge.

Quant à l’application de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006, les demandeurs estiment que le ministre aurait à tort retenu au Monténégro la qualité de pays d’origine sûr, alors que leur situation personnelle tenant au milieu familial très traditionaliste, ainsi qu’à la déficience du système de protection des femmes victimes de violences, permettrait valablement de renverser cette présomption.

Il ressortirait encore de leur récit que les faits invoqués seraient d’une pertinence manifeste au regard des critères visant à déterminer s’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, et qu’ils rentreraient manifestement dans le champ d’application matériel de la loi du 5 mai 2006.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, au motif que le ministre aurait à juste titre statué sur le bien-fondé de la demande de protection internationale des époux … dans le cadre d’une procédure accélérée, dès lors que la situation des demandeurs correspondrait aux trois hypothèses visées par le ministre comme fondement de sa décision.

En ce qui concerne la crédibilité des déclarations des demandeurs, force est au tribunal de constater que si les demandeurs ne sont effectivement pas toujours très rigoureux dans leurs explications respectives, leur récit, en ce qui concerne les menaces de la part de l’ex-

époux de Madame …, peut néanmoins être considéré comme globalement crédible, notamment au regard des explications contenues dans leur requête introductive d’instance. Il en est autrement en ce qui concerne l’existence des menaces de mort de la part de la famille de Monsieur … vis-à-vis de ce dernier, dont Madame … n’a pas fait état, se limitant à parler de disputes, et qui est effectivement difficilement conciliable avec, d’une part, le retour des époux, les trois mois précédant leur départ vers le Luxembourg, à la maison familiale de Monsieur … et, d’autre part, le refus de ce dernier de changer de numéro de téléphone pour éviter de donner un nouveau numéro à toute sa famille, les explications de la requête introductive d’instance manquant de convaincre du contraire, d’autant plus que ni Monsieur … ni son épouse n’ont jamais fait état d’un enfant à leur charge, aucun enfant commun n’étant né de leur union à l’époque des faits et l’enfant du premier lit de Madame … se trouvant, selon les propres déclarations de cette dernière, auprès de son ex-époux qui en aurait la garde.

Au fond, il a lieu de relever que la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a), b) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, aux termes desquels : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; (…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20, paragraphe (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de cette demande en obtention d’une protection internationale, soit s’il apparaît clairement que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte justifiée de persécutions du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social, respectivement un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la même loi, ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.

Par ailleurs, il convient de relever que les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-

fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, le fait qu’une seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.

Plus particulièrement en ce qui concerne le point a) de l’article 20 (1) précité de la loi du 5 mai 2006, visant l’hypothèse où le demandeur ne soulève que des faits sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il appartient au tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 de vérifier, sur base des moyens invoqués, si c’est à bon droit que le ministre a fait application du prédit article afin de décider de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

A cet égard, force est au tribunal de constater, que les demandeurs, dans le cadre de leurs auditions respectives, ne font pas état, par rapport à leur situation personnelle, d’une crainte de persécution pour un des motifs visés par l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir « du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social ». En effet, les problèmes rencontrés dans leur pays d’origine sont exclusivement d’ordre privé.

Quant au volet de la protection subsidiaire, seul volet attaqué au fond, force est de relever qu’il apparait à travers leurs déclarations actées dans les rapports d’audition respectifs que les demandeurs restent assez vagues dans leurs explications relatives aux menaces dont ils seraient victimes de la part de l’ex-époux de Madame …. En tout état de cause, au vu des explications complémentaires de la requête introductive, force est de constater que si Madame … a été menacée par son ex-époux dans la rue à l’époque où elle avait encore vécu chez ses parents dans un village voisin de celui de son ex-époux, les menaces n’ont plus été proférées que par téléphone suite à la formation de son couple avec Monsieur … pour finalement ne plus avoir eu lieu du tout suite au changement de numéro de téléphone. S’y ajoute que, sur la question de l’agent du ministère des Affaires étrangères et européennes si son ex-époux avait tenté de mettre en exécution ses menaces, Madame … explique que son ex-époux ne se serait pas exécuté du fait que le meurtre serait interdit par la loi et qu’il craindrait les conséquences judiciaires d’un tel acte. Il s’ensuit que les menaces dont a fait état Madame … ne sont pas suffisamment graves pour rentrer de par leur nature dans une des catégories d’atteintes graves de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. Il en est de même des menaces téléphoniques subies par Monsieur … de la part de l’ex-époux de sa conjointe, alors qu’il refusait de changer de numéro de téléphone pour mettre fin aux menaces exclusivement proférées par téléphone et qu’il n’a jamais déposé de plainte y relative.

Il s’ensuit que les demandeurs restent en défaut de faire état d’un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, à savoir la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou des menaces graves et individuelles contre leurs vies ou leurs personnes en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Force est dès lors de retenir que c’est à bon droit que le ministre a pu conclure que les demandeurs n’ont soulevé que des faits sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen des conditions d’octroi de la protection internationale, à savoir que ces faits ne rentrent ni dans les critères précités de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 ni, de par leur nature, ne sont-ils à qualifier d’atteintes graves au sens de l’article 37 de cette même loi, de sorte qu’il a valablement pu statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale sous analyse dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1) point a) de la loi du 5 mai 2006.

Le recours en annulation dirigé contre la prédite décision est partant à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il ne soit nécessaire de vérifier si les conditions d’application de l’article 20 (1) c) et b) de cette même loi sont données en l’espèce, une telle analyse devenant surabondante.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les époux … demandent acte de ce qu’ils renoncent à leurs demandes en obtention du statut de réfugié.

Il échet de leur en donner acte.

En ce qui concerne la demande d’octroi de la protection subsidiaire, les demandeurs font d’abord valoir que la décision ministérielle leur refuserait à tort la protection subsidiaire, alors qu’en application de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, le risque de subir un traitement inhumain serait légalement présumé dans le chef de Madame …, tout en soulignant que les autorités en place ne seraient pas en mesure d’y remédier par une absence manifeste de volonté d’agir en ce sens.

En ce qui concerne la définition des critères d’application de la protection subsidiaire, que le ministre n’aurait pas correctement appréciés, les demandeurs invoquent encore l’« Affaire grecque » par laquelle la « Commission européenne » aurait retenu que les traitements considérés dégradants seraient ceux qui humilient gravement la personne aux yeux d’autrui ou l’incitent à agir contre sa volonté ou sa conscience. Dans l’affaire Irlande contre Royaume Uni, la Cour de Justice de l’Union Européenne, dénommée ci-après « la CJUE », aurait retenu qu’un traitement infligé devrait, pour pouvoir être qualifié de torture, causer de « forts graves et cruelles souffrances » au sens de l’article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH ». Dans une affaire Selmouni c/ France, la CJUE se serait réservé une certaine souplesse dans l’examen des actes illicites en fonction du niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut partant au rejet du recours.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

Quant au volet plus particulier de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être:

a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi.

Par ailleurs, l’article 2 f) précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine « elle courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 (…) », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, force est de retenir qu’il résulte des considérations relevées ci-avant dans le cadre de l’analyse de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, et desquelles le tribunal ne saurait pas se départir dans le cadre du présent recours en réformation, qu’il ne ressort d’aucun élément concret du dossier qu’un retour dans leur pays d’origine aurait pour conséquence d’exposer les demandeurs à des atteintes graves au sens de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, de sorte que c’est également à bon droit que le ministre a refusé de leur accorder la protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

Les demandeurs soutiennent que si la décision de refus d’octroi d’une protection internationale encourait la réformation, l’ordre de quitter le territoire devrait également être annulé.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Etant donné que le tribunal a ci-avant retenu que le ministre a, à bon droit, déclaré non fondé les demandes d’octroi d’une protection internationale, c’est a priori à bon droit que le ministre a prononcé un ordre de quitter le territoire dans le cadre de son refus de la protection internationale.

Il s’ensuit qu’à défaut de tout autre moyen y relatif, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

écarte le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 juin 2015 ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 6 mai 2015 de statuer sur la demande de protection internationale des époux … dans le cadre d’une procédure accélérée au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation des époux … introduit contre la décision ministérielle du 6 mai 2015 en ce qu’elle porte refus de leur accorder une protection internationale ;

donne acte aux époux … de ce qu’ils renoncent à leurs demandes en obtention du statut de réfugié ;

au fond, en ce qui concerne la demande en obtention d’une protection subsidiaire, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 6 mai 2015 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 8 juillet 2015 par le premier vice-président en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 08/07/2015 Le Greffier du Tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 36289
Date de la décision : 08/07/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2015-07-08;36289 ?

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