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08/07/2015 | LUXEMBOURG | N°35370

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 juillet 2015, 35370


Tribunal administratif N° 35370 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 octobre 2014 Ire chambre Audience publique du 8 juillet 2015 Recours formé par Madame …et Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35370 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 octobre 2014 par Maître Louis Tinti, avocat à la

Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame…, née le … à...

Tribunal administratif N° 35370 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 octobre 2014 Ire chambre Audience publique du 8 juillet 2015 Recours formé par Madame …et Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35370 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 octobre 2014 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame…, née le … à … (Albanie), et de Monsieur …, né le … à …, tous deux de nationalité albanaise, et demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 octobre 2014 portant refus de leur demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 2014 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis Tinti et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives.

Le 6 mai 2014, Madame …et son frère Monsieur …, ci-après dénommés « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, des demandes de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

En date du même jour, ils furent entendus par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 9 mai 2014 ils furent encore entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leurs demandes de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

Madame …fut finalement entendue le 22 août 2014 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale. Monsieur … fut entendu pour les mêmes raisons en date des 25 juin et 2 juillet 2014.

Par décision du 8 octobre 2014, notifiée par lettre recommandée envoyée le 10 octobre 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts … de ce que leurs demandes de protection internationale avaient été rejetées comme étant non fondées, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Cette décision est libellée dans les termes suivants :

« Madame, Monsieur J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 6 mai 2014.

Quant à vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 6 mai 2014.

Il ressort dudit rapport que vous êtes entrés légalement en Union Européenne par l'Italie en date du 25 avril 2014.

Vous présentez des passeports albanais. Force est d'ajouter, Madame, que seulement votre passeport contient un tampon indiquant que vous êtes entrée en Italie en date du 25 avril 2014. Monsieur, il n'y a pas d'indications dans votre passeport que vous seriez retourné en Albanie depuis votre entrée en Bologne en date du 17 février 2013.

Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains les rapports d’entretien Dublin III du 9 mai 2014 et les rapports d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 25 juin, 2 juillet et 22 août 2014 sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de vos demandes.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez été étudiant à l’Université de Bologne en Italie de 2008 à 2013.

En septembre 2013, votre père aurait eu un accident de voiture. Selon vos dires, son véhicule aurait été percuté par une voiture appartenant à un policier. Ce dernier aurait été alcoolisé lors de l'accident. Suite à la collision, la voiture de votre père serait tombée dans une rivière. Il aurait pu se sauver mais l'autre passager aurait perdu la vie. Suite à cet accident, votre père aurait été placé en détention préventive.

Depuis l'accident, toute votre famille aurait été observée et menacée par téléphone. Pour cette raison, vous seriez rentré en Albanie en décembre 2013 auprès de votre famille mais vous ne seriez plus sorti de votre maison. Vous pensez que les menaces auraient été proférées par les membres de la famille de la personne morte lors de l'accident car, selon vos dires, ils auraient rendu votre père responsable du décès de leur proche. Ainsi, leurs menaces auraient toujours été dirigées contre votre père.

En date du 28 février 2014, des personnes masquées auraient maltraité et brutalisé votre sœur. Suite à cet incident, elle aurait été conduite à l'hôpital et vous auriez contacté la police. Vous auriez expliqué aux autorités que vous auriez été menacé depuis des mois et vous leur auriez donné les numéros de téléphone que vous auriez notés ainsi que les numéros des plaques d'immatriculation des voitures qui vous auraient suivi. Or, la police n'aurait pas pu trouver les coupables.

Suite à cet incident, votre sœur aurait été obligée de se soigner à la maison et de suivre une thérapie. Elle se serait aussi adressée à une association de femmes nommée « pas légers » mais cette dernière lui aurait conseillé de venir au Luxembourg. De même, votre mère se serait adressée à plusieurs reprises à la police, à une association non autrement précisée ainsi qu'au Procureur concernant le cas de votre sœur mais sans succès.

En date du 17 avril 2014, votre père aurait été condamné à 2 ans et 4 mois de prison ferme. Selon vos dires, l'expertise faite après l'accident aurait conclu que votre père n'aurait pas été fautif. Or, le policier qui aurait causé l'accident ne se serait pas présenté au tribunal et il n'y aurait jamais eu de procès contre lui. De plus, le jugement que vous avez versé précise que votre père aurait des enfants mineurs, qui, selon vous, prouverait que le rapport de police dressé contre lui aurait contenu des fautes.

En date du 25 avril 2014, votre sœur aurait quitté l'Albanie en direction de Bologne et vous l'auriez rejoint le lendemain parce que la police n'aurait pas pu trouver les coupables des menaces et de l'agression. Par la suite, vous vous seriez dirigés ensemble vers le Luxembourg, où vous seriez arrivés en date du 28 avril 2014.

Madame, vous confirmez les dires de votre frère. Vous précisez qu'après l'accident de votre père, les policiers auraient falsifié le test d'alcoolémie du policier qui aurait provoqué la collision. De plus, les recherches du procureur lors de son procès auraient disparu.

Vous avez versé les documents suivants à l'appui de vos demandes:

 Une attestation non-traduite de l'Université de Pérouse datée au 20 mars 2007.

 La carte d'étudiant de Monsieur de l'Université de Bologne, valable de 2008-2009. Un document non-traduit de l'Université de Bologne daté au 13 juin 2011.

 Une copie d'un article de journal digital, daté au 21 septembre 2013, concernant l'accident de votre père.

 Une attestation datée au 30 septembre 2013 selon laquelle votre père a travaillé au Barrestaurant « … » Shkodër depuis 2011.

 Un procès-verbal daté au 28 février 2014 concernant la maltraitance de Madame.

 Une attestation non-datée, selon laquelle Madame s'est présentée aux urgences en date du 28 février 2014 avec un traumatisme crânien.

 Un rapport médical de Madame daté au 3 mars 2014 attestant que Madame souffre de stress post-traumatique.

 Une expertise médico-légale datée au 5 mars 2014, dressant un constat des blessures de Madame, subies en date du 28 février 2014.

 Un jugement du tribunal de district judiciaire de Shkodër daté au 17 mars 2014. Ce document précise que l'expertise concernant l'accident de votre père constate que ce dernier aurait été en excès de vitesse, qu'il n'aurait pas respecté les signes et la condition de la route et qu'il devrait « circuler dans son bras près de la chauss [sic] » . Ainsi, votre père fut déclaré coupable par le tribunal.

 Une lettre d'information sur le centre des femmes « hapa te Lehtë », datée au 20 mars 2014.

 Une observation psychosociale pour Madame du centre des femmes « hapa te lehte », document daté au 3 avril 2014. Ce document décrit l'anxiété de laquelle souffre Madame depuis l'arrestation de son père ainsi que des blessures qu'elle aurait subies après l'incident du 28 février 2014.

 Des copies du dossier médical de Madame demandées par le centre des femmes « hapa te Lehtë », datées au 7 avril 2014.

 Un procès-verbal daté au 2 mai 2014 concernant la maltraitance de Madame du point de vu de votre mère.

 21 photos non-datées, démontrant les blessures subies par Madame.

Enfin, il ressort des rapports d'entretien qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de vos demandes de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.

Analyse ministérielle en matière de Protection internationale En application de la loi précitée du 5 mai 2006, vos demandes de protection internationale sont évaluées par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Soulignons dans ce contexte que l'examen et l'évaluation de votre situation personnelle ne se limitent pas à la pertinence des faits allégués, mais qu'il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de vos déclarations.

1. Quant à la Convention de Genève Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des Réfugiés.

Rappelons à cet égard que l'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 c) de la loi modifiée du 5 mai 2006, que ces actes sont d'une gravité suffisante au sens de l'article 31(1) de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 28 de la loi susmentionnée.

Selon l'article 1A paragraphe 2 de ladite Convention, le terme de réfugié s'applique à toute personne qui craigne avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crain te, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

En l'espèce, il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont menées à quitter votre pays d'origine n'ont pas été motivées par un des critères de fond définis par lesdites Convention et loi.

Soulevons en premier lieu les problèmes concernant votre père. Ainsi, il aurait été emprisonné parce qu'il aurait été rendu coupable d'un accident de la route et de la mort de l'homme se trouvant dans sa voiture. Force est cependant de constater que des faits non personnels mais vécus par d'autres membres de la famille ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur d'asile établit dans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières. Or, vous restez en défaut d'étayer un lien entre l'emprisonnement de votre père et des éléments liés à votre personne vous exposant à des actes similaires. Il n'est par ailleurs pas établi que l'arrestation de votre père serait liée à sa race, à sa religion, à sa nationalité, à son appartenance à un certain groupe social ou à ses convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section A, § 2 de la Convention de Genève. De plus, le jugement du 17 mars 2014 précise clairement que l'expertise faite après l'accident a conclu que votre père aurait été en excès de vitesse, qu'il n'aurait pas respecté les signes et la condition de la route et qu'il devrait « circuler dans son bras près de la chauss [sic] ». Bien qu'il y ait une faute dans ce jugement concernant l'âge de ses enfants, force est de constater que le contenu du jugement est diamétralement opposé à vos explications. Ajoutons à ceci que vos suppositions d'innocence de votre père sont purement hypothétiques étant donné que vous n'étiez pas témoins de l'accident. Ce constat est renforcé par l'observation psychosociale du centre des femmes « hapa te lehte » datée au 3 avril 2014 selon laquelle Madame a « (…) des doutes que son père est innocent (…) ».

En tout état de cause, Madame, Monsieur, si vous vous étiez sentis lésés par le comportement de la police, vous auriez pu vous adresser à une institution supérieure pour faire valoir vos droits. « Dans un rapport présenté au Conseil de l'Europe, les autorités d'État de l'Albanie expliquent que les Albanais ont le droit de déposer une plainte contre un policier qui commet un abus ou un acte illégal auprès d'un commissariat, de la Direction régionale de la police, de la Direction générale de la police ou du ministère de l'Intérieur (Albanie 10 janv. 2011, 39). Selon le rapport, ces plaintes sont vérifiées et traitées au cours du mois suivant leur réception, et une réponse écrite est envoyée au plaignant (ibid.). Il existe également un secteur distinct au sein de la Direction des normes professionnelles de la Direction générale de la police appelé le [traduction] « "Secteur des plaintes et de la discipline" » (ibid.; ibid. s.d.). Le Secteur des plaintes et de la discipline prend des mesures disciplinaires contre les policiers qui ont enfreint les règles et les règlements (ibid. 10 janv.

2011, 39).

Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, un avocat de l'ONG Groupe albanais de défense des droits de la personne (Albanian Human Rights Group - AHRG) a affirmé que, pour déposer une plainte contre un policier, le plaignant doit se rendre directement au poste de police ou au Bureau du procureur, selon le type de plainte (11 sept. 2011). Il a déclaré qu'un agent de la police judiciaire a le devoir de recueillir la plainte d'un citoyen contre un policier et de déclencher une enquête (AHRG 11 sept. 2011). Il a ajouté que, s'il y a une preuve qu'un policier a commis une infraction criminelle, l'agent de la police judiciaire est tenu d'envoyer le dossier au procureur, qui, à son tour, doit poursuivre l'enquête et demander à la cour de suspendre ou d'arrêter le policier accusé (ibid.).

De même, un avocat d'un cabinet privé en Albanie a écrit dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches qu'une personne peut déposer une plainte contre un policier dans n'importe quel poste de police en Albanie ou, si le policier a commis un crime contre une personne ou un membre de sa famille, au Bureau du procureur (avocat 24 sept. 2011). Il a affirmé que la plainte peut être déposée verbalement ou par écrit (ibid.).

Lorsque la plainte est formulée verbalement, un policier du Département des relations publiques enregistre la plainte par écrit et la lit ensuite au plaignant à des fins de vérification (ibid.). Il a ajouté que le rapport est examiné par le Service des affaires interne de la Police d'État, qui est responsable d'enquêter sur les policiers (ibid.). Selon l'avocat du AHRG, les plaintes les plus courantes portées contre des policiers concernent [traduction] « la violence contre des citoyens [ou] des mesures arbitraires » (11 sept. 2011). ».

Vous auriez aussi pu vous adresser au Bureau de l'Ombudsman. En ce qui concerne la promotion et la mise en oeuvre des droits de l'homme, le Bureau de l'Ombudsman (The People's Advocate) est la principale institution nationale. Il joue un rôle actif dans le suivi de la situation des droits de l'homme en Albanie et contribue à accroître la responsabilisation des institutions de l'Etat. Le médiateur est élu par le parlement à la majorité qualifiée. Les principaux domaines dans lesquels le médiateur est intervenu concernent les litiges de propriété, l'abus de la police, la longueur excessive des procédures judiciaires, la non -

exécution des jugements en matière civile et licenciements abusifs. Il a également à plusieurs reprises exprimé une préoccupation particulière sur les conditions inadéquates dans les prisons, les centres de détention provisoire et les postes de police, de la corruption dans la magistrature et des conditions de vie difficiles de la minorité Rom.

« Des sources mentionnent que l'ombudsman traite les plaintes contre des policiers (UE 9 nov. 2010, 24; É.-U. 8 avr. 2011, sect. 1; Albanie sept. 2009, sect. IV; avocat 24 sept.

2011), en particulier les cas en lien avec des arrestations et des détentions (E.-U. 8 avr. 2011, sect. 1d). Selon un rapport de l'ombudsman, des personnes ou des groupes de personnes peuvent déposer des plaintes, des requêtes ou des notifications à son bureau lorsqu'une organisation gouvernementale ou une autre autorité publique a violé leurs droits et libertés (Albanie sept. 2009, sect. VII). Le Bureau de l'ombudsman dispose d'une unité consacrée aux cas concernant la police, les services secrets, les prisons, les forces armées et l'appareil judiciaire (ibid., sect. IV). Les plaintes à l'ombudsman doivent être présentées par écrit et comprendre tout document ou preuve à l'appui, ainsi qu'une description des mesures légales qui ont déjà été prises pour tenter de résoudre l'affaire (ibid., sect. IX). Tou tefois, l'ombudsman souligne que les citoyens peuvent signaler les affaires urgentes par téléphone et ensuite présenter une demande par écrit ou envoyer un courriel (ibid.).

L'ombudsman a le pouvoir de demander de l'information ou des documents relatifs au cas en question à l'entité administrative concernée, ainsi que celui de convoquer et de questionner toute personne ayant un lien avec le cas (ibid., sect. VII). L'ombudsman envoie à l'entité concernée une brève description du problème et établit une échéance pour répondre (ibid., sect. IX). L'échéance est déterminée en partie par le caractère urgent du cas, mais elle ne dépasse pas 30 jours (ibid.). Selon les Country Reports 2010, environ 33 p. 100 des cas traités en 2010 ont été réglés en faveur des plaignants (E.-U. 8 avr. 2011, sect. 1d). (…) Des sources affirment que le Bureau de l'ombudsman est [traduction] « la principale institution nationale de défense des droits de la personne » en Albanie et que les abus de pouvoir des policiers constituent l'un des principaux problèmes pour lesquels l'ombudsman est intervenu (UE 9 nov. 2010, 24; É.-U. 8 avr. 2011, sect. 5). La Commission européenne, dans une évaluation de la demande d'adhésion de l'Albanie à l'Union européenne (UE), accorde au Bureau de l'ombudsman le mérite d'avoir [traduction] « amélioré la responsabilisation des institutions de l'État » (UE 9 nov. 2010, 24). Selon le rapport de l'UE, l'ombudsman a dénoncé publiquement les mauvaises conditions qui caractérisent les postes de police, les prisons et les maisons d'arrêt (ibid.). Les Country Reports 2010 soulignent que même si l'ombudsman ne peut pas faire exécuter des décisions, dans de nombreux cas, le gouvernement a pris des mesures suivant ses recommandations (É.-U. 8 avr. 2011, sect. 5).

L'avocat albanais a décrit l'ombudsman comme une solution [traduction] « efficace » pour régler les cas de plaintes contre la police (avocat 24 sept. 2011). ».

Madame, Monsieur, soulevons par la suite les problèmes que vous auriez personnellement rencontrés dans votre pays d'origine. Ainsi, vous ainsi que votre mère auriez été menacés et observés à base régulière. De plus Madame, vous auriez été maltraitée et brutalisée de façon violente par des hommes portant des casques. Vous supposez que la famille de ladite victime serait derrière les menaces et l'agression car elle voudrait se venger de votre famille.

Force est néanmoins de constater que les actes invoqués, tels que les menaces, la maltraitance et brutalisation, constituent des délits relevant du droit commun, punissables selon la loi albanaise et qui ne répondent à aucun des critères prévus par la Convention de Genève et la loi modifiée du 5 mai 2006.

Il y a ensuite lieu de relever que les personnes inconnues ne sont pas considérées comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006. S'agissant d'actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques pour l'un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d'asile.

En outre, en application de l'article 29 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l'espèce, il ne ressort pas du rapport d'entretien que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l'encontre des personnes inconnues.

Selon vos dires, vous auriez contacté la police après l'incident du 28 février 2014 et elle se serait rendue sur place pour questionner Madame. Vous auriez eu la possibilité de déposer vos recherches concernant les numéros de téléphone ainsi que les plaques d'immatriculation. Madame, la police vous aurait même demandé de leur donner la carte mémoire de votre téléphone afin de faire des recherches. De plus, elle aurait continué à investiguer le cas en questionnant votre mère en date du 2 mai 2014. Ainsi, aucun reproche ne pourrait être formulé à l'encontre des forces de l'ordre albanaises.

De plus, comme déjà susmentionné, si vous aviez estimé que les force de l'ordre n'auraient pas fait leur travail convenablement, vous auriez pu vous adresser à une autorité supérieure pour faire valoir vos droits.

Madame, ajoutons dans ce contexte qu'il ressort de vos dires ainsi que des documents que vous avez versés au Ministère que vous auriez pu vous adresser à une organisation pour femmes en détresse et que vous auriez eu accès à un traitement psychiatrique.

Relevons qu'en vertu de l'article 30 (1) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, le ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine.

Selon les lignes directrices de l'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.

En l'espèce, vous dites que vous ne pourriez pas profiter d'une fuite interne parce que l'Albanie serait trop petite. Or, ce seul constat ne justifie pas l'impossibilité de profiter d'une fuite interne. En effet, la crainte que vous pourriez être retrouvés et que vos problèmes continueraient est purement hypothétique et n'entre pas dans le champ d'application de la Convention de Genève.

Ajoutons à cet égard que les problèmes dont vous faites état n'ont pas atteint une telle ampleur que vous ne pouviez vous y soustraire qu'en fuyant à l'étranger.

Compte tenu des constatations qui précèdent concernant les conditions générales dans cette partie du pays et votre situation personnelle, force est de retenir que les critères du paragraphe 2 de article 30 de la loi modifiée du 5 mai 2006 sont clairement remplis.

En conclusion, les faits que vous alléguez ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécutés dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.

De tout ce qui précède, les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies.

2. Quant à la Protection subsidiaire L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d'application de l'article 37 précité de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir qu'ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 37 de ladite loi, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 28 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez vos demandes de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de vos demandes de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, vous indiquez que votre père aurait été condamné à une peine de prison après un accident qui aurait couté la vie à un passager de sa voiture. De plus, des personnes inconnues, vous supposez la famille de la personne morte, vous auraient menacés et observés. Madame, vous auriez été violement maltraitée et brutalisée par des personnes masquées. Vous supposez un acte de vengeance de la part de la famille de la victime.

Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de vos demandes, ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

De tout ce qui précède, les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies.

Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l'Albanie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner.

(…) » .

Par requête déposée le 27 octobre 2014 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … et Madame …ont fait introduire, d’une part, un recours tendant à l’annulation sinon à la réformation de la décision ministérielle précitée du 8 octobre 2014 portant refus de leur demande en obtention d’une protection internationale et, d’autre part, un recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, inscrit dans le même document.

1) Quant au recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du ministre du 8 octobre 2014 portant refus d’une protection internationale Quand bien même une partie ait formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, l’existence d’une telle possibilité rendant inapplicable le recours en annulation contre les mêmes décisions. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision écarte la possibilité d’un recours en annulation contre la même décision.

Etant donné que l’article 19, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, un recours en réformation a valablement pu être introduit contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation.

A l’appui de leur recours, les consorts … soulèvent en premier lieu « la nullité de la décision pour violation de la procédure en ce qu’elle porte une atteinte substantielle aux droits des requérants ». Soulignant qu’ils seraient deux personnes juridiques distinctes, ils font valoir que ce serait à tort que l’autorité ministérielle aurait pris une décision collective, englobant chacune des deux demandes de protection internationale, alors qu’il lui aurait appartenu de toiser chacune des deux demandes de protection internationale par un acte séparé. Ils se basent sur l’article 6 (2) de la loi du 5 mai 2006 et sur l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tout en précisant qu’il y aurait un risque que dans le cadre de l’analyse du bien-fondé de chaque demande de protection internationale, le tribunal serait influencé par l’autre demande. Cette façon de procéder par l’autorité ministérielle serait contraire à son obligation de motivation qui lui incomberait.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen, dans la mesure où les récits concernant les demandes des demandeurs seraient intimement liés et qu’ils n’auraient exprimé, à aucun moment de la procédure précontentieuse, le souhait que leurs demandes de protection internationale soient traitées séparément.

Il fait par ailleurs valoir que l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne s’appliquerait qu’aux contestations portant sur des droits et obligations à caractère civil et aux accusations en matière pénale, de sorte à exclure les litiges relatifs à l’admission et au séjour des étrangers.

En vertu de l’article 6 (2) de la loi du 5 mai 2006 « Toute personne adulte a le droit de déposer une demande de protection internationale distincte de celle du membre de famille dont il dépend ».

Cet article « prévoit la possibilité pour toute personne adulte de déposer une demande distincte de celle du membre de la famille dont il dépend. Cette disposition transpose en droit national l'article 5 paragraphe 2 de la proposition de directive "procédure" [devenu l’article 6 de la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres, dénommée ci-après « la directive 2005/85/CE »] et vise les cas de personnes adultes qui peuvent le cas échéant avoir des motifs de persécution distincts de ceux du membre de la famille dont ils dépendent »1.

1 Travaux parlementaires du projet de loi devenu par la suite la loi du 5 mai 2006, n°5437/00, Exposé des motifs, p. 28 Or, cette disposition permet aux demandeurs issus d’une même famille de déposer deux demandes de protection internationale différentes, ce qui ne leur donne pas ipso facto droit à ce que l’autorité administrative réponde par deux actes séparés, d’autant plus que la directive 2005/85/CE prévoit dans son préambule que « L’organisation du traitement des demandes d’asile devrait être laissée à l’appréciation des Etats membres (…) », et qu’il ressort de la décision du 8 octobre 2014 que le ministre a scindé les faits concernant Monsieur … par rapport à ceux concernant Madame …, en s’adressant explicitement à l’un ou l’autre des destinataires de la décision.

Quant à la prétendue violation de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il convient de rappeler que ledit article ne s’applique qu’aux contestations portant sur des droits et obligations de caractère civil et aux accusations en matière pénale. Or, les litiges relatifs à l’admission et au séjour des étrangers, et notamment à l’octroi ou au retrait d’une protection internationale, n’entrent dans aucune de ces deux catégories2.

En outre, c’est à tort que les demandeurs concluent à un défaut de motivation de la décision ministérielle critiquée.

Si, en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après dénommé « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », d’une manière générale, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux, et que certaines catégories de décisions, dont celles refusant de faire droit à une demande, tel que c’est le cas en l’espèce, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, il suffit que ces indications soient sommaires. Quant à l’article 19 de la loi du 5 mai 2006, qui requiert que le ministre statue sur la demande de protection internationale par une décision motivée, cette disposition n’indique pas le degré de précision à laquelle cette motivation doit correspondre, de sorte qu’il y a lieu d’admettre qu’une motivation sommaire est suffisante, pour autant que plus particulièrement le destinataire de la décision comprenne les motifs à la base de la décision.

Force est de constater que le ministre a retenu en l’espèce que les actes invoqués dans le cadre de leurs auditions auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes constitueraient des délits relevant du droit commun et que les demandeurs ne courraient pas de risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en se référant explicitement et de manière détaillée au récit de ces derniers, de sorte qu’il n’y a pas lieu de retenir que la décision déférée n’aurait pas été suffisamment motivée. Le ministre a, par ailleurs, clairement indiqué la cause juridique servant de fondement à sa décision en énonçant les articles 19, 29, 30, 31, 32 et 37 de la loi du 5 mai 2006. Dans la mesure où le ministre a ainsi indiqué tant la cause juridique que les circonstances de fait, la décision déférée est motivée à suffisance au regard des exigences tant de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, que de l’article 19 de la loi du 5 mai 2006, de sorte que le moyen afférent doit être rejeté pour ne pas être fondé.

A titre liminaire et quant au fond de ce volet de la décision sous examen, les consorts … demandent acte de ce qu’ils renoncent à leur demande en obtention du statut de réfugié.

2 Cour adm. 19 octobre 1999, n° 10484C, et autres références y citées, Pas. adm. 2015, V° Etrangers, n° 55 Il échet de leur en donner acte.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font état de menaces diverses qu’ils attribuent à une dette de sang dans laquelle leur père serait impliqué. Ils soutiennent ainsi avoir été exposés à un conflit de vengeance ayant débuté en 2013 après que leur père aurait été impliqué dans un accident de voiture, à l’occasion duquel son passager serait décédé. Le père aurait été condamné à une peine d’emprisonnement de 28 mois, suite à une instruction qui ne se serait orientée que contre ce dernier et aurait fait fi du comportement d’un policier qui aurait conduit un autre véhicule ayant été matériellement impliqué dans l’accident. Suite à cet accident, ils auraient fait l’objet de très nombreuses et régulières menaces téléphoniques, dont leur mère continuerait toujours de faire l’objet, cette dernière étant régulièrement suivie par des véhicules. Madame … explique avoir fait l’objet de violences physiques brutales par des hommes inconnus. Les demandeurs expliquent qu’il serait impossible d’obtenir une quelconque protection de la part des autorités albanaises alors qu’ils les auraient sollicitées à d’itératives reprises en leur communiquant le numéro de la plaque d’immatriculation des véhicules ayant suivi leur mère et le numéro de téléphone des appels menaçants, sans que la police ait entrepris des démarches pour identifier les auteurs ou procéder à leur arrestation.

Leur mère aurait envoyé à trois reprises des courriers au procureur qui s’occuperait du dossier de Madame … sans recevoir une quelconque réponse. Les demandeurs soulignent encore que la corruption serait fortement répandue en Albanie en expliquant que le procureur chargé du procès de leur père aurait proposé de libérer sous conditions leur père si leur mère accepterait de lui payer la somme de 6.000 euros.

Les demandeurs se réfèrent à un rapport du Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe du 16 janvier 2014, aux conclusions de la Commission européenne concernant le suivi de l’Albanie ayant été précédées par la « Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil » du 12 octobre 2011, à la « Résolution du Parlement européen du 13 décembre 2012 sur le rapport 2012 concernant les progrès accomplis par l’Albanie », à un rapport d’Amnesty International de 2012, à un rapport de Refworld publié en date du 5 octobre 2011 ainsi qu’à un article publié le 5 décembre 2012 par « Le Courrier des Balkans » intitulé « Corruption dans les Balkans : Croatie qui rit, Albanie qui pleurt », pour souligner les difficultés d’obtenir des autorités en place une protection policière ou judiciaire suffisante.

Dans ce contexte, ils font valoir qu’ils auraient soumis des raisons valables de penser que leur situation personnelle autoriserait à penser que leur vie serait en danger dans leur pays d’origine, nonobstant le fait que ce dernier serait considéré comme un pays d’origine sûr. Il serait indéniable que leur famille serait particulièrement fragilisée dans sa capacité à solliciter la protection des autorités en place, comme en témoignerait l’absence de suites suffisantes réservées aux diverses plaintes déposées ainsi que la tentative de corruption, faits qui seraient la conséquence d’une volonté délibérée des autorités de protéger le policier qui serait responsable dans la genèse de l’accident impliquant leur père.

Ils invoquent encore l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 pour affirmer qu’ayant été victimes d’atteintes graves, ils auraient de bonnes raisons de craindre qu’ils seraient en cas de retour en Albanie, susceptibles de faire l’objet de faits de même nature que ceux déjà subis.

Les consorts … précisent encore que les auteurs des actes devraient être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 alors que ni l’Etat, ni des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat, ni encore des organisations internationales ne pourraient ou ne voudraient leur accorder une protection contre les atteintes graves.

Ils soulignent finalement qu’ils n’auraient aucune possibilité de fuite interne en Albanie et que l’Etat n’aurait pas prouvé de son côté l’existence d’une possibilité de fuite interne.

Le délégué du gouvernement fait valoir que le ministre aurait fait une saine appréciation des faits à la base des demandes de protection internationale et conclut au rejet du recours en réformation.

Quant au bien-fondé de la décision déférée, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

Aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : «(1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière.» Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi.

Par ailleurs, l’article 2 f), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Comme il n’y a pas de conflit armé en Albanie et que les demandeurs n’allèguent pas risquer la peine de mort ou l’exécution dans leur pays d’origine, il y a seulement lieu de vérifier si les difficultés dont ils font état peuvent être qualifiées de torture ou de traitements, respectivement sanctions inhumains ou dégradants.

Le tribunal est amené à retenir que les menaces téléphoniques et le fait qu’ils ont été observés par des personnes inconnues ne sont pas d’une gravité suffisante pour être qualifiés d’atteintes graves.

En effet, force est de constater que, s’il est vrai que les consorts … ont reçu des messages laissant croire qu’ils seraient observés et contenant des menaces concernant leur père, ils n’ont cependant pas soumis au tribunal des éléments permettant de retenir qu’il existe un risque réel que ces menaces soient mises à exécution d’autant plus que Monsieur … explique lui-même lors de son audition auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes qu’il n’avait pas pensé à dénoncer les menaces à la police jusqu’à l’agression de sa sœur « car [il] pensait qu’ils voulaient simplement [les] effrayer ». A cet égard, il convient plus particulièrement de prendre en considération la circonstance que Monsieur … résidait en Italie en tant qu’étudiant au moment de la réception des premiers messages de menaces, de sorte qu’il n’a vraisemblablement pas pris au sérieux ces menaces, étant donné qu’il est retourné dans son pays d’origine sans qu’il n’ait senti le besoin de déposer une demande de protection internationale en Italie.

Concernant le fait du 28 février 2014, lors duquel Madame … a été brutalisée physiquement par deux hommes inconnus, le tribunal est amené à retenir qu’il présente tant au niveau du degré de violence employée qu’aux conséquences physiques et psychologiques qui se sont présentées non seulement dans l’immédiat, mais également dans les suites, une gravité suffisante pour être qualifié d’atteinte grave au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.

Le tribunal constate néanmoins que les personnes par lesquelles la demanderesse déclare avoir été menacée respectivement brutalisée, sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat, de sorte que la crainte de faire l’objet d’atteintes graves ne saurait être considérée comme fondée que si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective à la demanderesse ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection :

c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source des atteintes graves3.

Dès lors, l’essentiel est d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. A cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une protection peut être considérée comme suffisante si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou des atteintes graves et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée. Cela inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des atteintes graves.

En l’espèce, il ressort des termes de leurs auditions que les consorts … ont choisi de ne pas déposer plainte dès la réception des premiers messages menaçants mais ont attendu jusqu’à l’agression de Madame … fin février 2014. Suite à cet incident, ils ont pu dénoncer les infractions à la police, laquelle a enregistré la plainte pénale. Madame … a été entendue à deux reprises sur les faits par les enquêteurs qui ont voulu voir l’intégralité des messages menaçants et ont emmené la carte mémoire du portable de Madame …. Ils ont également dressé un rapport sur les déclarations de la mère des demandeurs et une expertise médico-

légale a été faite. Le fait que la police a clôturé le dossier quasiment une année après les faits, alors que les auteurs n’ont pu être identifiés, ne permet pas de conclure à une absence de protection. A ce titre, il y a lieu de rappeler qu’une protection n’exige pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100%, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policières et judiciaires les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux. En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et l’existence d’une persécution ou d’atteintes graves ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel mais suppose une insuffisance de démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes 3 trib. adm. 13 juillet 2009, n° 25558, Pas. adm. 2015, V° Etrangers, n° 123.

de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Par ailleurs, en ce qui concerne la prétendue tentative de corruption du procureur au moment du procès du père des demandeurs ainsi que de la police albanaise, le tribunal relève que, contrairement à celui de son frère, ni le récit de Madame …, ni les attestations testimoniales de la mère des demandeurs, ne font état de sommes d’argent que le procureur aurait exigées de leur mère pour requérir une peine d’emprisonnement moins élevée pour leur père. Force est donc au tribunal de remettre en cause les accusations de corruption émises par Monsieur … à l’égard du procureur, surtout que, malgré le fait que ce dernier a requis une peine d’emprisonnement de six ans, le tribunal n’a retenu que deux ans et quatre mois. Quant à l’argument des demandeurs selon lequel leur père aurait été indûment rendu coupable d’un accident de la route, force est de constater que le jugement du 17 mars 2014 précise clairement que l’expertise faite après l’accident a conclu que leur père aurait été en excès de vitesse, qu’il n’aurait pas respecté la signalisation et les conditions de la route, de sorte que les suppositions des consorts … quant à l’innocence de leur père sont purement hypothétiques et ce malgré l’erreur dans le jugement quant à leur âge, ce d’autant plus que Madame … a indiqué lors d’un entretien avec un collaborateur du centre des femmes « hapa te lehte » en date du 3 avril 2014 qu’elle aurait « des doutes que son père est innocent ».

Quant à l’absence de résultats obtenus par la police dont se plaignent les demandeurs, elle ne signifie pas nécessairement que celle-ci est corrompue. De toute manière, si les consorts … avaient eu le sentiment que leurs doléances n’avaient pas été accueillies avec le sérieux nécessaire par les policiers locaux, il leur aurait été possible de protester contre le comportement des policiers auprès d’une autorité supérieure ou de porter leur plainte par-

devant d’autres policiers, ce qu’ils n’ont toutefois pas fait. Les demandeurs auraient également pu porter leurs doléances devant l’Ombudsman qui, tel qu’il ressort des sources internationales citées par la partie étatique, a pour mission d’enquêter sur tout reproche en matière de violations des droits de l’Homme, ou auprès du Secteur des plaintes et de la discipline de la Direction des normes professionnelles de la Direction générale de la police, notamment compétent pour traiter les réclamations à propos de la mauvaise conduite d’officiers de police, ce qu’ils n’ont également pas fait.

Au delà et indépendamment de ce constat, si les demandeurs mettent en exergue divers problèmes affectant la justice albanaise, telles que la lenteur de celle-ci à mettre en œuvre les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, une législation relative à l’aide juridictionnelle gratuite insuffisante ou encore la persistance des mauvais traitements et de l’immunité des violations graves des droits de l’homme commises par les forces de l’ordre, force est de constater que ces problèmes ne sont pas de nature à avoir empêché, concrètement, dans ce cas d’espèce, les demandeurs à rechercher la protection des autorités policières, respectivement, le cas échéant, de s’adresser à des instances supérieures afin d’obtenir l’assistance qui leur aurait été déniée au niveau du commissariat local.

Par ailleurs, il ressort des rapports invoqués de part et d’autre que, bien que la corruption des autorités policières et judiciaires dénoncés par les demandeurs ne soit pas totalement endiguée, l’Etat albanais peut se targuer d’une amélioration exponentielle de la situation dans ce domaine.

A cet égard, le tribunal relève à titre liminaire que le « corruption perception index 2012 » versé par les demandeurs à leur dossier de pièces se fonde exclusivement sur la perception qu’ont les membres de la population d’un Etat de la corruption qui pourrait y régner. Or, force est au tribunal de considérer non pas le ressenti subjectif de la population sur la protection qu’offrent les autorités albanaises, mais bien la réalité de cette protection, telle qu’elle est décrite dans les textes juridiques et les rapports internationaux pertinents.

Ainsi, l’Etat albanais a mis en place un cadre juridique efficace contre la corruption et les abus de pouvoir de la part des policiers4, quelle que soit la police à laquelle ils appartiennent, de sorte qu’en l’absence d’éléments objectifs pertinents à cet égard relatifs à la situation personnelle des demandeurs, il est vain d’invoquer une situation générale de corruption pour discréditer la protection que peuvent apporter les autorités nationales aux victimes d’agressions. Particulièrement, le rapport de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada sur la force policière albanaise du 5 octobre 2011 cité par les demandeurs fait état de nombreux résultats probants obtenus suite à la saisine de l’Ombudsman, qualifié de « solution efficace pour régler les cas de plaintes contre la police »5 en dépit des faibles ressources dont il dispose, mais également suite à la saisine de la Direction de la police6.

A cet égard, il aurait en tout état de cause appartenu aux demandeurs, avant de baisser tout simplement les bras et de requérir la protection d’un Etat étranger, de rechercher plus activement la protection offerte par leurs propres autorités et institutions nationales.

En résumé, au regard des éléments à la disposition du tribunal, il n’est pas établi que les demandeurs ne puissent pas obtenir une protection suffisante dans leur pays d’origine.

Plus particulièrement, au vu des explications fournies par la partie étatique, sources internationales à l’appui, quant à la disponibilité d’un système judiciaire et policier et à défaut pour les consorts … d’avoir suffisamment recherché la protection des autorités de leur pays d’origine, la seule affirmation des demandeurs qu’ils ne bénéficieraient d’aucune protection dans leur pays d’origine est insuffisante pour emporter le constat qu’aucune protection n’est disponible en Albanie.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté les demandes en obtention du statut de réfugié et du statut conféré par la protection subsidiaire présentées par les demandeurs comme étant non fondées. Le recours est par conséquent à déclarer comme non fondé en ce qu’il est dirigé contre le refus du ministre d’accorder aux consorts … le statut conféré par la protection subsidiaire.

2) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 8 octobre 2014 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 8 octobre 2014 est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

4 Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Albanie. Information sur la force policière, y compris sa structure et son emplacement ; la corruption policière ; l’inconduite policière ; la procédure à suivre pour déposer une plainte contre la police et les actions entreprises à la suite du dépôt d’une plainte, 5 octobre 2011 5 Ibidem, p. 4/6.

6 Ibidem, p.3/6 En l’espèce, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire au motif principal que la décision portant refus de reconnaissance d’une protection internationale devrait être réformée.

Il se dégage des conclusions ci-avant retenues par le tribunal que le ministre a refusé à bon droit d’accorder aux demandeurs un statut de protection internationale, de sorte qu’il a également pu valablement émettre l’ordre de quitter le territoire.

En ordre subsidiaire, les demandeurs font exposer que l’ordre de quitter le territoire encourrait l’annulation au motif qu’il violerait de manière autonome l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ainsi que l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ils citent à l’appui de leur moyen la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme aux termes de laquelle l’éloignement serait proscrit dès lors qu’il existerait un risque de subir un traitement inhumain et dégradant. Ils font valoir qu’ils auraient établi la réalité de ce risque.

Il convient de rappeler que si l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, auquel renvoie l’article 129 précité, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs ont la possibilité de requérir la protection, sinon l’assistance des autorités, de sorte que le tribunal actuellement ne peut pas se départir de cette conclusion dans le présent volet de son analyse.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,7 le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi des demandeurs dans leur pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours subsidiaire en réformation introduit contre la décision ministérielle du 8 octobre 2014 en ce qu’elle porte rejet d’un statut de protection internationale ;

donne acte aux consorts … qu’ils renoncent à leur demande de statut de réfugié politique ;

au fond, déclare le recours en réformation non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours principal en annulation contre le refus de protection internationale ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 8 octobre 2014 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 8 juillet 2015 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler 7 CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.

Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 08/07/2015 Le Greffier du Tribunal administratif 20


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 35370
Date de la décision : 08/07/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2015-07-08;35370 ?

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