Tribunal administratif N° 34386 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 avril 2014 3e chambre Audience publique du 8 juillet 2015 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 34386 du rôle et déposée en date du 16 avril 2014 au greffe du tribunal administratif par la société Loyens & Loeff Luxembourg s.à r.l., avocat à la Cour, ayant son siège social à Luxembourg, représentée par Maître Jean-Pierre Winandy, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du 24 janvier 2014 du directeur de l’administration des Contributions directes répertoriée sous le numéro … du rôle, portant rejet de sa réclamation introduite en date du 12 novembre 2013 contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2011 émis en date du 25 septembre 2013 ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 5 septembre 2014 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;
Vu le mémoire en réplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 26 septembre 2014 par Maître Jean-Pierre Winandy au nom de la demanderesse ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 octobre 2014 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nadège Le Gouellec, en remplacement de Maître Jean-Pierre Winandy, et Madame le délégué du gouvernement Caroline Peffer en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 février 2015.
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Suite au dépôt par Madame … de sa déclaration pour l’impôt sur le revenu de l’année 2011, le préposé du bureau d’imposition … l’informa, par courrier du 27 août 2013, en application du paragraphe 205 (3) de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », du redressement envisagé par le bureau d’imposition en ce qui concerne la plus-value déclarée sous la rubrique « Revenus nets divers » de la déclaration concernant l’impôt sur le revenu de l’année 2011.
Suivant une note manuscrite datée du 6 septembre 2013 et apposée sur le courrier précité du bureau d’imposition …, Madame … déclara être d’accord avec ledit redressement.
Il résulte des pièces du dossier et des déclarations des parties, que le 25 septembre 2013, le bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes, ci-après « le bureau d’imposition », émit le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2011.
Par courrier du 6 novembre 2013, réceptionné en date du 12 novembre 2013, Madame … introduisit une réclamation auprès de l’administration des Contributions Directes en raison de l’imposition de la plus-value de cession réalisée par la vente d’un bien immobilier, imposition qui, selon elle, constituerait une violation du principe d’égalité des contribuables devant la loi au sens de l’article 10 de la Constitution, du fait que l’article 29 de la loi modifiée du 22 octobre 2008 modifiée portant promotion de l’habitat et création d’un pacte logement avec les communes, ci-après désignée par « la loi du 29 octobre 2008 », prévoirait une exonération fiscale des seules plus-values réalisées sur des ventes d’immeubles à une autorité publique.
Par décision du 24 janvier 2014, répertoriée sous le numéro C 19213 du rôle, le directeur de l’administration des Contributions Directes, désigné ci-après par « le directeur », rejeta la réclamation introduite par Madame … comme non fondée, en les termes suivants :
« Vu la requête introduite le 12 novembre 2013 par la dame …, demeurant à L-…, pour réclamer contre le bulletin de l'impôt sur le revenu de l'année 2011, émis en date du 25 septembre 2013 ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu les paragraphes 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;
Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit, dans les forme et délai de la loi, qu'elle est partant recevable ;
Considérant que la réclamante fait grief au bureau d'imposition de lui avoir infligé « une dette fiscale de …€ à titre de plus-value de cession réalisée sur la vente d'un immeuble » ;
Considérant qu'en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens de la réclamante, la loi d'impôt étant d'ordre public ;
qu'à cet égard, le contrôle de la légalité externe de l'acte doit précéder celui du bien-
fondé ;
qu'en l'espèce la forme suivie par le bureau d'imposition ne prête pas à critique ;
Considérant que la requérante s'est adressée au directeur des contributions moyennant requête datant du 12 novembre 2013 afin de lui faire part d'une « indignation face à une inégalité frappante des contribuables luxembourgeois devant la loi, au sens de l'article 10 de la Constitution du Grand-Duché de Luxembourg du 17 octobre 1868, telle que modifiée » ; que le contexte de cette inégalité constitue la vente « d'une ancienne maison d'habitation sise à … et détenue depuis plus de deux ans », vente qui a déclenché dans son chef l'imposition d'une plus-value de cession ; que pour ce qui est de cette vente, la requérante est convaincue « que la loi sur laquelle repose le régime de l'imposition de la plus-value de cession de biens immobiliers (i.e. article 29 de la loi du 22 octobre 2008 portant promotion de l'habitat et création d'un pacte logement avec les communes) est fondamentalement inégalitaire et donc, par définition, contraire au principe de l'égalité devant l'impôt » ; qu'ainsi, elle « demande le remboursement de la somme de …€ dont » elle s'est acquittée « à titre d'impôt sur le revenu » ;
Considérant cependant qu'il n'appartient pas au directeur des contributions statuant au Contentieux de se prononcer sur le bien-fondé des lois ni d'ailleurs sur leur conformité à la Constitution mais uniquement sur leur application ; qu'il échet donc uniquement de vérifier si l'imposition tient compte de l'ensemble des lois et règlements régissant la matière ;
Considérant qu'en ce qui concerne justement le respect de l'ensemble des préceptes matériels contestés par la réclamante, il importe de souligner qu'aucun inconvénient ne s'est produit au niveau de l'imposition de la plus-value remise en cause, de sorte que le bureau d'imposition est à confirmer pleinement en ce qui concerne sa manière d'agir ; que pour le surplus l'imposition est également conforme à la loi et aux faits de la cause et n'est d'ailleurs pas autrement contestée ;
PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée. […] » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 avril 2014, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du directeur du 24 janvier 2014.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant rejeté comme non fondée une réclamation introduite contre un bulletin de l’impôt sur le revenu.
Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation.
Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du présent recours en invoquant trois moyens d’irrecevabilité.
Celui-ci soutient tout d’abord que le recours serait irrecevable pour attaquer directement et exclusivement la constitutionnalité d’une loi, d’ailleurs inapplicable à la demanderesse, alors que le contrôle de la constitutionnalité serait conçu comme un recours par voie de l’exception.
En second lieu, le délégué du gouvernement soutient, en faisant référence à un arrêt de la Cour administrative du 18 décembre 2008, inscrit sous le numéro 24391C du rôle, que la question préjudicielle, proposée par la demanderesse, aurait dû être reprise dans le dispositif de sa requête pour pouvoir être prise en compte, en affirmant que l’objet d’une demande en justice, consistant dans le résultat que le plaideur entendrait obtenir, serait celui circonscrit dans le dispositif de la requête introductive d’instance.
La demanderesse conclut au rejet de ces moyens, en soutenant que l’objet de sa requête consisterait dans la réformation de la décision déférée du directeur, résultat qui ne saurait être obtenu qu’au moyen d’un renvoi préjudiciel devant la Cour constitutionnelle se soldant par une décision de celle-ci retenant la non-conformité de l’article 29 de la loi du 22 octobre 2008.
Il convient de souligner que la requête introductive doit contenir, entre autres, « l’objet de la demande », d’après les exigences posées par l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », et que l’objet de la demande est appelé à se dégager du dispositif de la requête, ensemble les motifs qui le soutiennent.
S’il est vrai qu’en principe, en vue de cerner utilement l’objet de la demande, la forme du recours (en réformation ou en annulation) et l’acte administratif qu’il vise sont à indiquer au dispositif de la requête introductive d’instance, il n’en demeure pas moins que dans l’hypothèse où ces éléments précis se dégagent sans méprise possible du corps de la requête sous-tendant directement le dispositif, pareille façon de procéder n’engendre point l’irrecevabilité de la demande à condition qu’elle n’ait pas eu pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense.1 En l’espèce, force est de constater que si conformément au dispositif de la requête, il est simplement demandé au tribunal de déclarer le recours de la demanderesse, quant au fond, « fondé en droit et justifié par les pièces et renseignements pris en cause et les motifs invoqués », formulation certes pas très précise, il se dégage cependant clairement du corps du recours, tel que relevé à juste titre par la demanderesse, et plus particulièrement de la partie introductive du recours en première page, que le recours est dirigé contre la décision du directeur du 24 janvier 2014 ayant tranché une réclamation contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2011, dont elle demande principalement la réformation et subsidiairement l’annulation.
Si la demanderesse revendique à l’appui de son recours, la même exonération que celle applicable dans le cas où elle aurait vendu son immeuble à une commune ou encore à l’Etat, estimant, par conséquent, que l’article 29 de la loi du 22 octobre 2008 serait inconstitutionnel pour ne pas avoir étendu l’exonération y prévue à toutes les aliénations immobilière, et demande, dans ce contexte, au tribunal de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle relative à la conformité de l’article 29 précité à la Constitution, force est de constater que le recours n’est pas dirigé contre cette disposition, mais qu’il s’agit là d’un moyen invoqué à l’appui du recours dirigé contre la décision précité du directeur.
1 Trib. adm. 22 juillet 2009, n° 24760 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 302 et les autres références y citées.
S’agissant ensuite de la question de savoir si la question préjudicielle, que la demanderesse propose de soumettre à la Cour constitutionnelle, doit être reprise dans le dispositif de sa requête introductive d’instance pour être prise en compte par le tribunal, force est de retenir que ni l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, ci-après désignée par « la loi du 27 juillet 1997 », aux termes duquel « Lorsqu’une partie soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution devant une juridiction de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif, celle-ci est tenue de saisir la Cour Constitutionnelle. […] », ni la loi du 21 juin 1999 n’imposent des formalités particulières pour soulever un moyen d’inconstitutionnalité d’une loi, de sorte qu’il convient d’en conclure que la formulation d’une question préjudicielle dans le corps de la requête, tel que cela a été le cas en l’espèce, est suffisante pour que le tribunal soit valablement saisi du moyen.
Il s’ensuit que les moyens d’irrecevabilité afférents doivent être rejetés pour ne pas être fondés.
En troisième lieu, le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de la demanderesse puisqu’elle revendiquerait l’application de l’article 29 de la loi du 22 octobre 2008, prévoyant une exception au droit commun en matière d’imposition des plus-values immobilières, à savoir les articles 99bis et 99ter de la loi modifiée du 4 décembre 1967 sur l’impôt sur le revenu, ci-après désignée par « LIR », à la plus-value immobilière réalisée par elle, alors que, dans la mesure où elle aurait vendu son immeuble non pas à une autorité publique, mais à un particulier, cette disposition ne lui serait pas applicable. Or, un litige à trancher ne pourrait porter que sur une disposition concrètement applicable audit litige.
Il estime, par ailleurs, que la demanderesse n’aurait aucun intérêt à demander, de façon générale, à ce que l’article 29 de la loi du 22 octobre 2008 soit appliqué à chaque vente immobilière et à mettre ainsi à néant le droit commun applicable en cette matière, étant donné que le contrôle de constitutionnalité d’une disposition légale pourrait tout au plus tendre à ce que celle-ci devienne inapplicable, en se référant, dans ce contexte, à un arrêt de la Cour administrative du 30 janvier 2007, inscrit sous le numéro 20688C du rôle.
Le délégué du gouvernement indique encore, tout en citant une affaire tranchée par le Finanzgericht Baden-Württemberg en date du 10 avril 2003, que les juridictions allemandes rejetteraient comme irrecevables pour défaut d’intérêt à agir des recours contre des mesures fiscales lorsqu’ils seraient introduits par des personnes qui critiqueraient par des arguments généraux une exonération d’impôt dont ils ne sont pas bénéficiaires, dans le seul objectif de se voir appliquer ladite exonération par le juge.
La demanderesse a insisté sur le maintien du recours.
L’intérêt conditionne la recevabilité d’un recours contentieux. En matière de contentieux administratif portant sur des droits objectifs, l'intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu'une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d'un administré qui peut partant tirer un avantage corrélatif de la sanction de cette décision par le juge administratif.2 En vertu du § 232 (1) AO, qui dispose que « Einen Steuerbescheid kann der Steuerplichtige nur deshalb anfecten, weil er sich durch die Höhe der festgesetzen Steuern oder dadurch beschwert fühtl, dass die Steuerpflicht bejaht worden ist. », un contribuable ne peut réclamer contre un bulletin que pour autant que la cote d’impôt ou l’affirmation de l’imposition y contenues lui causent grief.
Force est au tribunal de constater qu’il ressort des pièces du dossier, que le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2011 a retenu une dette fiscale à hauteur de ….- € à charge de la demanderesse et que, par courrier du 6 novembre 2013, la demanderesse a introduit une réclamation auprès du directeur pour contester le principe même de son assujettissement à l’impôt. Le présent recours étant dirigé contre la décision du directeur rendue suite à cette réclamation et qui confirme l’assujettissement à l’impôt, la demanderesse a un intérêt suffisant pour attaquer cette décision. Les contestations soulevées par ailleurs par la demanderesse ont trait à l’intérêt au moyen, mais ne sont pas de nature à affecter la recevabilité du recours en termes d’intérêt à agir.
Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
Le recours principal en réformation, ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, et en fait, la demanderesse explique avoir vendu, en date du 13 décembre 2011, une maison d’habitation, dont la plus-value de cession aurait donné lieu à une dette fiscale à hauteur de ….- €.
En droit, la demanderesse fait valoir que l’article 29 de la loi du 22 octobre 2008 serait une disposition inconstitutionnelle pour être non conforme aux articles 10bis et 101 de la Constitution. Elle estime, en effet, que le vendeur d’un immeuble à un particulier se trouverait dans la même situation que le vendeur d’un immeuble à un acheteur public, en expliquant qu’au regard du critère dominant en matière d’impôt sur le revenu, à savoir celui de l’imposition selon la capacité contributive, cette capacité du vendeur ne serait en rien fonction de la qualité de l’acheteur, mais uniquement de la plus-value réalisée, de sorte qu’elle devrait bénéficier de la même exonération que celle dont elle aurait bénéficié en cas de vente de sa maison à une commune ou à l’Etat. L’article 29 de la loi du 22 octobre 2008 serait partant non conforme à la Constitution en qu’il n’aurait pas étendu l’exonération y prévue à toutes les aliénations.
A ce sujet, la demanderesse se réfère aux travaux parlementaires relatifs au projet de loi promouvant l'habitat, créant un « pacte logement » avec les communes, instituant une politique active de maîtrise du foncier et modifiant certaines dispositions du Code civil, et 2 Cour adm. 25 juin 2013, n° 32102C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 2 et autres références y citées.
notamment à l’avis du Conseil d’Etat 27 novembre 20113, ainsi qu’à son avis complémentaire du 18 mars 20084, dans lesquels il aurait donné à considérer que l’article 30 (actuellement l’article 29 de la loi du 22 octobre 2008) prévoirait un traitement fiscal différent suivant la qualité de l'acquéreur, qui ne serait pas motivé par des raisons objectives.
Pour le surplus, elle s’interroge sur le bien-fondé de la justification fournie par la commission parlementaire en ce qui concerne la présumée différence de traitement des contribuables opérée par l’article 30 précité, pour en conclure qu’en tant que vendeur d’un bien immobilier à un particulier, elle se trouverait dans la même situation que celui qui aurait vendu son immeuble à l’Etat ou à une commune.
Dans ce contexte, elle demande au tribunal de poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :
« La disposition de l’article 29 de la loi du 22 octobre 2008, en prévoyant que les plus-values réalisées sur des immeubles du patrimoine privé sont exonérées mais uniquement si l’acquéreur est l’Etat, une commune ou un syndicat de communes est-elle conforme aux dispositions des articles 10bis et 101 de la Constitution luxembourgeoise, étant donné que le vendeur d’un immeuble à l’Etat, une commune ou un syndicat de communes d’une part et le vendeur de ce même immeuble à un autre acheteur (donc un acheteur non public) d’autre part, sous des conditions de prix identiques, se trouve objectivement dans la même situation ? » Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour être dénué de tout fondement.
En vertu de l’article 10bis, paragraphe (1) de la Constitution « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi. » Par application de l'article 6, alinéa 1er, de la loi du 27 juillet 1997, si un des cas de figure prévus à l'article 6, alinéa 2 de la même loi est donné, une juridiction peut se dispenser de poser à la Cour constitutionnelle une question de conformité à la Constitution, à savoir notamment si la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement.
Force est de constater, tel que cela ressort des pièces soumises au tribunal, ainsi que des déclarations concordantes des parties, qu’en 2011, la demanderesse a réalisé une plus-
value de cession en vertu de l’article 99ter LIR à hauteur de ….- € sur la vente d’une maison d’habitation sise à …, détenue depuis vingt-cinq années et ne constituant pas sa résidence principale, à un particulier, plus-value qui a, après déduction d’un abattement de 50.000.- € conformément à l’article 130 (4) LIR, été soumise à imposition, dans le cadre du bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2011, en tant que revenu extraordinaire par application du tarif réduit de l’article 131 LIR.
A l’appui du présent recours, la demanderesse fait grief au bureau d’imposition et au directeur d’avoir soumis cette plus-value de cession à imposition et de ne pas lui avoir appliqué le régime dérogatoire de l’article 29 de la loi du 22 octobre 2008, en vertu duquel la 3 Dossier parlementaire n° 5696, avis du Conseil d’Etat du 27 novembre 2007, p. 32.
4 Dossier parlementaire n° 5696, avis du Conseil d’Etat du 18 mars 2008, p. 4.
plus-value de cession réalisée sur une vente d’immeuble conclue avec l’Etat ou une commune est exempte d’impôt, considérant que cet article serait non-conforme à l’article 10bis de la Constitution, lequel consacre l’égalité des Luxembourgeois devant la loi.
Il est de principe que le rapport processuel a un objet et une cause, l’objet de l’action étant le résultat, en l’espèce la réformation de la décision du directeur dans le sens de l’exemption fiscale, que le plaideur entend obtenir et la cause se définissant par le fondement juridique sur base duquel l’objet est recherché, soit la règle de droit ou la catégorie juridique qui sert de fondement à la demande ou encore le fait qui constitue le fondement du droit, en l’espèce l’article 29 de la loi du 22 octobre 2008.5 Le recours sous analyse tend en ordre principal à la réformation de la décision directoriale déférée en ce sens que la demanderesse soit en droit de bénéficier d’une exemption fiscale totale sur la plus-value dégagée par la vente de l’immeuble sis à ….
L’objet du litige tend donc à l’exemption fiscale de la plus-value de cession réalisée par la demanderesse, tandis que l’inconstitutionnalité de l’article 29 de la loi du 22 octobre 2008 invoquée constitue le fondement juridique invoqué à la base de l’action intentée.
Dans la mesure où la cause ne représente point une fin en soi, en ce que le fondement juridique invoqué doit servir à atteindre le résultat que la demanderesse entend obtenir, partant objet de la demande en justice, il appartient au tribunal de vérifier dans quelle mesure le moyen d’inconstitutionnalité soulevé est susceptible de servir de fondement utile à l’action intentée, fusse-t-il accueilli.
L’article 29 de la loi du 22 octobre 2008 dispose « Les bénéfices de spéculation au sens de l’article 99bis et les revenus au sens de l’article 99ter de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, sont exemptés de l’impôt sur le revenu s’ils sont réalisés par des personnes physiques respectivement sur des biens immobiliers aliénés à l’Etat, aux communes et aux syndicats de communes, à l’exception des terrains aliénés dans le cadre des dispositions du titre 2 de la présente loi.» La demanderesse, en ayant vendu son immeuble à un particulier, et non pas à l’Etat, à une commune ou encore à un syndicat de communes, ne remplit, en tout état de cause, pas la condition posée par ledit article afin de pouvoir bénéficier de l’exemption fiscale y prévue, mais tombe sous le régime de droit commun prévu par l’article 99ter LIR, aux termes duquel « Est imposable aux termes du présent article le revenu provenant de l’aliénation à titre onéreux, plus de deux ans après leur acquisition ou leur constitution, d’immeubles qui ne dépendent ni de l’actif net investi d’une entreprise ni de l’actif net servant à l’exercice d’une profession libérale. […] » Dès lors, à admettre le raisonnement de la demanderesse, le tribunal devrait, après avoir fait constater l’inconstitutionnalité de l’article 29 de la loi du 22 octobre 2008, ce qui aurait, selon elle, comme résultat de rendre cette disposition applicable à toute vente immobilière sans distinction en fonction de la qualité de l’acquéreur, l’appliquer donc également à son cas concret en lui accordant le bénéfice de cette exemption, mettant ainsi un terme à l’inconstitutionnalité alléguée. Force est cependant de retenir que 5 Trib. adm. 24 juin 2003, n° 15975 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse n° 314.
l’inconstitutionnalité éventuellement constatée aboutirait, au contraire, à anéantir la base légale-même de cette exemption fiscale, le tribunal ne pouvant en effet pas créer une norme qui permettrait positivement à la demanderesse de se voir bénéficier d’une exemption fiscale, mais seulement, le cas échéant, de laisser inappliquée la disposition litigieuse.
Or, le moyen d’inconstitutionnalité soulevé est à écarter s’il n’est pas susceptible de servir de fondement utile à l’action intentée, n’étant pas de nature à assurer le résultat que la demanderesse entend obtenir, objet du litige soumis. 6 Le moyen afférent de la demanderesse, en ce qu’il ne saurait en tout état de cause atteindre le résultat recherché, doit par conséquent être considéré comme inopérant et être partant rejeté comme non fondé.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut d’autres moyens, que le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé, sans qu’il n’y ait lieu de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, la question soulevée par la demanderesse étant, au sens de l’article 6 b) de la loi du 27 juillet 1997, dénuée de tout fondement.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le dit non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Jackie Maroldt, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 8 juillet 2015 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original 6 Trib. adm. 22 octobre 2014, n° 32279 du rôle ; Trib. adm. 24 juin 2003, n° 15975 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse n° 314.
Luxembourg, le 10 juillet 2015 Le greffier du tribunal administratif 10