Tribunal administratif N° 35365 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2014 1re chambre Audience publique du 6 juillet 2015 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Bettendorf, en matière de permis d’exhumer
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35365 du rôle et déposée le 24 octobre 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Joseph HANSEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … demeurant à L- …, tendant d’après le libellé de la requête introductive d’instance à la réformation sinon à l’annulation 1) d’une décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Bettendorf du 16 décembre 2013 ayant refusé l’exhumation de la dépouille de son père décédé le 4 juin 1963, 2) d’une décision implicite de refus du même collège des bour gmestre et échevins suite à une demande introduite par Madame … en date du 24 avril 2014 et 3) d’une décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Bettendorf du 24 juin 2014 ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Georges WEBER, demeurant à Diekirch, du 5 novembre 2014, portant signification du prédit recours contentieux à l’administration communale de Bettendorf ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 novembre 2014 par Maître Alain BINGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats de Diekirch, au nom de l’administration communale de Bettendorf ;
Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 février 2015 par Maître Alain BINGEN au nom de l’administration communale de Bettendorf ;
Vu le mémoire en réplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 mars 2015 par Maître Jospeh HANSEN au nom de Madame … ;
Vu le mémoire en duplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 mars 2015 par Maître Alain BINGEN au nom de l’administration communale de Bettendorf ;
Vu les pièces versées et notamment les décisions attaquées ;
1 Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Hervé HANSEN en remplacement de Maître Joseph HANSEN, et Denis WEINQUIN en remplacement de Maître Alain BINGEN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 mai 2015.
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Le père de Madame …, feu ……, né le … décéda le ….
Monsieur …… fut enterré au cimetière de … dans la concession n°021.
Par courrier adressé au bourgmestre de la commune de Bettendorf en date du 8 novembre 2013, Madame… introduisit une demande d’autorisation d’exhumation des restes de la dépouille mortelle de son père « en vue leur ensevelissement dans la sépulture familiale à côté de (sa) mère, Madame …, née le … à …, décédée le 03.01.1978 et enterrée au cimetière de … ».
Le 10 décembre 2013, le médecin-inspecteur, chef de division de l’Inspection sanitaire de la Direction de la Santé, avisa défavorablement ladite demande d’exhumation.
Le 16 décembre 2013, le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Bettendorf, se référant à l’avis précité refusa de faire droit à la demande d’exhumation, ladite décision de refus étant libellée comme suit :
« Suite à votre courrier cité sous rubrique nous avons le regret de vous informer que nous ne sommes pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande.
En effet, les explications du Ministère de la Santé, demandé en son avis, ne nous laissent pas d’autre choix, en tenant compte qu’il existe des risques de santé pour les personnes en charge des travaux d’exhumation (…) ».
Par courrier de son litismandataire du 24 avril 2014, Madame… fit introduire une nouvelle demande en obtention d’une autorisation d’exhumation de la dépouille mortelle de son père en se basant sur de nouveaux éléments, à savoir d’une part sur la volonté expresse de sa mère d’être enterrée à côté de son époux, et, d’autre part, sur le fait qu’aucune des restrictions qui seraient prévues par l’arrêté grand-ducal du 14 février 1913 réglant le transport des cadavres ne serait donnée en l’espèce.
Par décision du 24 juin 2014, le collège des bourgmestre et échevins de l’administration communale de Bettendorf refusa également de faire droit à cette nouvelle demande aux motifs suivants :
« (…) Notre refus est basé en premier lieu sur des considérations d’ordre hygiéniques et les risques de santé pour nos ouvriers communaux, s’ils doivent procéder à l’exhumation de feu Monsieur…. Par conséquent, nous nous rallions à l’avis de Dr …, médecin-inspecteur chef de division du Ministère de la Santé du 10 décembre 2013, dont copie en annexe, pour en faire partie intégrante à la présente.
En deuxième lieu, nous tenons à vous informer que nous avons certes localisé la tombe de Monsieur ……, qui se trouve au cimetière à … (numéro de concession 021). Néanmoins, à l’époque, les enterrements n’ont pas encore fait l’objet d’inscriptions dans les livres, comme 2s’est actuellement le cas. Etant donné que les dépouilles mortelles d’autres personnes se trouvent également dans cette même tombe, nous ne saurions vous dire exactement où se trouvent les dépouilles mortelles de Monsieur… et un risque sérieux existe que l’exhumation d’une autre personne soit faite au lieu de celle de Monsieur… (…) ».
Par requête déposée le 24 octobre 2014 au greffe du tribunal administratif, Madame … a fait introduire un recours tendant d’après le libellé de ladite requête à la réformation sinon à l’annulation de 1) la décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Bettendorf du 16 décembre 2013 ayant refusé l’exhumation de la dépouille de son père décédé le 4 juin 1963, 2) de la décision implicite de refus du même collège des bourgmestre et échevins suite à un recours gracieux introduit par Madame … en date du 24 avril 2014 et 3) de la décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Bettendorf du 24 juin 2014.
Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.
En ce qui concerne la recevabilité du recours en annulation introduit à titre subsidiaire, l’administration communale de Bettendorf se rapporte à prudence de justice, ce qui équivaut à une contestation de la recevabilité du recours sous analyse1.
A cet égard, et en ce qui concerne la recevabilité du recours subsidiaire en annulation en ce qu’il est dirigé contre la décision de refus du collège des bourgmestre et échevins du 16 décembre 2013, et plus particulièrement la recevabilité ratione temporis dudit recours, il y a lieu de rappeler que l’article 13 (1) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives dispose que : « Sauf dans les cas où les lois ou règlements fixent un délai plus long ou plus court et sans préjudice des dispositions de la loi du 22 décembre 1986 relative au relevé de la déchéance résultant de l’expiration d’un délai imparti pour agir en justice, le recours au tribunal n’est plus recevable après trois mois du jour où la décision a été notifiée au requérant ou du jour où le requérant a pu en prendre connaissance », l’article 13 (2) de la même loi prévoyant que « si la partie intéressée a adressé un recours gracieux à l'autorité compétente avant l'expiration du délai de recours fixé par la disposition qui précède (trois mois à partir du jour où la décision a été notifiée au requérant ou du jour où le requérant a pu en prendre connaissance) ou d'autres dispositions législatives ou réglementaires, le délai du recours contentieux est suspendu et un nouveau délai commence à courir à partir de la notification de la nouvelle décision qui intervient à la suite de ce recours gracieux ».
Il résulte de la disposition légale qui précède que faute pour un destinataire d’une décision administrative d’avoir introduit un recours gracieux, respectivement un recours contentieux dans les délais, à savoir endéans les trois mois après s'être vu formellement notifier la décision litigieuse, respectivement après avoir pu prendre connaissance de l'acte faisant grief, il est forclos à ce faire.
1 Cour adm., 7 octobre 2010, n° 27059C du rôle, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n° 640 et autres références y citées 3Force est de constater qu’en l’espèce la demanderesse a omis d’introduire un recours contentieux, voire même un recours gracieux contre la prédite décision de refus du collège des bourgmestre et échevins du 16 décembre 2013 endéans le délai de trois mois tel que prévu par l’article 13 (1) précité, de sorte que le recours en annulation sous analyse est à déclarer irrecevable en ce qu’il est dirigé contre la décision du 16 décembre 2013.
La demanderesse a encore dirigé le recours en annulation contre une prétendue décision de refus implicite du collège des bourgmestre et échevins qui serait intervenue suite à sa nouvelle demande introduite en date du 24 avril 2014, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 4 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, « dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le tribunal administratif que sous forme de recours contre une décision administrative, lorsqu’un délai de trois mois s’est écoulé sans qu’il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif ».
Cette disposition légale instaure une présomption d’existence d’une décision de refus non datée et non notifiée, afin de permettre à l’administré de recourir à la justice pour contester l’inaction prolongée de l’autorité administrative compétente.
Ce n'est en effet que lorsqu'un délai de trois mois s'est écoulé sans qu'il soit intervenu aucune décision, suite à l'introduction d'un recours gracieux, qu'une partie intéressée peut considérer son recours comme rejeté et se pourvoir devant le tribunal administratif contre la décision de refus implicite en découlant. Les dispositions de l'article 4 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 ne peuvent être invoquées utilement que dans la mesure où au moment d'introduire son recours sur cette base, la partie intéressée ne s'est pas vu notifier entre-temps une décision expresse de la part de l'administration2.
Force est cependant de constater qu’en l’espèce le collège des bourgmestre et échevins a pris une décision explicite de refus en date du 24 juin 2014, c’est-à -dire endéans le délai de trois mois après s’être vu adresser la nouvelle demande de Madame… par l’intermédiaire de son litismandataire, de sorte que la fiction juridique prévue à l’article 4 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif précité ne saurait être invoquée en l’espèce. Ainsi, et dans la mesure où une décision explicite de refus est intervenue en l’espèce en date du 24 juin 2014, le recours en annulation en ce qu’il a été introduit contre une prétendue décision implicite de refus du collège des bourgmestre et échevins est à déclarer irrecevable faute d’objet.
Finalement, le recours en annulation sous analyse, en ce qu’il est dirigé contre la décision explicite de refus du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Bettendorf du 24 juin 2014 est quant à lui recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
En fait, la demanderesse explique que son père serait décédé le 4 juin 1963 à Ettelbruck et aurait été enterré au cimetière de …. Elle précise encore avoir introduit la demande d’exhumation sous analyse dans le souci de respecter la volonté de sa mère, laquelle, avant son décès en 1978, aurait exprimé sa volonté de voir son mari enterré à ses côtés dans la sépulture familiale à ….
2 Trib. adm. 8 juin 2005 n°18679 et 19195 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n°214 4 En droit, la demanderesse se prévaut en premier lieu d’une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes en arguant en substance que les considérations d’ordre hygiéniques non autrement précisées et les risques de santé pour les ouvriers communaux telles que soulevées dans la décision litigieuse, de même que les « raisons de santé publique » telles qu’elles figureraient dans l’avis du médecin inspecteur prémentionné, seraient à considérer comme des motifs généraux, vagues et imprécis. Madame… ajoute que ledit avis ne serait d’ailleurs qu’un copié-collé d’un modèle standard du ministère de la Santé et elle précise que le médecin-inspecteur aurait omis de prendre en considération la circonstance que Monsieur …… est décédé et a été enterré il y a plus de cinquante ans, la demanderesse estimant en effet qu’avec l’écoulement du temps, le risque pour la santé publique en cas d’exhumation irait en décroissant dans la mesure où la décomposition des cadavres avancerait et que tout liquide ou gaz dangereux finirait par disparaître.
Dans un deuxième temps, et après avoir contesté l’existence d’un risque pour la santé des personnes chargées de l’exhumation, la demanderesse précisant à cet égard qu’elle ferait appel à une société de pompes funèbres, relève en ce qui concerne la prétendue incertitude quant à la localisation exacte de son père, que celui-ci serait enterré au cimetière de … dans la partie droite de la concession 021. La pierre portant l’épitaphe « A mon bien aimé époux… » aurait d’ailleurs été placée originairement et pendant des années sur le côté droit de ladite concession avant d’être finalement déplacée vers le centre. La demanderesse ajoute que son père aurait en tout état de cause été la dernière personne à être enterrée dans la partie droite de la concession en question, de sorte que sa dépouille se trouverait nécessairement en haut de cet endroit en question et qu’il n’existerait dès lors aucun risque de confusion.
Madame… conclut dès lors à l’annulation de la décision litigieuse.
L’administration communale, de son côté, expose que conformément à l’article 11 de l’arrêté grand-ducal du 24 février 1913 réglant le transport des cadavres et en application d’une circulaire du 17 décembre 1996 n°1897 émis par le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Santé, elle aurait sollicité l’avis de la division de l’inspection sanitaire suite à la demande lui soumise par Madame…, laquelle se serait clairement prononcée à l’encontre de l’exhumation demandée. Confronté à un tel avis négatif et dans un souci de protéger les personnes devant pratiquer cette exhumation ainsi que pour des raisons de santé publique, lesquels présenteraient un intérêt supérieur à un intérêt purement privé, le collège échevinal aurait refusé de faire droit à la demande litigieuse. La partie défenderesse donne plus particulièrement à considérer que son obligation d’assurer la santé publique sur son territoire et ainsi de protéger ses ouvriers communaux, de même que tout autre personne face à des liquides et excréments parfois contagieux présenterait en effet un intérêt supérieur à l’intérêt purement privé de vouloir déplacer des dépouilles mortelles. En se référant à l’avis du médecin-inspecteur du 10 décembre 2013, elle soutient encore que le degré de connaissances scientifiques en la matière ne serait pas suffisamment avancé pour assurer qu’une exhumation serait sans danger pour les ouvriers communaux, respectivement pour les employés des pompes funèbres. Par ailleurs, le fait que le père de la demanderesse serait enterré depuis 50 ans et serait dès lors en forte décomposition pourrait être de nature à augmenter le risque pour la santé des personnes chargées de son exhumation.
5L’administration communale fait encore plaider qu’en l’espèce, il n’existerait pas de motif d’une particulière gravité tel qu’exigé par l’article 11 de l’arrêté grand-ducal du 14 février 1916, article dont la portée aurait d’ailleurs été précisée par la circulaire ministérielle prémentionnée du 17 décembre 1996. Ainsi, il n’aurait pas été dans la volonté du défunt lui-
même d’être enterré dans le cimetière de …, mais de l’épouse de celui-ci. Par ailleurs, elle donne à considérer qu’à l’époque la tradition aurait voulu que chaque époux soit enterré dans son village natal respectif. L’administration communale reproche à cet égard encore à Madame… de ne pas avoir motivé à suffisance sa demande et plus particulièrement la question de savoir pourquoi elle aurait attendu 35 ans après le décès de sa mère et même 50 ans après le décès de son père pour demander un tel transfert.
La partie défenderesse précise encore que le responsable communal des cimetières de la commune de Bettendorf aurait déclaré qu’il serait certes au courant dans quelle concession le père de la demanderesse se trouverait, mais qu’il ignorerait le côté et la profondeur où serait située sa dépouille mortelle, alors que d’autres personnes seraient enterrées dans cette même concession. Son refus serait dès lors également basé sur le respect dû à la mémoire des morts.
Au vu de l’existence d’un doute quant à l’emplacement exact de la dépouille de Monsieur…, ce serait dès lors à bon droit que le collège des bourgmestre et échevins a refusé de faire droit à la demande de Madame ….
Dans son mémoire en réplique et suite à l’affirmation de l’administration communale qu’il n’existerait pas de motifs d’une exceptionnelle gravité susceptibles de justifier l’exhumation de Monsieur ……, la demanderesse précise que son père aurait été enrôlé de force pendant la deuxième guerre mondiale et qu’à son retour au Grand-Duché de Luxembourg, il aurait été diabétique. Il serait finalement décédé en date du 4 juin 1963, laissant le reste de la famille, à savoir la demanderesse, sa sœur aînée et sa mère, dans une situation financière difficile. Sa mère se serait remariée avec un homme dont elle aurait ignoré qu’il aurait été fortement endetté. Au moment du décès de leur mère, la demanderesse, laquelle aurait encor e été écolière à l’époque, de même que sa sœur, auraient dû renoncer à la succession de celle-ci vu l’endettement de son deuxième époux. Les deux sœurs se seraient dès lors retrouvées dans une situation très précaire, de sorte qu’il leur aurait été impossible de réaliser à court terme le souhait de leur mère de voir son époux enterré à ses côtés dans la sépulture familiale à …. La demanderesse aurait finalement suivi des études pour devenir institutrice et elle précise que dans les années qui avaient suivi, elle se serait engagée dans un certain nombre de projets qui lui auraient suscité toute son énergie. En 1995, elle aurait par ailleurs eu un enfant, de sorte que même si sa situation financière s’était améliorée au cours des années, elle aurait néanmoins été « distraite par les exigences de la vie ». Ce serait cependant dans un souci de respecter finalement la dernière volonté de sa mère que la demanderesse aurait sollicité l’autorisation d’exhumer les restes de la dépouille mortelle de son père.
En ce qui concerne la légalité externe de la décision du bourgmestre portant refus d’autorisation de la demande d’exhumation introduite par Madame…, et plus particulièrement le reproche selon lequel ladite décision ne satisferait pas à l’exigence de motivation inscrite à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-
ducal du 8 juin 1979 », il est vrai qu’en vertu de cet article 6, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé.
6Toutefois, en ce qui concerne les conclusions de la demanderesse tendant à l’annulation pure et simple de la décision a quo du fait du défaut allégué de motivation, si l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 impose certes pour certaines décisions une obligation de motivation formelle, il résulte toutefois d’une jurisprudence solidement établie, assise sur un arrêt de la Cour administrative du 20 octobre 2009, n° 25783C du rôle, que les juges du fond refusent de sanctionner une violation par l’administration de son obligation de motivation par l’annulation, au motif que la sanction de l’annulation serait « disproportionnée par rapport au but poursuivi consistant à mettre l’administré le plus tôt possible en mesure d’apprécier la réalité et la pertinence de la motivation à la base d’une décision administrative », la juridiction suprême ayant retenu « par souci de protéger les intérêts bien compris du justiciable » qu’il appartiendrait plutôt au juge de la légalité, statuant en matière d’annulation, de permettre à l’administration de produire ou de compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois pendant la phase contentieuse, le juge de la légalité, statuant comme en l’espèce sur un recours dirigé contre une décision administrative intervenue en violation de la loi et des formes destinées à protéger les intérêts privés, ayant en effet à sa disposition « une sanction plus adéquate se dégageant d’une législation postérieure à la législation sur la procédure administrative non contentieuse, à savoir la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, prise en ses articles 32 et 33 permettant aux juridictions administratives de condamner par décision motivée une partie ayant gagné son procès à une fraction ou la totalité des dépens ou de mettre à charge de cette partie la totalité ou une partie des sommes exposées par l’autre partie et non comprises dans les dépens, dont plus particulièrement les frais d’avocat, pour l’hypothèse où il paraît inéquitable de laisser ces frais à charge de cette autre partie ».
Par conséquent, le tribunal devrait en tout état de cause rejeter le moyen de la demanderesse basé sur l’absence de motivation, motivation qui, outre d’avoir été indiquée sommairement par le collège des bourgmestre et échevins, lequel a non seulement soulevé des considérations d’ordre hygiénique ainsi que des risques de santé pour les personnes chargées de procéder à ladite exhumation en se basant à cet égard sur l’avis du médecin-inspecteur chef de la division du Ministère de la Santé, mais a également mis en exergue ses doutes quant à l’emplacement exact de la dépouille mortelle de Monsieur…, a par ailleurs été précisée et complétée en cours de procédure contentieuse par l’administration communale laquelle a encore expliqué le refus du collège des bourgmestre et échevins par le fait que Madame… n’aurait pas fait valoir des motifs d’une exceptionnelle gravité susceptibles de justifier l’exhumation sollicitée.
Par ailleurs, il y a lieu de constater que les motifs de refus fournis par le collège des bourgmestre et échevins ont été assez exhaustifs pour permettre à la demanderesse de se défendre utilement dans le cadre du recours, la demanderesse ayant en effet pris largement position dans son recours introductif d’instance quant aux prétendus risques pour la santé et la salubrité publiques de même que l’emplacement exact de la dépouille mortelle de son père.
Au vu des considérations qui précèdent, le moyen de la demanderesse relatif à une prétendue violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 laisse d’être fondé.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision de refus attaquée, il y a d’abord lieu de souligner que le tribunal n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l’intérêt de l’administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, il peut les traiter suivant un ordre différent.
7 En ce qui concerne plus particulièrement les raisons à la base de la demande d’exhumation introduite par Madame… et les conditions dans lesquelles une telle exhumation peut être accordée, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 11 alinéa 1er de l’arrêté grand-ducal du 24 février 1913 réglant le transport des cadavres, et sans préjudice quant aux autres autorisations requises (permis de transport et permis d’inhumation, à délivrer par les autorités compétentes), « les exhumations pratiquées à la demande de particuliers sont autorisées par le collège échevinal, qui fixe les mesures à prendre par l’impétrant, après avoir entendu le médecin-inspecteur en son avis. Un homme de l’art et un membre du collège échevinal ou un commissaire de police sont désignés pour veiller à l’accomplissement des conditions auxquelles l’autorisation a été accordée ».
Pas plus qu’il n’en définit la notion, l’arrêté grand-ducal ne définit les cas où l’exhumation peut être demandée, mais il la soumet, d’une manière générale, à autorisation.
L’exhumation met, en effet, comme l’affirme à juste titre l’administration communale, en cause des intérêts, notamment de santé publique, qui dépassent les intérêts purement privés3.
L’autorisation doit émaner du collège échevinal, lequel, dans l’appréciation de la demande qui lui est soumise, est lié par deux principes : d’une part, le respect de l’ordre public. Il peut ainsi refuser de satisfaire des intérêts particuliers à une exhumation s’il estime celle-ci susceptible de troubler l’ordre public ; d’autre part, le respect dû à la mémoire des morts. Principe général, le respect dû aux morts et la paix qu’il convient d’assurer à leur dépouille impose au collège échevinal d’observer une certaine décence dans toutes les opérations liées aux sépultures. Il peut refuser une exhumation s’il a des motifs de croire qu’elle ne se déroulera pas dans le respect dû à la mémoire des morts4.
Or, même si la circulaire ministérielle du 17 décembre 1996, telle qu’invoquée par l’administration communale, circulaire dans laquelle il est recommandé aux communes de n’émettre un avis favorable suite une demande d’exhumation que « dans les rares cas où un motif valable justifie l’exhumation demandée », n’est certes pas opposable aux tiers, de telles circulaires ministérielles n’ayant en effet pas de caractère légal, ne constituant pas des actes réglementaires ou des décisions obligatoires pour les administrés, n’étant obligatoires que pour les fonctionnaires et ne s'imposant ni aux tribunaux, ni aux personnes étrangères à l'administration5, force est cependant de retenir que cette circulaire constitue néanmoins un guide de conduite qui s’inscrit dans la lignée du principe général qu’une exhumation ne peut être accordée que pour des motifs d’une particulière gravité. Le respect dû aux morts et la paix qu’il convient d’assurer à leur dépouille exigent en effet que le lieu de sépulture ne soit pas arbitrairement changé6.
A cet égard, si les considérations de pure opportunité d’une décision administrative échappent certes au contrôle du juge de l’annulation, celui-ci garde néanmoins un droit et un devoir de contrôle portant sur l’existence du motif de refus concrètement invoqué7. Il appartient en effet au juge administratif de vérifier si les faits à la base du motif de refus retenu par l’autorité sont établis, ce contrôle faisant partie, avec la recherche de l’erreur de droit, de l’erreur manifeste d’appréciation et du détournement de pouvoir, du contrôle minimum pesant sur les actes, même sur ceux pris en vertu d’un pouvoir discrétionnaire. Ce contrôle ne saurait 3 Trib. adm. 20 janvier 2014, n°31974 du rôle disponible sur www.ja.etat.lu 4 Ibidem.
5 Cour adm. 3juin 2008 n°23956C du rôle, Pas. adm. 2012, V° Lois et règlements, n°71 6 A.Lorent, Les funérailles et la sépulture, Rev. Not., 1975, p.241, n° références y citées.
7 Cour adm.12 juin 2007, n° 22626C, publié sur www.ja.etat.lu 8toutefois avoir pour but de priver l’autorité, qui doit assumer la responsabilité politique de la décision, de son pouvoir d’appréciation sur la nature et la gravité de la mesure qu’il lui incombe de prendre, si celle-ci est par ailleurs légale, alors qu’il appartient à la seule autorité de peser en définitive la valeur des intérêts publics et privés en discussion et de prendre sa décision en conséquence, en assumant tant à l’égard des intéressés qu’à l’égard de l’opinion publique la responsabilité de cette décision, de sa sévérité ou de sa clémence.8 En l’espèce, l’administration communale justifie son refus sous analyse notamment par le fait que la demanderesse n’aurait pas invoqué de motifs qui seraient susceptibles de justifier l’exhumation sollicitée.
Comme retenu ci-avant, et en raison du respect dû aux morts et la paix qu’il convient d’assurer à leur dépouille, une exhumation ne peut être accordée que pour des motifs d’une particulière gravité. Peuvent constituer de tels motifs notamment le respect de la volonté exprimée ou présumée du défunt lui-même, le respect de la volonté du concessionnaire de la sépulture ou encore le caractère provisoire de la sépulture.
En l’espèce, force est de constater que la demanderesse ne justifie sa demande non pas par de tels motifs graves, mais par des considérations de pure convenance personnelle en arguant uniquement qu’il aurait été de la volonté de sa mère que son père soit enterré à ses côtés. Force est encore de constater que la demanderesse reste cependant en défaut d’expliquer pourquoi son père n’a pas été directement enterré dans la sépulture familiale. Par ailleurs, il ne résulte en aucune façon de ses développements que cela aurait effectivement été la volonté de son père d’être enterré à côté de son épouse, la demanderesse ne se prévalant que de la seule volonté de sa mère. En outre, et s’il est certes compréhensible au vu des explications de la demanderesse qu’elle n’ait pas, au vu de son jeune âge et de sa situation financière précaire, au moment de la mort de sa mère, introduit directement une demande en vue de l’exhumation de la dépouille de son père, le tribunal ne saurait cependant suivre les développements de la demanderesse selon lesquels elle aurait attendu plus de 35 ans pour introduire une telle demande parce qu’elle aurait été « engagée dans un certain nombre de projets qui lui aurait suscité toute son énergie » et qu’elle aurait été « distraite par les exigences de la vie », une telle inaction laissant en effet douter de l’importance de ses démarches particulièrement tardives et déniant aux motifs avancés leur caractère de gravité.
Au vu de ce qui précède, il y a lieu de retenir que le bourgmestre, dans le cadre de la mise en balance à effectuer entre les impératifs de santé et de sureté publiques et les considérations de pure convenance personnelle avancées par la demanderesse n’a pas outrepassé ses pouvoirs d’appréciation. Ainsi et dans la mesure où Madame… est restée en défaut de faire état de motifs particulièrement graves susceptibles de justifier sa demande, il y a lieu de déclarer, sans qu’il ne soit besoin de statuer plus en avant, le recours sous analyse non fondé, l’examen des risques effectifs pour les personnes chargées de l’exhumation et de la possibilité effective de localiser la dépouille de Monsieur…, problèmes ayant trait à l’exécution d’une éventuelle autorisation d’exhumation étant en effet devenu surabondant.
La demanderesse sollicite encore la condamnation de l’administration communale de Bettendorf au paiement d’une indemnité de procédure de 2.000,- euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, demande qui, au vu de l’issue du litige, est à rejeter.
8 Trib. adm. 22 février 2008, n° 24108 du rôle, publié sur www.ja.etat.lu 9 Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre principal, reçoit le recours en annulation en la forme en ce qu’il est dirigé contre la seule décision de refus du collège des bourgmestre et échevins du 24 juin 2014 ;
le déclare irrecevable pour le surplus ;
au fond, le dit non justifié et en déboute ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 juillet 2015 par :
Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, Hélène Steichen, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Arny Schmit s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6/7/2015 Le Greffier du Tribunal administratif 10