Tribunal administratif N° 34943 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 juillet 2014 3e chambre Audience publique du 16 juin 2015 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 34943 du rôle et déposée le 23 juillet 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc Lentz, avocat à la Cour, assisté de Maître Sonia Marques, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi du 18 février 2014 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … s.à r.l. ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sonia Marques, en remplacement de Maître Marc Lentz, en sa plaidoirie à l’audience publique du 10 juin 2015.
Il résulte des pièces soumises à l’appréciation du tribunal administratif qu’en date du 2 janvier 2012, Madame … signa avec la société à responsabilité limitée … s.à r.l., ci-après désignée par « la société », un contrat de travail à durée indéterminée.
Par jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale, du …, la société fut déclarée en état de faillite.
Madame … fit valoir, par déclaration de créance déposée au greffe du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg le 27 janvier 2014, au passif privilégié de la faillite, une créance pour un montant de … € au titre des indemnités provenant de la survenance de la faillite, du mois subséquent de la faillite, une indemnité de préavis, ainsi que l’indemnité pour congés non pris.
Lors de la vérification de créance intervenue le 7 février 2014, le curateur de la faillite ainsi que le juge commissaire admirent à titre privilégié la créance déclarée pour un montant de … €.
Par décision du 18 février 2014, le directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi, ci-après désigné par « le directeur », respectivement « l’ADEM », refusa la libération des fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale au motif que ses services auraient constaté qu’en l’espèce on se trouverait dans le cadre d’un transfert d’entreprise au sens de l’article L.127.2 du Code du travail. Or, cet article disposerait qu’en cas de transfert d’entreprise, les droits et obligations qui résultent pour le cédant d’un contrat de travail ou d’une relation existante en date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 juillet 2014, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision du directeur précitée du 18 février 2014 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société.
Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en annulation, qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Nonobstant le fait que la partie étatique n’a pas déposé de mémoire en réponse dans le délai légal, le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties dans un jugement ayant les effets d’un jugement contradictoire en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
A l’appui de son recours, la partie demanderesse fait valoir qu’en l’espèce on ne serait pas dans le cas d’un transfert d’entreprise au sens de l’article L.127-2 du Code du travail, étant donné que Monsieur …, gérant de la nouvelle société dénommée « … » s.à r.l. n’aurait pas repris son contrat de travail.
Or, pour qu’il y ait transfert d’entreprise, il faudrait que l’activité du personnel se poursuit dans les mêmes locaux en vue de réaliser les mêmes fabrications ou activités et que la même entreprise continue à fonctionner sous une direction nouvelle.
L’article L.126-1 du Code du travail dispose :
« (1) En cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit les créances résultant du contrat de travail sous les conditions et dans les limites fixées au présent article.
(2) Sont garanties jusqu’à concurrence du plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.
[…] (5) Le droit à la garantie s’ouvre pour le salarié, lorsque les créances visées au présent article ne peuvent être payées, en tout ou en partie, sur les fonds disponibles dans les dix jours qui suivent le prononcé du jugement déclaratif de la faillite.
(6) A la demande du curateur, le Fonds pour l’emploi verse aux salariés, dans les limites visées au présent article et, le cas échéant, en tenant compte des avances versées au titre de l’alinéa qui suit, les sommes impayées figurant sur le relevé des créances présenté par le curateur, visé par le juge commissaire et vérifié par l’Agence pour le développement de l’emploi.
Le relevé prévu au présent paragraphe peut être présenté par le curateur avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances.
Pour toute créance salariale visée au paragraphe (2), le salarié créancier peut, si sa créance représente plus de la moitié du salaire mensuel, calculé sur la moyenne des trois derniers mois précédant le mois de la déclaration de la faillite, remettre une copie de sa déclaration de créance déposée au Tribunal de commerce concernant les arriérés de salaire, à l’Agence pour le développement de l’emploi. Après vérification par l’Agence pour le développement de l’emploi des pièces remises, le Fonds pour l’emploi verse à titre d’avance les créances de salaire arriéré sans pouvoir dépasser soixante-quinze pour cent du plafond visé au paragraphe (2). […]. » Il s’ensuit qu’en cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit jusqu’au plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, c’est-à-dire jusqu’au sextuple du salaire social minimum, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.
Dans ce contexte, force est au tribunal de conclure de prime abord que l’ADEM a non seulement le droit, mais l'obligation de vérifier en premier lieu l'existence de la qualité de salarié au jour de la survenance de la faillite dans le chef du demandeur de la garantie salariale sollicitée,1 de sorte que l’acceptation d’une créance par le juge commissaire et par le curateur ne s’oppose, en principe, pas à un refus du directeur de libérer les fonds nécessaires à la garantie salariale.
En effet, il résulte de l’article L.126-1 précité du Code du travail que peuvent seules faire l’objet d’une prestation de garantie à charge du Fonds pour l’emploi les créances de nature salariale et que, conformément au paragraphe (6) du même article, les versements sont effectués sur base de relevés « vérifiés par » l’ADEM. Sous peine de vider ledit texte de toute portée, il y a lieu de retenir que l’administration est en droit de procéder à son propre examen des créances qui lui sont soumises.
Cette vérification doit se rapporter à l’examen de la justification de l’intervention du Fonds pour l’emploi qui a vocation, en cas de faillite, à se substituer à l’employeur en carence et qui bénéficie d’une subrogation dans les droits du salarié.
Tel que relevé ci-avant, la déclaration de créance a été acceptée par le juge commissaire et par le curateur à hauteur du montant déclaré, de sorte que dans ce contexte, l’existence d’un contrat de travail n’a pas été remise en cause.
1 Cour adm. 18 mai 2006, n° 21111C du rôle, Pas. adm. 2012, V° Travail, n° 12.
Dans ces circonstances, en cas de refus par l’ADEM du paiement d’une créance dûment acceptée par le curateur et le juge commissaire, tel que c’est le cas en l’espèce, la charge de la preuve du bien-fondé des motifs justifiant la décision de refus incombe à l'Etat, cette preuve étant à rapporter sur la toile de fond de l'examen, par le juge administratif, de l'existence et de l'exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision déférée, et de la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à la motiver légalement.2 Ainsi, il appartient à l’Etat, ayant refusé la prise en charge de la créance, pourtant acceptée par le curateur et le juge commissaire, de fournir la preuve du bien-fondé des motifs justifiant sa décision.
Force est au tribunal de constater, tel que relevé ci-avant, que la décision déférée est basée sur la considération qu’il y aurait eu transfert d’entreprise. Or, indépendamment de la question du caractère fondé de ce motif de refus, à défaut par la partie étatique d’avoir déposé de mémoire dans le cadre de la présente procédure contentieuse et à défaut d’avoir déposé un dossier administratif, le tribunal est dans l’impossibilité de vérifier l’exactitude de la motivation sous-tendant la décision déférée dans la mesure où aucun élément, hormis l’allégation afférente contenue dans la décision déférée, de nature à la corroborer n’a été soumis à l’appréciation du tribunal.
Dès lors, l’affirmation de la partie étatique qu’en l’espèce on serait en présence d’un transfert d’entreprise reste au stade de pure allégation.
Par voie de conséquence, le recours est à déclarer fondé, de sorte que la décision déférée encourt l’annulation.
La partie demanderesse sollicite encore la condamnation de l’Etat à une indemnité de procédure de 1.000 € sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, demande qu’il y a lieu de rejeter dans la mesure où la partie demanderesse n’établit pas en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le déclare fondé ;
2 Trib. adm. 22 mai 2006, n° 20427 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Travail, n° 5.
partant, annule la décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi du 18 février 2014 et renvoie le dossier devant l’Agence pour le développement de l’emploi en prosécution de cause ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne la partie étatique aux frais.
Ainsi jugé par:
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Jackie Maroldt, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 16 juin 2015 par le vice-président, en présence du greffier Goreti Pinto.
s. Goreti Pinto s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 juin 2015 Le greffier du tribunal administratif 5