Tribunal administratif N° 36096 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 avril 2015 Ire chambre Audience publique du 20 mai 2015 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 36096 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 avril 2015 par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Bosnie-Herzégovine), de nationalité bosnienne, demeurant actuellement à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 18 mars 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même jour portant refus de lui accorder le statut de la protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Catherine Wagener, en remplacement de Maître Frank Wies, et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth Pesch en leurs plaidoiries respectives.
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Le 24 novembre 2014, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
En date du même jour, les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux.
Le 2 décembre 2014, Monsieur … fut entendu auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».
Monsieur … fut entendu le 2 mars 2015 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 18 mars 2015, envoyée par envoi recommandé du 23 mars 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 avril 2015, Monsieur … a fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 18 mars 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 18 mars 2015 portant refus de lui accorder le statut de la protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.
A l’appui de son recours, Monsieur … expose qu’il aurait vécu avec sa famille à … en Bosnie-Herzégovine. Pendant trois années il aurait travaillé dans un bois, dans la subdivision bosniaque de la République Serbe de Bosnie et plus particulièrement dans le village de …. Monsieur … affirme qu’au début de l’année 2014, alors qu’il devait conduire sa grand-mère à l’hôpital, il aurait eu une altercation avec son voisin serbe qui aurait garé sa voiture devant l’allée de son garage, de sorte qu’il aurait alors appelé la police pour signaler la voiture stationnée illégalement, mais les forces de l’ordre ne se seraient pas déplacées. Alors qu’il se serait déplacé le lendemain au poste de police pour savoir pour quelle raison la police ne serait pas intervenue, les agents de police lui aurait simplement dit qu’il s’agirait d’un secret professionnel. Le voisin qui aurait été informé par un membre de sa famille, travaillant pour la police, qu’il aurait voulu porter plainte contre lui, aurait, pour se venger, commencé à colporter qu’il aurait dit du mal des Serbes. Monsieur … explique qu’à partir de ce moment il aurait reçu des menaces téléphoniques et aurait été victime d’une agression en été 2014. Cette agression aurait consisté dans le fait que quelqu’un aurait tendu du fil en métal à travers la route sur laquelle il aurait circulé avec sa moto, ce qui aurait provoqué sa chute. En gisant sur le sol, il aurait entendu une voix qui lui aurait dit « cette merde de musulman, il faut l’assassiner. Ceci est un avertissement pour que tu ne viennes plus ici ». Il n’aurait pas pu se rendre à l’hôpital, étant donné qu’il ne bénéficierait pas d’une couverture sociale. Il aurait par la suite encore été menacé lors de son travail dans la forêt. Les menaces se seraient intensifiées par la suite et il déclare avoir alors pris la décision de porter plainte auprès de la police qui aurait cependant refusé de l’accueillir en le demandant pourquoi il travaillerait chez les Serbes. Un autre incident aurait eu lieu au moment où il aurait été en train de charger un tracteur avec du bois. Une personne se trouvant de l’autre côté du tracteur aurait alors poussé un bout de bois vers lui ce qui l’aurait blessé au genou. Le propriétaire de la forêt lui aurait alors demandé de ne plus venir travailler comme sa sécurité n’aurait plus été garantie. Il se serait par après à nouveau rendu au poste de police pour dénoncer les menaces. L’agent de police lui aurait répété qu’il ne devrait pas travailler chez les Serbes et que s’il ne voulait plus recevoir de menaces par téléphone, il n’aurait qu’à changer son numéro de téléphone. Monsieur … explique avoir suivi ce conseil, mais quinze jours plus tard les menaces auraient repris. Ne pouvant plus supporter de vivre sous ces menaces constantes, il aurait décidé de quitter la Bosnie-
Herzégovine.
1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de ce volet de son recours, le demandeur fait valoir que ce serait à tort que le ministre aurait retenu qu’il n’aurait soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale. Le ministre aurait par ailleurs conclu à tort qu’il proviendrait d’un pays d’origine sûr, alors qu’il estime qu’il risque de subir des persécutions et des atteintes graves au motif qu’il est de confession bosniaque. La Bosnie-Herzégovine ne serait dès lors pas à considérer comme pays d’origine sûr dans son chef.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours en annulation serait à rejeter pour ne pas être fondé.
En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 aux termes desquels : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
(…) c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; (…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20, paragraphe (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de ladite demande en obtention d’une protection internationale, soit si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.
Par ailleurs, les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, le fait qu’une seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.
En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que le demandeur a la nationalité bosnienne et qu’il a résidé en Bosnie-Herzégovine avant de venir au Luxembourg, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a retenu que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr et qu’il a décidé de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, dans la mesure où la Bosnie-Herzégovine est qualifiée par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, comme étant un pays d’origine sûr.
S’il est certes exact que l’énumération d’un pays sûr dans la liste du prédit règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 ne constitue qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006 un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, force est au tribunal de constater que les moyens invoqués en l’espèce par le demandeur ne sont pas de nature à renverser cette présomption.
En effet, l’analyse de la situation personnelle du demandeur ne permet pas d’en dégager des éléments suffisants pouvant mener à une réévaluation de la situation générale de la Bosnie-Herzégovine et à mettre en doute la présomption que la Bosnie-Herzégovine est à qualifier de pays d’origine sûr au sens du règlement grand-ducal précité. Le simple fait que le demandeur estime que les forces de l’ordre bosniennes n’auraient pas pris au sérieux les menaces et agressions dont il aurait fait l’objet ne permet pas de conclure ipso facto que la police aurait refusé de lui accorder la protection requise ou serait incapable de lui fournir cette protection, d’autant plus le demandeur a admis qu’il n’aurait dénoncé à la police ni l’incident avec le fil métallique ni les menaces téléphoniques suite à l’incident avec le bois1. Il n’avait pas non plus insisté à porter plainte au sujet de la voiture de son voisin qui était stationnée devant son garage2.
A cela s’ajoute encore que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ou des atteintes graves ne sauraient être admises dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Le cas échéant, il aurait appartenu au demandeur de solliciter activement un compte rendu de la part des forces de l’ordre en charge, respectivement de saisir la voie hiérarchique en cas d’inaction avérée. Il appartient en effet au demandeur, avant de requérir la protection d’un Etat étranger, de rechercher activement la protection offerte par ses propres autorités et institutions nationales, cette recherche ne pouvant se limiter à dénoncer les faits à la police locale, pour ensuite prétendre que celle-ci n’aurait pas réagi, de sorte que le demandeur ne saurait conclure à une absence, respectivement à un refus de protection effective.
Il suit des considérations qui précèdent que le demandeur n’invoque pas de faits démontrant que la Bosnie-Herzégovine ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr dans son chef.
Partant, c’est à bon droit que le ministre, après analyse de la situation concrète du demandeur, a conclu qu’il provient d’un pays d’origine sûr, de sorte que c’est encore à bon droit qu’il a décidé de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée au sens de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.
Une des conditions de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006 étant remplie, il devient surabondant de procéder à l’analyse de l’autre base légale invoquée par le ministre.
Dès lors, le recours afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
2. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.
1 Cf. rapport d’audition du demandeur, p. 5 et 6 2 Cf. rapport d’audition du demandeur, p. 4 A l’appui de ce volet du recours, le demandeur soutient que le ministre aurait commis une erreur d’appréciation en retenant à tort qu’il resterait en défaut d’établir l’existence d’une crainte de persécution, alors qu’il aurait été agressé et menacé en raison de son appartenance à la confession musulmane. Il se réfère à un rapport du United States Department of State du 27 février 2014 pour souligner les clivages qui existeraient entre Serbes et Bosniaques. Monsieur … souligne qu’il aurait été agressé physiquement à deux reprises et aurait fait l’objet de multiples menaces verbales. Ces évènements auraient eu comme conséquence une dépression réactionnelle qui doit être suivie de manière psychothérapeutique. Il fait finalement valoir que ce serait à tort que le ministre aurait considéré que les autorités bosniennes seraient en mesure de lui accorder une protection suffisante contre les actes de persécutions dont il aurait été victime. Le demandeur souligne que cela aurait été en raison du refus d’intervenir des forces de l’ordre qu’il n’aurait pas eu d’autre choix que de quitter son travail et de changer son numéro de téléphone.
Enfin, le demandeur conteste la possibilité d’une fuite interne.
Le délégué du gouvernement fait valoir que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que son recours serait à rejeter pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
L’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 dispose : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) » Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale amène le tribunal à conclure qu’il ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié.
En effet, il ressort des déclarations du demandeur telles qu’actées dans son rapport d’audition que si les faits qui l’ont amenés à quitter son pays d’origine s’inscrivent certes sur une toile de fond ethnique, il n’en reste pas moins que bien que le demandeur affirme être victime de persécutions de la part des ressortissants serbes, il reste en défaut de rapporter la preuve que les incidents survenus aient atteint le niveau de gravité requis par l’article 31 (1) a) de la loi du 5 mai 2006.
Ainsi, pour ce qui est des menaces téléphoniques dont le demandeur aurait été régulièrement victime de la part de certains ressortissants serbes l’invitant à trouver du travail en dehors de la République Serbe de la Bosnie-Herzégovine, s’il s’agit certes d’agissements condamnables, ils ne sont pas suffisamment graves pour pouvoir retenir dans le chef du demandeur l’existence d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006.
Quant aux incidents relatifs au fil métallique tiré à travers la route, force est au tribunal de constater que le demandeur admet que la route qu’il empruntait était en chantier et interdite à la circulation, de sorte qu’il ne peut pas être exclu qu’il se serait agi d’une barrière interdisant le passage.
En ce qui concerne le bout de bois tombé contre son genou, le demandeur n’a pas pu constater d’élément intentionnel à cet évènement, mais se base sur de simples suppositions.
Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié du demandeur qui n’a pas établi l’existence d’une crainte sérieuse de persécutions suffisamment graves pour un des motifs prévus à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f), précité définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas.
L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Le tribunal n’aperçoit dès lors aucun élément susceptible d’établir qu’il existerait dans le chef du demandeur un risque réel de subir des atteintes graves, telles que la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d’origine. Par ailleurs, il ne ressort ni du dossier, ni des arguments du demandeur que la situation qui prévaut actuellement en Bosnie-Herzégovine correspondrait à un contexte de violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres éléments, c’est à juste titre que le ministre a retenu que le demandeur n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il courrait le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il lui a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a, au terme de l’analyse de la situation du demandeur, déclaré la demande de protection internationale comme non justifiée.
Le recours en réformation est partant à rejeter comme étant non fondé.
3. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 18 mars 2015 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
En l’espèce, le demandeur sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, à titre principal comme conséquence de la réformation de la décision portant refus de la demande de protection internationale, et à titre subsidiaire comme étant contraire aux dispositions de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 relative à la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée « la loi du 29 août 2008 », dans la mesure où son retour en Bosnie-Herzégovine l’exposerait immanquablement à un risque réel de subir des traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de la protection internationale.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, il a a priori également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Aux termes de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (…) ».
L’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) prévoit que : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Si l’article 3 de la CEDH, auquel renvoie l’article 129 précité, fait obstacle à ce qu’une mesure d’éloignement soit prise à l’encontre de non-nationaux lorsqu’il est établi qu’il existe pour eux un risque réel de subir des traitements inhumains ou dégradants dans le pays de renvoi, encore faut-il que le risque de subir des souffrances physiques ou mentales présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement – tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg – relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risque de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Or, le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que le demandeur ne remplit pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH3, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur en Bosnie-Herzégovine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH.
3 CEdH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 18 mars 2015 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 18 mars 2015 portant refus d’une protection internationale au demandeur ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 18 mars 2015 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 20 mai 2015 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20/05/2015 Le Greffier du Tribunal administratif 12