Tribunal administratif N° 36004 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mars 2015 2e chambre Audience publique du 18 mai 2015 Recours formé par Monsieur ….., contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 36004 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 mars 2015 par Maître Faisal Quraishi, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le .… à ….
(Albanie), de nationalité albanaise, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 3 mars 2015 de statuer sur le bien-
fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du même ministre du 3 mars 2015 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 avril 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Faisal Quraishi et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 avril 2015.
Le 28 octobre 2014, Monsieur ….. introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations de Monsieur ….. sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour.
Le 4 novembre 2014, Monsieur ….. fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, dans le cadre de l’entretien prévu selon le Règlement (UE) N°604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « Règlement Dublin III », portant sur son trajet, sur l’existence d’autres demandes de protection internationale, sur la présence de membres de famille dans d’autres pays européens et sur l’éventuelle obtention de visa ou d’autorisation de séjour.
Par courrier du 25 novembre 2014 envoyé par télécopie au litismandataire de l’époque du demandeur et par courrier envoyé le 26 novembre au demandeur par lettre recommandée, ce dernier fut convoqué à un entretien auprès du Service des Réfugiés, Cellule Entretiens, du Ministère des Affaires étrangères et européennes, Direction de l’Immigration, fixé au 16 décembre 2014, pour être entendu sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale. Par courrier du 16 décembre 2014, remis en mains propres au demandeur en date du 5 janvier 2015, il fut convoqué à un entretien, auprès du service sus-
visé, fixé au 26 janvier 2015. Par courrier du 28 janvier 2015, remis en mains propres au demandeur en date du 4 février 2015 et par courrier envoyé par télécopie en date du 28 janvier 2015 à son litismandataire de l’époque, il fut convoqué à un entretien, auprès du service sus-
visé, fixé au 16 février 2015. Il ressort d’une fiche au dossier administratif, que le demandeur ne s’est présenté ni à l’entretien du 16 décembre 2014 ni à celui du 16 février 2015et que, dans les deux cas, il s’agissait d’une absence non excusée.
Par décision du 3 mars 2015, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le 4 mars 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur ….. qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se fondant sur les dispositions de l’article 20 (1) a), c) et j) de la loi du 5 mai 2006 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. La décision du ministre est motivée notamment par la considération que le demandeur proviendrait d’un pays d’origine sûr conformément à l’article 1 (1) du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006. La décision du ministre est encore motivée par la considération que les raisons qui ont amené le demandeur à quitter son pays d’origine n’auraient pas été motivées par un des critères de fond définis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et par la loi du 5 mai 2006 étant donné que les menaces et agressions dont il ferait état constitueraient des délits relevant du droit commun punissables selon la loi albanaise. S’agissant d’actes commis par des personnes privées, les faits en question ne pourraient entraîner une crainte légitime de persécution au sens de ladite Convention qu’en cas de défaut de protection de la part des autorités nationales ce qui ne serait pas le cas en l’espèce. La décision relève encore que le demandeur aurait passé deux mois en Italie et deux mois en France avant d’introduire sa demande de protection internationale au Luxembourg, ce qui confirmerait que les ennuis qu’il invoque ne rentreraient pas dans le cadre de la Convention sus-visée. La décision fait encore état de ce que le demandeur n’aurait pas respecté ses obligations résultant des dispositions de l’article 9, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006, en ce qu’il ne se serait pas présenté aux trois entretiens portant sur les motifs de sa demande de protection internationale, auxquels il aurait été dûment convoqué, sans qu’il n’ait présenté d’excuse valable. Finalement, elle indique que les conditions d’octroi de la protection subsidiaire ne seraient non plus pas remplies en l’espèce.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2015, Monsieur …..
a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 3 mars 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation, sinon à l’annulation de la même décision du ministre en tant qu’elle refuse de faire droit à sa demande de protection internationale, et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
1) Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, seul un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre ce volet de la décision du ministre. Partant, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à l’encontre de la décision du ministre du 3 mars 2015 de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur conteste tomber dans le cas prévu au point j) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006. En effet, il estime avoir rempli ses obligations visées au titre tant de l’article 6 (4) de la loi du 5 mai 2006 en remettant au ministre tous les documents en sa possession utiles à sa demande de protection internationale que de l’article 9 (1) et 9 (2) de ladite loi. Quant à ce dernier article, il soutient qu’il n’aurait jamais refusé d’être entendu par le ministre mais qu’il aurait « manqué de pouvoir se rendre aux entretiens fixés par le Ministre sans renoncer à son droit d’être entendu alors qu’il [aurait souffert] d’une dépression post-traumatique ». Il ajoute que « les convocations ne [seraient] pas rédigées dans une langue compréhensible pour [lui] de sorte qu’elles ne lui sont pas opposables ». Il critique en substance la décision ministérielle pour lui avoir refusé d’exposer les motifs à la base de sa demande de protection internationale, le privant ainsi d’un droit fondamental. Il reproche encore au ministre son comportement qui « [dénoterait] tout au plus une discrimination entre les demandeurs de protection internationale, ce en fonction de leur pays d’origine ». Il fait état du report d’entretien qu’il aurait sollicité de la part du ministre en raison de son état physique et psychologique fragiles.
Il reproche encore au ministre de ne pas avoir exigé un certificat médical qui aurait attesté de son état de santé ainsi qu’il lui serait loisible de le faire, en cas de doute, conformément à l’article 9 (5) de la loi du 5 mai 2006. Il conclut que l’instruction administrative ayant été viciée, la décision déférée devrait être annulée.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants : […] a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;
[…] c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi;
[…] j) le demandeur n’a pas rempli les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 9(2) de la présente loi ou a gravement manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 6(4) et 9(1) de la présente loi, à moins qu’il ne soit pas responsable du non-respect de ces obligations; […] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20, paragraphe (1) a), c) et j) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, soit s’il apparaît que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, soit s’il apparaît que le demandeur n’a pas rempli les obligations lui imposées par l’article 9 (2) de ladite loi, respectivement qu’il a gravement contrevenu à celles lui incombant en vertu des articles 6(4) et 9(1) de la même loi.
Par ailleurs, il convient de relever que les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-
fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, le fait qu’une seule de ces conditions soit invoquée par le ministre suffit à justifier sa décision ministérielle à suffisance dès lors que ladite condition est valablement remplie.
Plus particulièrement, en ce qui concerne le point j) de l’article 20 (1), et notamment le devoir du demandeur de protection internationale de se conformer aux obligations inscrites à l’article 9 (1) et (2) de la loi du 5 mai 2006, il y a lieu de souligner que ledit article dispose que :
« (1) Le demandeur a le droit d’être entendu par un agent du ministre. Il a l’obligation de répondre personnellement aux convocations du ministre. Le ministre peut enregistrer, par les moyens techniques adaptés, les déclarations faites oralement par le demandeur, à condition que ce dernier en ait été préalablement informé. Le ministre peut soumettre le demandeur à un test linguistique. Lorsque le demandeur est accompagné par un avocat, il devra néanmoins répondre personnellement aux questions posées.
(2) Le demandeur a l’obligation de soumettre dans les meilleurs délais tous les éléments nécessaires pour établir le bien-fondé de sa demande. Le demandeur est réputé avoir présenté tous les éléments nécessaires s’il a fourni des déclarations ainsi que tous les documents en sa possession concernant son âge, sa situation, y compris celle de sa famille, son identité, sa nationalité, ses pays et lieux de résidence antérieurs, ses demandes d’asile précédentes, son itinéraire de voyage, ses documents de voyage et les motifs à la base de sa demande de protection internationale. […] » A cet égard, il faut relever qu’il appartient au tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée, d’apprécier sur base des moyens invoqués, si c’est à bon droit que le ministre a fait application du point j) de l’article 20 (1) précité afin de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.
Il est constant en cause que le demandeur fut dûment convoqué à se présenter à trois entretiens fixés aux dates des 16 décembre 2014, 26 janvier 2015 et 16 février 2015. Il s’y ajoute que son litismandataire de l’époque fut également dûment informé desdites convocations. Il est encore constant en cause pour ressortir d’une fiche au dossier administratif que les absences des 16 décembre 2014 et 16 février 2015 sont non excusées.
Force est partant au tribunal de constater que le demandeur est resté en défaut de fournir la moindre explication à cet égard, que ce soit pendant la phase précontentieuse ou au cours de la présente instance. En effet, s’il convient certes de relever que le demandeur a versé un certificat médical pour tenter de justifier son état de santé, il ressort sans équivoque dudit certificat qu’il a été établi en date du 17 avril 2015 par le Dr. …. et qu’il porte l’indication « prière de réaliser un scanner cérébral ». Outre que ce certificat est postérieur de quatre mois à la date de la première convocation à l’entretien auprès du Service des Réfugiés, Cellule Entretiens, du Ministère des Affaires étrangères et européennes, Direction de l’Immigration, il ne constitue en aucune manière une explication idoine de nature à justifier a posteriori les absences non excusées du demandeur auxdits entretiens, le demandeur ayant, été, dans le cas de problèmes de santé, dans l’obligation d’en informer en temps utile le ministre en lieu et place d’attendre quatre mois pour apporter des explications qui ne sont pas de nature à emporter la conviction du tribunal. Quant au reproche formulé par le demandeur de l’inopposabilité des convocations au motif qu’elles n’auraient été « rédigées dans une langue compréhensible pour [lui] », force est au tribunal de relever qu’il aurait appartenu au demandeur de s’enquérir auprès de son litismandataire de l’époque, ayant été lui-même informé desdites convocations, de la signification de ces dernières. Il s’ensuit que Monsieur ….. a, sans aucune équivoque possible, gravement contrevenu à l’article 9 (1) de la loi du 5 mai 2006, en ce qu’il n’a pas répondu à plusieurs convocations du ministre.
Force est encore au tribunal de constater qu’à l’exception d’avoir indiqué sur la fiche des motifs de sa demande de protection internationale qu’il aurait quitté son pays d’origine aux motifs « que sa vie [serait] menacée donc du clan …… Lesquelles [l’] [auraient] frappé derrière la tête avec des outils durs afin de le tuer. (…). Cette histoire [aurait] eu lieu car [il] [aurait] proposé au mariage la fille du frère de ….. », et d’avoir versé une attestation de dette de sang datée du 3 juin 2013 dès lors que le demandeur ne s’est pas présenté aux entretiens fixés, il n’a pas fourni les éléments relatifs à la motivation de sa demande de protection internationale de sorte qu’il n’a pas fourni tous les éléments nécessaires pour établir le bien-
fondé de sa demande de protection internationale au sens de l’article 9 (2) de la loi du 5 mai 2006. Il s’ensuit qu’il a manifestement contrevenu à ses obligations inscrites à l’article 9 (2) de la loi du 5 mai 2006.
Il suit des considérations qui précèdent que Monsieur ….. n’a pas rempli les obligations lui imposées par l’article 9, paragraphes (1) et (2), de la loi du 5 mai 2006, en ce qu’il ne s’est pas présenté aux entretiens portant sur les motifs de sa demande sans excuse valable et n’a pas soumis dans les meilleurs délais à l’autorité administrative tous les éléments nécessaires pour établir le bien-fondé de sa demande, sans qu’il ne puisse être retenu qu’il ne soit pas responsable du non-respect de ses obligations découlant de cette disposition. Par ailleurs, le moyen du demandeur tiré d’une violation de l’article 9 (5) de la loi du 5 mai 2006 est, de la même manière, à rejeter en ce que cette disposition ne vise que l’hypothèse où il n’est pas possible de procéder à un entretien en raison de circonstances durables et indépendantes de la volonté du demandeur de protection internationale, ce qui n’est pas le cas en l’espèce Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché au ministre d’avoir statué sur la demande de protection internationale de Monsieur ….. au lieu d’avoir reporté l’entretien portant sur les motifs de cette demande, étant donné qu’aux termes de l’article 9 (3) de la loi du 5 mai 2006, dont la partie étatique se prévaut à juste titre, « l’absence du demandeur ou de son avocat lors de l’entretien fixé par l’agent du ministère […] [n’empêche] pas le ministre de statuer sur la demande de protection internationale ».
Par conséquent, c’est à bon droit que le ministre a décidé de statuer sur le bien-fondé de la demande de Monsieur ….. dans le cadre d’une procédure accélérée, conformément à l’article 20 (1) j) de la loi du 5 mai 2006.
Partant, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y a lieu d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, cet examen devenant surabondant.
2) Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Dans la mesure où l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.
A l’appui de ce volet de son recours, le demandeur fait valoir qu’il aurait dû fuir l’Albanie dès lors qu’il ne s’y serait pas trouvé en sécurité et y aurait craint pour sa vie au motif que les autorités nationales ne seraient pas en mesure de lui apporter une protection idoine. Ayant eu une liaison défendue avec la fille de la famille ….., il prétend être recherché en Albanie par ladite famille pour une raison de vengeance selon la loi du « Kanun » de sorte à craindre pour sa vie. Il conclut à une violation de la loi par le ministre et à « un abus de droit [dans le chef de ce dernier] pour erreur manifeste d’appréciation des faits ». Il reproche encore au ministre d’avoir violé l’article 9 (1) de la loi du 5 mai 2006.
Il en déduit que les conditions d’obtention du statut de réfugié, sinon du statut conféré par la protection subsidiaire seraient remplies dans son chef et que les motifs de refus invoqués par le ministre ne seraient pas pertinents, de sorte que la décision déférée devrait encourir la réformation pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits.
Le délégué du gouvernement fait valoir que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et conclut au rejet du recours.
En vertu de l'article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l'article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d'un pays tiers qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. (…) » Par ailleurs, l’article 31 de la loi du 5 mai 2006 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. » et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection peut être accordée par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci.
(2) Une protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » Il suit des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Par ailleurs, force est de relever que la définition de réfugié contenue à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Quant au bien-fondé de la demande de protection internationale, le tribunal ne disposant comme seuls éléments que le rapport d’entretien du demandeur réalisé dans le cadre du Règlement Dublin III, la fiche des motifs de demande de protection internationale et l’attestation d’une dette de sang, constate qu’en l’absence de toute autre pièce ou élément pertinent qui aurait pu être versé par le demandeur au cours de la procédure contentieuse de manière à étayer sa demande que les motifs retenus par le ministre pour refuser ladite demande ne sont pas invalidés. Il s’ensuit que le moyen du demandeur tiré de la violation de la loi par le ministre et « un abus de droit [dans le chef de ce dernier] pour erreur manifeste d’appréciation des faits » tombe partant à faux.
Il résulte des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de Monsieur ….. en obtention du statut de réfugié.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f), précité définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Eu égard aux observations formulées ci-dessus dans le cadre de l’analyse de la demande de protection internationale relative au statut de réfugié, le tribunal n’est pas en mesure d’apprécier si les faits invoqués par le demandeur sont d’une gravité suffisante au regard des exigences de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, à défaut pour le demandeur d’avoir fourni, même dans le cadre de la procédure contentieuse, le moindre détail à cet égard, de sorte que ces faits ne sauraient, dans l’état actuel du dossier établir l’existence d’un risque réel, dans son chef, de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, précité, de la loi du 5 mai 2006.
Dès lors, c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de Monsieur ….. en obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle déférée portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
En l’espèce, le demandeur sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif, d’un côté, qu’il aurait invoqué des motifs sérieux de craintes de persécution et, de l’autre côté, qu’en vertu du principe de précaution, il serait en tout état de cause préférable de ne pas reconduire une personne vers un pays où il y aurait lieu de craindre qu’elle court un risque réel de subir des atteintes graves à sa vie.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en annulation.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2. r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, et que par conséquent un retour dans son pays d’origine ne le soumet ni à des persécutions, ni à des atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de précaution.
Partant, le moyen afférent laisse d’être fondé.
A défaut d’autres moyens soulevés par le demandeur, le tribunal ne saurait mettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire pris à son égard, de sorte que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé à l’encontre de la décision ministérielle du 3 mars 2015 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
reçoit en la forme le recours subsidiaire en annulation ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 3 mars 2015 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 3 mars 2015 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Anne Gosset, premier juge, Paul Nourissier, juge Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 18 mai 2015 par le premier juge, en présence du greffier Monique Thill.
s. Monique Thill s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 mai 2015 Le greffier du tribunal administratif 11