Tribunal administratif N° 34421 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 avril 2014 1re chambre Audience publique du 18 mai 2015 Recours formé par Monsieur …, … (Belgique), et Madame …, … contre une décision du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en matière d’aides financières pour études supérieures
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 34421 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 avril 2014 par Maître Pascal PEUVREL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, étudiant, demeurant à B-…, et de Madame …, …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision de refus en matière d’aides financières pour études supérieures du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche datée du 31 janvier 2014 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 août 2014 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 octobre 2014 par Maître Pascal PEUVREL au nom des demandeurs ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Franck SIMANS, en remplacement de Maître Pascal PEUVREL, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 mai 2015.
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Moyennant un formulaire établi par le Centre de Documentation et d’Information sur l’Enseignement Supérieur (CEDIES) auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Monsieur …, étudiant demeurant en Belgique, sollicita une aide financière pour études supérieures pour l’année académique 2013/2014.
Par un courrier du 31 janvier 2014, signé par Monsieur Jerry LENERT, pédagogue, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants :
« J’ai en mains votre demande en vue de l’obtention d’une aide financière de l’Etat pour études supérieures pour l’année académique 2013-2014.
L’article 2bis de la loi modifiée du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures dispose qu’« un étudiant ne résidant pas au Grand-Duché de Luxembourg peut également bénéficier de l’aide financière pour études supérieures, à condition qu’il soit enfant d’un travailleur salarié ou non salarié ressortissant luxembourgeois ou ressortissant de l’Union européenne ou d’un autre Etat partie à l’Accord sur l’espace économique européen ou de la Confédération suisse employé ou exerçant son activité au Luxembourg, et que ce travailleur ait été employé ou ait exercé son activité au Luxembourg pendant une durée ininterrompue d’au moins cinq ans au moment de la demande de l’aide financière pour études supérieures par l’étudiant.
L’emploi au Luxembourg doit être au moins égal à la moitié de la durée normale de travail applicable dans l’entreprise en vertu de la loi ou de la convention collective de travail, le cas échéant, en vigueur. Le travailleur non salarié doit être affilié obligatoirement et d’une manière continue au Grand-Duché de Luxembourg en vertu de l’article 1er, point 4) du Code de la sécurité sociale au cours des cinq ans précédant la demande de l’aide financière pour études supérieures », Etant donné que vous ne remplissez pas ces conditions, il n’est pas possible au service des aides financières du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de donner une suite favorable à votre demande et de vous accorder l’aide financière de l’Etat pour études supérieures pour l’année académique 2013-2014.
La présente décision est susceptible d’un recours en annulation devant le Tribunal administratif de et à Luxembourg. Ce recours doit être intenté par ministère d’avocat dans les trois mois de la notification de la présente, au moyen d’une requête à déposer au secrétariat du Tribunal administratif ».
Par requête inscrite sous le numéro 34421 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 avril 2014, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision de refus précitée. Par la même requête, sa mère, Madame …, travaillant au Luxembourg et prétendant entretenir Monsieur …, a déclaré intervenir volontairement dans l’instance introduite par celui-ci.
Quant à la recevabilité :
Etant donné que la loi modifiée du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures ne prévoit pas la possibilité d’introduire un recours de pleine juridiction, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre de la décision de refus déférée.
Il convient toutefois de vérifier la recevabilité de l’intervention volontaire introduite par Madame …, en sa qualité de mère travaillant au Grand-Duché de Luxembourg de l’étudiant.
A cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une intervention est recevable dès lors que l’intervenant justifie d’un intérêt direct ou indirect, matériel ou moral, la jurisprudence des juridictions civiles admettant même que le risque que le jugement à intervenir ne crée un simple préjugé favorable comme constitutif d’un intérêt suffisant pour intervenir1, l’intérêt à intervenir étant d’ailleurs apprécié de manière plus libérale que l’intérêt à agir, de sorte que sont recevables à intervenir tous ceux qui n’ont pas un intérêt direct à la solution du litige, 1 Voir Lux. 21 juin 1972, Pas. 22, p. 229.
mais à l’égard desquels le principe de cette solution peut avoir des incidences2.
A ce titre, Madame … expose avoir un intérêt à intervenir aux côtés de son fils étant donné que si le tribunal administratif venait à ne pas accueillir la demande en annulation de son fils, celui-ci n’aurait droit à aucune aide financière et le coût de ses études serait à charge de sa mère.
Elle doit donc être considérée comme justifiant d’un intérêt suffisant pour intervenir volontairement dans le présent litige et présenter ses moyens en appui de la décision entreprise. Une requête en intervention volontaire, lorsqu’elle intervient en appui à une requête, peut en effet seulement étayer les moyens développés dans la requête principale ;
ainsi, par une intervention, un intervenant ne peut ni étendre la portée de la requête, ni exposer des moyens nouveaux3 : en d’autres termes, l’intervenant ne peut que s’associer à l’action principale.
Sous cette réserve, le recours en annulation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond :
Le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.
Dans ce cadre, il appartient d’abord au tribunal de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.
En ce qui concerne la légalité extrinsèque de la décision déférée, Monsieur … fait en premier lieu état d’un défaut de motivation de la décision ministérielle déférée, lequel constituerait une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, le demandeur estimant en effet que le ministre, en se contentant d’énoncer les termes de la loi tout en précisant que les conditions visées ne sont pas remplies, sans donner davantage de précisions, n’aurait pas valablement motivé sa décision de refus, le demandeur estimant plus particulièrement que comme la loi prévoirait la réunion de plusieurs conditions nécessaires à l’attribution d’une aide financière pour les étudiants, il n’appartiendrait pas à l’étudiant concerné de déduire ou de deviner quelle était la motivation exacte de la décision rendue par l’Etat.
Il en déduit qu’il s’agirait d’une formulation générale et abstraite figurant dans la loi, ce qui équivaudrait à une absence de motivation empêchant le contrôle de la légalité de l’acte ; par ailleurs, il s’oppose à ce que le tribunal tienne compte des motifs complémentaires donnés tardivement par le ministère de l’Enseignement et de la Recherche en cours de procédure contentieuse.
2 Trib. adm. 22 juillet 2009, n° 24495, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n° 393 ; voir aussi trib. adm.
11 janvier 2012, n° 27576, 27679, 27689 et 28442 du rôle.
3 M. Leroy, Contentieux administratif, 3e édition, p.566.
Il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé. Il convient cependant de souligner que l’article 6 précité n’impose pas une motivation exhaustive et précise, seule une motivation « sommaire » étant expressément exigée.
Or en l’espèce, force est de constater que le ministre, dans la décision déférée, citée in extenso ci-dessus, a tant énoncé la base légale du refus, en l’occurrence, l’article 2bis de la loi du 22 juin 2000 telle qu’elle a été modifiée, que les circonstances de fait justifiant en l’espèce le refus, à savoir le fait que l’étudiant ne remplissait pas « ces » conditions ouvrant le droit à une aide financière, tout en précisant laquelle des conditions y citées n’aurait particulièrement pas été respectées, puisque la décision comportait un sous-lignage du texte « pendant une durée ininterrompue d’au moins cinq ans au moment de la demande ».
Il convient toutefois de rappeler que l’obligation de motivation formelle inscrite à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne constitue pas une fin en soi, mais consacre des garanties visant à ménager à l’administré concerné la possibilité d’apprécier la réalité et la pertinence de la motivation à la base d’une décision administrative, de sorte que dans l’hypothèse où il est établi que cette finalité est atteinte, la question du respect de cette obligation par la décision devient sans objet4.
Or, en l’espèce, force est de constater que non seulement le demandeur a pu exhaustivement prendre position par rapport au motif ayant présidé au refus lui opposé, mais encore que ledit motif, justifiant aux yeux de la partie étatique ladite demande, lui a encore été explicitement précisé et complété au cours de la procédure contentieuse à savoir le fait que Madame …, mère de l’étudiant, n’aurait pas travaillé au Luxembourg de façon ininterrompue sur la période visée des cinq ans précédant sa demande d’aide financière et n’était par ailleurs pas affiliée pendant cette période d’interruption, à savoir entre le 31.03.2008 et le 15.04.2009, tandis qu’il n’aurait pas non plus été avéré que durant toute sa période d’occupation l’emploi au Luxembourg était égal à la moitié de la durée normale de travail.
Enfin et à titre superfétatoire, il y a lieu de relever, en ce qui concerne les conclusions de la partie demanderesse tendant à l’annulation pure et simple de la décision a quo du fait du défaut allégué de motivation, que la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours et que celle-ci reste a priori valable, l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois au cours de la phase contentieuse. Le but principal de l’obligation de l’administration de motiver ses décisions, à savoir de permettre à l’administré de connaître cette motivation sans devoir engager des frais pour l’obtenir, par exemple moyennant recours contentieux peut également être obtenu par d’autres moyens plus adéquats. Dans ce contexte, il convient de rappeler encore que tant le silence de l’administration suite à une requête légitime que l’absence de motivation d’une décision peuvent constituer l’administration en faute si elle n’a pas agi en tant qu’administration normalement prudente, diligente et avisée, 4 Voir en ce sens. trib. adm. 11 janvier 2010, n° 25445, Pas. adm. 2012, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 54.
un tel comportement doit cependant trouver sa sanction dans les règles de la responsabilité civile et non pas conduire à l’annulation automatique de l’acte si la décision administrative est, par ailleurs, basée sur des motifs légaux quoique non formellement énoncés dans l’acte.
Pour le surplus, pour l’hypothèse spécifique d’une absence de motivation d’une décision par l’administration avant la phase contentieuse, une sanction plus adéquate se dégage d’une législation postérieure à la législation sur la procédure administrative non contentieuse, à savoir la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, prise en ses articles 32 et 33 permettant aux juridictions administratives de condamner par décision motivée une partie ayant gagné son procès à une fraction ou la totalité des dépens ou de mettre à charge de cette partie la totalité ou une partie des sommes exposées par l’autre partie et non comprises dans les dépens, dont plus particulièrement les frais d’avocat, pour l’hypothèse où il paraît inéquitable de laisser ces frais à charge de cette autre partie. Dès lors, lorsque le défaut de motivation allégué oblige l’administré à introduire d’abord un recours contentieux pour provoquer la motivation à la base d’une décision le concernant, respectivement une motivation pertinente complémentaire, cela justifie par principe respectivement l’allocation d’une indemnité de procédure et la condamnation de l’administration fautive à une partie ou la totalité des dépens5.
Par conséquent, le tribunal, conformément aux enseignements de la juridiction suprême, doit en tout état de cause rejeter le moyen basé sur l’absence formelle de motivation, à supposer l’existence d’un tel défaut avérée, et tendant à l’annulation de la décision déférée, sans préjudice toutefois du contrôle subséquent du bien-fondé de la motivation avancée.
A cet égard, et quant à l’illégalité interne alléguée de la décision, Monsieur …, sous l’intitulé « Conformité aux dispositions de la loi du 19 juillet 2013 », critique en fait l’article 2bis de la loi modifiée du 22 juin 2000, en estimant que cette disposition, prévoyant une durée de travail minimale de 5 ans sur le territoire luxembourgeois pour qu’un travailleur frontalier puisse prétendre à une bourse d’étude, serait manifestement disproportionnée et inadaptée à une telle situation.
Il estime en effet que la loi ne saurait soumettre ce lien de rattachement à une durée minimale de cinq années et que l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 20 juin 2013, n° C-20/12, ne saurait servir de justification pour cette exigence, alors que la Cour de Justice de l’Union européenne n’aurait cité l’exemple d’une durée ininterrompue de 5 ans que pour viser l’hypothèse d’un titre de séjour permanent qui nécessite la réunion de conditions restrictives afin de permettre à une personne étrangère de séjourner définitivement au Grand-
Duché. Or, une simple demande d’aides financières pour les études supérieures émanant de travailleurs frontaliers n’aurait rien à voir avec une demande d’autorisation de séjour permanent, qui serait « beaucoup plus grave » et l’exemple cité par la Cour de Justice de l’Union européenne n’aurait servi qu’à illuster la nécessité que le citoyen ressortissant de l’Union Européenne présente des liens suffisants de rattachement avec la société luxembourgeoise, puisque pour le juge communautaire, ce ne serait pas la qualité de travailleur frontalier, ni même la période d’occupation qui seraient déterminantes, mais le fait que le citoyen ressortissant de l’Union Européenne présente des liens suffisants de rattachement avec la société luxembourgeoise.
5 Cour adm. 20 octobre 2009, n° 25738C, Pas. adm. 2012, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 76.
Aussi, Monsieur … estime qu’en posant des conditions aussi restrictives sans les assortir d’exceptions ou de limitations, le législateur luxembourgeois aurait une fois de plus porté atteinte au principe de libre-circulation des personnes, et surtout au principe d’égalité de traitement entre les citoyens de l’Union Européenne, basé notamment sur l’interdiction des discriminations fondées sur la nationalité, puisqu’il serait évident qu’une grande partie des étudiants frontaliers se trouverait exclue de la loi qui demeurerait toujours extrêmement restrictive, en dépit de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne précité, de sorte que ces conditions excessivement restrictives seraient contraires aux dispositions de la directive 2004/38/CE sur les droits des citoyens de l’Union européenne de séjourner et circuler librement sur le territoire d’un Etat membre.
Factuellement, le demandeur donne ensuite à considérer qu’il serait constant en cause qu’un employé privé, qui comme en l’espèce, exerce une activité professionnelle au Grand-
Duché de Luxembourg depuis 1987, malgré de courtes périodes d’interruption, rapporterait la preuve indéniable d’un lien de rattachement suffisant au pays lui permettant de solliciter les aides financières prévues par l’Etat pour son enfant étudiant, et ce d’autant plus qu’en l’espèce sa mère résiderait depuis octobre 2012 au Grand-Duché de Luxembourg, de sorte que les liens de rattachement avec le Grand-Duché seraient rapportés à suffisance, le demandeur mettant encore en exergue le fait que le législateur luxembourgeois aurait d’ailleurs assurément pris en compte cet état de fait, puisque la nouvelle loi régissant l’attribution des aides financières aurait abrogé la condition d’ininterruption inscrite dans la disposition critiquée.
La partie étatique, de son côté, estime que « l’argument principal du requérant de la contrariété de la législation luxembourgeoise applicable en l’espèce par rapport au Règlement CE n° 883/2004 » devrait être déclaré irrecevable sinon non fondé, alors que l’aide financière pour études supérieures au sens de la loi modifiée du 22 juin 2000 ne constituerait pas une « prestation familiale» au sens du règlement CE n° 883/2004, pour en déduire qu’il serait erroné de soutenir que la durée de travail d’au moins 5 ans prévue par l’article 2bis, b) de la loi du 19 juillet 2013 serait excessive et ne serait plus à justifier.
Elle conteste ensuite que le règlement CE n° 1612/68 trouverait à s’appliquer, et que la loi du 19 juillet 2013 sur les aides financières soit contraire au même règlement CE n° 1612/68, l’Etat considérant que la seule qualité de « travailleur communautaire » ne suffirait pas à elle seule à ouvrir tout droit de la loi du 19 juillet 2013 au bénéfice des ayants-droits des travailleurs, alors que l’arrêt du 20 juin 2013, n° C-20/12, permettrait au législateur national de recourir à un critère de « travailleur communautaire» qui a travaillé dans l’Etat membre depuis une « durée significative ».
Or, en l’espèce, l’Etat donne à considérer que la mère de Monsieur … ne travaillait pas de façon ininterrompue sur la période visée des cinq ans précédant la demande d’aide financière de son fils et n’était par ailleurs pas affiliée pendant cette période d’interruption, à savoir entre le 31 mars 2008 et le 15 avril 2009 ; par ailleurs, il n’aurait pas non plus été établi que durant toute sa période d’occupation son emploi au Luxembourg était égal à la moitié de la durée normale de travail, de sorte que la décision ministérielle attaquée serait motivée en fait et en droit.
Le tribunal constate de prime abord l’instruction manifestement lacunaire réalisée par l’Etat de ce dossier soulevant pourtant des questions de principe.
Ainsi, outre le fait que la partie étatique n’a pas communiqué le dossier administratif au tribunal administratif, et ce nonobstant le prescrit de l’article 8 (5) de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, qui impose à l’autorité qui a posé l’acte visé par le recours de déposer le dossier au greffe sans autre demande, dans le délai de trois mois à partir de la communication du recours, bien que la requête introductive ait été valablement notifiée par la voie du greffe au délégué du gouvernement en date du 2 mai 2014, le tribunal relève, d’une part, que l’Etat répond à des moyens qui n’ont pas été soulevés par le demandeur et ne figurent pas dans la requête introductive d’instance, tel que la contrariété de la législation luxembourgeoise applicable en l’espèce par rapport au règlement CE n° 883/2004, et, d’autre part, que l’Etat conteste sans autre motivation, l’applicabilité en l’espèce du règlement CE n° 1612/68 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, alors que l’applicabilité de ce règlement, et en particulier de l’article 7, paragraphe 2, aux étudiants, enfants de travailleurs nationaux, a été explicitement notamment reconnue par le tribunal administratif dans son jugement du 11 janvier 2012, n° 27576, 27679, 27689 et 28442 du rôle, ainsi que par l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 20 juin 2013, n° C-20/12, en ses points 38 et 39.
Il convient ensuite de rappeler que la disposition pertinente, à savoir l’article 2bis de la loi du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, tel qu’ajouté par la loi du 19 juillet 2013, citée par le ministre dans ses décisions, se lit comme suit :
« Un étudiant ne résidant pas au Grand-Duché de Luxembourg peut également bénéficier de l’aide financière pour études supérieures, à condition qu’il soit enfant d’un travailleur salarié ou non salarié ressortissant luxembourgeois ou ressortissant de l’Union européenne ou d’un autre Etat partie à l’Accord sur l’espace économique européen ou de la Confédération suisse employé ou exerçant son activité au Luxembourg, et que ce travailleur ait été employé ou ait exercé son activité au Luxembourg pendant une durée ininterrompue d’au moins cinq ans au moment de la demande de l’aide financière pour études supérieures par l’étudiant. L’emploi au Luxembourg doit être au moins égal à la moitié de la durée normale de travail applicable dans l’entreprise en vertu de la loi ou de la convention collective de travail, le cas échéant, en vigueur. Le travailleur non salarié doit être affilié obligatoirement et d’une manière continue au Grand-Duché de Luxembourg en vertu de l’article 1er, point 4) du Code de la sécurité sociale au cours des cinq ans précédant la demande de l’aide financière pour études supérieures. ».
Il en résulte que le droit à l’obtention d’aides financières pour études supérieures est accessible sous l’égide de la loi du 19 juillet 2013 aux étudiants ne résidant pas au Grand-
Duché de Luxembourg, à condition qu’ils soient l’enfant d’un travailleur salarié ou non salarié ressortissant luxembourgeois ou ressortissant de l’Union européenne ou d’un autre Etat partie à l’Accord sur l’espace économique européen ou de la Confédération suisse, employé ou exerçant son activité au Luxembourg depuis une durée ininterrompue d’au moins cinq ans au moment de la demande, et que l’emploi exercé au Luxembourg par leur parent ait été au moins égal à la moitié de la durée normale de travail applicable, ces deux conditions devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.
Il résulte encore de la décision déférée et des développements complémentaires de la partie étatique en cours d’instance que l’aide financière pour études supérieures a été refusée à Monsieur … au motif, d’une part, que sa mère ne travaillait pas de façon ininterrompue sur la période visée des cinq ans précédant sa demande d’aide financière et, d’autre part, qu’il n’était pas non plus établi que durant toute sa période d’occupation son emploi au Luxembourg était égal à la moitié de la durée normale de travail.
Le tribunal constate à cet égard que si le demandeur a pris position par rapport au premier des motifs de refus, à savoir l’exigence d’un travail d’une durée non interrompue de cinq ans au moement de l’introduction de la demande, il n’a en revanche pas pris position par rapport au second motif de refus, à savoir le non-respect par le demandeur de la seconde condition légale présidant à l’obtention d’une aide financière, à savoir l’exigence que l’emploi au Luxembourg doit être au moins égal à la moitié de la durée normale de travail applicable, cette condition de durée significative s’inscrivant dans le souci du législateur d’écarter les relations de travail irrégulières ou insignificatives, puisque « dans l’arrêt du 26 février 1992, Raulin, C-357/89, point 14, la Cour considère que le juge national peut „tenir compte du caractère irrégulier et de la durée limitée des prestations effectivement accomplies dans le cadre d’un contrat de travail occasionnel. Le fait que l’intéressé n’ait effectué qu’un nombre très réduit d’heures dans le cadre d’une relation de travail peut être un élément indiquant que les activités exercées ne sont que marginales et accessoires 6».
Le tribunal relève que si ce second motif, tiré de la seconde condition légale, n’avait pas été explicitement identifié dans la décision déférée en tant que motif de refus, la partie étatique a toutefois précisé, respectivement complété en ce point sa motiviation dans le cadre de son mémoire en réponse, de sorte que le demandeur disposait de la possibilité de prendre position dans son mémoire en réplique.
Par ailleurs, le demandeur, s’il a versé aux débats un certificat d’affiliation de sa mère au Centre Commun de la Sécurité Sociale, reste en défaut de préciser la durée par semaine des différents emplois occupés par sa mère, de sorte que le tribunal ne saurait vérifier de son propre chef le respect dans le chef de Madame … de cette seconde condition légale.
Enfin, il n’appert pas non plus que le demandeur ait, à l’occasion de sa demande en obtention d’une aide financière pour études supérieures pour l’année académique 2013/2014, communiqué ces informations au ministre. Or, il convient de rappeler que le recours déposé tend à la seule annulation de la décision déférée: s’il est de principe que la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, le juge, lorsqu’il contrôle les décisions de l’administration, doit se placer au même moment et il ne peut tenir compte des circonstances de droit ou de fait postérieures à l’acte attaqué, puisque dans le contentieux de l’annulation, il ne peut pas substituer son appréciation à celle de l’autorité administrative7. La légalité d’un acte administratif se trouve donc en principe cristallisée au moment où cet acte est pris et le juge se place exactement dans les mêmes conditions où se trouvait l’administration8 : c’est la logique du procès fait à un acte.
Aussi, la vérification de la matérialité des faits s’effectue, en principe, d’après les pièces et éléments du dossier administratif9 - ce dernier comprenant non seulement les documents administratifs, mais encore les renseignements fournis par l’administré, ses 6 Projet de loi n° 6585 modifiant la loi modifiée du 22 juin 2000concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, Chambre des Députés, Session ordinaire 2012-2013, Commentaire des articles, article 1er, page 4.
7 Conseil du Contentieux des étrangers belge, 28 mai 2010, n° 44.164.
8 Jean-Marie Auby et Roland Drago, Traité des recours en matière administrative, Litec, 1992, n° 205.
9 Fernand Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, 1996, n° 276.
explications, tantôt appuyées de preuves diverses, tantôt non contestées par l’administration10 -, respectivement en fonction des éléments dont l’autorité a connaissance ou aurait dû avoir connaissance au moment où elle statue : en revanche il ne saurait être reproché à l’autorité administrative de ne pas avoir tenu compte d’éléments qui ne lui ont pas été présentés en temps utile11.
Ainsi, le non-respect par la mère du demandeur de l’une des deux conditions cumulatives, justifie le rejet de la demande en obtention d’une aide financière pour études supérieures, de sorte qu’il n’y a pas besoin de se pencher sur l’autre motif de refus, à savoir l’exigence d’un travail d’une durée non interrompue de cinq ans au moment de l’introduction de la demande, et des moyens et critiques afférentes du demandeur, cet examen se révélant superflu.
Partant, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 mai 2015 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
Schmit Sünnen .
10 Alex Bonn, L’examen du fait par le Conseil d’Etat, étude de jurisprudence luxembourgeoise, Le Conseil d’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, livre jubilaire, p.552.
11 Voir trib. adm. 11 juin 2012, n° 29126, www.ja.etat.lu.