Tribunal administratif N° 34135 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mars 2014 1re chambre Audience publique du 18 mai 2015 Recours introduit par la société à responsabilité limitée … S.à r.l., … contre deux décisions du Fonds d’Urbanisation et d’Aménagement du Plateau de Kirchberg, Luxembourg, en présence de la société à responsabilité limitée … S.à r.l., …, en matière de marchés publics
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JUGEMENT
Vu le recours introduit le 3 mars 2014 sous le numéro du rôle 34135 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée … S.à r.l., établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés à Luxembourg sous le n°…, tendant à l’annulation de deux décisions prises en date du 6 décembre 2013 par le Fonds d’Urbanisation et d’Aménagement du Plateau de Kirchberg, établi et ayant son siège social à L-1468 Luxembourg, 4, rue Erasme, représenté par le président de son conseil d’administration actuellement en fonction, la première portant attribution du marché public pour la « mise à disposition du personnel et de matériel pour l’entretien des dépendances et plantations faisant partie du patrimoine du Fonds d’urbanisation et d’aménagement du Plateau de Kirchberg » à la société à responsabilité limitée … S.à r.l. et la seconde portant corrélativement rejet de l’offre présentée par elle dans le cadre dudit appel d’offres pour ne pas avoir été l’offre économiquement la plus avantageuse ;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Carlos CALVO, huissier de justice, immatriculé près le tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg, du 7 mars 2014, portant signification de la requête afférente au Fonds d’Urbanisation et d’Aménagement du Plateau de Kirchberg, ainsi qu’à la société à responsabilité limitée … S.à r.l.;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée au greffe du tribunal administratif le 13 mars 2014, au nom et pour compte du Fonds d’Urbanisation et d’Aménagement du Plateau de Kirchberg ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Rachel JAZBINSEK, avocat à la Cour inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée au greffe du tribunal administratif le 27 mars 2014, au nom et pour compte de la société à responsabilité limitée … S.à r.l. ;
Vu le mémoire en réponse de Maître Patrick KINSCH déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2014 pour compte du Fonds d’Urbanisation et d’Aménagement du Plateau de Kirchberg ;
Vu le mémoire en réponse de Maître Rachel JAZBINSEK déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2014 pour compte de la société à responsabilité limitée … S.à r.l. ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 10 juillet 2014 par Maître Marc THEWES au greffe du tribunal administratif pour le compte de la partie demanderesse ;
Vu le mémoire en duplique de Maître Rachel JAZBINSEK déposé au greffe du tribunal administratif le 10 octobre 2014 pour compte de la société … S.à r.l. ;
Vu les pièces versées et notamment les décisions attaquées ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Thibault CHEVRIER, en remplacement de Maître Marc THEWES, Maître Patrick KINSCH et Maître Virginie VERDANET, en remplacement de Maître Rachel JAZBINSEK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 avril 2015.
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Par avis du 25 juillet 2013, le Fonds d’Urbanisation et d’Aménagement du Plateau de Kirchberg, ci-après « le Fonds », lança une soumission publique concernant « la mise à disposition de personnel et de matériel pour l’entretien des dépendances et plantations faisant partie du patrimoine du Fonds Kirchberg ».
La société à responsabilité limitée … S.à r.l., ci-après « la société … », présenta, au même titre que deux autres sociétés, une offre.
Après examen et vérification des dossiers de soumission, la société … fut informée par courrier du 6 décembre 2013 que son offre n'était pas retenue du fait qu'elle n'était pas économiquement la plus avantageuse et que le Fonds procéderait prochainement à la conclusion d’un contrat avec l’adjudicataire retenu.
Par courrier du 13 décembre 2013, la société … adressa une réclamation écrite au Fonds en mettant notamment en doute qu’il soit possible « de réaliser ces travaux aux prix offerts -
sans faire du dumping -
sans travailler en dessous du prix de revient -
ou sans être subventionné par l’Etat (concurrence déloyale) » et en rappelant par ailleurs que « la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics exclue les entreprises ayant recours à une de ces pratiques ».
Par courrier du 8 janvier 2014, le Fonds prit position par rapport au courrier précité de la société … en l’informant notamment de ce que conformément aux articles 79 à 87 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, la société … S.à r.l., ci-après « la société … », avait remis une analyse des prix de son offre ainsi que les attestations de non-obligation manquantes, documents qui auraient été examinés et validés par l’administration des Ponts et Chaussées. Le Fonds précisa encore que les prix inférieurs pratiqués par le soumissionnaire en cause résulteraient du recours à des personnes embauchées sous contrat d’initiation à l’emploi, ci-après désigné par « CIE », conformément à la loi du 22 décembre 2008 promouvant le maintien dans l’emploi, tout en insistant sur le fait que le recours à de telles mesures serait ouvert à toute entreprise.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2014, la société … a fait déposer un recours tendant à l’annulation tant de la décision d’adjudication précitée du 6 décembre 2013, que de la décision du même jour portant rejet de son offre.
La loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, ci-après « la loi du 25 juin 2009 », ne prévoit pas la possibilité d’exercer un recours en réformation contre une décision de rejet d’une offre ou contre une décision d’adjudication, de sorte que seul un recours en annulation est possible contre les décisions querellées.
Le recours en annulation tel que dirigé contre les décisions déférées est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, la société demanderesse fait tout d’abord valoir, en se fondant sur les dispositions de l’article 76 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, ci-après « le règlement grand-
ducal du 3 août 2009 », que la décision d’attribuer le marché litigieux à un « opérateur économique », en l’occurrence la société …, proposant un salaire dérisoire serait manifestement illégale et devrait dès lors être annulée de ce chef. Elle est en effet d’avis que par le fait même de proposer de recourir à des salariés engagés sous « contrat d’initiation » et rémunérés à un taux inférieur au salaire social minimum légal, l’offre de la société … devrait être considérée comme dérisoire et aurait dû être rejetée d’office.
Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse insiste à cet égard encore plus particulièrement sur le fait qu’elle ne remettrait pas en cause la légalité du recours au CIE et que la problématique se situerait en l’espèce uniquement au niveau du montant qui aurait été proposé par la société … et qui se situerait en dessous du salaire social minimum, de sorte à correspondre aux yeux de la société demanderesse à un salaire dérisoire.
A cela s’ajouterait que le fait de recourir à du personnel sous CIE romprait l’égalité entre les entreprises qui ne pourraient pas toutes se permettre de recourir, en sus de leurs salariés payés normalement, à l’emploi d’autres personnes sous CIE, sauf à devoir préalablement licencier leurs salariés. Les prix horaires proposés par la société … pour les postes de manœuvres devraient en tout état de cause être assimilés à des pratiques de dumping et nécessairement justifier l’annulation de la décision d’adjudication.
A titre superfétatoire, la société demanderesse fait encore valoir que si elle avait certes également la possibilité juridique de recourir à l’embauche de nouveaux salariés par le biais de CIE, il n’en demeurerait pas moins qu’elle n’en aurait pas la possibilité matérielle, sauf à licencier des salariés actuellement occupés chez elle. Ce serait en tout état de cause la combinaison de cette impossibilité matérielle avec le fait que cette pratique aboutirait à proposer des prix dérisoires qui caractériserait nécessairement la rupture d’illégalité ayant abouti à attribuer le marché litigieux à la société ….
En deuxième lieu, la société demanderesse donne à considérer que l’admission de la participation de la société … à une procédure de soumission publique créerait nécessairement une distorsion inadmissible de la concurrence et ce à différents points de vue.
Ainsi, ce ne serait qu’en raison de la conclusion de CIE que des prix inférieurs auraient été proposés. Or, de tels contrats ne sauraient, de l’avis de la société demanderesse, être conclus avant l’attribution d’un marché au soumissionnaire alors qu’aucun opérateur économique n’embaucherait une personne pour un contrat d’une durée de 12 mois, telle que prévue à l’article 543-19 du Code du travail, pour la simple éventualité où il se verrait attribuer un marché par un pouvoir adjudicateur.
C’est pour cette raison que la société demanderesse estime qu’il serait envisageable que la société … ait en réalité utilisé indirectement les moyens et services de l’agence pour le Développement de l’emploi, ci-après désignée par « ADEM », pour pouvoir présenter une offre. Or, dans une telle hypothèse, il y aurait lieu de constater que la société … aurait non seulement l’appui de l’Etat pour candidater au marché mais qu’elle aurait également le bénéfice d’une aide étatique pendant l’exécution du marché du fait que les salaires sont remboursés à hauteur de 50 à 75% de l’indemnité versée aux salariés engagés sous CIE. Il y aurait dès lors nécessairement une très nette distorsion de la concurrence en faveur de la société ….
En s’appuyant finalement sur l’acte constitutif de la société …, la société demanderesse fait encore valoir que ladite société ne saurait en réalité être qualifiée d’opérateur économique alors qu’il semblerait qu’elle ait pris appui, pour postuler, sur une autre entité, en l’occurrence, l’association sans but lucratif … a.s.b.l., ci-après « l’a.s.b.l. … », qui aurait détenu 90% des parts sociales de la société …. La société demanderesse affirme plus particulièrement que ce serait en définitive toujours l’a.s.b.l. … qui aurait candidaté aux procédures de marchés publics, mais sous le couvert d’une société commerciale. Or, la participation d’une association sans but lucratif à une procédure de marché public aurait été jugée comme ne permettant pas de respecter le traitement égalitaire des candidats. Il s’ensuivrait qu’en admettant la candidature d’une association sans but lucratif, en l’occurrence l’a.s.b.l. …, actuellement dissoute, au travers d’une société commerciale ad hoc qui ne serait en définitive qu’un « écran de fumée », l’égalité entre les candidats serait nécessairement rompue, de sorte que les décisions déférées seraient à annuler. Elle fait à cet égard encore remarquer, « à titre surabondant », que si effectivement la société … devait avoir candidaté en se prévalant des moyens constitués par le pool de profils de chômeurs dont disposerait l’a.s.b.l. …, alors le FONDS aurait dû constater au moment de l’attribution du marché litigieux que le sous-traitant ou partenaire du soumissionnaire était en dissolution de sorte que l’offre de la société … aurait également dû être rejetée de ce chef.
En troisième lieu, la société demanderesse invoque encore le non-respect de certaines prescriptions du cahier des charges. En effet, le recours à des salariés engagés sous CIE ne permettrait pas de remplir les conditions prévues aux articles 6.2.4., 6.2.5.1, 6.2.5.2 et 6.2.6 du cahier des charges alors que conformément à l’article 543-19 (3) du Code du travail, de tels contrats seraient conclus avec des personnes actuellement sans emploi et pour une durée d’un an éventuellement renouvelable pour un an supplémentaire. Ainsi, à défaut de respecter les conditions stipulées dans le cahier des charges et dans la mesure où le Fonds aurait uniquement pris position quant à l’existence d’un diplôme mais non pas quant à l’expérience de la personne présentée par la société …, l’offre de cette dernière aurait dû être rejetée.
Les parties défenderesse et tierce-intéressée concluent au rejet du recours sous analyse pour ne pas être fondé.
En l’espèce, il est constant en cause que l’offre de la société demanderesse a été écartée pour ne pas avoir été économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur ayant en effet retenu l’offre de la société ….
Il ressort à cet égard plus particulièrement des explications non contestées du Fonds que la raison pour laquelle le prix offert par la société … était plus avantageux que celui offert par la société demanderesse ne tient pas aux prix unitaires mis en compte pour les services des élagueurs ou du paysagiste-pépiniériste, alors que ces deux prix unitaires-là auraient été plus élevés chez le soumissionnaire retenu, mais au fait que le prix mis en compte pour les manœuvres aurait été nettement moins élevé chez la société … en raison du recours à l’emploi de manœuvres sous CIE.
Force est de relever que la question centrale du présent litige, telle que soumise au tribunal par la société demanderesse, est axée autour de la légalité de la participation de la société … à la soumission publique litigieuse, la société demanderesse reprochant en effet non seulement à ladite société d’avoir pu remporter le marché litigieux en remettant une offre à prix dérisoire et ce grâce au recours à des personnes engagées sous CIE, mais contestant également la qualité-même d’opérateur économique dans le chef de ladite société.
Le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.
Il y a encore lieu de rappeler que le tribunal n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l’intérêt de l’administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent.
La société demanderesse sollicite ainsi l’annulation des décisions déférées au motif que l’admission d’une société - en l’occurrence la société … - qui, d’une part, ne saurait être qualifiée d’opérateur économique au sens de la loi, et qui, d’autre part, pourrait uniquement proposer des prix inférieurs en raison de la passation de CIE, créerait nécessairement une distorsion de la concurrence qui ne saurait être admise.
En effet, la société demanderesse estime que le recours à des CIE ne serait pas envisageable dans le chef d’un opérateur économique lambda, à moins de devoir procéder à des licenciements, et que, par conséquent, une des explications possibles au recours par la société … à des CIE pourrait être recherchée dans l’utilisation indirecte des moyens et services d’une autre entité, en l’occurrence de ceux de l’a.s.b.l. …, voire même de ceux de l’ADEM.
La distorsion de concurrence invoquée en l’espèce résulterait plus particulièrement du fait qu’en admettant la participation de la société … à une procédure de soumission publique, le pouvoir adjudicateur aurait en réalité admis la candidature indirecte d’une association sans but lucratif, en l’occurrence celle de l’a.s.b.l. …, ce qui serait contraire aux dispositions légales et à la jurisprudence applicables en la matière.
Aux termes de l’article 3.8. de la loi du 25 juin 2009, le terme d’« opérateur économique » couvre à la fois les notions d’entrepreneur, de fournisseur et de prestataire de services, les termes « entrepreneur », « fournisseur » et « prestataire de services » désignant toute personne physique ou morale ou entité publique ou groupement de ces personnes ou organismes qui offre, respectivement, la réalisation de travaux ou d’ouvrages, des produits ou des services sur le marché.
Tel que le relève la partie demanderesse, la Cour administrative a eu l’occasion de préciser que les trois notions d’« entrepreneur », de « fournisseur » et de « prestataire de services » au sens de la loi sur les marchés publics impliqueraient nécessairement un exercice d’activités à titre de profession habituelle, avec toutes les garanties y attachées, notamment par l’effet de l’ensemble des exigences requises de la part des professionnels1.
Le tribunal est tout d’abord amené à constater qu’en l’espèce, l’offre litigieuse a été soumise par la société … qui a été constituée sous forme d’une société commerciale dotée de la personnalité juridique, en l’occurrence une société à responsabilité limitée, et dont l’objet social est le suivant : « le développement d'activités et d'opérations commerciales. Les activités sont limitées aux autorisations régies par la réglementation dans les métiers secondaires liées aux domaines de la construction et de la menuiserie (règlement Grand Ducal du 4 février 2005), aux activités non réglementées et liées directement ou indirectement avec son but sociétal tout en collaborant si nécessaire avec les personnes de droit privé et de droit public poursuivant un but analogue au sien, ainsi que toutes opérations industrielles, commerciales ou financières, mobilières ou immobilières, se rattachant directement ou indirectement à son objet social ou qui sont de nature à en faciliter l'extension ou le développement ».
Il ressort encore plus particulièrement des autorisations d’établissement versées par la société … que, conformément à son objet social, ladite société est autorisée à exercer au Grand-Duché de Luxembourg en qualité d’« artisan-commerçante » l’activité d’« entrepreneur paysagiste », de même qu’elle est autorisée à y exercer en qualité de « commerçante » les activités de « horticulteur-fleuriste » et de « pépiniériste-paysagiste », de sorte qu’au vue de ces autorisations, il doit être admis que la société exerce lesdites activités commerciales à titre de profession habituelle au Luxembourg.
Par ailleurs, en tant que société commerciale, la société … est nécessairement soumise aux mêmes obligations comptables, sociales et fiscales que toute autre société commerciale constituée sous forme de société à responsabilité limitée, obligations dont elle semble jusqu’à présent s’être acquittée en bonne et due forme suivant les pièces versées en cause.
Au vu de ce qui précède, il doit dès lors être admis que la société …, qui exerce des activités commerciales à titre de profession habituelle, avec toutes les garanties y attachées, est à qualifier d’opérateur économique au sens de la loi du 25 juin 2009 et de la jurisprudence des juridictions administratives citée par la société demanderesse.
Ce constat n’est en tout état de cause pas ébranlé par la seule circonstance que le capital social de la société … soit détenu par une ou plusieurs associations sans but lucratif puisque le cocontractant du pouvoir adjudicateur dans le cadre du marché public litigieux 1 Cour adm. 2 décembre 2008, n° 24419C et 244425C du rôle.
n’est autre que la société commerciale soumissionnaire, l’origine du capital de la société commerciale en cause étant à cet égard indifférent.
A cela s’ajoute que les développements de la société demanderesse quant à une prétendue utilisation par la société … des moyens et services d’une autre entité pour candidater à la soumission publique litigieuse, et plus particulièrement de ceux de l’ADEM, sont purement spéculatifs et ne sont fondés sur aucun moyen de preuve tangible. En ce qui concerne ensuite l’affirmation suivant laquelle ce serait en réalité l’a.s.b.l. … qui aurait toujours, et donc également dans le cadre du marché litigieux, candidaté aux procédures de marchés publics sous couvert de la société …, force est de relever que celle-ci manque de fondement et qu’elle est par ailleurs contredite par les faits de l’espèce. En effet, outre qu’il est constant en cause que c’est la société …, société commerciale, qui a soumis l’offre litigieuse, il n’est par ailleurs pas contesté que seuls les manœuvres devaient être occupés sous le régime du CIE, les autres postes du marché litigieux devant être occupés soit par du personnel propre à la société …, soit par du personnel sous-traité par une autre société commerciale, à savoir la société … S.à r.l.. Pour ce qui est plus particulièrement des manœuvres, il est également constant en cause que ces derniers devaient être liés à la société … elle-même à travers des CIE, ce qui est d’ailleurs conforme aux exigences posées à l’article 543-14(3) du Code du travail suivant lequel les CIE sont conclus entre le promoteur, en l’occurrence la société …, le jeune demandeur d’emploi, tel que défini à l’article 543-14(1) et l’ADEM, le même article n’autorisant dès lors l’intervention d’aucun intermédiaire.
En ce qui concerne ensuite le recours-même par la société … à des CIE, le tribunal est tout d’abord amené à relever que le CIE fait partie d’un dispositif de mesures créées par le législateur en faveur de l’emploi des jeunes. Ainsi, il ressort des dispositions légales régissant le CIE2 que ce contrat a pour objectif d’assurer aux jeunes, diplômés ou non, pendant les heures de travail, une formation pratique facilitant leur intégration sur le marché du travail.
Le CIE est ainsi ouvert aux jeunes de moins de trente ans, diplômés ou non, inscrits depuis au moins trois mois auprès de l’ADEM et il peut être conclu par tous les employeurs du secteur public et privé, à condition qu’ils puissent offrir au jeune demandeur d’emploi une réelle perspective d’emploi à la fin du contrat.
Dans la mesure où le CIE est concrètement destiné à offrir une réelle perspective d’emploi dans l’établissement où se déroule la mesure, l’employeur doit s’engager à proposer des emplois stables, avec engagement à long terme. C’est justement en vue d’encourager l’employeur à offrir le plus rapidement possible un emploi définitif que ce dernier se voit rembourser par le Fonds pour l’Emploi une partie de l’indemnité touchée par le jeune demandeur d’emploi ainsi que la part patronale des charges sociales.
Or, force est de constater que cette aide étatique est accessible à toute entreprise désireuse d’offrir une formation pratique ainsi qu’une perspective d’embauche réelle à un jeune demandeur d’emploi. Le recours à des jeunes demandeurs d’emploi engagés sous CIE doit donc s’analyser en un choix stratégique ouvert à tout employeur du secteur public ou privé prêt à revoir la politique de gestion de son entreprise et notamment sa politique salariale. Dans la mesure où il s’agit dès lors d’une option légale ouverte à tout employeur, le tribunal ne saurait y déceler une quelconque forme de discrimination entre employeurs, ni a fortiori une distorsion de concurrence de ce chef.
2 Articles L. 543-14 et suivants du Code du travail Le moyen basé sur une distorsion de concurrence doit dès lors être rejeté pour ne pas être fondé.
La société demanderesse invoque ensuite l’illégalité de la décision d’adjudication pour être intervenue en violation de l’article 76 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 précité, lequel stipule ce qui suit : « Le prix offert par heure de régie ne peut être supérieur au prix par heure inscrit dans l’offre proprement dite. Si un soumissionnaire présente dans son offre un prix de régie sur salaire dérisoire, son offre est écartée d’office. Est à considérer notamment comme prix dérisoire un prix se situant en dessous du salaire minimum légal ».
En effet, dans la mesure où il aurait seulement été possible à la société … de proposer des prix inférieurs parce qu’elle aurait eu recours à l’emploi de personnes sous CIE régi par les dispositions de l’article 543-20 du Code du travail, et donc à des personnes rémunérées à un taux inférieur au salaire social minimum légal, son offre serait à considérer comme dérisoire.
Force est de constater que l’article 76 du règlement grand-ducal précité du 3 août 2009 prévoit un automatisme entre l’indication d’un prix par heure de régie se situant en dessous du salaire minimum légal, à considérer d’après le texte même comme prix dérisoire, et la sanction afférente consistant en l’écartement d’office de l’offre le contenant, cet automatisme étant le fruit non seulement des impératifs d’une mise en concurrence loyale entre les participants aux soumissions publiques, mais également, sur base du rapprochement de l’article 76 avec l’article 32 du même règlement grand-ducal, des considérations et règles d’ordre public concernant la fixation du salaire minimum légal3, ledit article 32 (1) stipulant en effet que « les salaires payés ne peuvent ni être inférieurs à ceux prévus par les lois et les règlements en vigueur, ni à ceux prévus dans la convention collective de travail, s’il en existe une, dans l’industrie ou le métier en cause ».
Pour ce qui est précisément de la rémunération des jeunes salariés employés dans le cadre d’un CIE, celle-ci est réglementée par l’article 543-19 du Code du travail, tel qu’introduit par la loi du 29 mars 2013 portant modification du Chapitre III du Titre IV du Livre V du Code du travail, qui stipule ce qui suit :
« Le jeune demandeur d’emploi bénéficiaire d’un contrat d’initiation à l’emploi âgé de dix-huit ans touche une indemnité égale à cent pour cent du salaire social minimum pour salariés non qualifiés.
Le jeune demandeur d’emploi bénéficiaire d’un contrat d’initiation à l’emploi et âgé de moins de dix-huit ans touche une indemnité égale à quatre-vingts pour cent du salaire social minimum pour salariés non qualifiés.
L’indemnité est portée à cent trente pour cent pour les jeunes demandeurs d’emploi détenteurs d’un brevet de technicien supérieur respectivement d’un diplôme de bachelor ou master (…) » Or, dans la mesure où l’article 543-19 du Code du travail fixe l’indemnité minimale que doivent toucher les jeunes demandeurs d’emploi bénéficiaires d’un CIE en fonction de 3 Trib. adm. 30 mai 2005, n°18955 du rôle, disponible sous www.justice.public.lu.
leur âge et de leur niveau de qualification, la rémunération ainsi définie doit en tout état de cause s’analyser comme un salaire minimum légal au sens de l’article 76 du règlement grand-
ducal du 3 août 2009.
Le tribunal relève ensuite que le niveau des salaires ainsi prévu à travers l’article 543-
19 du Code du travail, qui est fonction de l’âge et de la qualification des jeunes demandeurs d’emploi, n’est de toute façon pas inférieur à celui du salaire social minimum légal tel qu’il est fixé par les articles 222-1 et suivants du Code du travail et que tout employeur qui engage du personnel sous contrat de travail dit « normal » doit respecter en fonction de la qualification et de l’âge du salarié. En effet, les jeunes demandeurs d’emploi sous CIE âgés de 18 ans accomplis doivent toucher 100% du salaire social minimum légal pour salariés non qualifiés, tandis que ceux âgés de moins de 18 ans touchent 80% de ce même salaire social minimum. Or, suivant l’article 222-5 du Code du travail, le niveau du salaire social minimum des salariés adolescents âgés entre 17 et moins de 18 ans est fixé à 80% du salaire social minimum des salariés adultes, tandis que celui des salariés adolescents âgés entre 15 et 17 ans est fixé à 75%. Par ailleurs, en prévoyant que les jeunes demandeurs d’emploi disposant d’un certain niveau de qualification doivent bénéficier d’une indemnité équivalent à 130% du salaire social minimum pour salariés non qualifiés, l’article 543-19 du Code du travail rejoint également l’article 222-4 du même code suivant lequel le niveau du salaire social minimum des salariés justifiant d’une qualification professionnelle doit être majoré de vingt pour cent par rapport à celui des salariés non qualifiés.
Il s’ensuit que la société … ne saurait être considérée comme ayant présenté dans son offre un prix de régie sur salaire dérisoire du seul fait d’avoir proposé de recourir pour le poste de manœuvres à des salariés sous CIE et rémunérés suivant les dispositions prévues à l’article 543-19, de sorte que le moyen afférent de la société demanderesse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Finalement, la société demanderesse sollicite l’annulation des décisions déférées au motif que le recours à des CIE ne permettrait pas de remplir les conditions du cahier des charges tenant à l’expérience professionnelle requise à travers le cahier des charges alors que de tels contrat seraient conclus avec des personnes actuellement sans emploi et pour une durée d’un an, le cas échéant renouvelable pour une année supplémentaire.
Force est à cet égard au tribunal de rappeler qu’il ressort des explications non contestées des parties défenderesse et tierce-intéressée que la société … a seulement proposé de recourir pour le poste de manœuvres à des jeunes demandeurs d’emploi engagés sous CIE.
Or, contrairement aux articles 6.2.4., 6.2.5.1. et 6.2.5.2 du cahier des charges qui imposent une expérience professionnelle minimum dans le chef respectivement de l’homme de l’art chargé de conseiller l’administration, de l’architecte paysagiste et des élagueurs ayant en même temps des expériences paysagistes, l’article 6.2.5.3. du cahier des charges n’impose aucune expérience professionnelle minimum pour ce qui est de la « mise à disposition permanente pendant toute l’année d’un ou de plusieurs manœuvres ».
Pour être tout à fait complet, le tribunal constate encore que l’article 6.2.6. du cahier des charges aux termes duquel « Selon la nature et l’époque des travaux, l’effectif de ces équipes peut être renforcé en personnel. D’où l’importance que l’entrepreneur dispose d’une main d’œuvre qualifiée4 en nombre suffisant, ayant acquis une expérience d’au moins cinq 4 Souligné par le tribunal années dans ce domaine, travaillant au minimum 1 année auprès de l’entreprise soumissionnaire, et dont on peut faire appel en cas de besoin », du fait même qu’il impose au soumissionnaire de disposer d’une main d’œuvre qualifiée en nombre suffisant, vise nécessairement les membres de l’équipe tels que désignés aux points 6.2.5.1. et 6.2.5.2 du cahier des charges, à savoir l’architecte paysagiste et plus particulièrement encore les élagueurs - l’article 6.2.5.2. imposant en effet pour ces derniers une expérience professionnelle de cinq ans ainsi que leur occupation au sein de l’entrepreneur depuis au moins un an au moment de la soumission - par opposition aux manœuvres visés à l’article 6.2.5.3. pour lesquels aucune expérience ni qualification professionnelle n’est requise. Ce constat se trouve d’ailleurs corroboré par le fait que l’article 6.2.5.3. qui a trait à la mise à disposition de manœuvres impose déjà de manière autonome à l’entrepreneur, « en cas de besoin et selon la demande exprimée par la Direction des Travaux », de « renforcer l’équipe pour une durée indéterminée, afin de les seconder dans leur tâche ».
Le moyen fondé sur le non-respect de certaines dispositions du cahier des charges est dès lors également à rejeter pour ne pas être fondé.
Il résulte des développements qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter comme n’étant pas fondé dans son intégralité.
La société demanderesse réclame par ailleurs sur base des dispositions de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.500.- euros à charge du Fonds, demande qui, au vue de l’issue du litige, est à rejeter Quant à la demande de distraction des frais au profit du mandataire concluant qui la demande, affirmant en avoir fait l’avance, outre que la société demanderesse, compte tenu de l’issue du litige, est à condamner à supporter lesdits frais, il convient de rappeler qu’il ne saurait être donné suite à la demande en distraction des frais posée par le mandataire d’une partie, pareille façon de procéder n’étant point prévue en matière de procédure contentieuse administrative.
La société … sollicite quant à elle la condamnation de la société demanderesse à une indemnité de procédure à hauteur de 1.000.- euros sur base de l’article 33 de la loi précitée du 21 juin 1999. Toutefois, les conditions d’application et notamment l’établissement du caractère d’iniquité résultant du fait de laisser les frais non répétibles à charge de la société … n’ont pas été rapportés à suffisance comme étant remplies en l’espèce, de sorte qu’il y a lieu de rejeter la demande.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure telles que formulées de part et d’autre ;
condamne la société demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 mai 2015 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Arny Schmit s. Marc Sünnen .