Tribunal administratif N° 34615 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 juin 2014 1re chambre Audience publique du 6 mai 2015 Recours formé par la société anonyme … S.a., … contre des décisions du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Mamer en matière d’impôt foncier
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 34615 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 juin 2014 par Maître Elisabeth ALEX, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.a., établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, tendant à l’annulation de trois bulletins de l’impôt foncier B émis le 8 novembre 2013 relatifs à l’année 2013, référencés respectivement sous les n° 3.043, 3.044 et 3.045 du rôle, ledit recours étant encore exercé contre la décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Mamer du 30 janvier 2014, intervenue sur recours gracieux du 16 décembre 2013 ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Véronique REYTER, en remplacement de l’huissier de justice Jean-Claude STEFFEN, demeurant à Esch-sur-Alzette, du 14 mai 2014, portant signification du prédit recours à l’administration communale de Mamer ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 juin 2014 par Maître Alain STEICHEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de Mamer ;
Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 juillet 2014 par Maître Alain STEICHEN au nom de l’administration communale de Mamer ;
Vu le mémoire en réplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 29 août 2014 par Maître Elisabeth ALEX au nom de la société demanderesse ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Elisabeth ALEX et Maître Elodie GIRAULT, en remplacement de Maître Alain STEICHEN, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 avril 2015.
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En date des 10 et 24 janvier 2013, le service des évaluations immobilières de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le service des évaluations immobilières », émit à l’égard de la société à responsabilité limitée … S.à r.l., ci-après dénommée « la société … », des bulletins de la valeur unitaire et de la base d’assiette de l’impôt foncier.
Le 8 novembre 2013, le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Mamer émit à l’adresse de la société … trois bulletins de l’impôt foncier B relatifs à l’année 2013, référencés respectivement sous les n° 3.043, 3.044, et 3.045 du rôle.
En date du 16 décembre 2013, la société … fit introduire par son mandataire une réclamation contre ces bulletins, réclamation qui fut rejetée par décision du collège échevinal datée du 30 janvier 2014, notifiée à son mandataire par courrier recommandé du 13 février 2014.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 juin 2014, la société … a fait introduire un recours tendant à l’annulation des trois bulletins de l’impôt foncier B de l’année 2013 précités, ainsi qu’à l’annulation de la décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Mamer du 30 janvier 2014, intervenue suite à la prédite réclamation du 16 décembre 2013.
Si aux termes de l’article 8 de l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944 concernant les impôts, taxes, cotisations et droits, « Les réclamations ainsi que les demandes en remise ou en modération présentées par les contribuables sont vidées par le chef de l’Administration compétente ou par son délégué sauf recours à une instance à désigner par arrêté ministériel.
Cette instance statuera en dernier ressort », cette disposition a toutefois été abrogée par l’article 97, paragraphe 4, de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif.
Il s’ensuit que conformément aux dispositions combinées des articles 2 ainsi que 8 (1) et (4) de la loi du 7 novembre 1996, un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre des décisions déférées, recours qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. En effet, encore que la décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Mamer du 30 janvier 2014 ait été notifiée au mandataire de la société … par courrier recommandé le 13 février 2014, il convient de rappeler que la décision finale intervenant sur recours gracieux, outre d’être adressée, en cas de désignation d’un mandataire, à celui-ci, est également et en toute occurrence à notifier à la partie elle-même.
Dans la mesure où le recours gracieux introduit dans le délai du recours contentieux contre une décision administrative a pour effet de reporter le point de départ du délai de recours contentieux à la date de la notification de la nouvelle décision statuant sur cette réclamation, force est de constater qu’à défaut de notification de la décision finale au demandeur, le délai imparti pour agir en justice n’a pas expiré.1 La société … conteste de prime abord la classification en catégorie B 1 de son immeuble, en arguant en substance que le bâtiment abritant son entreprise ne servirait qu’à la production et à la confection des plaques en granit et autres matières, sans comporter de surface de vente, de sorte que ce bâtiment ne saurait ranger purement et simplement dans la catégorie B 1 relative aux constructions commerciales.
1 Trib. adm. 12 février 2001, n° 12503, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n° 191, et autres références y citées.
A cet égard, il appartient au tribunal de rappeler les spécificités de la procédure d’établissement de l’impôt foncier, laquelle prévoit l’intervention de plusieurs autorités et l’émission de plusieurs bulletins distincts, l’administration des Contributions directes et les administrations communales respectives ayant chacune une compétence nettement arrêtée en matière d’impôt foncier.
C’est ainsi que la section des évaluations immobilières de l’administration des Contributions directes procède à la fixation dans le chef des biens immobiliers de la valeur unitaire et de la base d’assiette de l’impôt foncier en fonction de la valeur unitaire leur attribuée en exécution du règlement grand-ducal du 21 décembre 1962 modifiant certaines dispositions en matière d´impôt foncier, et ce sur base d’un relevé établi par l’administration communale compétente. Cette fixation est concrétisée par l’émission d’un bulletin de la valeur unitaire et de la base d’assiette, lequel est susceptible de faire l’objet d’une réclamation devant le directeur de l’administration des Contributions directes conformément aux dispositions combinées des paragraphes 228 et 212a de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », et ensuite, d’un recours en réformation devant les juridictions administratives conformément l’article 8 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif. En effet, l’acte posé par l’administration communale d’inclure un terrain déterminé sur le relevé et de lui attribuer une classification déterminée ne produit pas par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale du contribuable, mais seulement à travers la fixation ultérieure par l’administration des Contributions directes de sa valeur unitaire, laquelle constitue la seule décision à cet égard susceptible de faire grief dans le chef du contribuable2.
A ce sujet, il est constant en cause que des bulletins de la valeur unitaire et de la base d’assiette ont été adressés les 10 et 24 janvier 2013 à la société … et que ces bulletins n’ont fait l’objet ni d’une réclamation, ni d’un recours, de sorte qu’ils doivent être considérés comme coulés en autorité de chose décidée, en ce compris en ce qui concerne la classification retenue, laquelle ne saurait plus être actuellement mise en cause.
A titre tout à fait superfétatoire, le tribunal tient toutefois à souligner que conformément à l’article 33 (2) de la loi du 22 octobre 2008 portant promotion de l’habitat et création d’un pacte logement avec les communes, dite « pacte-logement », modifiant en ce point la loi modifiée du 1er décembre 1936 sur l’impôt foncier, « (…) on entend : (…) b) par maisons de rapport, constructions commerciales, constructions à usage mixte, maisons unifamiliales et constructions à autre usage, les constructions définies au paragraphe 32, alinéa 1, points 1 à 5, de l’ordonnance d’exécution du 2 février 1935 relative à la loi modifiée du 16 octobre 1934 concernant l’évaluation des biens et valeurs (…) », tandis que conformément au paragraphe 32 (2) de l’ordonnance d’exécution du 2 février 1935 de la loi modifiée du 16 octobre 1934 concernant l’évaluation des biens et valeurs, (« Durchführungsverordnung zum Bewertungsgesetz »)3, concernant l’exécution de la susdite loi, « als Geschäftsgrundstücke gelten solche bebauten Grundstücke, die zu mehr als 80 vom Hundert unmittelbar eigenen oder fremden gewerblichen oder öffentlichen Zwecken dienen ».
Il s’ensuit en tout état de cause, que le terrain appartenant à la société demanderesse, constituée sous forme d’une société commerciale et poursuivant un objet commercial, et affecté à son exploitation commerciale, est à considérer comme construction commerciale au sens de la disposition précitée, indépendamment de la question de la surface affectée à la 2 Voir trib. adm. 11 juillet 2011, n° 27131 et 27132.
3 Pasinomie du 10 septembre 1944, Vol. XXII a.
vente, des surfaces affectées à la production et à la confection de plaques de granit destinées à la vente par l’intermédiaire d’un tiers, relevant en effet de la même destination commerciale, une activité de transformation de matières premières étant une activité commerciale, indépendamment du fait que le produit fini ne soit pas directement vendu aux consommateurs, mais soit comme en l’espèce d’abord vendu à des concepteurs de cuisines et d’autres éléments mobiliers.
Par ailleurs, à supposer que la société demanderesse ait considéré que son immeuble devrait plutôt être classé comme construction à usage mixte, il convient de relever qu’aux termes du paragraphe 32 (3) de l’ordonnance d’exécution du 2 février 1935 de la loi modifiée du 16 octobre 1934, précitée, sont considérées comme constructions à usage mixte « solche Grundstücke, die teils Wohnzwecken, teils unmittelbar eigenen oder fremden gewerblichen oder öffentlichen Zwecken dienen (…) » sans constituer pour autant des maisons de rapport, des constructions commerciales, ou des maisons unifamiliales. Or, l’immeuble en question n’étant pas destiné partiellement à l’habitation, il ne saurait être considéré comme construction à usage mixte.
Le moyen afférent est partant à rejeter pour ne pas être fondé.
La société … avance ensuite l’exception d’illégalité de l’arrêté grand-ducal du 14 janvier 2012 gisant à la base des bulletins contestés, exception d’illégalité articulée en plusieurs volets, tous basés sur des violations alléguées de la Constitution.
C’est ainsi et en substance que la société … entend se prévaloir du principe de proportionnalité et des principes constitutionnels de l’égalité devant la loi, tel que consacré par l’article 10bis de la Constitution et devant l’impôt, inscrit à l’article 101 de la Constitution, ainsi que du principe de la liberté de commerce tiré de l’article 11 (6) de la Constitution.
En ce qui concerne la violation alléguée du principe de proportionnalité, elle souligne que la commune de Mamer aurait augmenté ses taux multiplicateurs pour le calcul de l’impôt foncier de 50 % par rapport à l’année précédente, le taux relatif à la catégorie B1 pour les constructions commerciales étant passé de 700 à 1050, de sorte à être en 2013 le taux B1 le plus élevé du Grand-Duché de Luxembourg. A ce propos, elle estime que l’intérêt général constituerait un frein et une limite à l’autonomie fiscale de la commune, de sorte que la validité d’un impôt communal présupposerait que la commune puisse faire valoir et justifier l’existence d’un besoin réel, concret et circonstancié de ce faire, une commune ne pouvant lever un impôt qu’en cas de nécessité financière pour couvrir ses dépenses. Or, comme la commune de Mamer compterait d’ores et déjà parmi les communes les plus riches du pays, le principe de l’autonomie communale ne saurait suffire pour justifier une augmentation de 50 % de l’impôt foncier, laquelle ne serait pas justifiée par une quelconque nécessité financière impérieuse pour couvrir ses dépenses, de sorte que la mesure prise violerait le principe de proportionnalité.
La société … donne encore à considérer qu’en tant que propriétaire des lieux, elle serait obligée de subir toutes ces augmentations faites par la commune de Mamer et ne saurait, pour y échapper, changer simplement de commune. Elle insiste encore sur le fait que la mesure critiquée serait particulièrement choquante alors que son dirigeant aurait financé le zoning du parc d’activités Mamer-Cap par la construction de routes et des infrastructures et aurait valorisé toute cette zone, en y permettant la constitution d’un vrai pôle d’activité, représentant une énorme plus-value pour la commune de Mamer, de sorte à ne pas pouvoir quitter la commune de Mamer pour échapper à l’impôt foncier.
Elle s’empare ensuite des principes de l’égalité devant la loi, tel que consacré par l’article 10bis de la Constitution et devant l’impôt, inscrit à l’article 101 de la Constitution, pour soutenir que les charges foncières pour les commerçants de la commune de Mamer seraient sensiblement plus élevées qu’ailleurs dans le pays. Or, tous les commerçants du Grand-Duché de Luxembourg se trouveraient dans la même situation et devraient pouvoir lutter à armes égales pour rester concurrentiels.
La société demanderesse donne encore à considérer, dans le même contexte, que l’augmentation du taux multiplicateur de façon totalement démesurée et sans commune proportion d’une part avec les taux multiplicateurs antérieurs appliqués par la commune de Mamer et d’autre part, avec les taux multiplicateurs fixés dans les autres communes du pays serait contraire au principe de l’égalité de tous devant l’impôt. A cet égard, elle conteste formellement qu’une commune puisse prendre des mesures discrétionnaires en matière d’imposition sous le couvert d’un arrêté grand-ducal supposant un contrôle exercé par le Grand-Duc, alors qu’elle estime qu’il serait fort improbable que les instances de tutelle aient pu se rendre compte de l’impact de l’augmentation d’un taux multiplicateur sur une catégorie déterminée de personnes au sein de la commune de Mamer, en l’occurrence les commerçants propriétaires terriens de cette commune, les informations fournies au instances de tutelle étant insuffisantes à cet égard. Or, comme l’impôt foncier serait un impôt communal qui grève toutes les propriétés immobilières bâties ou non bâties situées sur le territoire du Grand-
Duché de Luxembourg, il serait injuste et inéquitable que parmi la catégorie des commerçants propriétaires fonciers, seuls les commerçants propriétaires fonciers de la commune de Mamer soient si lourdement imposés en ce qui concerne l’impôt foncier, la société demanderesse relevant de surcroît que les commerçants propriétaires fonciers constitueraient la catégorie qui en tout état de cause se verrait appliquer le plus fort taux multiplicateur. Aussi, il conviendrait à tout le moins de veiller à ce que les commerçants soient tous traités dans une seule catégorie, la société demanderesse estimant que le principe constitutionnel de l’égalité devant l’impôt s’opposerait à ce que les commerçants de la commune de Mamer doivent payer un impôt foncier sans commune mesure avec celui des autres commerçants du pays, principe qui s’opposerait à celui de l’autonomie communale, la société demanderesse mettant encore en exergue le fait qu’il serait constant en cause que l’arrêté grand-ducal attaqué incidemment lèserait très clairement les commerçants locaux de Mamer bien que se trouvant dans la même situation que les autres commerçants du Luxembourg, puisque partageant des caractéristiques à savoir leur implantation commune sur le territoire luxembourgeois, des charges sociales et salariales identiques, une obligation identique de paiement de la TVA et des impôts directs, une même situation de crise économique ainsi qu’une lutte identique contre une concurrence forte et agressive de l’étranger.
En ce qui concerne le principe de la liberté de commerce tiré de l’article 11 (6) de la Constitution, elle réitère son argument qu’il serait un fait que tous les commerçants du Grand-
Duché de Luxembourg se trouveraient dans une même situation et devraient pouvoir lutter à armes égales pour rester concurrentiels. Or, en imposant à une partie des commerçants du Grand-Duché de Luxembourg des impôts fonciers nettement plus élevés et sans commune mesure avec ceux des autres communes du pays, la société demanderesse estime que l’on restreindrait l’exercice de la liberté du commerce à un tel point que les activités commerciales deviendraient très difficiles à réaliser. A cet égard, elle donne encore à considérer que comme le gouvernement projetterait d’augmenter de manière globale l’impôt foncier par une augmentation de la valeur unitaire de chaque immeuble, indépendamment de sa situation, sa propre charge fiscale foncière deviendrait extrêmement lourde, de sorte qu’elle serait contrainte de procéder à une augmentation de ses prix, ce qui entraînerait nécessairement une perte en clientèle, qui pourrait aisément se tourner vers d’autres magasins de meubles établis dans d’autres communes du pays, de sorte que la demanderesse perdrait en compétitivité tant sur le plan national que vis-à-vis de l’étranger et notamment à l’égard de la région frontalière, ce qui serait « parfaitement injuste ».
Elle en conclut qu’en devant faire face à de telles mesures arbitraires, elle ne pourra tôt ou tard plus continuer à exercer ses activités dans la commune de Mamer alors que la charge de l’impôt foncier serait devenue impayable.
Le mandataire de l’administration communale de Mamer maintient que les bulletins d’impôt litigieux seraient justifiés en droit et en fait et il conclut au rejet de l’exception d’illégalité, prise en ses différents volets, de l’arrêté grand-ducal du 14 janvier 2012 gisant à la base des bulletins contestés.
Il convient de prime abord de souligner le cadre du présent litige, relatif à l’impôt foncier, à savoir celui du système de financement des communes, lequel repose sur le principe annoncé au 1er alinéa de l’article 107 de la Constitution qui dit que « les communes forment des collectivités autonomes sur base territoriale possédant la personnalité juridique et gérant par leurs organes, leur patrimoine et leurs intérêts propres », et précisé aux alinéas 3 et 6 du même article : « (3) Le conseil établit annuellement le budget de la commune et en arrête les comptes. Il fait les règlements communaux, sauf les cas d’urgence. Il peut établir des impositions communales, sous l’approbation du Grand-Duc. (…) (6) La loi règle la surveillance de la gestion communale. Elle peut soumettre certains actes des organes communaux à l’approbation de l’autorité de surveillance et même en prévoir l’annulation ou la suspension en cas d’illégalité ou d’incompatibilité avec l’intérêt général, sans préjudice des attributions des tribunaux judiciaires ou administratifs ».
Le cadre constitutionnel ci-avant tracé relativement aux droits des communes en matière d’impositions communales doit être complété par différentes dispositions.
Ainsi, l’article 29 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 attribue le droit d’établir des règlements communaux au conseil communal, tout en précisant que « ces règlements ne peuvent être contraires aux lois ni aux règlements d’administration générale ».
Selon l’article 105 de la loi communale « sont soumises à l’approbation du Grand-Duc les délibérations des conseils communaux relatives à l’établissement (…) des impositions communales et les règlements y relatifs ».
En ce qui concerne plus particulièrement l’habilitation des communes à établir des impôts réels, il convient encore de relever l’existence de la loi du 19 juillet 1904 sur les impositions communales dite « Kommunalabgabengesetz », qui a été introduite par l’occupant allemand et tenue pour valable et continuée à être appliquée à partir du 10 septembre 1944 en vertu de l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944 concernant les impôts, taxes, cotisations et droits (lequel arrêté de 1944 vise expressément en son article 2 l’impôt foncier (« Grundsteuer »), qui limite le pouvoir fiscal des communes en disposant en son paragraphe 2, intitulé « Einschränkung des Rechts der Steuererhebung » que « (1) die Gemeinden dürfen von der Befugnis Steuern zu erheben, nur insoweit Gebrauch machen, als die sonstigen Einnahmen, insbesondere aus dem Gemeindevermögen, aus Gebühren, Beiträgen und vom Staate oder von weiteren Kommunalverbänden den Gemeinden überwiesenen Mittel zur Deckung ihrer Ausgaben nicht ausreichen. » Enfin, par la ratification de la Charte européenne de l’autonomie locale, faite à Strasbourg le 15 octobre 1985, par la loi du 18 mars 1987, le législateur a encore confirmé son adhésion aux grands principes de l’autonomie des communes. Ainsi, en ce qui concerne les ressources financières des communes, la Charte européenne de l’autonomie locale dispose en son article 9 notamment que les communes ont droit, dans le cadre de la politique économique nationale, à des ressources propres suffisantes dont elles peuvent disposer librement dans l’exercice de leurs compétences, leurs ressources financières devant être proportionnées aux compétences prévues par la Constitution ou la loi, une partie au moins de leurs ressources financières devant provenir de redevances et d’impôts locaux dont elles ont le pouvoir de fixer le taux, dans les limites de la loi, les systèmes financiers sur lesquels reposent les ressources dont disposent les communes devant être de nature suffisamment diversifiée et évolutive pour leur permettre de suivre, autant que possible dans la pratique, l’évolution réelle des coûts de l’exercice de leurs compétences.
Il se dégage de la lecture combinée de ces dispositions conventionnelles, constitutionnelles et légales que les communes sont fiscalement autonomes et qu’elles peuvent déterminer librement, en fonction de l’intérêt communal, les différents éléments constitutifs de l’impôt, tels le fait générateur, la base imposable, le taux et les redevables, ainsi que les modalités d’application et d’exemption. Elles peuvent également poursuivre, par l’exercice de leurs compétences fiscales, outre des buts d’ordre financier, des objectifs de politiques particulières, dans le cadre de leurs compétences matérielles.
Aussi, l’autonomie financière des communes inclut nécessairement deux composantes : d’une part la capacité de gérer librement les fonds dont elles disposent, d’autre part un certain pouvoir de décision en matière fiscale à l’égard d’impôts qui leur sont propres, encore que cette autonomie fiscale des communes ainsi consacrée ne soit pas absolue, les communes ne pouvant l’exercer que sous le contrôle de l’autorité supérieure, qui est appelée à veiller à ce que les communes agissent sous réserve des limitations prévues par la loi et exigées par l’intérêt général, dont celle que leur pouvoir s’exerce dans la mesure - et partant dans la limite - de leurs besoins4. Aussi, et par définition, tel que pertinemment mis en exergue par le mandataire de l’administration communale de Mamer, le principe de l’autonomie communale implique la possibilité de différences d’imposition entre les différentes communes luxembourgeoises.
Le tribunal constate ensuite que l’exception d’illégalité, telle qu’articulée par la société demanderesse autour des articles 10bis et 101 de la Constitution et basée sur une prétendue inégalité, repose sur une comparaison entre le taux relatif à la catégorie B1 pour les constructions commerciales, tel que retenu par l’arrêté grand-ducal du 14 janvier 2012 pour la commune de Mamer, et les taux des autres communes luxembourgeoises, tels que retenus par l’arrêté grand-ducal du 12 décembre 2011, et méconnaît précisément le principe de l’autonomie fiscale communale, lequel repose, comme exposé ci-avant, sur le pouvoir autonome des communes de déterminer librement, dans le cadre ci-avant tracé, en fonction de leurs situations et besoins individuels, l’impôt communal et l’affectation des moyens financiers ainsi prélevés, ces deux éléments variant nécessairement d’une commune à l’autre 4 Cour adm. 6 décembre 2007, n° 23020C à 23023C et 23040C, Pas. adm. 2012, V° Impôts, n° 392.
en fonction des charges différentes que représentent leurs missions obligatoires et leurs missions facultatives ainsi qu’en fonction d’autres particularismes locaux.
Or, si le principe de l’égalité des citoyens devant l’impôt, application particulière du principe d’égalité devant la loi formulé par l’article 10bis de la Constitution ainsi que plus spécifiquement par l’article 101 de la Constitution - article qui interdit les privilèges en matières d’impôt et qui proclame également a contrario le principe de l’égalité devant l’impôt -, exige certes que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de droit et de fait doivent être traités de façon identique, il ne prohibe cependant pas les distinctions - objectivement justifiées - entre différentes catégories de personnes5. En d’autres termes, le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente des situations similaires, à moins que la différenciation ne soit objectivement justifiée.
En l’espèce, la société demanderesse n’allègue pas une différence de traitement par rapport à d’autres commerçants établis sur le territoire de la commune de Mamer, mais met en avant une différence par rapport aux commerçants établis dans d’autres communes luxembourgeoises : aussi, il ne saurait y avoir de violation du principe d’égalité entre des contribuables de deux communes différentes, ceux-ci ne se trouvant pas dans des situations fiscales identiques voire similaires.
En ce qui concerne l’atteinte alléguée à la liberté de commerce telle que consacrée à l’article 11 (6) de la Constitution, aux termes duquel « la loi garantit la liberté du commerce et de l’industrie (…) sauf les restrictions à établir par le pouvoir législatif », force est de constater que si la suppression de cette liberté est contraire à l’ordre public, il n’en est pas ainsi de la simple restriction6.
Le moyen de la société demanderesse n’est dès lors pas fondé, d’autant plus que la fixation du taux litigieux par l’arrêté grand-ducal en cause n’a pas supprimé toute possibilité de faire le commerce sur le territoire de la commune de Mamer, mais l’a éventuellement légèrement freinée, en rendant les commerces sis sur le territoire de la commune de Mamer -
tous autres éléments étant égaux et abstraction faite d’éventuels avantages offerts par la localisation en ce site compensant ce désavantage - éventuellement moins concurrentiels que des commerces similaires sis dans des communes luxembourgeoises à charge fiscale moindre.
En ce qui concerne le reproche d’une violation du principe de proportionnalité, tiré du fait que la commune de Mamer aurait augmenté ses taux multiplicateurs pour le calcul de l’impôt foncier de 50 % par rapport à l’année précédente sans nécessité fiscale impérieuse, il convient de rappeler, d’une part, que le tribunal statue en la présente matière en tant que juge de l’annulation appelé à vérifier au niveau de l’application du droit aux éléments de fait s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée. Le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de 5 Trib. adm., 1er juillet 1999, n°10868, Pas.adm. 2012, V° Lois et règlements, n° 7.
6 Trib. adm., 16 février 2004, n°16832, Pas.adm. 2012, V° Lois et règlements, n° 8.
proportionnalité7, encore que les considérations de pure opportunité d’une décision administrative échappent au contrôle du juge de l’annulation.
En d’autres termes, dans le cadre d’un recours en annulation, l’appréciation du caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis est limitée aux cas exceptionnels où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par cette autorité8.
Il convient ensuite de rappeler, d’autre part, que les règles de preuve en matière administrative font porter l’essentiel du fardeau de la preuve au demandeur, lorsqu’il reproche à l’autorité administrative d’avoir détourné ou abusé de ses pouvoirs ; plus spécifiquement, pour pouvoir prospérer comme en l’espèce dans son exception d’illégalité, il lui incombe de démontrer le caractère non pertinent et disproportionné du choix fiscal critiqué, étant à ce sujet souligné que la validité d’un impôt communal n’est pas conditionnée par l’existence d’une cause justificative précise et objectivement vérifiable et de ses incidences quantifiables sur le budget communal, la justification à la base d’un impôt communal revêtant un caractère plutôt politique9, échappant en principe au contrôle du juge de l’annulation10.
Or, force est de constater que la société demanderesse, hormis le fait d’invoquer une injustice et le caractère exorbitant de l’augmentation du taux multiplicateur B1, laquelle accroîtrait de manière disproportionnée et inéquitable la pression fiscale, ne fournit au tribunal aucun élément concret, retraçable, tenant compte des spécificités de la commune de Mamer, susceptible de permettre au tribunal de déceler, au-delà du seul constat factuel d’une augmentation du taux multiplicateur de 50 %, un dépassement de sa marge d’appréciation par la commune de Mamer et de conclure à ce que l’arrêté grand-ducal litigieux, approuvant la délibération du conseil communal a quo, excéderait manifestement une limite raisonnable et blesserait l’intérêt général.
Le moyen afférent est partant à rejeter.
Partant, le tribunal est dispensé conformément à l’article 6, alinéa 2 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle de saisir la Cour constitutionnelle des différentes questions de constitutionnalité incidemment soulevées par la société demanderesse, celles-ci étant dénuées de tout fondement.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse n’est justifié en aucun de ses moyens et est partant à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
7 Cour adm. 9 novembre 2010, n° 26886C du rôle, Pas. adm. 2012, V° Recours en annulation, n° 22.
8 Cour adm. 18 juin 2002, n° 14771C, Pas. adm. 2012, V° Recours en annulation, n° 35, et autres références y citées.
9 Trib. adm. 18 mars 2004, n° 16947, confirmé par arrêt du 15 juillet 2004, n° 17797C, Pas. adm. 2012, V° Impôts, n° 393.
10 Trib. adm. 12 décembre 1997, n° 10282, Pas. adm. 2012, V° Recours en annulation, n° 5.
le déclare cependant non fondé et en déboute ;
met les frais à charge de la société demanderesse.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 mai 2015 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
Hoffmann Sünnen 10