Tribunal administratif Numéro 34677 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juin 2014 3e chambre Audience publique du 5 mai 2015 Recours formé par Monsieur …et consorts, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 34677 du rôle et déposée le 13 juin 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Christian Rollmann, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …,…, né le … à …(Iran) et de son épouse, Madame …, économiste, née le … à … (Biélorussie), demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 13 mars 2014 ayant déclaré irrecevable leur réclamation introduite contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2009, 2010 et 2011, tous émis le 6 novembre 2013 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 octobre 2014 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2014 par Maître Christian Rollmann au nom et pour compte de Monsieur …et de son épouse, Madame … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Christian Rollmann et Monsieur le délégué du gouvernement Sandro Laruccia leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 avril 2015.
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Par courrier daté au 6 février 2014, et réceptionné le même jour par l’administration des Contributions directes, la société à responsabilité limitée …, ci-après désignée par « la société … », introduisit au nom et pour le compte de Monsieur …une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », à l’encontre des bulletin de l’impôt sur le revenu des années 2009, 2010 et 2011, tous émis le 6 novembre 2013.
Par une lettre du 10 février 2014, le secrétaire de la division contentieux de l’administration des Contributions directes, invita la société … à compléter la procédure ainsi introduite en versant au dossier la procuration qui établit son mandat exprès et spécial pour l’instance introduite.
Par procuration datée le 14 février 2014, et réceptionnée le même jour par la direction de l’administration des Contributions directes, Monsieur …fit suite à la demande afférente du 10 février 2014. Cette procuration est libellée en les termes suivants :
« Par la présente, je soussigné …(n° matricule …) demeurant à L-…, …, donne mandat à … ayant son siège social à L-…., pour me présenter auprès de la direction de l’administration des Contributions directes concernant la réclamation introduite en date du 06/02/2014 (affaire contentieuse C…), en rapport avec le bulletin d’imposition du 6 novembre 2013 pour les années 2009 à 2011. […] » Par décision du 13 mars 2014, référencée sous le numéro du rôle C…, le directeur déclara irrecevable ladite réclamation faute de l’existence d’un mandat ad litem répondant aux conditions légales lors de l’introduction de la requête. Cette décision est libellée comme suit :
« […] Vu la requête introduite le 6 février 2014 par le sieur … de la société à responsabilité limitée …, L-…, au nom du sieur …, L-…, pour réclamer contre les bulletins de l'impôt sur le revenu des années 2009, 2010 et 2011, émis le 6 novembre 2013 ;
Vu le §102 AO ;
Vu les articles 1987 et 1988 du code civil ;
Considérant que l'introduction d'une réclamation pour autrui étant à considérer comme excédant un simple acte d'administration, elle requiert l'établissement d'un mandat exprès et spécial ;
Considérant qu'en l'espèce, faute de procuration jointe à la requête, la déposante a dû être invitée par courrier du 10 février 2014, à justifier jusqu'au 7 mars 2014 de son pouvoir d'agir en versant au dossier la procuration qui établit son mandat exprès et spécial pour l'instance introduite ;
Considérant que l'écrit versé suite à ladite invitation établit que le réclamant a donné mandat à la société à responsabilité limitée … pour la représenter dans la présente affaire ;
Considérant cependant qu'une société n'est qu'une abstraction inhabile à postuler et donc insusceptible de recevoir un mandat ad litem, sauf disposition légale expresse en sens contraire, ce qui n'est pas le cas ;
qu'en conséquence l'existence d'un mandat ad litem répondant aux conditions légales lors de l'introduction de la requête n'est pas établie de sorte que celle-ci est irrecevable faute de qualité ;
PAR CES MOTIFS dit la requête irrecevable faute de qualité. […] ».
Par requête déposée le 13 juin 2014 au greffe du tribunal administratif, Monsieur …et son épouse, Madame …, ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du directeur du 13 mars 2014.
Il résulte de la lecture combinée des dispositions du § 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8, paragraphe (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1997 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif que le tribunal statue comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur le mérite d’une réclamation de sa part contre un bulletin de l’impôt sur le revenu. Le tribunal administratif est partant compétent pour connaître du recours principal en réformation.
A l’audience publique des plaidoiries du 29 avril 2015, le tribunal administratif a soulevé d’office la question de la recevabilité du recours en ce qu’il est introduit au nom de Madame …, étant donné que la réclamation introduite par la société … en date du 6 février 2014 n’a a priori été introduite qu’au nom de Monsieur …, alors que l’introduction d’une réclamation constitue une condition sine qua non pour introduire valablement un recours contentieux devant le tribunal administratif en matière fiscale.
Le mandataire de Madame… et Monsieur le délégué du gouvernement se sont rapportés à prudence de justice.
Etant donné qu’il n’est en l’espèce pas contesté que la réclamation du 6 février 2014 n’a été introduite qu’au nom de Monsieur…, le recours en réformation est irrecevable en ce qu’il a été introduit par Madame…, mais recevable pour le surplus, étant donné qu’il a été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur expose, quant aux faits, qu’il serait résident au Luxembourg et aurait été imposé collectivement par assiette avec son épouse le 6 novembre 2013 par voie de taxation en vertu du § 217 AO pour les exercices fiscaux 2009, 2010 et 2011.
Le 6 février 2014, Monsieur …, expert-comptable et associé gérant de la société luxembourgeoise d’expertises-comptable …, aurait remis au bureau d’imposition Luxembourg 8, trois déclarations d’impôts pour les exercices 2009, 2010 et 2011 relatives aux revenus de Monsieur…pour cause de différences trop importantes entre le revenu imposable taxé par le bureau d’imposition et les revenus effectivement gagnés par le contribuable.
En date du 10 février 2014, le secrétaire de la division du contentieux de l’administration des Contributions directes aurait adressé une demande de régularisation de procédure. Le 14 février 2014, Monsieur …, préqualifié, aurait remis au bureau d’imposition Luxembourg 8 une procuration signée par le demandeur. Informé de la décision du directeur du 13 mars 2014, il aurait signé un deuxième écrit le 15 mai 2014 se référant à son pouvoir donné le 14 février 2014.
Quant au fond, le demandeur fait valoir que sa procuration du 14 février 2014, confirmée et expliquée dans son écrit du 15 mai 2014, serait suffisante à établir son intention initiale et sincère d’avoir chargé Monsieur …, expert-comptable et associé-gérant de la société … de s’occuper de sa réclamation devant le directeur. Se référant par ailleurs à une jurisprudence du tribunal administratif ayant admis une réclamation introduite par une personne morale ainsi qu’une jurisprudence de la même institution ayant décidé que le fait d’avoir introduit un recours contentieux contre une décision du directeur ayant déclaré une réclamation irrecevable pour défaut de mandat dans le chef du mandataire du réclamant, le demandeur conclut que la réclamation litigieuse aurait été valablement introduite.
Le délégué du gouvernement fait valoir que les §§ 102 et 254 AO ne prévoiraient pas de dispositions spécifiques quant au mandat en matière fiscale, de sorte qu’il y aurait lieu de se référer aux dispositions afférentes du Code civil. Ainsi, il résulterait des articles 1987 à 1989 du Code civil que l’introduction d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt sur le revenu requérait l’établissement d’un mandat spécial. En l’espèce, aucune procuration spéciale n’aurait été jointe à la réclamation introduite le 6 février 2014 et, bien que la société … aurait été invitée, par courrier du 10 février 2014, à régulariser la procédure avec la précision qu’une société serait inhabile à postuler devant une juridiction des impôts ou devant le directeur des Contributions, le demandeur n’aurait fourni, en date du 14 février 2014, qu’une procuration au profit de la société …, sans aucune autre précision.
Force est au tribunal de constater que la critique de la partie étatique, et par conséquent la motivation sous-tendant la décision déférée, se limite exclusivement à la contestation de la capacité de la société …, en tant que personne morale, à introduire, au nom et pour compte du demandeur, une réclamation devant le directeur contre les bulletins d’impôt sur le revenu litigieux.
Or, la motivation du directeur se limite à une simple affirmation, en l’occurrence qu’une société ne serait qu’une abstraction inhabile à postuler et donc non susceptible de recevoir un mandat ad litem, sauf disposition légale expresse en sens contraire, sans que cette affirmation n’ait été étayée par une disposition légale ou un raisonnement juridique susceptible de l’expliquer.
Etant donné que l’argumentation du délégué du gouvernement au cours de la présente procédure contentieuse n’est pas plus explicite, le tribunal n’entend pas se départager de la jurisprudence invoquée par le demandeur selon laquelle, d’un côté, à défaut de dispositions spécifiques contenues dans la loi fiscale par rapport au mandat, les règles du droit civil sont applicables au mandat et à la procuration émis en faveur d’une personne morale dans le cadre d’une réclamation introduite devant le directeur, et, de l’autre côté, que dans la mesure où l’article 1984 du Code civil, définissant le mandat ou la procuration, ne comporte aucune distinction entre les personnes physiques ou morales, ni en ce qui concerne le mandat ni en ce qui concerne le mandataire, le § 202 AO, se référant expressément aux dispositions du Code civil et notamment à l’article 1984 du même Code, autorise valablement les contribuables à se faire représenter par un mandataire, que ce dernier constitue une personne physique ou une personne morale, dans le cadre, notamment, de l’introduction d’une réclamation devant le directeur dirigée contre un bulletin d’impôt sur le revenu.1 Par voie de conséquence et à défaut d’autres contestations quant à la validité du mandat, par réformation de la décision déférée, il y a lieu de retenir que la réclamation en 1 voir TA 27 septembre 2001, n° 12211 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Impôts, n° 621 question est recevable et de renvoyer le dossier en prosécution devant le directeur afin qu’il épuise la réclamation portée devant lui quant au fond.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le dit justifié ;
partant, par réformation de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 13 mars 2014, n° C… du rôle, dit que la réclamation introduite le 6 février 2014 par la société à responsabilité limitée … au nom de Monsieur …est recevable ;
renvoie l’affaire devant le même directeur en prosécution de cause ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne la partie étatique aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Jackie Maroldt, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 5 mai 205 par le vice-président, en présence du greffier Goreti Pinto.
s. Goreti Pinto s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 mai 2015 Le greffier du tribunal administratif 5