Tribunal administratif N° 35873 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 février 2015 3e chambre Audience publique extraordinaire du 3 avril 2015 Recours formé par Monsieur ….., contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35873 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 février 2015 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le …. à …. (Monténégro), de nationalité monténégrine, demeurant actuellement à L…., tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 30 janvier 2015 de statuer sur le bien-
fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 mars 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marcel Marigo, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbruck en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er avril 2015.
Le 11 décembre 2014, Monsieur ….. introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 ».
A cette occasion, le demandeur déclara qu’il aurait quitté son pays d’origine à cause des menaces quotidiennes provenant de personnes qui lui réclameraient de l’argent. Ces personnes l’auraient menacé, notamment, de le tuer. Il n’aurait pas eu le courage de déclarer ces menaces à la police monténégrine étant donné qu’il se méfierait d’elle.
Les déclarations de Monsieur ….. sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
En date du 19 décembre 2014, Monsieur ….. fit l’objet d’un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des états membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement de Dublin III ».
Par lettre recommandée, envoyée le 14 janvier 2015, Monsieur ….. fut convoqué à un entretien pour le 21 janvier 2015 afin d’être entendu sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Le 20 janvier 2015, la déclaration manuscrite de Monsieur ….. signée le jour du dépôt de sa demande de protection internationale, fut traduite par un traducteur assermenté, en présence d’un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration.
Par décision du 30 janvier 2015, notifiée en main propre le 2 février 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur ….. qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 20, paragraphe (1) sous a), b), c) et j) de la loi du 5 mai 2006 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à destination du Monténégro, ou de tout autre pays dans lequel il serait autorisé à séjourner.
Le ministre releva de prime abord que Monsieur ….. proviendrait d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans la mesure où il y existerait un système judiciaire indépendant et que la reconnaissance des libertés et des droits démocratiques de base, y compris de mécanismes de recours si ces droits ou libertés sont violées, y serait garantie, de même qu’il y existeraient d’organisations de la société civile. Par ailleurs, les menaces mises en avant par Monsieur ….. ne seraient pas motivées par un des critères de fond définis par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et la loi du 5 mai 2006. Ces menaces ne seraient en outre pas d’une gravité suffisante pour fonder une demande en obtention de la protection internationale et, dans la mesure où les auteurs des menaces seraient des personnes non autrement identifiées, elles seraient à considérer comme des personnes privées, de sorte que ces actes ne sauraient être qualifiés comme persécutions qu’en cas de défaut de protection de la part des autorités de son pays d’origine, ce qui ne serait pas établi en l’espèce.
Le ministre releva ensuite que dans la mesure où Monsieur ….. ne se serait pas présenté à l’entretien fixé au 21 janvier 2015, bien qu’il aurait été valablement convoqué, il aurait gravement manqué à son obligation lui incombant en vertu de l’article 9, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006.
Enfin, le ministre conclut que le récit de Monsieur ….. ne contiendrait pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 février 2015, Monsieur …..
a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 30 janvier 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision du ministre portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Quant aux faits, le demandeur rappelle qu’il aurait été la cible de menaces quotidiennes dans son pays d’origine de la part de personnes non identifiées qui lui réclameraient de l’argent. Par peur de représailles, il n’aurait jamais déclaré ces faits à la police et il aurait quitté son pays d’origine pour se rendre au Luxembourg le 6 décembre 2014.
1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 30 janvier 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision du ministre déférée.
Le recours est encore recevable pour avoir été introduit selon les formes et délai de la loi.
A l’appui de ce volet de la requête introductive d’instance, le demandeur conteste de manière générale que la décision de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ait été valablement basée sur l’article 20, paragraphe (1) point a), b), c) et j) de la loi du 5 mai 2006. Plus particulièrement, quant à la pertinence des faits soulevés, il estime qu’en se limitant à énoncer que de simples menaces ne seraient pas d’une gravité suffisante pour fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique et que les menaces dont il aurait fait l’objet constitueraient des délits de droit commun, le ministre n’aurait pas correctement évalué sa situation. Il fait encore valoir que les nombreuses et régulières menaces ne lui auraient pas laissé d’autre choix que de quitter son pays d’origine par peur de voir ces menaces se concrétiser.
En ce qui concerne la conclusion du ministre qu’il proviendrait d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, le demandeur cite un rapport d’Amnesty International de 2013 concernant la situation en général au Monténégro qui fait référence à de nombreuses manifestations contre la politique sociale et économique du gouvernement monténégrin, aux négociations en vue de l’adhésion du Monténégro à l’Union européenne, notamment en ce qui concerne la lutte contre la criminalité organisée et la, ainsi que la formation d’un Gouvernement au lendemain des élections d’octobre.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait statué à juste titre sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée et conclut partant au rejet du recours en annulation.
Tel que relevé ci-avant, la décision ministérielle déférée est fondée sur les dispositions des points a), b), c) et j) de l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 aux termes desquelles « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ;
[…] j) le demandeur n’a pas rempli les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 9 (2) de la loi ou a gravement manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 6 (4) et 9 (1) de la présente loi, à moins qu’il ne soit pas responsable du non-respect de ces obligations ; […] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20, paragraphe (1) sous a), b), c) et j) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de cette demande, soit s’il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ou, si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 ou, encore, si le demandeur n’a pas rempli les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 9, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006 ou a gravement manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 6, paragraphe (4) et 9, paragraphe (1) de cette même loi, à moins qu’il ne soit pas responsable du non-respect de ces obligations.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
Il appartient au tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 de vérifier, sur base des moyens invoqués, si c’est à bon droit que le ministre a fait application du prédit article afin de décider de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.
Concernant plus particulièrement le point c) de l’article 20, paragraphe (1) précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, un pays est à considérer comme sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désig nation d’un pays comme pays d’origine sûr :
(a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
(b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
(c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » Il est constant que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006 a désigné le Monténégro comme pays d’origine sûr.
Il se dégage en l’espèce des éléments du dossier que le demandeur a la nationalité monténégrine et qu’il a habité le Monténégro avant de rejoindre le Luxembourg, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de statuer en l’espèce dans le cadre de la procédure accélérée.
Au vu du libellé des différents paragraphes de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme sûr n’est cependant pas suffisant pour justifier le recours à une procédure accélérée, étant donné que l’article 21, paragraphe (2) de la même loi oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, à procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de sa demande de protection internationale, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
En l'espèce, le ministre, après examen de la demande de protection internationale du demandeur, a conclu qu’il proviendrait d’un pays qui, dans son chef, est à qualifier de pays d’origine sûr, de sorte qu'il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20, paragraphe (4) de loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
Or, l'analyse de la situation décrite par le demandeur lors du dépôt de sa demande de protection internationale ainsi que dans le cadre du présent recours ne permet pas au tribunal d'en dégager des éléments convaincants pour renverser cette présomption en ce qui le concerne et pour conclure en conséquence à l’illégalité de la décision ministérielle sous analyse.
En effet, il ne ressort d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal que les conditions pour qualifier un pays d’origine sûr ne seraient pas, dans son chef, vérifiées en l’espèce. Ainsi, le demandeur ne soumet au tribunal aucun élément concret tendant à renverser la présomption qu’il existe au Monténégro un système judiciaire indépendant, que la reconnaissance des libertés et des droits démocratiques de base y sont reconnus et que des mécanismes de recours y existent si ces droits ou libertés sont violés ou encore qu’il n’existerait pas d’organisation de la société civile dans son pays d’origine.
Les simples allégations du demandeur qu’il craindrait des représailles s’il dénonce les menaces à la police et qu’il ne ferait de manière générale pas confiance à cette dernière, ne sont pas suffisantes à cet égard, étant donné que, confronté à des menaces de personnes privées, il aurait dû au moins tenter de se réclamer de la protection des autorités de son pays d’origine avant de conclure à l’inefficacité d’une telle démarche.
L’extrait du rapport d’Amnesty International cité par le demandeur n’est pas non plus de nature à renverser la présomption qu’il provient d’un pays d’origine sûr dans la mesure où cet extrait ne décrit que très vaguement la situation générale du Monténégro et ne saurait suffire à en tirer des conclusions pour le cas concret du demandeur.
Par voie de conséquence, c’est à bon droit que le ministre a pu statuer sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20, paragraphe (1) point c) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait lieu d’analyser les conditions retenues à l’article 20, paragraphe (1) sous a), b) et j) de la loi du 5 mai 2006, cet examen devenant surabondant.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 30 janvier 2015 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demande de protection internationale déclarée non fondée, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre cette décision ministérielle. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de ce volet de la requête introductive d’instance, le demandeur estime que l’autorité compétente aurait fait une interprétation erronée des faits de l’espèce. En effet, les motifs invoqués devraient être analysés comme des persécutions d’ordre mental et psychologique, de sorte que la demande de protection internationale devait être déclarée fondée.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et conclut partant au rejet du recours.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».
L’article 31, paragraphe (2) précise que : « Les actes de persécution, au sens du paragraphe (1), peuvent notamment prendre les formes suivantes :
a) violences physiques ou mentales, y compris les violences sexuelles ; » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par l’un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 31, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier d’acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 instaure une présomption simple que des persécutions antérieures d’ores et déjà subies se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
L’examen des déclarations faites par le demandeur lors du dépôt de sa demande de protection, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amènent le tribunal à conclure que les difficultés rencontrées par le demandeur n’ont pas pour origine l’un des motifs de persécution énoncés à l’article 1er, a, 2 de la Convention de Genève, à savoir sa race, sa religion, sa nationalité, ses opinions politiques ou son appartenance à un certain groupe social et repris par l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006.
Force est en effet au tribunal de constater que les menaces auxquelles a dû faire face le demandeur dans son pays d’origine proviennent de personnes non autrement identifiées qui lui ont réclamé de l’argent, sans qu’il ne se dégage du moindre élément soumis à l’appréciation du tribunal que ces actes aient été motivés par un des critères de fond de la Convention de Genève.
Par voie de conséquence, le tribunal est amené à conclure que la crainte de persécutions avancée par le demandeur ne rentre pas dans le champ d’application de la Convention de Genève, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a rejeté sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f) précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
A l’appui de sa demande en obtention du bénéfice de la protection subsidiaire, le demandeur se limite à citer l’article 2, e) de la loi du 5 mai 2006 et l’article 37 de cette même loi pour en conclure qu’il répondrait aux conditions reprises à ces articles.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que c’est à bon droit qu’il lui a refusé le bénéfice du statut de la protection subsidiaire.
Outre la considération que le demandeur n’a présenté au tribunal aucun moyen à l’appui de son recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus de lui accorder la protection subsidiaire, force est de constater que les éléments soumis à l’appréciation du tribunal, nécessairement vagues dans la mesure où le demandeur n’a pas répondu à la convocation à l’entretien du 21 janvier 2015, ne sont pas de nature à conclure qu’en cas de retour dans son pays d’origine, le demandeur risque d’être confronté à des menaces réelles qui sont susceptibles de se concrétiser qui pourraient, le cas échéant, être qualifiées d’exécutions ou encore de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. Ces éléments ne permettent pas non plus de dégager la conclusion que, tel que relevé dans le cadre de l’analyse du recours en annulation dirigé contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, les autorités de son pays d’origine ne pourraient pas lui accorder une protection adéquate, étant donné que les personnes à l’origine des menaces sont à qualifier de personnes privées.
C’est dès lors à juste titre que le ministre a refusé d’accorder au demandeur la protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 30 janvier 2015 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 30 janvier 2015 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
A l’appui de ce volet de la requête introductive d’instance le demandeur fait valoir qu’en raison du caractère indissociable de la décision de refus de protection et de l’ordre de quitter le territoire et compte tenu du fait qu’il sollicite la réformation de la décision de refus de la protection, l’annulation de la même décision valant ordre de quitter le territoire devrait être la conséquence de la réformation sollicitée.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.
Aux termes de l’article 20, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur et que, par conséquent, un retour dans son pays d’origine ne l’expose ni à des persécutions, ni à des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, il a également pu valablement assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
A défaut d’autres moyens soulevés par le demandeur, le tribunal ne saurait mettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire pris à son égard.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 30 janvier 2015 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 30 janvier 2015 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 30 janvier 20105 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Jackie Maroldt, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 3 avril 2015, à 11.00 heures, par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 03.04.2015 Le greffier du tribunal administratif 11