Tribunal administratif N° 35797 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 février 2015 1re chambre Audience publique du 1er avril 2015 Recours formé par Madame …et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35797 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 février 2015 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Bosnie-Herzégovine), agissant en son nom personnel ainsi qu’au nom et pour le compte de ses enfants mineurs, …, tous de nationalité bosnienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant d’après le dispositif de la requête introductive d’instance 1) à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 23 janvier 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 23 janvier 2015 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 février 2015 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH déposé au greffe du tribunal administratif le 12 mars 2015 pour compte de la demanderesse ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shirley FREYERMUTH, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 mars 2015.
Le 21 octobre 2014, Madame …, agissant en son nom personnel, ainsi qu’au nom et pour le compte de ses trois enfants mineurs …, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».
Le même jour, Madame …fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg et ce conformément à l’article 8 de la loi modifiée du 5 mai 2006 précitée.
Madame …fut encore entendue les 15 et 18 décembre 2014 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 23 janvier 2015, expédiée par courrier recommandé le 26 janvier 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Madame …qu’il avait été statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1), a) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 février 2015, Madame …a fait introduire un recours tendant d’après le dispositif de la requête introductive d’instance 1) à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 23 janvier 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 23 janvier 2015 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
1) Quant au recours visant la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale de Madame …dans le cadre d’une procédure accélérée.
Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
En se basant en substance sur le contenu de ses déclarations auprès de l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, la demanderesse reproche au ministre d’avoir retenu à tort et par le biais d’une fausse application de la loi, sinon d’une appréciation erronée des faits de l’espèce, que les faits invoqués à la base de sa demande de protection internationale ne sauraient suffire pour établir dans son chef une crainte fondée de persécution au sens de la loi et de la Convention de Genève. Ainsi, il ressortirait clairement du dossier administratif que la demanderesse, dont la situation familiale serait à remettre dans le contexte de son pays d’origine, aurait subi de graves menaces de la part de son ex-
mari en Bosnie-Herzégovine et qu’elle aurait de fortes raisons de craindre d’en subir à nouveau en cas de retour dans son pays, et ce, sans qu’elle ne puisse obtenir une protection efficace auprès des autorités bosniennes.
La demanderesse fait encore valoir que lors de ses auditions, elle aurait invoqué des faits personnels de persécution à l’appui de sa demande d’asile. Ainsi, elle aurait expliqué qu’en raison des maltraitances physiques et psychiques qu’elle se serait vue infliger par son ex-mari, elle n’aurait pas eu d’autre choix que de le quitter.
La demanderesse est en outre d’avis que les faits qu’elle aurait relatés démontreraient que manifestement son pays d’origine serait incapable de garantir à ses nationaux le respect des libertés les plus élémentaires et notamment le droit à la sécurité, et ce alors que les femmes continueraient à y être persécutées et humiliées.
En se référant toujours au contenu de son audition par l’agent de la direction de l’Immigration, la demanderesse souligne que le fait d’avoir dû vivre dans la crainte permanente de se faire harceler, agresser et maltraiter par son ex-mari, serait constitutif d’une violation grave de ses droits fondamentaux. Elle estime dès lors qu’il aurait appartenu au ministre de toiser sa demande de protection internationale à la lumière de sa situation personnelle, respectivement en tenant compte de son appartenance et de celle de ses enfants à un groupe social vulnérable, à savoir celui des femmes et enfants battus de Bosnie-
Herzégovine, un pays dans lequel elle n’aurait pu demander aucune protection de la part des autorités policières qui seraient soit indifférentes à ses problèmes soit incapables d’offrir une protection face aux violences conjugales, respectivement aux problèmes domestiques.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse insiste encore sur le fait que même à supposer que les autorités bosniennes auraient la capacité de protéger les personnes se trouvant dans une situation comparable à la sienne, encore faudrait-il qu’elle-même ait eu accès à cette possibilité de protection. Or, il résulterait du dossier administratif qu’elle et ses enfants auraient subi des violences morales extrêmement graves pendant plusieurs années, de sorte qu’il y aurait lieu de déduire de cet état de fait une absence de volonté des autorités policières bosniennes à réellement s’intéresser à ses problèmes alors qu’il serait difficilement concevable que la demanderesse aurait enduré autant de souffrances s’il lui avait été possible d’obtenir une protection suffisante de la part d’une quelconque autorité chargée d’œuvrer en ce sens.
La demanderesse fait encore valoir qu’en raison des maltraitances, respectivement des harcèlements dont elle aurait été victime, notamment sur son lieu de travail, il lui aurait été impossible de subvenir aux besoins de sa famille.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale de la demanderesse dans le cadre d’une procédure accélérée.
En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 aux termes desquels :
« (1) Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;
(…) c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ;
(…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, soit si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
Plus particulièrement, en ce qui concerne le point c) de l’article 20 (1), précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de rappeler qu’un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine, sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pou r la désignation d’un pays comme un pays d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.» En l’espèce, il est constant en cause que le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant la liste des pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006 retient la Bosnie-Herzégovine comme constituant un pays d’origine sûr. Or, il se dégage des éléments du dossier que la demanderesse a la nationalité bosnienne et qu’elle a vécu en Bosnie-Herzégovine avant de venir au Luxembourg.
Comme l’énumération d’un pays d’origine sûr dans la liste du prédit règlement grand-
ducal du 21 décembre 2007 ne constitue qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006 un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
En l’espèce, l’analyse de la situation personnelle décrite par la demanderesse lors de ses auditions ne permet pas au tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation - appelé dès lors à apprécier la légalité de la décision déférée en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, de sorte à ne pas pouvoir tenir compte des faits nouveaux invoqués dans le seul recours en annulation sous analyse - de dégager des éléments suffisants pour conclure à l’illégalité de la décision ministérielle.
En effet, la demanderesse a déclaré avoir quitté son pays d’origine parce qu’elle et ses enfants y auraient été victimes de violences domestiques de la part de son mari, dont elle aurait divorcé en février 2014. Ainsi, pendant 15 ans, la demanderesse aurait dû supporter les maltraitances physiques et mentales régulières de son mari qui aurait fini par s’en prendre également à ses enfants. Or, malgré les violences dont la demanderesse et ses enfants auraient régulièrement été victimes pendant des années, il ressort de son récit qu’elle n’aurait jamais déposé de plainte contre son époux. En effet, elle se serait contentée de discuter de sa situation avec des policiers qu’elle connaissait et de finalement demander le divorce.
Or, à défaut d’avoir au moins tenté de porter plainte contre son époux auprès des autorités policières locales, la demanderesse ne saurait leur reprocher une quelconque inaction volontaire ou un refus de l’aider.
En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces et de violences, communément la forme d’une plainte. Par ailleurs, si la demanderesse avait effectivement eu l’impression que certains policiers pourraient refuser de lui accorder la protection requise ou bien ne pas accueillir ses doléances avec le sérieux nécessaire, il lui aurait toujours été possible de se plaindre du comportement desdits policiers auprès d’une autorité supérieure ou de porter sa plainte par-devant d’autres policiers, ce qu’elle n’a toutefois pas fait.
Force est également de relever qu’il ressort de la décision ministérielle litigieuse, sources internationales à l’appui, que la Bosnie-Herzégovine a adopté depuis quelques années des stratégies relatives à la violence domestique visant à améliorer la situation des femmes. Or, lors de ses auditions par l’agent de la direction de l’Immigration, la demanderesse a déclaré qu’elle aurait choisi de ne pas s’adresser à une maison pour femmes en détresse alors même qu’elle aurait eu la possibilité de le faire. Si la demanderesse a certes déclaré qu’elle ne ferait pas confiance aux maisons pour femmes en détresse parce que de telles institutions ne prendraient pas les problèmes des femmes au sérieux, force est de constater qu’il s’agit là de simples suppositions non autrement corroborées, ce qu’admet d’ailleurs la demanderesse elle-même.
Dans la mesure où la demanderesse n’a pas déposé de plainte pour violences domestiques, elle ne saurait en tout état de cause reprocher aux autorités bosniennes de ne pas avoir entrepris des démarches en vue de faire cesser les violences dont elle déclare avoir été victime pendant des années. Force est d’ailleurs de relever que la demanderesse admet elle-même que si elle avait officiellement dénoncé les agissements de son mari à la police, il aurait pu être arrêté et condamné à une peine de prison. Il ressort d’ailleurs à cet égard également de la décision ministérielle litigieuse que la Bosnie-Herzégovine a fait des progrès en matière de lutte contre la violence domestique puisque le Code criminel sanctionnerait les actes de violence domestiques par des peines d’emprisonnement et d’amendes et que par ailleurs, un certain nombre de lois auraient été adoptées depuis 2005 afin d’améliorer la lutte contre la violence domestique. A cela s’ajoute la demanderesse ne saurait en aucun cas justifier son inaction par sa peur que la situation aurait pu empirer suite au dépôt d’une plainte ou à la sortie de prison de son mari, alors que le dépôt d’une plainte suivie d’une condamnation à une peine d’emprisonnement aurait au contraire pu avoir un effet dissuasif sur son mari.
Au vu de ce qui précède, il aurait en tout état de cause appartenu à la demanderesse, avant de baisser tout simplement les bras et de requérir la protection d’un Etat étranger, de rechercher activement la protection offerte par ses propres autorités et institutions nationales en ayant recours aux moyens à sa disposition pour bénéficier d’une protection des autorités compétentes et plus particulièrement en sollicitant officiellement l’aide de la police par le biais du dépôt d’une plainte, et non de s’abstenir de toute tentative en ce sens, de sorte qu’elle ne saurait conclure à une absence, respectivement à un refus ou à une incapacité de protection effective dans le chef des autorités bosniennes. A cela s’ajoute que la seule circonstance que lors de simples entretiens que la demanderesse aurait eus avec des policiers qu’elle connaissait, ces derniers lui auraient dit d’attendre que son mari se calme, n’est pas de nature à remettre en cause la capacité, voire la volonté des autorités policières bosniennes à lui offrir une protection, la demanderesse n’ayant en particulier pas fait état de ce que malgré sa volonté de déposer officiellement une plainte, un tel dépôt lui aurait été refusé.
La demanderesse n’a donc pas fourni d’éléments de nature à renverser le constat du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 précité, selon lequel la Bosnie-
Herzégovine est à considérer comme pays d’origine sûr.
Il suit des considérations qui précèdent que la demanderesse n’invoque pas de faits démontrant que la Bosnie-Herzégovine ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr dans son chef, de sorte que c’est à bon droit que le ministre, après analyse de sa situation concrète, a conclu qu’elle est originaire d’un pays d’origine sûr, et qu’il a à bon droit pu statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.
2) Quant au recours visant la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, seul un recours en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de ce volet du recours, la demanderesse, qui se rapporte à prudence de justice quant à l’application de la Convention de Genève au cas d’espèce, invoque en substance les mêmes faits que ceux invoqués dans le cadre du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée pour insister sur le fait qu’elle aurait expliqué à suffisance lors de ses auditions par l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes qu’elle ne pourrait bénéficier d’aucune protection efficace dans son pays d’origine, de sorte à s’y exposer en cas de retour à des actes de torture, sinon à des traitements inhumains et dégradants, voire même à un risque de s’y faire tuer.
Le délégué du gouvernement pour sa part estime que ce serait à bon droit que le ministre a refusé le statut de protection internationale à la demanderesse.
En vertu de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays.
L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit interne ou international ».
Force est de tout d’abord de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent, outre nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine, une absence de protection dans le pays d’origine, soit que la personne concernée refuse d’accepter la protection des autorités du pays dont elle a la nationalité, soit qu’elle n’y a pas accès.
Dès lors, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale1. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut2.
L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. En cas de persécution ou d’atteinte grave infligée par des entités non étatiques, la crainte d’être persécuté est considérée comme fondée si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.
Il y a, à cet égard, encore lieu de rappeler l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 qui définit la protection comme suit : « La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection ». Si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.
Par ailleurs, la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ou des atteintes graves ne sauraient être admises dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.
1 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.
2 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.
Le tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation, vient ci-avant de retenir dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée que le ministre a valablement pu considérer que la demanderesse est originaire d’un pays d’origine sûr au sens de la loi, de sorte que c’est à bon droit qu’il a décidé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le bien-fondé de sa demande.
Actuellement, le tribunal, statuant par rapport au volet du rejet de la demande en obtention de la protection internationale en tant que juge de la réformation, ne saurait que réitérer son analyse précédente au niveau de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et motifs invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de ses auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, que la demanderesse ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale pris en son double volet, la demanderesse n’ayant en effet fourni, dans le cadre de la procédure contentieuse, aucun élément complémentaire pertinent permettant de conclure que les autorités bosniennes seraient dans l’incapacité de lui fournir concrètement une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».
En l’espèce, la demanderesse, en se basant sur son récit, sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire pour violation de la loi alors qu’eu égard aux menaces réelles et sérieuses qui pèseraient sur elle et ses enfants, il existerait un risque réel qu’ils subissent les atteintes graves définies à l’article 37 et à l’article 39, paragraphes 1 et 2, de la loi du 5 mai 2006.
Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale de la demanderesse comme non justifiée, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 23 janvier 2015 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 23 janvier 2015 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 23 janvier 2015 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 1er avril 2015 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Marc Sünnen 10