Tribunal administratif N° 34331 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2014 Ire chambre Audience publique du 23 mars 2015 Recours formé par Madame …, …, contre une décision prise par le ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de traitement
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 34331 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2014 par Maître Alain Gross, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, enseignante de l’enseignement secondaire, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision prise le 17 janvier 2014 par le ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse portant refus de faire droit à sa demande tendant à voir redresser son traitement pour l’année scolaire 2008/2009 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juillet 2014 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2014 par Maître Alain Gross au nom de sa mandante ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Laurent Limpach, en remplacement de Maître Alain Gross, et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives.
Par courrier du 29 octobre 2013, Madame … sollicita, par le biais de son litismandataire, du ministre de l’Education nationale et de la formation professionnelle de procéder à un recalcul « des leçons de la branche PRAPR » et partant un recalcul de sa tâche de professeur de lycée que la direction de son établissement, le lycée technique pour professions éducatives et sociales, n’aurait pas comptabilisée de manière conforme au tableau de l’article 9.3 du règlement grand-ducal modifié du 24 juillet 2007 portant fixation de la tâche des enseignants des lycées et lycées techniques, dénommé ci-après « le règlement grand-ducal du 24 juillet 2007 ».
Par une décision du 17 janvier 2014, le ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, dénommé ci-après « le ministre », informa Madame … à l’adresse de son litismandataire qu’il sera procédé à un recalcul de la tâche concernée pour les années scolaires 2009/2010 et 2010/2011, mais que ce recalcul est refusé en ce qui concerne l’année scolaire 2008/2009. Cette décision est libellée comme suit :
« Je fais suite à votre courrier du 29 octobre 2013 dans l'affaire émargée.
Vous y soulevez que votre mandante aurait constaté que suite à la prise du règlement grand-ducal du 21 juillet 2012 modifiant le règlement grand-ducal du 24 juillet 2007 portant fixation de la tâche des enseignants des lycées et lycées techniques, le travail effectif et réel des enseignants y aurait été pris en compte pour les classes de 12eED, 13eED et 14eED, de sorte qu'elle réclamerait le recalcul de sa tâche pour les années antérieures à cette date.
Votre mandante demande ainsi le recalcul de sa tâche pour les années scolaires 2008/2009, 2009/2010 et 2010/2011, étant donné que sa tâche n'a pas été calculée conformément au règlement grand-ducal modifié du 24 juillet 2007 précité.
Je me dois cependant de constater après consultation du dossier de Madame …, que cette dernière a pour l’année scolaire 2008/2009 signé son décompte annuel avec la mention « La présente déclaration est certifiée sincère, véritable et non encore acquittée » et que dès lors il ne saurait être fait droit à sa demande pour l’année scolaire en question.
Pour ce qui est des années scolaires 2009/2010 et 2010/2011, Madame … avait contesté les décomptes annuels lui présentés pour signature, celui de 2009/2010 en n’y apposant tout bonnement pas de signature et celui de 2010/2011 en y inscrivant la remarque qu'elle était d'accord avec le décompte, à condition que le tableau de l'article 9.3.
du règlement grand-ducal modifié du 24 juillet 2007 précité soit appliqué, de sorte qu'il sera procédé dans les meilleurs délais au recalcul de la tâche pour lesdites années scolaires. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 avril 2014, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 17 janvier 2014 « uniquement dans la disposition ayant refusé le recalcul de sa tâche pour les années 2008/2009 ».
A titre liminaire, le délégué du gouvernement demande à déclarer irrecevable le recours principal en réformation, au motif que la possibilité d’un recours au fond ne serait pas prévue en la matière.
Force est de relever qu’il est constant en cause que Madame … en tant qu’enseignante dans une école publique revêt la qualité de fonctionnaire de l’Etat, soumis à la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, dénommée ci-après « le statut général » et qui, aux termes de son article 1er, « (…) s’applique encore au personnel enseignant de l’enseignement postprimaire, à l’exception des dispositions prévues aux articles 5 paragraphe 2, 7 paragraphe 2 alinéa 4 et 19 paragraphe 3, et sous réserve des dispositions législatives et réglementaires spéciales concernant notamment le recrutement, les incompatibilités, les congés et les heures de service.» En vertu de l’article 26 du statut général « Les contestations auxquelles donneront lieu les décisions relatives à la fixation des traitements en principal et accessoires et des émoluments des fonctionnaires de l’Etat sont de la compétence du tribunal administratif, statuant comme juge du fond.
Ces recours seront intentés dans un délai de trois mois à partir du jour de la notification de la décision. Ils ne sont pas dispensés du ministère d’avocat. » Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, qui est encore recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, et en fait, la demanderesse explique qu’elle serait depuis le 29 décembre 2000 chargée de cours à durée indéterminée au lycée technique pour professions éducatives et sociales LTPES.
Elle fait valoir qu’elle aurait remarqué, à l’occasion de la publication du règlement grand-ducal du 21 juillet 2012 - fixant les grilles horaires, les coefficients des branches et des branches combinées, ainsi que les branches fondamentales de l’enseignement secondaire technique ; - modifiant le règlement grand-ducal modifié du 31 juillet 2006 portant organisation de l’examen de fin d’études secondaires techniques et de l’examen de fin d’études de la formation de technicien ; - modifiant le règlement grand-ducal modifié du 24 juillet 2007 portant fixation de la tâche des enseignants des lycées et lycées techniques, que la comptabilisation par la direction de son établissement des leçons de la branche PRAPR pour les années scolaires 2008/2009, 2009/1010 et 2010/2011 n’aurait pas été conforme à la grille de l’article 9-3 du règlement grand-ducal du 24 juillet 2007 du fait de l’application d’un coefficient inapproprié.
En droit, la demanderesse reproche à la décision ministérielle déférée d’avoir été insuffisamment motivée en violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, dénommé ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », en ce que le ministre se serait exclusivement basé sur la mention « la présente déclaration est certifiée sincère, véritable et non encore acquittée » pour retenir qu’elle aurait approuvé par sa signature apposée sur son décompte relatif à l’année scolaire 2008/2009 sa tâche y indiquée et partant son traitement y afférent, sans fournir le moindre fondement juridique à son refus.
Quant au fond, la demanderesse conteste que, par l’apposition de la mention précitée, elle aurait acquiescé lesdits décomptes, alors qu’en vertu de l’article 20 du statut général, elle aurait un droit absolu à la rémunération telle qu’elle serait fixée par la loi, et notamment par les dispositions du règlement grand-ducal du 24 juillet 2007, sans que cette rémunération ne pourrait être dépendante de l’apposition d’une signature ou d’une mention pré-écrite sur les décomptes annuels. La renonciation à un droit ne se présumant pas, la demanderesse estime que la preuve d’une telle renonciation à une partie du salaire prévu par le règlement grand-
ducal du 24 juillet 2007 ne serait pas rapportée en l’espèce, une telle renonciation serait par ailleurs contredite par la demande litigieuse adressée au ministre.
La demanderesse réclame encore une indemnité de procédure d’un montant de 1.000 euros en application de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, dénommée ci-après « la loi du 21 juin 1999 ».
A titre subsidiaire, la demanderesse sollicite l’institution d’une expertise en vue de déterminer les traitements lui redus pour la tâche litigieuse pour l’année scolaire 2008/2009.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement souligne que par sa signature sous la mention « la présente déclaration est certifiée sincère, véritable et non encore acquittée », la demanderesse aurait elle-même déclaré que sa tâche aurait été calculée de façon correcte.
La partie étatique invoque en plus la prescription de la créance salariale réclamée sur base de l’article 2277 du Code civil.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse fait encore valoir que la partie étatique invoquerait l’article 2277 du Code civil sans pourtant en tirer une quelconque conséquence légale, tout en relevant que la prescription applicable en l’espèce serait la prescription quinquennale au sens du même article 2277 du Code civil. La demande de recalcul des tâches ayant été portée à la connaissance du ministre par un courrier du 29 octobre 2013, elle ne serait pas prescrite.
Quant à la motivation de la décision ministérielle déférée, il échet de retenir que, s’il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé, il convient cependant de souligner que l’article 6 précité n’impose pas une motivation exhaustive et précise, étant donné que seule une motivation « sommaire » est expressément exigée. Par ailleurs, les motifs sur lesquels repose l'acte, si l’acte lui-même ne les indique pas avec une précision suffisante, peuvent être précisés au plus tard au cours de la procédure contentieuse pour permettre à la juridiction administrative d'exercer son contrôle de légalité.1 Or, si, en l’espèce, force est de constater que la décision de refus de recalcul de la tâche des leçons « PRAPR » pour l’année scolaire 2008/2009 est basée sur le seul constat que la demanderesse aurait « signé les décomptes annuels avec la mention « La présente déclaration est certifiée sincère, véritable et non encore acquittée » et que dès lors il ne saurait être fait droit à sa demande pour les années scolaires en question », la partie étatique précise néanmoins sa position dans le cadre de son mémoire en réponse en soutenant que la demanderesse aurait, par sa signature sous la précitée mention, validé le décompte sur base duquel la rémunération a été calculée. En invoquant encore la prescription en application de l’article 2270 du Code civil, le délégué fournit un deuxième motif de refus.
Il s’ensuit que le moyen tablé sur une motivation insuffisante de la décision ministérielle déférée est à rejeter.
Quant au fond, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 2, alinéa 2 du statut général, ce dernier « s’applique encore au personnel enseignant de l’enseignement postprimaire, à l’exception des dispositions prévues aux articles 5 paragraphe 2, 7 paragraphe 2 alinéa 4 et 19 paragraphe 3, et sous réserve des dispositions législatives et réglementaires spéciales concernant notamment le recrutement, les incompatibilités, les congés et les heures de service».
1 Cour adm. 14 juillet 2009, n° 25414C du rôle, Pas. adm, 2012, V° Procédure administrative non contentieuse, n°74 et autres références y citées.
Il ressort de l’article 20 du statut général que : « Le fonctionnaire jouit d’un traitement dont le régime est fixé en vertu d’une disposition légale ou d’une disposition réglementaire prise en vertu d’une loi. » Aux termes de l’article 21 du statut général « Sous réserve des dispositions contraires de la présente loi, le fonctionnaire a, pour la durée de ses fonctions, un droit acquis au traitement dont il jouit en vertu d’une disposition légale ou d’une disposition réglementaire prise en vertu d’une loi.
Les diminutions de traitement qui peuvent être décrétées n’atteignent que les fonctionnaires nommés après la mise en vigueur de la mesure ordonnant la diminution.
Par traitement au sens du présent article on entend l’émolument fixé pour les différentes fonctions «physiques», y compris toutes les majorations pour ancienneté de service auxquelles le fonctionnaire pouvait prétendre en vertu d’une disposition légale ou d’une disposition réglementaire prise en vertu d’une loi. » Il découle de la combinaison des articles précités du statut général que le fonctionnaire jouit d’un droit acquis au traitement qui est fixé par la loi et les règlements.
Si un tel droit acquis ne s’oppose cependant pas ipso facto à la possibilité d’une renonciation, force est au tribunal de constater qu’en l’espèce, la simple signature sous la mention pré-imprimée « La présente déclaration est certifiée sincère, véritable et non encore acquittée » ne saurait valoir renonciation à l’application des dispositions législatives et règlementaires pertinentes relatives au calcul du traitement de l’enseignant par application des pondérations applicables.
En effet, force est de relever que le but d’une telle déclaration, à l’instar d’une fiche de travail, consiste dans le souci, pour l’administration, de recueillir les données factuelles relatives au nombre de leçons réellement prestées, afin de lui permettre de procéder au paiement du traitement y relatif en application des dispositions légales et règlementaires qui s’imposent.
Il ne saurait ainsi être question pour un enseignant, au moment de la signature de ces décomptes, de renoncer à l’application de la loi et des règlements pertinents relatifs au calcul de son traitement.
Il s’ensuit que, dans ce contexte, la mention « La présente déclaration est certifiée sincère, véritable et non encore acquittée » ne saurait valoir que pour la déclaration du nombre et des caractéristiques des leçons effectivement prestées dans les différentes branches et non pour le mode de calcul du traitement y relatif.
Il s’ensuit que c’est à tort que le ministre s’est prévalu de la signature par la demanderesse en bas du décompte des heures prestées pour les leçons PRAPR de l’année scolaire 2008-2009 pour en tirer une renonciation à se faire appliquer la législation en vigueur y relative. Ce motif ne saurait partant valablement justifier la décision sous examen.
Quant à la prescription de l’article 2277 du Code civil invoquée par le ministre sans autre précision, force est au tribunal de rappeler que l’article 2277 du Code civil dispose comme suit : « Se prescrivent par trois ans les actions en paiement des rémunérations de toute nature dues au salarié.
Se prescrivent par cinq ans les actions de payement:
Des arrérages des rentes perpétuelles et viagères et de ceux des pensions alimentaires;
Des loyers et fermages;
Des intérêts des sommes prêtées, et généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts. » S’il a été jugé que cette prescription spéciale prévue au Code civil a vocation à s’appliquer également pour les traitements des fonctionnaires, elle ne concerne cependant que « les actions en paiement » proprement dites. Etant donné, qu’en l’espèce, l’action de la demanderesse vise à vérifier la fixation du traitement dans son principe, ladite prescription n’a pas vocation à jouer en l’espèce. 2 Il s’ensuit que ce motif de refus ne saurait pas non plus tenir en échec la demande de recalcul litigieuse.
Etant donné que le ministre a dès lors, à tort, refusé d’instruire au fond la demande formulée par la demanderesse, il échet au tribunal, dans le cadre du recours en réformation, d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire au ministre.
Les conditions légales afférentes n’étant pas réunies, il y a lieu de rejeter la demande de la demanderesse sollicitant l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1000 euros formulée sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation de la décision du 17 janvier 2014 en ce qu’elle vise « uniquement […] la disposition ayant refusé le recalcul de sa tâche pour les années 2008/2009 » ;
au fond, le dit justifié, partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision du ministre du 17 janvier 2014 en ce qu’elle porte refus de procéder à un recalul de la tâche pour les leçons « PRAPR » de l’année scolaire 2008/2009 et renvoie l’affaire en prosécution de cause devant ce dernier ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande de Madame … en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, 2 En ce sens : trib. adm 29 janvier 2001, n° 12265 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Fonction publique, n°341 Thessy Kuborn, premier juge, Olivier Poos, juge, et lu à l’audience publique du 23 mars 2015 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 mars 2015 Le greffier du tribunal administratif 7