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16/03/2015 | LUXEMBOURG | N°34395

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 mars 2015, 34395


Tribunal administratif Numéro 34395 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 avril 2014 2e chambre Audience publique du 16 mars 2015 Recours formé par Monsieur ….. et consort, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34395 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2014 par Maître Jean Tonnar, avocat à la Cour

, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le...

Tribunal administratif Numéro 34395 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 avril 2014 2e chambre Audience publique du 16 mars 2015 Recours formé par Monsieur ….. et consort, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34395 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2014 par Maître Jean Tonnar, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le …. à …. (Albanie) et de son épouse, Madame …., née le …, à …. (Albanie), tous les deux de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à …., tendant, d’une part, à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 19 mars 2014 portant refus de leur demande de protection internationale et, d’autre part, à la réformation, sinon à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 juin 2014 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2014 par Maître Jean Tonnar pour compte des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Christian Bock, en remplacement de Maître Jean Tonnar, et Madame le délégué du gouvernement Betty Sandt en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 décembre 2014.

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En date du 16 octobre 2013, Monsieur ….. et son épouse, Madame …., ci-après désignés par « les époux …. », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par la « loi du 5 mai 2006 ».

Le même jour, les époux …. furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur …. fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale le 11 novembre 2013, les 3 et 6 décembre 2013, ainsi que le 6 janvier 2014, les auditions de Madame ….-…. s’étant déroulées les 11 novembre et 3 décembre 2013.

Par décision du 21 janvier 2014, notifiée par courrier recommandé envoyé le 22 janvier 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa les époux …. de ce que leur demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.

Par courrier du 29 janvier 2014, le ministre informa le litismandataire de l’époque des époux …. que la décision de refus de leur demande d’octroi d’une protection internationale avait été annulée le 22 janvier 2014 suite au dépôt de documents complémentaires par Monsieur …..

Par décision du 19 mars 2014, notifiée par lettre recommandée envoyée le 21 mars 2014, le ministre informa les époux …. de ce que leur demande de protection internationale avait à nouveau été rejetée comme étant non fondée, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. La décision est libellée dans les termes suivants :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 16 octobre 2013.

Quant à vos déclarations auprès du Service de Police judiciaire En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 16 octobre 2013.

Il ressort dudit rapport que vous seriez entrés en territoire Schengen en date du 7 octobre 2013.

Vous présentez des passeports albanais établis les 5 janvier 2010 et 29 avril 2010.

Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères (et européennes) des 11 novembre 2013, 3 et 6 décembre 2013 et du 6 janvier 2014 ainsi que les documents versés à l'appui de vos demandes de protection internationale.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté l'Albanie pour des raisons de sécurité. Vous expliquez qu'entre 2006 et 2013, vous auriez travaillé au noir comme « informateur infiltré » pour le service secret albanais à …. et à … et que vous auriez été chargé de récolter des informations concernant le terrorisme, la contrebande, le trafic d'armes et d'organes humains; votre surnom aurait été le « boss » (p. 6/21). En même temps, vous auriez travaillé comme peintre, selon vos dires, un travail de « couverture ». Vous auriez été recruté par l'agent …. qui serait également le beau-frère de votre tante et vous auriez travaillé à …. en collaboration avec le directeur des services secrets, …., le directeur du service du crime organisé et le dénommé …..

« Une fois », vous auriez été responsable d'une opération d'arrestation de trafiquants de drogues mais vous expliquez qu'un groupe spécial de la police n'aurait pas correctement exécuté les ordres de vos supérieurs et que les personnes arrêtées auraient réussi à découvrir votre identité. Après cet incident, vous auriez commencé à recevoir des menaces. Vous dites que dans votre ville, vous auriez été connu comme « espion » et que « pour tout ce qui se passait dans la ville, c'est moi qui étais accusé d'espionnage » (p. 16/21). Ainsi, un jour, vous auriez été menacé de mort par un directeur de casino parce qu'un employé « illégal » y aurait été arrêté.

En 2007 ou 2008, un certain …., un « extrémiste », aurait placé des explosifs dans la maison d'un imam à …. Vous auriez par la suite été contacté par …. et le directeur anti-terroriste de … afin d'entrer en contact avec cette personne. Nouant des liens de confiance avec …. et lui faisant croire que vous rechercheriez un tueur à gage, il vous aurait cité le nom d'…., un criminel qui ferait partie d'un groupe de trafiquants d'armes. En août 2007, vous auriez rencontré …. à ….. Equipé d'une caméra cachée, vous auriez alors pu filmer les pistolets en sa possession. De même, d'autres agents du service secret qui vous auraient accompagné en cachette auraient réussi à photographier .… . …. vous aurait ensuite chargé de découvrir l'identité de tous les membres de ce groupe. En février ou mars 2008, vous auriez fait croire à …. que vous auriez besoin de 250 pistolets et dans une opération de collaboration entre services secrets et police d'Etat en juin 2008, …. et les autres membres du groupe auraient été arrêtés et condamnés.

Vous dites qu'en septembre ou octobre 2008, le frère d'…., …., vous aurait provoqué et qu'il aurait « planifié quelque chose » (p. 12/21) contre vous, ensemble avec son cousin, …. . De même, entre 2009 et 2013, …. vous aurait menacé et aurait régulièrement tenté de vous écraser avec sa voiture. De plus, en date du 2 janvier 2012, le beau-frère d'…., …., vous aurait signalé que vous devriez payer pour ce que vous auriez fait.

En mars 2013, …. aurait été libéré de prison et aurait aussitôt tenté de vous écraser avec sa voiture lorsque vous vous seriez promené dans la rue avec votre épouse. Il vous aurait ensuite insulté et aurait parfois rodé avec sa voiture autour de votre appartement; « tout » serait documenté par les policiers de l'Etat. Le 10 mars 2013, vous auriez rencontré à Tirana le dénommé …., « fonctionnaire pour les relations du service secret albanais avec les services étrangers » (p. 13/21), qui vous aurait proposé la somme de 500 dollars afin que vous vous éloigniez de …. et que vous vous installiez à ….; il vous aurait promis de chercher une solution.

Ce même jour, vous auriez été frappé par …., une personne « qui était déjà condamnée à 17 ans de prison » (p. 15/21) près d'un arrêt de bus à Tirana. Un officier de police nommé …. vous aurait ensuite appelé pour vous informer qu'une patrouille viendrait vous chercher. Vous n'auriez cependant rien voulu déclarer aux policiers. …. vous aurait par après menacé sur « Facebook » parce qu'il aurait eu peur que vous l'espionniez. Le 13 mars 2013, vous auriez décidé de déménager à …. où vous n'auriez plus reçu de menaces de la part de la famille ….. Vous y auriez été chargé de récolter des informations pour …. concernant un parti extrémiste nommé ….; votre surnom à …. aurait été « …. ». Vous précisez que …. aurait été arrêté deux semaines après votre déménagement à …. pour avoir mis le feu à la maison de votre tante et pour tentative d'assassinat contre votre cousin et votre oncle. Vous expliquez que vous auriez reçu une aide mensuelle de 300 dollars de la part de l'ambassade américaine entre mars 2013 et octobre 2013 pour avoir fourni des « informations importantes » liées notamment au terrorisme et à …. qui serait parti en guerre en Syrie. Ainsi, bien que vous soyez tenu au secret et que vous ne pourriez donc pas « tout » raconter aux autorités luxembourgeoises, vous signalez que grâce à vos informations concernant …. et ses liens à Al-Qaïda, toutes les ambassades auraient été fermées en août ou septembre 2013. De plus, vous auriez dévoilé l'identité d'une personne qui ferait passer des personnes d'Albanie en guerre en Syrie. En même temps, les autorités américaines auraient essayé de trouver une solution afin que vous déménagiez aux Etats-Unis. En octobre 2013, vous auriez finalement décidé de quitter l'Albanie à cause des agissements de la famille …..

Vous ajoutez que vous seriez également parti parce que la famille de votre épouse aurait demandé trop de questions concernant votre déménagement à ….. De même, à partir d'octobre 2013, vous n'auriez plus reçu les 300 dollars mensuels et il ne vous aurait plus été possible de travailler à …..

Vous signalez que vous n'auriez jamais pu porter plainte contre les criminels susmentionnés parce que vous n'auriez pas pu dévoiler votre véritable identité. En plus, vous dites qu'…. et les membres de sa famille seraient des amis proches de la police et qu'ils auraient des liens forts avec le gouvernement. Cependant, vous auriez à chaque fois signalé ces incidents à vos supérieurs. Vous dites qu'ils vous auraient toujours promis de vous aider. Ainsi, en juin 2009, ils auraient décidé de vous éloigner du pays et de vous envoyer à Londres. Néanmoins, ils vous auraient ensuite expliqué que vous ne pourriez pas vous installer en Angleterre, parce que « toutes les personnes qui avaient travaillé pour les services secrets albanais et qui avaient été envoyées à Londres sont devenues des criminels là-bas » (p. 12/21). …. vous aurait également une fois proposé de venir vous chercher et de vous « mettre à l'abri ». Concernant l'agression dont vous auriez été victime à Tirana en mars 2013, …. et …. vous auraient conseillé de ne rien signaler à la police parce qu'ils auraient essayé de vous faire sortir du pays; « Si j'avais dénoncé cette personne, il aurait pu être arrêté et j'aurais été bloqué en Albanie comme témoin » (p.

14/21). Vous ajoutez qu'actuellement votre mandataire serait en contact avec le service secret luxembourgeois qui serait lui en contact avec le service secret albanais afin de « rassembler le plus possible d'informations » (p. 13/21). « Bientôt », vous recevriez une réponse « exacte » du service secret albanais.

Enfin, vous ajoutez qu'à l'époque où vous auriez passé votre service militaire, …., le neveu du sous-directeur général de la police albanaise, …., aurait tué votre soeur en Irlande.

En général, vous dites que votre sécurité ne serait pas garantie en Albanie et que vous ne sauriez pas de qui exactement vous méfier puisque les autorités auraient arrêté beaucoup de groupes de criminels grâce à votre travail. En plus, à cause de la corruption, l'Etat albanais ne pourrait pas vous protéger.

Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Vous auriez déposé une demande de protection internationale au Luxembourg parce que votre époux aurait travaillé pour les services secrets albanais. Vous dites que « les seuls problèmes que j'avais en Albanie, ce sont les problèmes de mon mari» (p. 8/10). Vous signalez également que vous auriez été menacée et que vous auriez déménagé à …. en mars 2013 parce qu'une personne vous aurait heurtée avec sa voiture ensemble avec votre époux; cette personne vous aurait ensuite menacés de mort. Après votre déménagement à …., vous auriez été menacés par téléphone. Vous affirmez également n'avoir appris des problèmes de votre époux que deux semaines avant d'avoir quitté l'Albanie, lorsque vous auriez reçu des menaces et que votre époux se serait senti obligé de vous dire la vérité. Vous n'auriez jamais déclaré ces menaces à la police et vous signalez que la police collaborerait avec les criminels.

Vous précisez avoir travaillé comme secrétaire en Grèce entre 2008 et 2011. Vous auriez bénéficié d'un permis de séjour et (après votre mariage en 2009) à partir de 2010, votre époux aurait passé la moitié de l'année chez vous jusqu'en octobre 2012. A ce moment, il aurait reçu une permission de séjour par les autorités grecques mais vous n'auriez pas voulu y vivre et vous auriez préféré rentrer en Albanie. De même, vous n'auriez pas déposé de demande de protection internationale en Grèce parce [que] le pays se trouve à côté de l'Albanie et que les Grecs n'auraient pas pu vous protéger. Vous signalez avoir été menacés par téléphone par les mêmes personnes albanaises en Grèce qu'en Albanie.

Vous avez remis de nombreux documents pour corroborer vos dires:

1. La décision du Conseil d'Etat français du 26 mars 2012 (Pièce 1) statuant sur l'annulation de l'inscription de la République d'Albanie et du Kosovo sur la liste des pays d'origine sûrs. Dans ce contexte, vous expliquez que le règlement grand-ducal fixant une liste des pays d'origine sûrs n'a plus été modifié depuis 2007 alors qu'il y aurait eu des changements géopolitiques depuis ce temps et que certains pays de l'Union Européenne ne considéreraient plus l'Albanie comme pays d'origine sûr. Or, il y a lieu de noter que l'Albanie a fait des progrès et s'est approchée des normes européennes […] ces dernières années; un constat partagé par le président Barroso en septembre 2012, qui envisagea même que le statut de pays candidat est accessible pour l'Albanie: « Le président Barroso a salué les progrès réalisés par l'Albanie sur un programme de réformes européen grâce aux efforts communs du gouvernement et de l'opposition. Il a encouragé le pays à continuer sur son élan et à poursuivre les réformes importantes: "Le statut de pays candidat est accessible." ». Par ailleurs, il y a lieu de préciser que contrairement à vos propos, la France a de nouveau ajouté l'Albanie sur la liste des pays d'origine sûrs.

2. Votre certificat d'état de famille (Pièce 2) établi le 4 octobre 2013.

3. Un article de presse (Pièce 3) paru le 20 juin 2008 concernant la découverte par la police d'un réseau de trafic d'armes du Kosovo vers Tirana. Il informe que l'opération de police aurait abouti par l'arrestation d'…. et des dénommés …., …. et ….. Par ailleurs, il fait état d'un « agent infiltré qui a incité l'achat des armes ».

Un article du journal « TOPAL » paru le 5 août 2013 (Pièce 6) et intitulé « Les forces ….

prennent en main la protection et la sécurité de l'Ambassade Américaine à Tirana ». Il traite de menaces d'attaques terroristes envers l'Ambassade américaine à Tirana, dévoilées par le service secret américain et informe sur les mesures de sécurité prises par les autorités albanaises.

Un article de presse du 5 août 2013 concernant l'épisode de la fermeture de l'Ambassade américaine à Tyrana (Pièce 16).

A noter que ces trois articles confirment certaines parties de vos dires. Cependant, ils ne permettent pas de conclure que vous ayez effectivement été ce[t] « agent infiltré » ou que l'Ambassade américaine ait été fermée grâce à vos informations.

Un article de journal relatif à l'assassinat de votre sœur (Pièce 10) paru dans le « Sunday Mirror » le 2 mars 2003. Il informe que la dénommée …. a été tuée et avance l'hypothè[…]se qu'elle aurait été tuée parce qu'elle aurait refusé de travailler comme prostituée.

Un autre article intitulé « Sad journey home for murder victim's mother » paru le 12 mars 2003 dans le « Independent ».

Enfin, un article publié dans le « Independent » le 10 novembre 2004 informant qu'un jeune homme albanais nommé …. a été condamné à perpétuité pour le meurtre de votre sœur.

Ces articles confirment certes qu'une dénommée …. aurait été tuée en Irlande en 2003 et que son assassin aurait été arrêté en 2004; or, ils ne sauraient donner plus de poids à votre récit alors que ces événements auraient eu lieu il y a une dizaine d'années et que vous restez en défaut d'étayer un lien concret et personnel entre vos problèmes et la mort de votre soeur en Irlande.

4. Trois échanges d'SMS (Pièces 4, 5 et 9) que vous auriez eus avec …. et …. entre mai et décembre 2013. Vous informez …. qu'il s'agit de faire attention à un dénommé « … ensemble avec une autre personne qui s'appelle …. » parce que l'Ambassade américaine aurait reçu des menaces proférées notamment par Al-Qaïda. En outre, vous l[ui] demandez d'appeler une personne à …. afin de l'informer sur l'évolution de la situation. Vous seriez à la recherche d'une « solution, d'essayer vers l'Italie ou est plus probable de se procurer des papiers d'identité et ensuite je peux aller me cacher dans un autre pays car je ne veux pas que je sois encore ici lors des élections ». Vos SMS parlent également du fait que « [Ç]a devient très difficile de rester ici » et du dénommé …. de …. avec lequel vous tenteriez de fixer un rendez-vous. Vous mentionnez également des dirigeants « de la mosquée de cette ville », censés être des « extrémistes très violents », qui seraient « partis à se combattre en Syrie ». De plus, il en ressort que vous demandez des « nouvelles concernant mon problème » et que vous auriez trouvé un « moyen légal comment aller au Canada » afin de « clôturer mon chapitre ». Par ailleurs, vous informez …. que vous auriez besoin de 8,500.- dollars. Vous parlez aussi d'une « possibilité » concernant des visas de travail au Canada. En outre, vous demandez [à] …. de vous transmettre une attestation « comme quoi l'Etat albanais ne peut pas me prendre sous protection ». Vous auriez besoin d'aide pour que « tous les efforts que je fais ici ne tombent pas à l'eau ». Enfin, vous lui expliquez que les services secrets luxembourgeois auraient informé votre avocat que vous devriez faire une demande auprès des services secrets albanais « pour les documents que vous aller par la suite les envoyer aux services secrets luxembourgeois ». Vous avez joint à ces échanges [de] SMS des photographies censées représenter Monsieur …., prétendument impliqué dans la guerre en Syrie avec d'autres membres de son unité. En plus, vous avez remis une correspondance « Facebook » que vous auriez eue avec un « camarade » qui traite sur une personne turque qui serait liée à Al-Qaïda et qui serait impliquée dans le transfert de personnes depuis la Turquie vers la Syrie.

A noter que vous restez assez vague dans ces conversations et que rien ne nous permet de confirmer l'authenticité de ces échanges SMS. En effet, hormis le fait que vous avez noté certains numéros de téléphone, il n'est pas établi que vous ayez effectivement été en contact avec les deux personnes mentionnées. De plus, les conversations transmises pourraient tout aussi bien avoir été rédigées par une seule personne ayant accès à un ordinateur. Enfin, il faut se demander comment vous ayez eu accès à ces photographies censées représenter Monsieur …. en Syrie.

5. Des photographies des hommes présumés du clan …. (Pièce 7) montrant la plaque d'immatriculation d'une voiture ainsi qu'une personne non identifiée.

6. Des documents relatifs à votre traitement médical en Albanie et au Luxembourg (Pièce 8) datant de 2013. Vous souffririez de « trouble anxieuse dépressive » et de « trouble de sommeil ».

7. Des virements internationaux (Pièce 11) datés des 24 octobre 2013 et 27 décembre 2013, donc après votre arrivée au Luxembourg. Vous auriez reçu la somme de 404,50.- et de 397.- euros de la part de …..

Force est de constater que le seul fait, que le dénommé …. vous ait à deux reprises versé de l'argent après votre arrivée au Luxembourg ne saurait établir que vous ayez effectivement travaillé comme « agent infiltré » pour les services secrets albanais. Cela vaut d'autant plus que vous n'avez pas remis de preuve de virements ou de paiements de la part de l'Ambassade américaine alors que vous affirmez avoir joui de leur aide. Or, compte tenu du fait que vous ayez donc eu accès à votre compte et mouvements bancaires, il faut se demander pourquoi vous n'avez pas remis toutes les preuves présumées concernant votre engagement.

8. Le fax de Maître DEKHAR envoyé au SREL ainsi que la réponse du SREL (Pièce 12).

En date du 5 novembre 2013 votre mandataire a demandé au service secret luxembourgeois d'entrer en contact avec le « …… » afin que ce dernier fournisse une preuve que vous ayez effectivement travaillé pour les services secrets albanais. En date du 3 décembre 2013, le Service de renseignement du Ministère d'Etat informa votre avocat que « Si votre mandant désire apporter la confirmation qu'il a travaillé pour le Service de Renseignement Albanais (SHISH), il est de coutume qu'il demande cette confirmation auprès de son ancien employeur, d'autant plus que celui-ci semble être disposé à la lui fournir ». Le fax de Maître DEKHAR envoyé à l'Ambassade Albanaise de Bruxelles (Pièce 13) dans lequel votre avocat informe l'Ambassade que vous souhaiteriez que « vous lui fournissiez par mon entremise les documents qui lui sont nécessaires pour justifier: - qu'il a travaillé auprès des services du renseignement de votre pays depuis au moins 2006, - qu'il a dû quitter son pays en septembre 2013 sur le conseil de sa hiérarchie et le tout en relation avec ses activités professionnelles, - voir même nous expliquer pour quelles raisons (sans entrer dans les détails » il fut préférable de devoir quitter le territoire Albanais ».

Force est de constater que vous n'avez par la suite plus remis d'autres documents ou échanges que vous auriez eus avec les autorités albanaises. Votre engagement au sein des services secrets albanais n'est donc toujours pas démontré.

9. Une photographie de vous durant votre service militaire (Pièce 14).

10. Une attestation testimoniale de Monsieur …. (Pièce 15) datée du 26 avril 2013 dans laquelle ce dernier explique que vous avez « fourni des informations concernant un réseau international de trafic d'arme impliquant Serbie, Kosovo et Albanie ». Ainsi, en date du 19 juin 2008, l'opération « …. » aurait permis d'arrêter les dénommés …., …., …. et ….. Lors de cette opération, une centaine de pistolets auraient été saisis. Par ailleurs, il explique que vous seriez menacé de mort et que vous seriez parti « une certaine période » en Grèce. Enfin, il informe que ni les « dirigeants des hautes instances de l'Etat », ni le service secret des USA auraient entrepris quelque chose pour protéger votre vie ou celle de ….. L'attestation est accompagnée d'une copie de la carte d'identité de …. et serait signée par …., le directeur du SHISH.

Il faut tout d'abord se demander pourquoi vous n'avez pas remis cette attestation ensemble avec les autres documents versés alors qu'elle serait datée d'avril 2013 mais que vous n'avez informé le Ministère des Affaires étrangères et européennes qu'en mars 2014 de l'existence de cette pièce. Ensuite, il s'agit de constater que …. explique que vous auriez vécu pour une certaine période en Grèce à cause des menaces de mort proférées envers vous. Or, il est surprenant que vous n'ayez pas fait état de ce fait pendant votre entretien alors qu'un séjour en Grèce dû à des menaces de mort ne constitue pas un détail susceptible d'être oublié. Enfin, il est frappant et illogique que …. parlerait de [lui-]même [à] la troisième personne, tel que noté dans la dernière phrase de l'attestation. Quoi qu'il en soit, tout comme les autres documents joints, cette attestation ne permettra pas non plus de corroborer vos dires selon lesquels vous auriez été un agent du service secret albanais. Le seul fait que cette attestation soit accompagnée d'une copie de la carte d'identité de …. ne saurait en tous cas certifier son authenticité.

Enfin, il ressort des rapports d'entretien qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de vos demandes de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.

Analyse ministérielle en matière de Protection internationale En application de la loi précitée du 5 mai 2006, vos demandes de protection internationale sont évaluées par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Soulignons dans ce contexte que l'examen et l'évaluation de votre situation personnelle ne se limitent pas à la pertinence des faits allégués, mais qu'il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de vos déclarations.

Or, en l'occurrence l'autorité ministérielle a été amenée à émettre des doutes quant à la crédibilité de vos récits, alors qu'il résulte de l'examen des rapports d'entretien que vos déclarations présentent de nombreuses incohérences.

Ainsi, force est tout d'abord de constater que vous restez en défaut de corroborer vos dires avec des éléments de preuve quelconques. En effet vous n'avez remis aucune pièce qui pourrait prouver votre engagement au sein du service secret albanais, les menaces et agressions dont vous auriez été victimes ou le soutien financier que vous auriez reçu de la part de l'ambassade américaine. Il convient ensuite de soulever qu'il se dégage de sérieux doutes quant à votre engagement au sein du service secret albanais. Il est tout d'abord étonnant de constater qu'un « informateur infiltré » du service secret recevrait comme surnom « boss ». Force est ensuite de constater que vous dites que votre identité « d'espion » aurait été dévoilée lors d'une opération d'arrestation de trafiquants de drogues. Or, ce constat est incompatible avec vos dires selon lesquels il ne vous aurait pas été possible de porter plainte afin justement de ne pas dévoiler votre identité. Dans ce contexte, il paraît également incompréhensible pourquoi l'officier de police …. vous aurait appelé et vous aurait envoyé une patrouille après votre agression de mars 2013 alors que vous affirmez ne jamais avoir parlé à la police de vos problèmes. Il n'est pas non plus crédible que vos supérieurs du service secret aient tout d'abord envisagé de vous faire sortir du pays en vous transférant à Londres, mais qu'ils aient par la suite abandonné ce plan parce que tous les anciens agents du service secret seraient devenus des criminels à Londres.

Enfin, il est frappant, Monsieur, que vous n'avez pas fait état de vos séjours de six mois par année en Grèce entre 2010 et 2012 tels que mentionnés par votre épouse ou dans l'attestation présumée de ….. Notons ensuite, Monsieur, qu'il n'est que difficilement envisageable que ….

n'aurait pas réussi à vous écraser avec sa voiture alors que vous dites qu'il aurait continuellement tenté de vous écraser sur une période de cinq ans. Monsieur, vous affirmez par la suite que vous n'auriez plus reçu de menaces une fois installé à ….. Néanmoins, vous expliquez également avoir quitté votre pays d'origine en octobre 2013, après avoir vécu pendant six mois à …., à cause des agissements de la famille ….. Dans ce contexte, Madame, vous contredisez votre époux et vous affirmez avoir été menacée par téléphone pendant votre séjour à ….. Madame, il s'agit finalement de constater que vous déclarez d'un côté ne jamais avoir signalé les injustices dont vous auriez été victime à la police parce que votre époux s'en serait occupé. De l'autre côté, vous expliquez n'avoir été mise au courant des problèmes de votre époux qu'en octobre 2013 alors que vous affirmez également que vous auriez déjà fait l'objet de menaces avant mars 2013.

Dans ce contexte, il est d'ailleurs surprenant de constater Madame, que vous auriez déjà été menacée pendant votre séjour en Grèce. En effet, vous expliquez que vous n'auriez jamais déclaré ces menaces à la police et que vous n'auriez appris des problèmes de votre époux que deux semaines avant de quitter l'Albanie. Il s'en suit que vous auriez été menacée entre 2008 et 2012 sans que vous ne sachiez pourquoi et sans que vous ne recherchiez la moindre protection.

1. Quant à la Convention de Genève Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des Réfugiés.

Rappelons à cet égard que l'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 [d]) de la loi modifiée du 5 mai 2006, que ces actes sont d'une gravité suffisante au sens de l'article 31(1) de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 28 de la loi susmentionnée.

Selon l'article 1A paragraphe 2 de ladite Convention, le terme de réfugié s'applique à toute personne qui [craint] avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

En l'espèce, il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont [a]menées à quitter votre pays d'origine n'ont pas été motivées par un des critères de fond définis par lesdites Convention et loi. Vos demandes de protection internationales reposent uniquement sur des motifs d'ordre privé, relevant du droit commun et du ressort des autorités de votre pays d'origine.

En effet, les actes invoqués (provocations, insultes, menaces et agressions) que vous déclarez avoir subis de la part d'…. et de membres de sa famille, ainsi que de …., constituent des délits relevant du droit commun, punissables selon la loi albanaise et qui ne répondent à aucun des critères de fond de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006 qui prévoit une protection à toute personne qui craint avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

En outre, en application de l'article 29 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l'espèce, il ne ressort pas des rapports d'entretien que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l'encontre des malfaiteurs précités. Vous affirmez par ailleurs ne pas avoir requis la protection des autorités de votre pays et par conséquent, aucun reproche ne saurait être prononcé à l'encontre de celles-ci.

Vous expliquez certes que vous n'auriez pas voulu déposer plainte pour ne pas dévoiler votre identité; or, vous dites également que votre identité aurait été dévoilée pendant une opération d'arrestations de trafiquants de drogues. Ces deux remarques sont donc contradictoires. Il n'est en tout cas pas démontré que les autorités albanaises seraient dans l'incapacité de vous fournir une protection quelconque. En effet, il ressort également de vos dires, Monsieur, que vos supérieurs du service secret vous auraient toujours promis de vous aider. De même, …. vous aurait une fois proposé de venir vous chercher afin de vous « mettre à l'abri ». En plus, le policier …. aurait envoyé une patrouille pour venir vous chercher et vous expliquez que …., ainsi que l'ambassade américaine vous auraient soutenu financièrement afin de pouvoir déménager et de vous éloigner des agissements de la famille ….. Enfin, vous signalez que …. aurait été arrêté et qu'…. aurait été condamné à une peine de prison. Or, il ne ressort pas de tous ces constats que les autorités albanaises auraient refusé de vous venir en aide; bien au contraire, il en ressort que vous auriez pu compter sur leur aide et que les criminels susmentionnés auraient été arrêtés et condamnés.

Concernant la police albanaise, il convient en tout cas de noter que: « Selon la loi de 2007 de l'Albanie sur la police d'État, la force policière albanaise est une institution relevant du ministère de l'Intérieur (Albanie 2007, art. 6). D'après l'article 12 de la loi, la police est organisée centralement et localement; la Direction générale, située à Tirana, supervise le niveau central, alors que les directions régionales et les directions régionales de la frontière et des migrations administrent les fonctions au niveau local (ibid., art. 12, 13). Le paragraphe 13(3) de la loi prévoit que la Direction générale de la police  supervise l'exécution des fonctions et des tâches policières par les directions régionales de la police;

 coordonne les questions touchant le recrutement et la formation des employés de la police;

 coordonne la mise en œuvre de stratégies pour la prévention et la réduction du crime, le maintien de l'ordre public, la supervision et le contrôle des frontières de l'État et, en collaboration avec d'autres organisations désignées, la protection de la sécurité nationale;

 coordonne l'exécution des fonctions et des taches policières;

 coordonne la mise en œuvre d'accords internationaux concernant la police;

 traite les données collectées par la police dans la mesure où cela est nécessaire pour remplir les fonctions de la police;

 exécute des tâches policières conformément à la présente loi, à d'autres lois et aux lois normatives s'appuyant sur la présente loi et sur d'autres lois (ibid., paragr. 13(3)).

(…) Selon un organigramme affiché sur le site Internet de la Police d'État de l'Albanie, la police compte 12 directions régionales situées aux endroits suivants : Tirana, Shkodër, Korçë, Elbasan, Kukës, Dibër, Lezhë, Fier, Berat, Gjirokastër, Vlorë et Durrës (Albanie s. d.). Au sein de chaque direction régionale de la police, il y a de trois à sept commissariats, selon la région (ibid.). Tirana a six commissariats (ibid.). Il y a également des commissariats aux endroits suivants : Kavajë, Shkodër, Pukë, M. Madhe, Korce, Pogradec, Kolonjë, Devoll, Elbasan, Librazhd, Gramsh, Peqin, Kukës, Tropojë, Has, Dibër, Mat, Bulqizë, Lezhë, Kurbin, Mirditë, Fier, Lushnjë, Mallakastër, Berat, Skrapar, Kuçovë, Gjirokastër, Permet, …., Vlorë, Sarandë, Delvinë, Durrës, Krujë et Shijak (ibid.). ».

Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.

Enfin, Madame, force est de constater que vous auriez vécu en Grèce entre 2008 et octobre 2012 et vous auriez également bénéficié d'un permis de séjour grec. Monsieur, d'après les dires de votre épouse, vous auriez vécu en Grèce six mois par année entre 2010 et octobre 2012. Or, vous n'auriez à aucun moment recherché une forme quelconque de protection en Grèce alors que vous auriez déjà connu des problèmes à l'époque. En plus, vous seriez rentrés volontairement en Albanie en octobre 2012, alors que vous auriez tous les deux pu bénéficier d'une autorisation de séjour. Ces constats confirment le fait que les ennuis que vous invoquez n'entrent pas dans le cadre de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006. En effet, on peut s'attendre à ce qu'une personne vraiment persécutée dans son pays d'origine dépose une demande de protection internationale dans le premier [pays] sûr rencontré et ne rentre pas volontairement dans le pays dans lequel elle serait persécutée.

Monsieur, il convient ensuite de soulever le fait que des motifs financiers ou économiques sous-tendent votre demande de protection internationale. Ainsi, vous auriez finalement décidé de quitter votre pays d'origine parce que 300 dollars par mois n'auraient pas suffi pour survivre en Albanie. De même, vous expliquez que vous n'auriez plus reçu de soutien financier de l'ambassade américaine à partir d'octobre 2012. Il ne vous aurait pas non plus été possible de trouver un travail à ….. Or, des raisons financières ou économiques ne sauraient pas fonder une demande de protection internationale. Il s'agit là de motifs sans aucun lien avec l'un des critères définis dans la Convention de Genève, qui garantit une protection internationale à toute personne qui craint avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa nationalité, de sa religion, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Vos soucis financiers et économiques ne sauraient donc pas être pris en compte dans le cadre de vos demandes de protection internationale.

Quant à vos allégations de corruption, raison pour laquelle les autorités albanaises ne pourraient pas vous protéger, il s'agit de constater que: « Important steps were made to reform the judiciary, improve the fight against corruption, increase the seizures of narcotics and criminal assets, and implement recommendations to fight money laundering. Amendments to the Criminal Code addressed trafficking in human beings. Measures on antidiscrimination were taken to enhance protection of human rights. Albania's constructive engagement in regional cooperation remains essential. ».

En effet: « Some progress was made regarding the government's policies to fight corruption. In relation to the strategic policy approach on corruption, a new anti-corruption action plan for the period 2011-2013 encompassing individual action plans for all government ministries/agencies concerned was adopted in June 2011. The quality of action plans, including indicators to monitor progress, has improved. Implementation of action plans is proceeding.

There has been progress in strengthening the legal framework by implementing recommendations of the Group of States against corruption (GRECO) related to the issue of incrimination and political party financing.

Regarding incrimination, recommendations were partly implemented; the Criminal Code amendments are awaiting adoption in Parliament by a three-fifths majority vote. Regarding political party financing, all recommendations but one were implemented; the latter is partly implemented because there is no clear deadline for submitting party annual financial reports.

The institutional framework to combat corruption has been further developed. With a view to improving coordination in the implementation of the anti-corruption strategy, a clearer distribution of responsibilities was defined between the inter-ministerial working group (IWG), the inter-ministerial Technical Group and the Technical Secretariat of the IWG. A new internal control department was established in the General Directorate of Customs. ».

Madame, Monsieur, on peut finalement noter que vous possédez la nationalité albanaise et que selon l'article 1 (1) du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, votre pays d'origine, l'Albanie doit être considérée comme pays d'origine sûr au sens de l'article 21 de la prédite loi, les conditions du point c) de l'article 20§1 étant donc également remplies.

Un pays est considéré comme sûr s'il veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l'état de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De plus, lorsque sur la base de la situation légale, de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques, il peut être démontré que, d'une manière générale et de manière durable, il n'existe pas de recours à des persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, ni des motifs sérieux de croire que le demandeur de protection internationale court un risque réel de subir une atteinte grave telle que déterminée à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006, le pays d'origine concerné peut valablement être considéré comme pays d'origine sûr.

A titre complémentaire, il convient également de relever qu'en Albanie, les critères suivants sont garantis :

- l’existence d’un système judiciaire indépendant ;

- la reconnaissance des libertés et des droits démocratiques de base, y compris de mécanismes de recours si ces droits ou libertés sont violés ;

- l’existence d’organisations de la société civile.

Cet aspect est renforcé par le fait que l'Albanie se rapproche davantage des normes européennes et [du] statut de candidat à l'élargissement : « Le président Barroso a salué les progrès réalisés par l'Albanie sur un programme de réformes européen grâce aux efforts communs du gouvernement et de l'opposition. Il a encouragé le pays à continuer sur son élan et à poursuivre les réformes importantes: "Le statut de pays candidat est accessible." ».

Compte tenu des constatations qui précèdent concernant la situation juridique, l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et la mesure dans laquelle une protection est offerte dans votre pays d'origine contre d'éventuels persécutions ou mauvais traitements, le Ministère des Affaires étrangères et européennes est d'avis que, d'une manière générale et uniformément, il n'est pas recouru en Albanie à la persécution au sens de la Convention relative au statut des réfugiés. Ainsi, force est donc de constater que les critères du paragraphe 4 article 21 sont clairement remplis. De plus, il n'existe pas de motif sérieux de croire que vous courez un risque réel de subir une atteinte grave telle que déterminée à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006.

Relevons qu'en vertu de l'article 30 (1) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, le ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de l'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.

En l'espèce, il ressort de vos dires, Monsieur, que vous auriez déménagé à …. pour ainsi échapper aux agissements de criminels dont vous auriez été victime. En effet, Monsieur, vous affirmez ne plus avoir connu de problèmes une fois déménagé à …., bien que vous, Madame, signalez avoir reçu des appels téléphoniques menaçants. Ainsi, Monsieur, vous vous seriez senti « un peu en sécurité » (p. 18/21), vous auriez toutefois décidé de quitter votre pays d'origine en octobre 2012 parce que « 300 dollars c'est insuffisant pour survivre en Albanie. Je n'avais plus la possibilité de travailler » (p. 18/21). Or, des seules raisons financières ou économiques ne sauraient suffire pour justifier une impossibilité d'une fuite interne. Ainsi, il n'est pas établi en l'espèce que vous n'auriez pas pu recourir vous-même à une réinstallation à l'intérieur de l'Albanie.

Compte tenu des constatations qui précèdent concernant les conditions générales dans cette partie du pays et votre situation personnelle, force est de retenir que les critères du paragraphe 2 de article 30 de la loi modifiée du 5 mai 2006 sont clairement remplis.

En conclusion, les faits que vous alléguez ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécutés dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.

De tout ce qui précède, les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies.

2. Quant à la Protection subsidiaire L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d'application de l'article 37 précité de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir qu'ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 37 de ladite loi, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 28 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez vos demandes de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de vos demandes de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, Monsieur, vous indiquez que vous auriez fui l'Albanie parce que vous auriez travaillé comme « informateur infiltré » pour le service secret et que vous auriez été menacé et agressé par des présumés criminels. Madame, vous auriez fui votre pays d'origine à cause des problèmes de votre époux.

Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que vos récits ne contiennent pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de vos demandes, ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

De tout ce qui précède, les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies.

Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l'Albanie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2014, les époux …. ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre du 19 mars 2014, par laquelle ils se sont vus refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale, et un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à leur égard l’ordre de quitter le territoire.

Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, ainsi qu’un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, seul un recours en réformation a pu être introduit en l’espèce contre le refus de la demande de protection internationale, ainsi qu’un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire. Les deux recours sont, par ailleurs, recevables pour avoir été introduits dans les formes et délai de la loi. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation contre la décision de refus de la demande de protection internationale et le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire.

A l’audience des plaidoiries du 8 décembre 2014, le tribunal a soulevé d’office la question de la recevabilité du mémoire en réplique déposée par Maître Jean Tonnar en date du 18 juillet 2014.

Tant les demandeurs que la partie étatique se sont rapportés à prudence de justice quant à cette question.

La règle générale sur le nombre de mémoires qu’il est possible de déposer dans le cadre le cadre de la procédure devant le tribunal administratif est énoncée à l’article 7 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de la procédure devant les juridictions administratives, désignée ci-après par « la loi du 21 juin 1999 » et dont le premier alinéa est libellé comme suit :

« Il ne pourra y avoir plus de deux mémoires de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. (…) » En ce qui concerne la procédure contentieuse relative aux décisions prises en vertu de l’article 19 de la loi du 5 mai 2006, l’article 19 (3) de la prédite loi dispose que « Contre les décisions de refus de la demande de protection internationale, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif. Les deux recours doivent faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Le recours doit être introduit dans le délai d’un mois à partir de la notification. Le délai de recours et le recours introduit dans le délai ont un effet suspensif. Par dérogation à la législation en matière de procédure devant les juridictions administratives, il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. Le mémoire en réponse doit être fourni dans un délai de deux mois à dater de la signification de la requête introductive. » Les dispositions procédurales spéciales énoncées à l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 constituent une dérogation à la règle générale édictée par l’article 7 de la loi du 21 juin 1999 et s’imposent dans le cadre du présent litige alors que le recours dont est saisi le tribunal vise justement une décision du ministre basée sur ledit article 19 de la loi du 5 mai 2006 et pour laquelle ces règles de procédure dérogatoires sont prévues. Dès lors, dans la mesure où il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive d’instance, le mémoire en réplique du 18 juillet 2014 est à écarter.

1. Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision de refus d’une protection internationale A l’appui de leur recours, les demandeurs, de nationalité albanaise, exposent que Monsieur …. aurait été recruté par le service secret albanais pour lequel il aurait travaillé, de manière non officielle, comme informateur infiltré, entre 2006 et 2013, à …. et à …. Dans le cadre de son activité, il aurait ainsi collaboré avec les autorités de renseignement albanaises afin de démanteler des réseaux de trafiquants d’armes et de contrebande, et pour faire arrêter des terroristes. En 2007, respectivement 2008, il aurait été chargé de faire arrêter un dénommé …., que les autorités albanaises auraient soupçonné de faire partie d’un groupe de trafiquants d’armes. Suite à l’arrestation d’…. et d’autres membres de son groupe en juin 2008, lors de laquelle son identité aurait été compromise, le demandeur aurait fait l’objet de menaces et de tentatives d’assassinat de la part de la famille d’…., dont le frère aurait, à plusieurs reprises, tenté de l’écraser avec sa voiture, entre 2009 et 2013. De plus, en date du 2 janvier 2012, le beau-frère d'…., …., aurait signalé au demandeur qu’il devrait payer pour ce qu’il aurait fait. Après la libération d’…. en mars 2013, les incidents se seraient multipliés. Ainsi, …. aurait tenté de l’écraser en voiture, l’aurait insulté et aurait, à plusieurs reprises, rodé autour de la maison des demandeurs. Le 10 mars 2013, Monsieur …. aurait été agressé par un dénommé …., qui aurait, suite au déménagement des demandeurs à …., mis le feu à la maison de la tante de Monsieur …. et tenté de tuer le cousin et l’oncle de ce dernier, les agissements de Monsieur …. étant motivé par le refus, de la part de la tante de Monsieur …., de sa demande en mariage de la cousine de ce dernier. Les demandeurs font finalement valoir que les autorités albanaises n’auraient pas pu les protéger, Monsieur …. affirmant ne pas avoir pu recourir à l’aide de la police albanaise afin de ne pas dévoiler son identité, le demandeur précisant encore que le neveu du sous-directeur général de la police albanaise, …., aurait été condamné pour le meurtre de sa sœur en Irlande le 22 février 2003.

En droit, les demandeurs considèrent que le ministre aurait à tort rejeté leur demande de protection internationale comme n’étant pas fondée en retenant, d’une part, l’absence de crédibilité de leurs déclarations et, d’autre part, qu’ils n’auraient présenté aucun fait susceptible d’établir raisonnablement une crainte de persécution, respectivement d’atteintes graves au sens de l’article 27 de la loi du 5 mai 2006. Le fait que Monsieur …. aurait fait l’objet de tentatives de meurtre et de menaces de mort, en raison de son activité d’informateur des services de renseignement albanais, établirait suffisamment les risques réels et certains pesant sur leur vie dans leur pays d’origine, de sorte que leur demande serait conforme aux conditions imposées par la loi du 5 mai 2006 pour l’octroi du statut de protection internationale sollicitée. Les demandeurs font finalement valoir que les autorités albanaises auraient été dans l’incapacité de leur procurer une quelconque protection contre les agissements de la part des groupes de trafiquants, malgré le fait qu’elle aurait été sollicitée, à plusieurs reprises, par leurs soins.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait procédé à une évaluation correcte de la situation des demandeurs et conclut au rejet de leur recours.

En vertu de l'article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l'article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d'un pays tiers qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. […] » Par ailleurs, l’article 31 de la loi du 5 mai 2006 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des parties ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

Il suit des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que les demandeurs encourent en cas de retour dans leur pays d’origine.

S’agissant de la crédibilité du récit des demandeurs, si à l’instar du ministre, le tribunal peut relever certaines incohérences, voire contradictions dans leurs déclarations concernant les circonstances suivant lesquelles l’identité du demandeur aurait été dévoilée, le déplacement de la police lors de l’agression de Monsieur …. en mars 2013, respectivement l’existence de menaces proférées à leur encontre, par voie téléphonique, lors de leur séjour, pendant quelques mois, à …., force est cependant de constater qu’elles ne sont pas de nature à énerver la crédibilité de leur récit dans son intégralité, étant donné qu’elles ne portent que sur quelques indications factuelles, respectivement ne sont pas pertinentes – tel étant notamment le cas du séjour du demandeur, à deux reprises en Grèce, ainsi que des raisons du refus des autorités albanaises d’expatrier les demandeurs à Londres - et non pas sur les raisons intrinsèques ayant amené les demandeurs à quitter leur pays d’origine, à savoir les tentatives de meurtre et les menaces de mort de la part de trafiquants d’armes, et qui se trouvent à la base de leur demande de protection internationale. Le tribunal est partant amené à considérer les déclarations des demandeurs comme étant avérées.

D’ailleurs, si le ministre a soulevé des incohérences et invraisemblances dans les déclarations des demandeurs, il n’a pourtant pas conclu à un rejet de leur demande de protection internationale au motif que leur récit ne serait pas crédible, mais il a en revanche procédé à une analyse du fond de la demande.

En l’espèce, il ressort des déclarations des demandeurs telles qu’actées dans leurs rapports d’audition respectifs que les faits qui les ont amenés à quitter leur pays d’origine ne sont pas motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social. En effet, les agressions et menaces de la part de membres d’un groupe de trafiquants d’armes doivent être considérées comme des infractions de droit commun, étant donné que la motivation des auteurs de ces infractions a été de se venger sur Monsieur …. qui, en raison de l’exercice de sa mission d’informateur des autorités de renseignement albanaises, aurait été responsable de leur arrestation. De tels agissements ne sauraient fonder une demande de protection internationale pour ne pas être de nature à rentrer dans le champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 juillet 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971 et de la loi du 5 mai 2006. La même conclusion doit être retenue en ce qui concerne l’agression de Monsieur …., le 10 mars 2013, par un dénommé …., qui aurait encore, suite au déménagement des demandeurs à …., mis le feu à la maison de la tante de Monsieur …. et tenté de tuer le cousin et l’oncle de ce dernier, étant donné que les agissements de Monsieur …. ont été provoqués, tel que cela ressort des déclarations de Monsieur …. lors de son audition du 6 décembre 2013, par le refus, de la part de la tante de Monsieur …., de sa demande en mariage de la cousine de ce dernier1.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder aux demandeurs le statut de réfugié.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était 1 Page 15 du rapport d’audition de Monsieur du 6 décembre 2013.

renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par les demandeurs, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 f), précité définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que les demandeurs aient subi des atteintes graves avant leur départ de leur pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que les demandeurs avancent, du risque réel de subir des atteintes graves qu’ils encourraient en cas de retour dans leur pays d’origine.

Le tribunal constate qu’à l’appui de leur demande de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié. Le tribunal relève encore que les faits invoqués et plus amplement exposés ci-avant ne se rapportent pas au risque de subir la peine de mort, l’exécution ou la torture, ni ne s’inscrivent dans le cadre d’un conflit armé interne ou international.

S’agissant du risque de subir des sanctions ou traitements inhumains ou dégradants invoqué par les demandeurs, le tribunal est amené à constater que les auteurs des menaces et agressions dont ils se prévalent doivent être qualifiés de personnes privées, étant donné qu’aucun lien avec l’Etat n’a pu être établi - l’affirmation de Monsieur …. que les membres du groupe de trafiquants d’armes à l’arrestation desquels il aurait contribué auraient des liens avec les autorités policières albanaises n’étant corroborée par aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal - de sorte que la crainte de faire l’objet d’atteintes graves que les demandeurs en déduisent ne saurait être considérée comme fondée que si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas leur fournir une protection effective ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible de leur accorder une protection.

La notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. L’octroi de la protection subsidiaire ne saurait être admis dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

A cet égard, il y a lieu de constater qu’il ressort clairement des déclarations du demandeur faites lors de ses auditions par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, le 11 novembre 2013, respectivement les 3 et 6 décembre 2013, ainsi que le 6 janvier 2014, qu’il a pu faire appel à ses supérieurs hiérarchiques lors de chaque incident, ces derniers lui ayant, par ailleurs, promis de l’aider, étant encore relevé que l’explication du demandeur selon laquelle il n’aurait pas pu faire appel aux autorités policières albanaises, sur instruction de ses supérieurs afin de ne pas dévoiler son activité pour les services de renseignement albanais, ne saurait être suivie, dans la mesure où il aurait pu déposer une plainte contre ses agresseurs, respectivement contre les personnes ayant proférées des menaces à son encontre, en tant que victime d’infractions de droit commun, sans révéler sa qualité d’informateur.

Il s’ensuit qu’il ne ressort pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que les autorités étatiques albanaises auraient refusé, respectivement n’auraient pas voulu accorder une protection aux demandeurs de sorte que c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans leur pays d’origine et qu’il leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de ladite loi.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

2) Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire En l’espèce, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif qu’ils auraient invoqué des motifs sérieux et suffisants de craintes de persécution, respectivement d’atteintes graves.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en annulation.

Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour (…) ». En vertu de l’article 2. r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale des demandeurs, et que par conséquent un retour dans leur pays d’origine ne les soumet ni à des persécutions ni à des atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Partant, le moyen afférent laisse d’être fondé.

A défaut d’autres moyens soulevés par les demandeurs, le tribunal ne saurait mettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire pris à leur égard, de sorte que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

écarte des débats le mémoire en réplique déposé par les demandeurs en date du 18 juillet 2014 ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 19 mars 2014 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 19 mars 2014 portant ordre de quitter le territoire ;

reçoit en la forme le recours subsidiaire en annulation introduit contre la décision ministérielle du 19 mars 2014 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Anne Gosset, premier juge, Paul Nourissier, juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 16 mars 2015 par le premier juge, en présence du greffier Monique Thill.

s. Monique Thill s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 mars 2015 Le greffier du tribunal administratif 23


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 34395
Date de la décision : 16/03/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2015-03-16;34395 ?

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