Tribunal administratif Numéro 35949 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 mars 2015 3e chambre Audience publique extraordinaire du 13 mars 2015 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35949 du rôle et déposée le 4 mars 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Tunisie), et être de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du Ministre de l’Immigration et de l’Asile du 17 février 2015 ayant ordonné la prolongation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mars 2015;
Vu la nouvelle constitution d’avocat de Maître Nour E. Hellal, avocat à la Cour, déposée le 11 mars 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nour E. Hellal et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 mars 2015.
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En date du 16 avril 2014, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, demande qui fut rejetée par une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », du 8 septembre 2014, devenue définitive à défaut de recours introduit par l’intéressé.
Le 21 janvier 2015, Monsieur … fut intercepté par la Police Grand-Ducale.
Le même jour, le ministre prit un arrêté portant interdiction du territoire pour une durée de trois ans.
Toujours le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification, intervenue le 21 janvier 2015.
Ledit arrêté est de la teneur suivante :
« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu ma décision de retour du 8 septembre 2014 ;
Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Attendu qu’au vu de la situation particulière de l’intéressé, il n’existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu’une mesure de placement alors que les conditions d’une assignation à domicile conformément à l’article 125 (1) ne sont pas remplies ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ; […] ».
Par un arrêté du 17 février 2015, notifié à l’intéressé le 20 février 2015, le ministre prorogea la mesure de placement pour une durée d’un mois à partir de la notification. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :
« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 21 janvier 2015, notifié le même jour, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;
Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 21 janvier 2015 subsistent dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; […] ».
Par requête déposée le 4 mars 2015 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du 17 février 2015.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir qu’un placement en rétention constituerait une faculté pour le ministre et que dans la mesure où cette mesure aurait pour conséquence une atteinte à la liberté de mouvement de l’intéressé, cette faculté ne pourrait être discrétionnaire et qu’il appartiendrait ainsi au ministre de motiver à suffisance sa décision.
Or, en l’espèce l’arrêté ministériel ne serait pas suffisamment motivé. Plus particulièrement, le ministre n’aurait pas précisé les diligences entreprises afin d’organiser son éloignement, ni n’aurait-il précisé à quel résultat celles-ci ont abouti, de sorte qu’il n’aurait pas justifié la nécessité de prolonger la mesure de placement. Or, il appartiendrait au ministre de faire état et de documenter avec précision les démarches qu’il estimerait requises et qu’il est en train d’exécuter, afin de lui permettre d’apprécier si un éloignement est possible et est en voie d’organisation, d’une part, et afin d’examiner si les autorités luxembourgeoises entreprennent des démarches suffisantes en vue de son transfert rapide afin d’écourter au maximum sa privation de liberté, d’autre part.
Le demandeur soutient, par ailleurs, que le ministre n’aurait pas accompli les diligences suffisantes afin d’écourter au maximum sa privation de liberté et que les conditions d’une mesure de placement en rétention ne seraient pas remplies.
Il soutient ensuite que son placement en rétention constituerait une détention arbitraire puisque sa situation serait comparable à l’incarcération d’une personne purgeant une peine au Centre pénitentiaire. Dès lors, la mesure de placement serait inadaptée et une autre mesure, telle qu’une assignation à domicile, aurait dû être recherchée, puisque le placement en rétention serait disproportionné à sa situation. Par ailleurs, il n’existerait aucun élément qui pourrait être interprété comme une absence de garantie suffisante dans son chef susceptible d’écarter la possibilité d’une assignation à résidence.
Le demandeur fait finalement valoir que le principe de proportionnalité aurait été violé en l’espèce, puisqu’il n’existerait aucune perspective de refoulement à destination de son pays d’origine.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ces moyens.
Quant au premier moyen tiré d’une absence ou insuffisance de motivation de la décision déférée, il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et les catégories de décisions y énumérées doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base. Or, le cas d’espèce sous examen ne tombe dans aucune des hypothèses énumérées à l’alinéa 2 de l’article 6 précité, imposant l’indication d’une motivation expresse, de sorte que l’obligation inscrite dans cette disposition, d’ailleurs non invoquée par le demandeur, ne trouve pas application en l’espèce. Comme il n’existe en outre aucun autre texte légal ou réglementaire exigeant l’indication des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention, sans demande expresse de l’intéressé, le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision de prorogation, de sorte que le moyen fondé sur un défaut d’indication des motifs doit être rejeté pour ne pas être fondé.
Quant aux contestations du demandeur par rapport aux conditions de la prorogation de la mesure de placement, force est de constater aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée […]. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ». En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « […] La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. […] ».
L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour la durée maximale d’un mois, mesure qui, par la suite, peut être prorogée, en vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, limitativement à trois reprises pour un mois chaque fois, à moins qu’il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, auquel cas la rétention peut être prolongée à deux reprises supplémentaires, à chaque fois pour un mois.
Plus précisément, quant aux conditions qui doivent être réunies pour procéder à la prorogation d’une mesure de placement initiale, l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 dispose que le maintien de la rétention est conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais, et que les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120 de la même loi demeurent réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Force est au tribunal de constater, d’une part, qu’il ressort des éléments lui soumis que le demandeur ne dispose ni de passeport, ni d’autorisation de séjour valable, ni d’autorisation de travail, rendant ainsi nécessaires des démarches de la part des autorités luxembourgeoises en vue de son identification et de l’organisation de son éloignement et, d’autre part, que l’arrêté de prorogation de la mesure de rétention actuellement sous examen est fondé sur le constat que les démarches entreprises en vue de l’identification du demandeur afin d’organiser son éloignement n’ont pas encore abouti.
Quant aux démarches concrètement entreprises, il se dégage des pièces à la disposition du tribunal que le 21 janvier 2015, le ministre a contacté le consulat général de Tunisie à Bruxelles en vue de l’identification du demandeur et en vue de la délivrance d’un laissez-passer. Suivant une note au dossier du 11 février 2015, faisant état d’une visite auprès du consulat de Tunisie le même jour, les autorités consulaires ont informé les autorités luxembourgeoises que le dossier est en cours d’instruction.
Suite à la prolongation de la mesure de placement par arrêté du 17 février 2015, le ministre a encore contacté le 27 février 2015 le consulat général de Tunisie à Bruxelles afin d’obtenir des renseignements sur l’état d’avancement du dossier.
Le tribunal est amené à retenir que ces démarches sont à considérer comme étant suffisantes au regard des exigences posées par l’article 120 de la loi du 29 août 2008 afin qu’il puisse être retenu que les démarches suffisantes sont entreprises par les autorités luxembourgeoises, étant relevé que celles-ci sont également tributaires des démarches concrètement entreprises par les autorités consulaires de Tunisie.
D’autre part, dans la mesure où le législateur a prévu la possibilité du placement d’un étranger en séjour irrégulier au Centre de rétention afin de préparer son éloignement, et dans la mesure où la décision faisant l’objet du présent recours constitue seulement la première prolongation du placement en rétention, compte tenu des démarches concrètes entreprises par le ministre, le tribunal ne saurait admettre comme fondés les reproches d’ordre tout à fait général du demandeur suivant lequel la mesure de placement serait disproportionnée respectivement constituerait une rétention arbitraire.
Certes, il ressort d’un rapport intitulé « Entlassungsbericht » d’un médecin en psychiatrie auprès du Centre Hospitalier Neuropsychiatrique d’Ettelbrück du 17 février 2015 et d’un certificat du même médecin du 25 février 2015 que le demandeur a été sous traitement audit hôpital du 6 au 9 février 2015 et que le demandeur présente des risques de déstabilisation en cas de placement prolongé dans une structure fermée, ledit certificat ne contient cependant aucune contre-indication, en l’état actuel, à un placement au Centre de rétention.
Il est encore vrai qu’une mesure de placement en rétention a pour conséquence que l’intéressé est privé de sa liberté. Or, une telle mesure est expressément envisagée par l’article 5 (1) f) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, invoqué par le demandeur, puisque ledit article envisage la possibilité d’une détention régulière d’une personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours, étant précisé que le terme d’expulsion utilisé à l’article 5 est à entendre dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement, respectivement de refoulement d’une personne se trouvant en séjour irrégulier dans un pays.
S’agissant du reproche du demandeur qu’une assignation à domicile aurait dû être envisagée par le ministre, il est certes vrai qu’en vertu de l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 et de l’article 125 (1) de la même loi, aux termes duquel « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre une décision d’assignation à résidence à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe 3 […] », l’assignation à résidence est à considérer comme mesure proportionnée bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention, pour autant qu’il est satisfait aux deux exigences posées par l’article 125 (1) pour considérer l’assignation à résidence comme mesure suffisante et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si une assignation à résidence n’entre pas en compte au vu de la circonstance du cas particulier (cf. Cour adm. 23 décembre 2011, n° 29628C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu).
Il faut néanmoins que l’intéressé présente les garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite, qui en vertu de l’article 111 (3) de la loi du 29 août 2008, est présumé, de sorte qu’il appartient au demandeur de renverser cette présomption en justifiant des garanties de représentation suffisantes.
Or, au-delà d’affirmations et de reproches tout à fait généraux soulevés par le demandeur quant à la possibilité d’une assignation à résidence, celui-ci reste en défaut de fournir des éléments permettant de retenir l’existence de garanties de représentation suffisantes dans son chef susceptibles de renverser la présomption du risque de fuite.
Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter.
Par ailleurs, l’affirmation non autrement circonstanciée du demander qu’il n’y aurait aucune perspective de réaliser l’exécution de son éloignement à destination de son pays d’origine n’est pas de nature à énerver la légalité de la décision entreprise.
Enfin, quant aux contestions du demandeur à l’audience des plaidoiries par rapport à l’existence d’un risque de fuite au regard de son état psychique, le tribunal relève qu’au regard du fait que le demandeur est dépourvu de documents d’identité et de voyage, le risque de fuite est présumé dans son chef en vertu de l’article 111 (3) de la loi du 29 août 2008.
L’état psychique affirmé en l’espèce, à défaut d’autre éléments, est cependant insuffisant pour renverser cette présomption.
Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Jackie Maroldt, attaché de justice, et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 13 mars 2015, à 16.00 heures par le vice-président en présence du greffier Goreti Pinto.
s. Goreti Pinto s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 mars 2015 Le greffier du tribunal administratif 7