Tribunal administratif N° 34652 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 juin 2014 2e chambre Audience publique du 26 février 2015 Recours formé par Monsieur ….., contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 34652 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2014 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le ….. à …. (Kosovo), de nationalité kosovare, et demeurant actuellement à …., tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 6 mai 2014 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 août 2014 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sarah Moineaux, en remplacement de Maître Olivier Lang, et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbruck en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 janvier 2015.
Le 16 janvier 2014, Monsieur ….. introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par la « loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations de Monsieur ….. auprès d’un agent du service de police judiciaire, police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, furent actées dans un rapport daté du même jour. En date du 21 janvier 2014, il fut encore auditionné par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur son identité, sa situation familiale, ses séjours antérieurs dans un pays-membre de l’Union européenne, ainsi que sur ses documents d’identité.
Monsieur ….. fut encore entendu en date des 14 février, 27 février, 27 mars et 4 avril 2014 par un agent du même ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 6 mai 2014, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le 8 mai 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après « le ministre », informa Monsieur ….. qu’il avait rejeté sa demande de protection internationale comme étant non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Ladite décision est libellée de la façon suivante :
« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 16 janvier 2014.
Quant à vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 16 janvier 2014.
Il ressort dudit rapport que vous auriez quitté votre pays d'origine avec l'aide d'un passeur. Vous seriez incapable d'indiquer le chemin qu'il aurait pris.
Vous présentez une carte d'identité kosovare.
Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains le rapport d'entretien Dublin III du 21 janvier 2014 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 14 et 27 février, 27 mars et 4 avril 2014 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre de demande de protection internationale.
Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo parce que vous auriez été frappé par un groupe de jeunes à cause de vos opinions politiques et menacé par le maire de …., ….., parce que vous ne seriez pas inscrit dans son parti.
En 2007, avant les élections, vous seriez devenu membre du parti « G17 Plus ». En 2008, le Kosovo est devenu indépendant et le parti aurait cessé d'exister. La moitié des membres seraient partis dans les institutions kosovares, mais vous auriez refusé de les suivre ce qui aurait entraîné des menaces et des provocations.
Avant les élections, en août 2010, un groupe de jeunes, amis de ….., auraient collé des affiches sur les fenêtres de votre café-internet. Quand ils auraient vu que vous les auriez enlevées, ils vous auraient insulté. Ainsi, les maltraitances auraient commencé. Une nuit, vous vous seriez amusé avec vos amis dans votre café. Le groupe de jeunes serait entré dans le café, aurait commencé à vous insulter et à lancer des chaises à travers le café. Un d'eux vous aurait agressé et aurait cassé deux ordinateurs. Vous auriez également reçu dix à quinze coups sur la tête par deux jeunes. Vous auriez appelé la police qui aurait rédigé un rapport, mais il n'y aurait pas eu de suites, à part une convocation au tribunal en 2012. Vous seriez également allé chez un médecin. Au Tribunal, vous auriez été interrogé et vous y auriez appris que ….. aurait fait retirer le nom d'un de vos agresseurs de la liste des coupables.
Le groupe de jeunes serait revenu deux ou trois fois par mois et vous auriez senti qu'ils vous suivraient tout le temps. Les jeunes vous auraient insulté et ils auraient maltraité les clients dans le café. Vous dites que le chauffeur de ….. aurait été parmi eux et vous aurait menacé de ne pas appeler la police qui, de toute façon, n'interviendrait pas, étant donné que son ami ….. les connaîtrait. Vous dites que la police les favoriserait. Au milieu de l'année 2013, vous seriez parti en excursion avec des amis. Vous auriez eu l'impression qu'une voiture vous aurait suivi et vous pensez que c'était un des jeunes. Une autre fois, quand vous auriez été en train de préparer un barbecue, un homme se serait rapproché et aurait tiré sur vous. Vous vous seriez rendu au commissariat de police, d'abord à …, puis à …. Vous auriez porté plainte, mais la police ne vous aurait pas donné de copie. Vous auriez continué à travailler dans votre café jusqu'en 2013. Vous auriez reçu les dernières menaces de ce groupe à peu près le 10 décembre 2013 quand vous auriez croisé les jeunes dans le village.
A part les faits mentionnés ci-dessus, vous déclarez que vous auriez subi en 2011 une coupure d'électricité dans le café. Vous auriez appelé votre distributeur « ….. », mais il ne serait pas venu. Les gens du « ….. » seraient membres du parti de ….. et n'auraient pas voulu réparer la panne. Quand vous l'auriez réparée vous-même, une autre équipe du « ….. » serait venue et vous aurait donné une amende en disant que vous n'auriez pas le droit de toucher à l'électricité.
Lors des élections municipales au Kosovo en 2013, vous auriez adhéré au parti « Gradanska Iniciativa Srbska » et vous auriez été maltraité par le parti adverse. ….. vous aurait menacé en disant à votre père qu'il risquerait d'être sans fils si vous ne votiez pas pour lui. Il lui aurait même demandé votre carte d'identité afin de vous empêcher de pouvoir voter. Il aurait également menacé vos voisins en disant que tous ceux qui ne voteraient pas pour lui seraient arrêtés après les élections. Vous dites que malgré le fait qu'il aurait perdu aux élections, il serait toujours une personne puissante et actuellement ministre de la police au Kosovo. Vous auriez quitté le Kosovo le 6 janvier 2014 et vous seriez arrivé au Luxembourg le 7 janvier 2014.
Enfin, il ressort du rapport d'entretien des 14 et 27 février, 27 mars et 4 avril 2014 qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.
Analyse ministérielle en matière de Protection internationale En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale est évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
Soulignons dans ce contexte que l'examen et l'évaluation de votre situation personnelle ne se limitent pas à la pertinence des faits allégués, mais qu'il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de vos déclarations.
1. Quant à la Convention de Genève Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des Réfugiés.
Rappelons à cet égard que l'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 d) de la loi modifiée du 5 mai 2006, que ces actes sont d'une gravité suffisante au sens de l'article 31(1) de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 28 de la loi susmentionnée.
Selon l'article 1A paragraphe 2 de ladite Convention, le terme de réfugié s'applique à toute personne qui craint avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.
Relevons en premier lieu que vous possédez la nationalité kosovare et qu'en vertu de l'article 21 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection et du règlement grand-ducal du 19 juin 2013 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, la République du Kosovo doit être considérée comme pays d'origine sûr où il n'existe pas, généralement et de façon constante de persécution au sens de la Convention de Genève. Ce constat n'a pas pu être contredit par l'examen individuel de vos demandes de protection internationale.
Un pays est considéré comme sûr s'il veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l'état de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De plus, lorsque sur la base de la situation légale, de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques, il peut être démontré que, d'une manière générale et de manière durable, il n'existe pas de recours à des persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, ni des motifs sérieux de croire que le demandeur de protection internationale court un risque réel de subir une atteinte grave telle que déterminée à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006, le pays d'origine concerné peut valablement être considéré comme pays d'origine sûr.
A titre complémentaire, il convient également de relever qu'au Kosovo, les critères suivants sont garantis :
l'existence d'un système judiciaire indépendant;
la reconnaissance des libertés et des droits démocratiques de base, y compris de mécanismes de recours si ces droits ou libertés sont violés;
l'existence d'organisations de la société civile.
Cet aspect est d'autant plus conforté par le fait qu'en date du 13 avril 2013, la Commission a estimé que le Kosovo a atteint ses objectifs concernant plusieurs priorités à court terme recensées dans l'étude de faisabilité de l'année dernière dans les domaines de l'État de droit, de l'administration publique, de la protection des minorités et du commerce. Suite à ces avancées, « The Commission submits its proposal for a Council decision authorising the opening of negotiations on a Stabilisation and Association Agreement between the European Union and Kosovo».
Notons à cet égard que lors de sa visite à Pristina en date du 1er juillet 2013, le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy a félicité le Premier Ministre du Kosovo, Hashim Thaçi, des progrès réalisés au Kosovo : « Kosovo has taken a big step on its path towards the European Union. Your country has worked hard to meet the expectations of EU governments and institutions, and it has delivered. All member states commend you, unanimously, for this work and express their appreciation with this decision. ».
Compte tenu des constatations qui précèdent concernant la situation juridique, l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et la mesure dans laquelle une protection est offerte dans votre pays d'origine contre d'éventuels persécutions ou mauvais traitements, le Ministère des Affaires étrangères et européennes est d'avis que, d'une manière générale et uniformément, il n'est pas recouru au Kosovo à la persécution au sens de la Convention relative au statut des réfugiés. Ainsi, force est donc de constater que les critères du paragraphe 4 de l'article 21 sont clairement remplis. De plus, il n'existe pas de motif sérieux de croire que vous courez un risque réel de subir une atteinte grave telle que déterminée à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006.
En l'espèce, il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amenées à quitter votre pays d'origine n'ont pas été motivées par un des critères de fond définis de lesdites Convention et loi.
Tout d'abord, il ressort d'une publication du Helsinki Committee for Human Rights in Serbia que ….. est réputé pour soutenir activement l'intégration de la population serbe au sein de l'Etat kosovare et d'ignorer les structures parallèles serbes qui existent au Kosovo : « The municipal administration (of Partesh/Partes) does not communicate with Belgrade institutions.
Though Serb citizens hardly ever communicate with their Albanian countrymen, no ethnically motivated problems or incidents have been registered (…) Partesh/Partes and Gjilan/Gnjilane set an example of interethnic cooperation based on shared economic interests ».
Concernant la coupure d'électricité que vous auriez subie en 2011, cet incident et ses conséquences ne sont pas d'une gravité telle qu'ils puissent être assimilés à une persécution au sens des dispositions précitées de la Convention de Genève. De plus, rien ne prouve que les équipes du « ….. » aient refusé leur service en raison de vos opinions politiques.
Concernant votre engagement politique, vous dites avoir été membre du parti « G17 Plus » et que vous auriez adhéré en 2013 au parti « Gradanska lniciativa Srbska ». Je relève à ce sujet que même si les activités dans un parti d'opposition peuvent justifier des craintes de persécution, il n'en résulte pas automatiquement que tout membre actif d'un parti d'opposition risque des persécutions de la part du pouvoir en place ou du parti adverse. Or, la simple appartenance à un parti politique n'est pas suffisante pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié dès lors que vous n'exerciez aucune activité politique. Vous n'auriez été qu'un simple membre de ces deux partis et le fait que vous auriez toujours adhéré peu avant les élections en 2007, respectivement en 2013, jette un doute sur le degré de votre implication dans les activités du parti et sur la probabilité que vous auriez risqué des discriminations, voire des persécutions, à cause de vos opinions politiques.
Concernant les menaces de mort que vous dites avoir subies de la part de ….. en 2013, il ressort de l'article de presse que vous avez transmis au ministère que vous n'auriez pas été le seul destinataire de ses menaces. Lors de la manifestation devant le poste de police, à laquelle vous faites également référence dans votre entretien, il aurait menacé une centaine de partisans du « GI Srpska » de « payer avec leur santé et avec leur propriétés immobilières » s'ils ne votent pas pour lui. Or, ….. n'a pas été réélu maire de Partes et, même s'il est toujours un homme puissant au Kosovo, comme vous le dites, il ne ressort des recherches ministérielles ni qu'il serait ministre de la Police, comme vous le prétendez, ni que les gens n'ayant pas voté pour lui auraient subi des représailles quelconques.
Par ailleurs, le fait que vous dites avoir subi les premières menaces et agressions de la part du groupe d'amis de ….. en août 2010, que ce groupe serait revenu deux ou trois fois par mois et que vous ne seriez parti du Kosovo qu'en janvier 2014, jette un doute sur le degré de gravité de ces actes et de votre situation au Kosovo.
En outre, en application de l'article 29 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l'espèce, il ne ressort pas du rapport d'entretien que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l'encontre de ….. ainsi qu'à l'encontre de ses amis et partisans. Vous n'avez par ailleurs pas toujours requis la protection des autorités de votre pays et par conséquent, il n'est pas démontré que les autorités kosovares seraient dans l'incapacité de vous fournir une protection quelconque.
Force est de constater que les menaces et agressions que vous dites avoir subies constituent des délits de droit commun, commis par des personnes privées du ressort des autorités de votre pays et punissables en vertu de la législation kosovare. Vous dites avoir été maltraité par un groupe de jeunes qui auraient été des amis de ….., le maire de …. Or, des relations amicales avec l'ancien maire de …. ne font pas d'un groupe de jeunes des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Ainsi, les menaces dont vous dites être victime ne relèvent pas du champ d'application de la Convention de Genève, étant donné qu'il n'existe aucune crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En effet, s'agissant d'actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques pour l'un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d'asile. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. Il ressort de vos déclarations que la police serait bien venue après l'incident au café en août 2010 et aurait rédigé un rapport.
Apparemment, l'affaire aurait même été jugée au tribunal, étant donné que vous auriez reçu une convocation au tribunal en 2012. Il en va de même pour l'incident en 2013 lors duquel un homme inconnu aurait tiré sur vous. Il ressort clairement de votre récit que la police aurait pris acte de votre déclaration.
Ainsi, il ressort à suffisance du présent dossier que les autorités nationales auraient pris acte de l'agression d'août 2010 et vous dites que la police serait venue à chaque fois que vous l'auriez appelée. Bien que vous prétendez que votre plainte contre vos agresseurs d'août 2010 serait restée sans suites, vous mentionnez avoir été convoqué au tribunal pour témoigner des agressions. Concernant la réputation de la police kosovare, je relève que « Polling data in 2009 and 2010 found the Kosovo Police to be the most trusted Kosovo institution. Organisational restructuring has led to an improved perception of the Kosovo police by the public. The police has met its training targets and achieved diversity in terms of ethnicity and gender, with 10% of ethnic Serbs and 15% of women officers. It has a low level of corruption. » En conclusion, les faits que vous alléguez ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.
De tout ce qui précède, les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies.
2. Quant à la Protection subsidiaire L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d'application de l'article 37 précité de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir qu'ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 37 de ladite loi, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 28 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, vous indiquez que vous auriez quitté le Kosovo parce que vous auriez eu des problèmes liés à vos opinions politiques. Vous auriez subi des maltraitances de la part d'un groupe de jeunes à cause de vos opinions politiques et vous auriez eu des problèmes avec votre distributeur d'électricité. De plus, vous auriez été menacé par le maire de …, ….., parce que vous ne seriez pas membre de son parti.
Etant donné que les faits invoqués à la base de vos demandes de protection internationale ne sauraient être actuellement admis comme justifiant à suffisance une crainte de persécution ;
dès lors, et a fortiori, l'absence matérielle de crainte actuelle fondée s'impose également en ce qui concerne les demandes tendant à obtenir la protection subsidiaire.
En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. Vous ne faites également pas état de risque réel de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou de risques réels émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international. Ainsi, rien ne s'oppose à un retour dans votre pays d'origine et cela d'autant plus que ….. n'a pas été réélu ce qui rend l'affirmation de maltraitances éventuelles de la part de ses partisans et amis contre des adhérents à d'autres partis peu probable.
Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
De tout ce qui précède, les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Kosovo, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2014, Monsieur ….. a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 6 mai 2014 portant rejet de sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, contenu dans la même décision.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, un recours en réformation a valablement pu être introduit contre la décision ministérielle déférée.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur, de nationalité kosovare et déclarant avoir été membre du parti politique « G17 plus », puis, lors des élections municipales au Kosovo en 2013, du parti « Gradanska Iniciativa Srbska », se rapporte aux déclarations faites dans le cadre de son audition desquelles il ressort qu’il aurait quitté son pays d'origine en raison des violences physiques et mentales qu’il aurait dû subir, à plusieurs reprises, en raison de ses opinions politiques. Il aurait enlevé, avant les élections en août 2010, des affiches qu’un groupe de jeunes sympathisants d’un candidat aux élections, le maire de ….., ….., aurait collées sur les fenêtres de son cyber-café. A cette occasion, le demandeur aurait été insulté et, quelques jours plus tard, le groupe de jeunes serait revenu dans son café pour l’insulter, l’agresser et pour détruire le mobilier de son café. Suite au dépôt de sa plainte auprès des autorités policières kosovares, le demandeur aurait été convoqué au tribunal en 2012 où il aurait appris que ….. aurait fait retirer le nom d’un de ses agresseurs de la liste des coupables. Par la suite, le groupe de jeunes sympathisants, d’une part, serait revenu régulièrement dans son café pour le menacer et l’insulter, et, d’autre part, l’aurait suivi à plusieurs reprises, respectivement aurait, à une occasion, tiré des coups de feu sur lui. Le demandeur déclare encore avoir fait l’objet, en 2011, d’un refus du distributeur d’électricité « ….. », dont le personnel serait constitué de membres du parti de Monsieur ….., de réparer une coupure d’électricité dans son café. Après avoir lui-même réparé le problème affectant l’alimentation en électricité dans son café, il aurait reçu une amende de la part du distributeur « ….. », au motif qu’il lui aurait été interdit de toucher à l’installation électrique. Le demandeur fait finalement valoir que lors des élections municipales au Kosovo en 2013, lors desquelles il aurait adhéré au parti « Gradanska Iniciativa Srbska », sa famille et ses voisins auraient été menacés de mort par Monsieur ….. s’ils ne votaient pas pour lui, en précisant que malgré le fait que Monsieur ….. aurait perdu aux élections, il serait toujours une personne puissante au Kosovo pour y être l’actuel ministre de la police.
En droit, Monsieur ….. demande tout d’abord au tribunal d’écarter les développements ministériels quant à la qualification du Kosovo de pays d’origine sûr, sur le fondement du règlement grand-ducal du 19 juin 2013 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûr au sens de la loi du 5 mai 2006, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 », au motif que le prédit règlement aurait été annulé par un jugement du tribunal administratif du 19 mai 2014, inscrit sous le numéro 33385 du rôle, et qu’au jour de l’introduction du recours, la question de la légalité du règlement grand-ducal susmentionné du 10 juin 2013 n’aurait pas encore été définitivement tranchée.
Dans la mesure où, d’une part, par arrêt du 2 octobre 2014, inscrit sous le numéro 34778C du rôle, la Cour administrative a réformé le jugement précité du 19 mai 2014, en tant qu'il a prononcé l'annulation de l'article 1er, paragraphe 1er, du règlement grand-ducal du 19 juin 2013 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, par l'ajout de la République du Kosovo et, d’autre part, la conclusion du ministre suivant laquelle le pays d’origine d’un demandeur d’asile serait à qualifier de pays d’origine sûr conformément à l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 est sans incidence sur le traitement de sa demande dans le cadre de l’article 19 de la loi du 5 mai 2006, cette conclusion n’étant décisive que dans le cadre de l’examen d’une demande de protection internationale conformément à l’article 20 de la loi du 5 mai 2006, la demande tendant à voir écarter les développements ministériels quant à la qualification du Kosovo de pays d’origine sûr est à rejeter pour ne pas être pertinente.
Quant au fond, le demandeur affirme avoir fait l’objet d’actes de persécution actuelles, réelles et fondées en raison de ses convictions politiques, les actes de persécution, matérialisés par des menaces de mort, des injures et des agressions en 2010 et 2013, ainsi que par un refus du fournisseur d’électricité de réparer une panne ayant affecté l’installation électrique de son café en 2011, devant être considérées, en raison de leur nature, sinon de leur caractère répété, comme étant d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 de la loi du 5 mai 2006. Il se prévaut par ailleurs de la présomption de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 selon laquelle les actes de persécution d’ores et déjà subis dans son pays d’origine devraient être considérés comme des actes susceptibles de se reproduire. Il fait encore valoir qu’il ne pourrait pas bénéficier d’une protection, conformément aux articles 28 c) et 29 (2) de la loi du 5 mai 2006, de la part des autorités étatiques kosovares, qui, bien qu’ayant enregistré sa plainte en 2010, seraient restées en défaut de convoquer l’ensemble de ses agresseurs devant le tribunal, et, de les sanctionner. Par ailleurs, le demandeur aurait dû renoncer à solliciter l’aide des autorités kosovares, en raison du fait que la personne à l’origine des persécutions subies, à savoir Monsieur ….., serait une personne très influente au sein de l’appareil policier de la commune de …… Dans ce cadre, le demandeur, en se basant sur un rapport du 24 mai 2012 du « United States Department of State », sur un rapport du 7 janvier 2013 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur « la situation au Kosovo et le rôle du Conseil de l’Europe » et sur un rapport de l’organisation non-
gouvernementale « Human Rights Watch » intitulé « World Report 2013 », qualifie le fonctionnement du système judiciaire kosovare de calamiteux.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et conclut ainsi au rejet du recours.
En vertu de l'article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l'article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d'un pays tiers qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. (…) » Par ailleurs, l’article 31 de la loi du 5 mai 2006 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des parties ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) » Il suit des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Force est tout d’abord de relever qu’en ce qui concerne les coups de feu tirés sur le demandeur, il n’est pas possible de déterminer si ces faits avaient été motivés par un des critères énumérés à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, étant donné que les auteurs des tirs demeurent inconnus, de sorte que leur motivation ne saurait être retracée. Par ailleurs la motivation du refus du fournisseur d’électricité « ….. » de réparer le problème ayant affecté l’installation électrique du café du demandeur n’a pas pu être établie, étant donné que le demandeur se limite à faire valoir que le personnel du prédit distributeur serait constitué de membres du parti politique de Monsieur ….., sans que cette affirmation ne soit corroborée par un élément concret soumis à l’appréciation du tribunal. Il s’ensuit que ces faits ne sauraient justifier l’octroi du statut de réfugié pour ne pas pouvoir être considérés comme étant fondés sur un des critères énumérés à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’ appartenance à un certain groupe social.
Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce et au regard des éléments soumis à l’appréciation du tribunal, le tribunal est amené à retenir que les menaces de mort et les agressions subies par le demandeur de la part de jeunes sympathisants de Monsieur ….., ainsi que les menaces de la part de ce dernier, entrent dans le champ d’application de la Convention de Genève pour être fondées sur un des critères énumérés à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 à savoir ses opinions politiques. Le demandeur, ayant été membre du parti politique « G17 plus », puis du parti politique « Gradanska Iniciativa Srbska », aurait, d’une part, fait l’objet d’agressions et de menaces de la part des sympathisants de Monsieur ….. pour avoir enlevé des affiches électorales de ce dernier de la vitrine de son café, et, d’autre part, été menacé par Monsieur ….. pour le contraindre à voter pour lui lors des élections au Kosovo en 2013 .
Le tribunal constate encore que ces faits invoqués par le demandeur revêtent un degré de gravité suffisant au regard de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006. Cette conclusion se dégage plus particulièrement de la fréquence des insultes, des agressions et des menaces de mort, le demandeur affirmant à ce sujet qu’il aurait, depuis 2010 été victime, une ou deux fois par mois de tels agissements, ainsi que de la violence de l’agression subie par Monsieur ….. en 2010, lors de laquelle deux personnes l’auraient jeté par terre et lui auraient asséné une dizaine de coups de poing sur la tête.
Comme le demandeur a été victime d’actes fondés sur un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 commis par des agents privés, en l’occurrence des sympathisants de Monsieur ….., il appartient encore au tribunal de vérifier si, en l’espèce, une protection adéquate lui a été offerte et lui est encore ouverte, étant rappelé que l’essentiel est d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. En cas de persécutions par des entités non étatiques, la crainte d’être persécuté est considérée comme fondée si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution. A cet égard, le tribunal rappelle également que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.
En l’espèce, le tribunal n’est pas amené à suivre le raisonnement du demandeur selon lequel les autorités kosovares refuseraient, respectivement se trouveraient dans l’impossibilité de le protéger. Il échet, à cet égard, de relever, d’une part, que le demandeur a pu faire appel aux policiers kosovares lors de l’incident survenu en 2010 en déposant une plainte et, d’autre part, qu’il a été convoqué devant un tribunal kosovare en 2012 pour voir statuer sur les faits dénoncés à la police kosovare. Le fait que les agresseurs de Monsieur ….. ne se seraient pas présentés devant le tribunal, respectivement qu’ils n’auraient pas tous été convoqués n’amène pas le tribunal à retenir un défaut de protection du demandeur par les autorités kosovares, dans la mesure où la plainte du demandeur pour les faits subis en 2010 avait connu des suites et que le demandeur est resté en défaut d’indiquer le suivi réservé à sa comparution devant le tribunal en 2012. Ce constat de l’existence d’une protection de la part des autorités policières et judiciaires kosovares n’est pas utilement remis en cause par les développements du demandeur concernant les problèmes affectant la justice kosovare.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur le statut de réfugié.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 (…) ».
L’article 37 de la loi du 5 mai 2006 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « (…) des motifs sérieux et avérés de croire que (…) », si elle était renvoyée dans son pays d’origine elle « (…) courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 37 (…) », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les atteintes graves d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existent de bonnes raisons que de telles actes ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque de faire l’objet d’atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Or, il y a lieu de constater que le tribunal ne s’est pas vu soumettre de la part du demandeur des éléments susceptibles d’établir, sur base des mêmes évènements ou arguments que ceux invoqués dans le cadre de la demande tendant à se voir reconnaître le statut de réfugié, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité. Plus particulièrement, le demandeur est resté en défaut d’établir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, le Kosovo, il risquerait la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international, étant précisé que l’existence d’une protection par les autorités kosovares n’a pas été utilement remise en cause par le demandeur.
Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres éléments, c’est à juste titre que le ministre a retenu que le demandeur n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il courrait le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il lui a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
2) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».
A cet égard, le demandeur expose que dans la mesure où il aurait fait valoir une crainte justifiée de persécution sinon d’atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006, l’ordre de quitter le territoire serait à annuler.
Or, le tribunal vient de retenir que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale sous analyse, de sorte qu’a priori, il a pu assortir la décision négative d’un ordre de quitter le territoire conformément à l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006.
Le demandeur fait en outre valoir que l’ordre de quitter le territoire encourrait l’annulation au motif qu’il violerait l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés individuelles signée à Rome en date du 4 novembre 1950, désignée ci-
après « CEDH » ainsi que l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », dans la mesure où un retour au Kosovo l’exposerait à des traitements cruels, inhumains et dégradants. Il fait plaider qu’en matière de refoulement le critère des risques de mauvais traitements serait à analyser de manière plus large que dans le cadre de la reconnaissance d’une protection internationale.
Aux termes de l’article 129 de la loi précitée du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
Il convient de relever que l’article 129, précité, renvoie à l’article 3 de la CEDH aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Si l’article 3 de la CEDH proscrit ainsi la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé aux demandeurs pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la mesure d’éloignement en soi qui pose problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une telle mesure aurait pour conséquence d’exposer une personne à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement, pour apprécier s’il existe un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour au Kosovo, le tribunal administratif a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur, de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, point b) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal ne saurait se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH1, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur au Kosovo soit, dans ces circonstances, incompatible avec l’article 3 de la CEDH.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 6 mai 2014 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne le demandeur aux frais.
1 CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.
Ainsi jugé par :
Anne Gosset, premier juge, Paul Nourissier, juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 26 février 2015 par le premier juge, en présence du greffier Monique Thill.
s. Monique Thill s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 février 2015 Le greffier du tribunal administratif 17