Tribunal administratif Numéro 33851 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 janvier 2014 1re chambre Audience publique du 9 février 2015 Recours formé par la société en faillite …, …, contre des décisions du ministre délégué au Développement Durable et aux Infrastructures en matière d’établissements classés
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 33851 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 janvier 2014 par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant eu son siège à L-…, inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le n° B…, déclarée en état de faillite par jugement du tribunal de commerce de Luxembourg du 15 juillet 2009, représentée par son curateur. Maître Evelyne KORN, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre délégué au Développement Durable et aux Infrastructures, référencé sous le n° 1/10/0311-1 du 19 juillet 2013, fixant les conditions pour assurer la décontamination, l’assainissement du sous-
sol et la remise en état du site de la scierie industrielle sis dans la zone industrielle du …. à …, ainsi que de la décision implicite de refus tirée du silence gardé par le ministre délégué au Développement Durable et aux Infrastructures pendant un délai de trois mois suite à un recours gracieux daté du 29 août 2013 introduit à l’encontre de l’arrêté n° 1/10/0311-1, précité, Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 mars 2014 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2014 par Maître Marc THEWES pour compte de la société demanderesse ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2014 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté critiqué ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Camille SAETTEL, en remplacement de Maître Marc THEWES, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 janvier 2015.
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La société à responsabilité limitée …, ci-après « la société … », s’est installée au cours de l’année 2007 dans la zone industrielle à caractère régional … à …, en vertu d’un droit de superficie octroyé par le Syndicat intercommunal pour l’aménagement, la promotion et l’exploitation d’une zone d’activité économiques à caractère régional (SIAEG), où elle exploita une scierie industrielle.
Le 22 juin 2009, la société … fut déclarée en faillite par le Amtsgericht de Trèves et ensuite par jugement du Tribunal de commerce de Luxembourg du 10 juillet 2010. La cessation d’activité de la société fut notifiée à l’administration de l’Environnement en date du 13 juillet 2010.
Par arrêté n° 1/10/0311 du 23 août 2010, le ministre délégué au Développement Durable et aux Infrastructures ordonna au curateur de la société …, Maître Evelyne KORN, de procéder à la réalisation d’une étude analytique du sol, sous-sol, des eaux souterraines et des constructions de l’établissement. Maître Evelyn KORN, agissant en qualité de curateur de la société …, chargea le bureau d’étude … de réaliser les études requises, lesquelles firent l’objet d’un rapport d’étude historique et documentaire le 18 mai 2011 et d’une étude analytique des sols, sous-sol et nappe d’eau souterraine le 3 janvier 2012.
Par arrêté n° 1/2010/0311/139 du 22 septembre 2010, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration accorda à la société … la cessation d’activité de la scierie, telle que notifiée le 13 juillet 2010.
Par courrier du 16 mars 2012, l’administration de l’Environnement exigea la présentation d’un plan de travail, tel que dans l’arrêté du 23 août 2010.
Par courrier du 29 mars 2012, Maître Evelyne KORN, en sa qualité de curateur de la société …, informa d’abord l’administration qu’elle était dans l’impossibilité de présenter un plan de travail relatif à la remise en état du site, étant donné qu’une société tierce avait entre-
temps acquis le droit de superficie antérieurement détenu par …, ainsi que les différentes constructions érigées sur le terrain, pour ensuite se conformer aux exigences de l’administration : aussi, un plan de travail fut établi par … le 25 mai 2012.
Après divers échanges de courriers, le ministre délégué au Développement Durable et aux Infrastructures prit finalement sur base de l’actuel article 13.8. de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés l’arrêté référencé sous le n° 1/10/0311-1, notifié à Maître Evelyne KORN le 1er août 2013, imposant des obligations de remise en état et de dépollution du site de la scierie industrielle sise dans la zone industrielle … à …, et définissant les conditions de cette remise en état, les travaux de remise en état du site devant ainsi comprendre :
« - la mise en place des équipements requis lors des travaux ;
- le démontage et l’enlèvement des cuves aériennes installées dans le bâtiment « Ancienne chaufferie » ;
- la déconstruction sélective du bâtiment de l’ancienne centrale électrique;
l’assainissement du sol par excavation de la zone de l’ancienne centrale électrique ;
- le nettoyage de la zone de stockage de ferrailles et de caoutchoucs solides divers pour autant que les matériaux y entreposés ont le statut de déchets ;
- l’évacuation et l’élimination des déchets contaminés résultant des travaux de remise en état du site ».
Par courrier du 29 août 2013, la société …, représentée par son curateur, fit introduire un recours gracieux contre cet arrêté, sans que le ministre concerné n’y ait toutefois répondu.
2 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 janvier 2014, la société … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté précité du ministre délégué au Développement Durable et aux Infrastructures, n° 1/10/0311-1, du 19 juillet 2013, ainsi que de la décision implicite de refus tirée du silence gardé par le même ministre pendant un délai de trois mois suite à un recours gracieux daté du 29 août 2013 introduit à l’encontre de l’arrêté n° 1/10/0311-1, précité.
Le tribunal est compétent, au vœu des dispositions de l’article 19 de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés, pour statuer en tant que juge du fond en la matière, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner le recours en annulation, formulé à titre subsidiaire.
Le recours principal en réformation est recevable pour avoir été déposé dans les formes légales et les délais prévus par l’article 19 de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés.
Quant au fond, la société … oppose à l’arrêté ministériel déféré quatre moyens distincts, lesquels peuvent être résumés comme suit :
o la société … conteste l’obligation de remise en état et de dépollution du site au motif qu’elle ne serait pas le dernier exploitant du site ;
o elle estime ensuite que les mesures de dépollution imposées ne seraient plus nécessaires compte tenu des travaux commencés et projetés par des sociétés ayant décidé de s’implanter sur le site ;
o l’arrêté litigieux serait contraire au principe du pollueur-payeur, dans la mesure où il tendrait à lui imposer l’obligation de dépollution, alors qu’elle ne serait ni producteur, ni détenteur des déchets ;
o enfin, l’arrêté ministériel déféré serait contraire aux principes applicables en matière de faillite.
A titre liminaire, le tribunal doit relever que le présent recours doit être considéré comme ayant fait l’objet d’une instruction manifestement insuffisante de la part de l’autorité compétente, celle-ci n’ayant pris position que de manière lacunaire par rapport aux moyens lui opposés par la société ….
Le tribunal souligne en particulier que les moyens de la société demanderesse tirés de la législation relative aux faillites ont été opposés une première fois au ministre compétent dans le cadre du recours gracieux du 29 août 2013, sans que celui-ci n’y réponde ; confrontée à la même argumentation en cours de procédure contentieuse, la partie étatique n’y a pas non plus répondu, et ce même après que la société … ait mis en exergue dans son mémoire en réplique le silence maintenu par l’Etat.
Or, le fait pour une administration de ne pas prendre position par rapport à des moyens lui opposés, et ce tant au niveau pré-contentieux qu’au niveau contentieux, outre de témoigner d’un désintérêt manifeste à l’issue du litige et d’un manquement flagrant à l’obligation primordiale de collaboration du pouvoir exécutif à la bonne administration de la justice, doit être considéré par le tribunal comme constituant une admission du bien-fondé des moyens lui opposés, l’autorité administrative n’ayant manifestement pas d’argument valable à opposer aux moyens de l’administré.
3 Au-delà de cette remarque, le tribunal relève que comme les trois premiers moyens de la société … visent en substance à contester sa responsabilité, respectivement son obligation en tant qu’ancien exploitant du site à procéder à la remise en état du site requise, le tribunal procèdera à leur analyse de manière globale.
A cet égard donc, comme indiqué ci-dessus, la société … conteste l’obligation de remise en état et de dépollution du site au motif qu’elle ne serait pas le dernier exploitant du site. Elle expose que si l’arrêté ministériel critiqué repose sur l’article 13.8 de la loi modifiée du 10 juin 1999 qui ferait peser l’obligation de remise en pristin état et de dépollution sur le dernier exploitant du site, ce dernier serait en l’espèce la société …, s’étant établie en même temps qu’elle sur le site litigieux, l’aurait quitté en date du 8 septembre 2009, soit postérieurement au 22 juin 2009, date de la cessation des activités de la société …, de sorte que la société … serait le dernier exploitant en titre du site.
La société … expose qu’ensuite, la société … se serait portée adjudicataire de ses biens, aurait obtenu un permis de construire, aurait même formulé une demande d’autorisation d’établissement et commencé certains travaux, de sorte qu’il conviendrait de considérer que cette société se serait substituée à elle dans sa qualité d’exploitant.
Enfin, elle fait plaider que les mesures imposées par l’arrêté ministériel critiqué ne seraient plus nécessaires, en raison des travaux commencés par les nouveaux exploitants du site : c’est ainsi que dans la chaufferie, deux cuves auraient été vidangées et nettoyées sur demande de la société …. Deux cuves aériennes auraient encore été vidangées et nettoyées et seraient encore sur le site en attente d’une élimination, tandis que les chaudières auraient disparu. Par ailleurs, la société … aurait également commencé les travaux de démolition de la centrale électrique.
En sus de cette argumentation, respectivement en conclusion de celle-ci, la société … se prévaut d’une violation du principe du « pollueur payeur », aux termes duquel la responsabilité définitive du dommage causé par des déchets incomberait au producteur de ceux-ci. Or, elle donne à considérer n’avoir exercé son activité sur le site que pendant une période très réduite, depuis la fin de l’année 2007 jusqu’au mois de juillet 2009, alors que la société … serait le premier exploitant du site, puisqu’avant 1991, le terrain aurait été utilisé comme terres cultivables. La société … aurait d’ailleurs commencé l’exploitation du site à compter du 17 septembre 1992, date de l’arrêté du ministère de l’Environnement l’autorisant à exploiter une scierie avec raboterie, la société en question ayant encore été autorisée à plusieurs reprises à agrandir les installations présentes sur le site, et à étendre son activité, l’ensemble des installations concernées par la remise en état ayant été présentes et exploitées par la société …, la société … mettant en particulier en exergue le fait que la chaufferie, la zone de stockage et la centrale électrique étaient présentes et exploitées par la société …, de sorte que cette dernière aurait à tout le moins contribué à la production des déchets en cause, et devrait être tenue d’en supporter les coûts de la dépollution, conformément au principe du pollueur-payeur : partant, le fait de faire supporter à la société … l’intégralité de la remise en état constituerait une violation du principe du pollueur-payeur.
Dans le même ordre d’idées, la société … fait encore remarquer qu’elle ne saurait non plus être considérée comme détenteur des déchets, puisqu’elle n’aurait été présente sur le site que de manière précaire alors qu’elle aurait uniquement été bénéficiaire d’un droit de superficie, octroyé par le SIAEG, de sorte que le SIAEG devrait être considéré comme détenteur des déchets.
4 Le tribunal constate toutefois que si la société … met en exergue le fait que la société …, laquelle aurait exploité le site en parallèle, ne l’aurait quitté qu’en date du 8 septembre 2009, date du transfert de son siège social, pour en déduire que la société … serait à considérer comme dernier exploitant du site, le seul transfert du siège social par acte notarié du 8 septembre 2009 ne saurait induire ipso facto une poursuite des activités en ces lieux jusqu’à cette date par la société …. Bien au contraire, il échet de constater qu’il résulte de l’étude analytique des sols, sous-sol et nappe d’eau souterraine établie le 3 janvier 2012 par le bureau d’études … s.à r.l., référencée sous le n° 1105/2/37-a, que la société … s’était installée fin 2007 sur le site précédemment occupé par la société … et « reprend les activités d’…1 ».
Dès lors, si la société … disposait encore administrativement d’un siège social domicilié sur le site du … à …, il résulte toutefois des termes mêmes du prédit rapport qu’elle y avait cessé toute activité fin 2007 au profit de la société ….
Dès lors, seule la société …, à défaut de tout élément concret établissant une exploitation ultérieure du site par la société …, doit être a priori considérée comme avoir été le dernier exploitant du site.
Comme relevé ci-avant, l’exploitant d’un établissement doit, aux termes de l’article 13.8. de la loi modifiée du 10 juin 1999, déclarer préalablement la cessation d’activité définitive de son établissement, afin de permettre à l’autorité compétente d’émettre une décision fixant « les conditions en vue de la sauvegarde et de la restauration du site, y compris la décontamination, l’assainissement et, le cas échéant, la remise en état et toutes autres mesures jugées nécessaires pour la protection des intérêts visés à l’article 1er ».
Si l’article 13.8 de la loi modifiée du 10 juin 1999 ne définit pas explicitement le destinataire d’une telle décision, il tombe sous le sens qu’il s’agit a priori et en principe de l’exploitant ayant cessé ses activités, celui-ci étant censé être responsable de la remise en pristin état ultérieure du site.
La notion d’« exploitant » est toutefois définie comme suit par l’article 2.14 de la loi modifiée du 10 juin 1999 : « toute personne physique ou morale qui exploite ou détient, en tout ou en partie, un établissement ou toute personne qui s’est vu déléguer à l’égard de ce fonctionnement technique un pouvoir économique déterminant », le terme d’établissement visant pour sa part, conformément à l’article 1er (2) de la même loi, « tout établissement industriel, commercial ou artisanal, public ou privé, toute installation, toute activité ou activité connexe et tout procédé, […], dont l’existence, l’exploitation ou la mise en œuvre peuvent présenter des causes de danger ou des inconvénients à l’égard des intérêts dont question au point 1 ».
En d’autres termes, la notion d’« exploitant », au-delà de la signification usuelle de ce terme, implique soit une exploitation effective d’un établissement soit la détention de celui-ci, couvrant ainsi tant l’hypothèse d’une exploitation en cours que celle d’une exploitation arrêtée, l’exploitant assujetti aux obligations de l’article 13.8. étant dans ce dernier cas la personne physique ou morale ayant antérieurement exploité un établissement et le détenant toujours : il s’agit normalement et en pratique d’une seule et même personne, à savoir l’ancien et dernier exploitant, ce qui toutefois n’exclut pas des situations où l’ancien 1 Page 9 du rapport SOLETUDE du 3 janvier 2012.
5 exploitant économique n’est plus le détenteur de l’établissement, lequel demeure alors le débiteur des obligations inscrites à l’article 13.8 précité.
Cette distinction s’explique et se justifie par la nécessité de conférer un caractère exécutoire à l’article 13.8 : en effet, la restauration du site, en ce compris la décontamination, l’assainissement et la remise en état du site, ne doivent pas demeurer un vain souhait de la part du législateur et de l’autorité compétente, mais doivent pouvoir être effectivement réalisées : il importe dès lors de ne pas se contenter d’impartir une telle obligation sur l’ancien exploitant du site, mais sur celui-ci qui se trouve effectivement, matériellement en mesure de réaliser les opérations requises, à savoir le détenteur actuel de l’établissement.
Le tribunal constate d’ailleurs que la partie étatique semble partager cette analyse, puisqu’elle fait plaider, certes à l’égard de la société …, que celle-ci, en ayant repris les activités - partant l’établissement - de la société …, aurait repris « les autorisations et obligations y attachées », s’agissant « d’un droit réel qui s’attache à la propriété sur laquelle l’autorisation porte et non pas à la personne elle est accordée ».
Or, en l’espèce, il est constant en cause que la société … n’est ni détentrice de l’établissement pris en sa signification légale, ni détentrice des différents immeubles construits sis sur le site, ni enfin du sol sur lesquels ceux-ci ont été érigés et qui accueille la pollution principale, localisée au niveau de la centrale électrique et due à une huile jaunâtre, et ce tant à la date de la prise de l’arrêté ministériel litigieux qu’au jour où le tribunal statue.
En effet, il résulte des explications de la société … que celle-ci ne disposait que d’un droit de superficie portant sur le site litigieux en vertu d’un contrat de concession de droits de superficie du 29 octobre 2007, régi par la loi du 10 janvier 1824 sur le droit de superficie, aux termes de laquelle2 le fonds reste la propriété du propriétaire des terrains concernés, à savoir en l’espèce le SIAEG.
Il résulte encore des pièces versées en cause que ce droit de superficie et les constructions érigées sur le site furent acquis par des tiers par voie d’adjudication publique en date du 8 juin 2010, circonstance qui fut notifiée à l’autorité compétente par courrier du curateur du 13 juillet 2010. Or, il résulte de l’acte afférent que les acquéreurs de la concession de superficie ont également acquis en propriété immobilière les bâtiments, ouvrages ou plantations élevés ou acquis sur les fonds concernés, et ce pour toute la durée du contrat.
La société … n’étant plus exploitante au sens de l’article 2.14 de la loi modifiée du 10 juin 1999, puisqu’elle n’exploitait plus l’établissement en question, ni n’en était détenteur, elle ne saurait être soumise aux obligations légales découlant de l’article 13.8 de la loi modifiée du 10 juin 1999, sans préjudice évidemment d’éventuelles dispositions contractuelles découlant du contrat de superficie, le tribunal notant à ce sujet que les nouveaux superficiaires ne sont, aux termes des contrats de concessions successifs, ni responsables d’une quelconque pollution éventuelle pouvant exister au moment de la signature des actes de concession respectifs, ni tenus aux frais de dépollution y relatifs, chaque concessionnaire successif ayant encore été obligé de souscrire à une assurance couvrant notamment les risques de responsabilité civile en cas de pollution ou de contamination des terrains concédés.
2 Art. 1er de la loi du 10 janvier 1824.
6 Cette conclusion n’est pas énervée par les explications de la partie étatique selon lesquelles l’activité de la société … n’aurait pas été reprise, et en particulier pas par la société … …, de sorte que la société … serait à considérer comme dernier exploitant de l’établissement visé par l’arrêté ministériel incriminé, cette argumentation ne répondant pas au moyen de la société demanderesse axé sur le fait qu’elle n’est plus détenteur ni des immeubles, ni du terrain, cet élément, pourtant notifié à d’itératives reprises à l’autorité compétente, ayant tout simplement occulté par celle-ci.
Dans le même ordre d’idées, le tribunal constate encore que la société …, respectivement son curateur, ont à plusieurs reprises signalé à l’autorité compétente ne plus avoir accès au site : ainsi par courrier du 6 novembre 2012 du curateur, par recours gracieux du 29 août 2013 et dans la requête introductive d’instance, sans que la partie étatique ne prenne toutefois cette circonstance en compte. Le tribunal ne saurait à ce sujet partager l’attitude de la partie étatique consistant à se borner à opposer à la société … un arrêt de la Cour administrative, tiré de son contexte, sans concrètement répondre au problème clairement posé tel que rencontré par la société demanderesse, l’obligation de remise en pristin état ne devant en effet pas demeurer une obligation théorique, non réalisable ; bien au contraire, il appartient à l’autorité compétente de s’assurer, au-delà du respect aveugle de la lettre de la loi, de la faisabilité technique et de la viabilité économique des mesures qu’elle impose.
En effet, s’il résulte certes de l’arrêt du 23 juillet 2008 de la Cour administrative3 que l’impossibilité pour le curateur d’accéder aux lieux de l’établissement en cause n’est pas de nature à invalider ni la légalité ni le bien-fondé de l’arrêté ministériel, il s’agissait dans ce cas précis seulement d’un arrêté ministériel imposant au curateur la réalisation d’une étude analytique du sol, sous-sol, des eaux souterraines et des constructions de l’établissement, et non comme en l’espèce d’un arrêté imposant la décontamination, l’assainissement du sous-
sol et la remise en état du site, c’est-à-dire d’un arrêté impliquant des travaux d’importance sur un terrain et des immeubles dont la société … n’est ni détenteur, ni propriétaire.
Or, en ce qui concerne ce second stade, relatif à la remise en état du site, au-delà de la seule réalisation de ce programme analytique, le tribunal administratif dans son jugement du 30 janvier 20084, ultérieurement confirmé par l’arrêt discuté, avait explicitement retenu que « il convient encore de souligner que si l’arrêté entrepris (…) impose au curateur d’établir dans un délai déterminé un programme analytique en vue de la détection et de la quantification d’une pollution éventuelle du sol, du sous-sol, des eaux sous- terraines et des constructions de l’établissement concerné par la cessation d’activité, de même qu’un plan de travail relatif à la remise en état du site, la responsabilité définitive du dommage causé par des déchets incombe au producteur des déchets par application de l’article 29 de la loi du 17 juin 1994 relative à la prévention et à la gestion des déchets et le coût de l’élimination des déchets doit être supporté par le détenteur des déchets et ceci par application de l’article 15 de la loi précitée du 17 juin 1994 qui consacre le principe « pollueur-payeur », détenteur qui est défini par l’article 3 de ladite loi comme le producteur de déchets ou la personne physique ou morale qui a les déchets en sa possession, c’est-à-dire le cas échéant également le propriétaire des lieux », de sorte à indiquer clairement que la remise en pristin état du site devrait in fine incomber au propriétaire du site, et non au dernier exploitant, non détenteur 3 Cour adm. 23 juillet 2008, n° 24157C du rôle.
4 Trib. adm. 30 janvier 2008, n° 23275 du rôle.
7 des immeubles concernés, solution par ailleurs encore retenue par les juridictions administratives dans d’autres cas5.
Cette conclusion non seulement rejoint l’argumentation de la société … développée en l’espèce sur base du principe du pollueur-payeur, mais également celle basée sur les préceptes du droit de la faillite.
Evidemment, d’une manière générale, le dessaisissement du failli n’a aucune incidence sur les obligations d’ordre public découlant de l’application de la législation sur les établissements classés, en tout cas lorsque le failli demeure détenteur de l’établissement dont l’activité a cessé, ni aucune incidence sur la légalité per se d’un arrêté ministériel imposant comme en l’espèce la sauvegarde et la restauration du site ; toutefois, il ne saurait être fait abstraction de l’état de faillite dans la mesure où l’arrêté déféré a une incidence patrimoniale évidente sur l’actif, respectivement le passif de la faillite.
Concrètement, le tribunal supposant que le curateur ne procèdera pas lui-même à l’assainissement du site, une société spécialisée devra être chargée de procéder aux travaux de remise en pristin état et de dépollution, laquelle ne manquera pas d’exiger la rémunération de ses services, rémunération dont le versement, compte tenu de l’état de faillite de la société …, doit être considéré comme étant très largement incertain. Or, comme rappelé ci-dessus, l’autorité compétente, doit au-delà du simple maintien d’une position déterminée, être pragmatique et veiller à ce que les compétences lui dévolues et les objectifs fixés par la loi soient effectivement respectés : il lui appartient dès lors, comme relevé ci-avant, également de veiller à la faisabilité technique et matérielle et à la viabilité économique des mesures imposées.
Or, en l’espèce, l’autorité administrative n’a pas rencontré les objections valables de la société demanderesse tirées, d’une part, de difficultés financières évidentes à exécuter l’arrêté entrepris, et d’autre part, de la difficulté d’accès au site, compte de l’existence d’autres entités, propriétaires ou détenteurs des immeubles concernés.
Si ces problèmes, comme d’ores et déjà retenu ci-avant, ne sont en principe pas de nature à invalider la légalité de l’arrêté déféré, le tribunal ne statue toutefois pas en l’espèce en tant que juge de la légalité, mais en tant que juge de la réformation, appelé à statuer au fond et à refaire l’appréciation en fait et en droit, « voire de refaire - indépendamment de la légalité - l’appréciation de l’administration6 » en se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, et à prendre, le cas échéant, une autre décision plus appropriée.
Aussi, du point de vue de l’appréciation et de l’opportunité de l’arrêté ministériel critiqué, le tribunal retient que le ministre a à tort fait abstraction de la situation de la société … pour maintenir les obligations à sa charge, alors qu’il aurait d’abord dû s’assurer de la faisabilité et de la viabilité des mesures imposées à la société en faillite.
Il résulte dès lors de l’ensemble des développements qui précédent que c’est à tort que le ministre a imposé à la société … l’obligation de procéder à la remise en état et à la dépollution du site, aussi, l’arrêté ministériel déféré et le refus implicite résultant du silence maintenu par le ministre au-delà d’un délai de trois mois après notification du recours 5 Voir notamment trib. adm. 18 janvier 2010, n° 25726, confirmé par arrêt du 1er juillet 2010, n° 26661C.
6 Cour adm. 6 mai 2008, n° 23341C, Pas. adm. 2012, V° Recours en réformation, n° 11.
8 gracieux encourent l’annulation, le tribunal ne disposant pas des éléments lui permettant d’épuiser utilement ses pouvoirs de réformation en y substituant une autre décision visant, le cas échéant, le propriétaire du site, respectivement les détenteurs actuels des immeubles concernés.
La société … réclame la condamnation de l’Etat à une indemnité de 2.500 euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée ; il y a toutefois lieu de constater que les conditions d’application et notamment l’établissement du caractère d’iniquité résultant du fait de laisser les frais non répétibles à charge de la partie demanderesse n’ont pas été rapportées à suffisance comme étant remplies en l’espèce, de sorte qu’il y a lieu de rejeter la demande afférente.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond le déclare justifié ;
partant par réformation, annule l’arrêté du ministre délégué au Développement Durable et aux Infrastructures, n° 1/10/0311-1 du 19 juillet 2013, ainsi que la décision implicite de refus tirée du silence gardé par le même ministre pendant un délai de trois mois suite au recours gracieux introduit à l’encontre de l’arrêté n° 1/10/0311-1, et renvoie le dossier en prosécution de cause devant l’autorité compétente ;
dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en obtention d’une indemnité de procédure telle que formulée par la partie demanderesse ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 février 2015 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Schmit s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9/2/2015 Le Greffier du Tribunal administratif 9