Tribunal administratif N° 35699 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 janvier 2015 1re chambre Audience publique du 19 janvier 2015 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35699 du rôle et déposée le 9 janvier 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … (Nigéria), et être de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 décembre 2014 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER sa plaidoirie à l’audience publique du 19 janvier 2015.
___________________________________________________________________________
Un mandat d’amener ayant été dressé à son encontre du chef de vol, Monsieur … fut placé en détention préventive au Centre pénitentiaire de Luxembourg le 31 mars 2014.
En date du même jour, un agent du Centre pénitentiaire informa le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », du fait que Monsieur … était dépourvu d’une pièce d’identité valable.
Une recherche dans la base de données européennes EURODAC effectuée le 16 septembre 2014 renseigna que Monsieur … avait déposé une demande de protection internationale à Turin en Italie le 29 août 2005 ainsi qu’à Chiasso en Suisse le 1er mars 2013.
Par arrêté du 4 décembre 2014, pris sur base des articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », le ministre constata le séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois de Monsieur …, lui ordonna de quitter sans délai ledit territoire et lui interdit l’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans.
Le même jour, le ministre prit encore un arrêté ordonnant le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de sa notification. Ledit arrêté, notifié le 4 décembre 2014, est basé sur les considérations suivantes :
« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu ma décision de retour du 4 décembre 2014 comportant une interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans ;
Attendu qu’au vu de la situation particulière de l’intéressé, il n’existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu’une mesure de placement alors que les conditions d’une assignation à domicile conformément à l’article 125 (1) ne sont pas remplies ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que l’intéressé se trouvait en détention ;
Considérant que l’intéressé est signalé au système EURODAC comme ayant déposé deux demandes d’asile, en Italie en date du 29 août 2005 et en Suisse en date du 1er mars 2013 ;
-
qu’une demande de reprise en charge en vertu de l’article 18§1b du règlement (CE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 sera adressée aux autorités compétentes dans les meilleurs délais ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les meilleurs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2014, Monsieur … fit introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision ministérielle de placement en rétention précitée du 4 décembre 2014, recours dont il fut débouté par jugement du 23 décembre 2014, n° 35600 du rôle.
Par arrêté du 29 décembre 2014 du ministre, notifié à Monsieur … le 2 janvier 2015, la mesure de placement fut prorogée pour une nouvelle durée d’un mois sur base des considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 4 décembre 2014, notifié le même jour, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;
Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 4 décembre 2014 subsistent dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes;
Considérant qu’une demande de reprise en charge en vertu de l’article 20§5 du règlement (UE) n° 604/2013 a été adressée aux autorités italiennes en date du 5 décembre 2014 ;
-
que les autorités italiennes ont refusé la reprise en charge en date du 16 décembre 2014 ;
-
qu’une demande de reprise en charge en vertu de l’article 20§5 a été adressée aux autorités suisses en date du 18 décembre 2014 ;
-
que les autorités suisses ont refusé la reprise en charge en date du 22 décembre 2014 ;
-
qu’une réclamation contre le refus du 16 décembre 2014 a été adressée aux autorités italiennes en date du 23 décembre 2014 ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) » Par requête déposée le 9 janvier 2015 2014 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision de prorogation précitée du 29 décembre 2014.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1), de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation.
Le recours principal en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Il n’y a par conséquent pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, Monsieur … affirme que la décision ministérielle ne serait pas suffisamment motivée, et ce au motif que le seul élément invoqué par le ministre à l’appui de la décision de prorogation serait le fait qu’une réclamation a été adressée aux autorités italiennes, le demandeur estimant qu’une telle motivation serait non seulement laconique mais encore dépourvue de toute objectivité et de réalisme, et ce, compte tenu de la position de refus des autorités italiennes déjà exprimée à l’égard de la première demande de reprise leurs adressée par les autorités du Grand-Duché de Luxembourg.
Ayant ensuite rappelé que la décision de placement le priverait de sa liberté et porterait en même temps atteinte à « l’intégrité de sa vie privée », le demandeur affirmant que la prolongation de sa rétention constituerait incontestablement une source de traumatisme tant psychologique que physique et le priverait de garder le contact avec sa famille, respectivement, avec ses enfants jumeaux, il s’empare de l’article 125 de la loi du 29 août 2008 en affirmant ne pas être indigne de bénéficier de l’application de cette disposition.
Par ailleurs, il affirme que l’inefficacité des démarches entreprises par l’autorité étatique serait manifeste au vu même du libellé de l’arrêté attaqué, puisque l’aboutissement des démarches tendant à son éloignement vers son pays d’origine serait tributaire de la réponse y réservée par les autorités italiennes : or, il serait constant que la position des autorités italiennes avait déjà été exprimée dès la décision de placement initiale, de sorte que l’approche basée sur la réclamation adressée par le ministre aux autorités italiennes constituerait une démarche contre-productive.
Enfin, il soutient que la décision ordonnant son placement au Centre de rétention serait arbitraire et qu’elle serait à qualifier de peine au sens de l’article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par « la CEDH ».
Le délégué du gouvernement estime pour sa part que la décision de prorogation du placement en rétention de Monsieur … serait justifiée en fait et en droit, de sorte que le demandeur serait à débouter de son recours.
Quant au premier moyen tiré d’un défaut d’indication des motifs de la nécessité de la mesure de placement, respectivement d’une insuffisance de motifs justifiant la nécessité de la mesure, le tribunal constate que le demandeur soulève à cet égard un moyen identique à celui d’ores et déjà soulevé par rapport à la décision initiale de rétention et rejeté par le tribunal dans son jugement précité du 23 décembre 2014, et ce principalement au motif que l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, selon lequel toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et les catégories de décisions y énumérées doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce.
Le demandeur, outre de pas avoir interjeté appel à l’encontre de ce jugement, n’apporte aucune argumentation complémentaire, de sorte que tribunal ne saurait que réitérer l’analyse faite dans le jugement précité dont il reprend la motivation, de sorte que ce premier moyen est à rejeter pour les mêmes motifs.
Il convient de soumettre au même sort le second moyen du demandeur, concernant la motivation du refus de l’assignation à domicile, le tribunal ayant d’ores et déjà retenu dans son jugement précité que le seul constat du ministre qu’il n’existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu’une mesure de placement est suffisant pour motiver le recours à une mesure de placement au Centre de rétention, une motivation sommaire étant en effet suffisante à cet égard, étant relevé que le demandeur ne soumet au tribunal aucun élément concluant quant à des attaches particulières au Luxembourg susceptibles d’établir l’existence de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de fuite conformément à l’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, le tribunal relavant tout particulièrement que les attaches du demandeur se situent en Italie, où résident ses deux filles jumelles ainsi que leur mère, et vers où le ministre tente de le transférer.
En ce qui concerne les contestations soulevées par le demandeur quant aux diligences accomplies par le ministre en vue d’organiser son éloignement, celles-ci se limitent à la remise en cause générale, sans aucune précision, de l’exercice par le ministre des démarches suffisantes pour procéder à son éloignement rapide, le demandeur se bornant à invoquer l’inefficacité des démarches effectuées par le ministre, laquelle ressortirait du fait que les autorités italiennes auraient d’ores et déjà refusé sa reprise en charge.
Il convient toutefois de rappeler qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 : « (…) La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. (…) ». Or, il résulte du jugement précité du 23 décembre 2014 que suite aux résultats des recherches effectuées dans la base de données EURODAC, le ministre a contacté le 5 décembre 2014 les autorités italiennes en vue d’une éventuelle reprise du demandeur, soit le lendemain de la prise de la décision initiale de rétention ; si par courrier du 16 décembre 2014 les autorités italiennes se sont certes déclarées incompétentes pour reprendre en charge le demandeur et qu’elles ont estimé que la Suisse serait compétente pour une telle reprise en charge, le 18 décembre 2014, le ministre a adressé une demande de reprise en charge du demandeur aux autorités suisses, l’ensemble de ces démarches ayant amené le tribunal à retenir dans son jugement précité du 23 décembre 2014 que ces démarches entreprises étaient à considérer comme suffisantes en vue de l’identification et de l’éloignement du demandeur.
En ce qui concerne les démarches ultérieures, il résulte encore du dossier administratif et des explications de la partie étatique que le 22 décembre 2014, le ministre a reçu des documents d’identité concernant le demandeur et sa famille, à savoir notamment son permis de séjour italien, sa carte de sécurité sociale italienne ainsi que les permis de séjour de ses filles jumelles nées en Italie ; le 22 décembre 2014, les autorités suisses ont encore refusé la prise en charge de Monsieur … en confirmant que ce dernier était rentré chez lui en Italie, après avoir été débouté de sa demande d’asile en Suisse le 3 avril 2013, les autorités suisses elles-mêmes indiquant ne pas comprendre le refus des autorités italiennes. Le 23 décembre 2014, le ministre a encore reçu des documents émanant de l’avocat italien du demandeur concernant ses enfants, et le même jour, le ministre a réclamé la reprise en charge de Monsieur … aux autorités italiennes, en se basant sur ces informations lui transmises le même jour. Enfin, le 13 janvier 2015, les autorités italiennes ont finalement accepté la reprise en charge du demandeur, de sorte que le même jour, le ministre a pris une décision de transfert de l’intéressé sur base du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
Aussi, au vu des diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, tributaire de la collaboration des autorités italiennes, le tribunal est amené à retenir que la procédure d’éloignement, respectivement de transfert du demandeur est toujours en cours, mais qu’elle n’a pas encore abouti, encore qu’elle soit imminente, et que les démarches entreprises en l’espèce par les autorités luxembourgeoises doivent être considérées comme suffisantes, de sorte qu’il y a lieu de conclure que l’organisation de l’éloignement est toujours en cours et est exécutée avec toute la diligence requise.
Ainsi, et au vu des diligences déployées, le tribunal est amené à constater qu’au moment où il statue, des démarches suffisantes ont été entreprises afin de pouvoir procéder à l’éloignement du demandeur du territoire conformément aux exigences posées par l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008.
Partant, le moyen afférent laisse d’être fondé.
Par ailleurs, en ce qui concerne l’affirmation générale et vague du demandeur que la mesure de placement en rétention serait inadaptée et disproportionnée, ce moyen est, à défaut d’autres explications de nature à justifier en quoi le demandeur estime que cette mesure serait disproportionnée ou inadaptée, à rejeter comme étant non fondé.
Enfin, en ce qui concerne l’article 7.1 de la CEDH, force est de constater que celui-ci dispose que « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise ».
Or, le but assigné à la mesure de placement consiste en la mise à disposition du gouvernement d’un étranger en séjour irrégulier afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, et ce dans le but d’écarter du territoire des personnes indésirables. La finalité primordiale d’une telle mesure est ainsi celle d’assurer un contrôle de l’immigration, et non celle de sanctionner les personnes concernées pour des faits passés. Partant les mesures administratives s’inscrivant dans ce contexte du contentieux de l’éloignement n’ont pas le caractère d’une sanction pénale1.
Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non fondé et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 janvier 2015 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Arny Schmit s. Marc Sünnen 1 Voir en ce sens notamment trib. adm. 18 février 2004, n° 16938, Pas. adm. 2012, V° Droits de l’homme et libertés fondamentales, n° 46, et plus récemment trib. adm. 5 février 2014, n° 33941.