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07/01/2015 | LUXEMBOURG | N°34095

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 janvier 2015, 34095


Tribunal administratif N° 34095 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 février 2014 1re chambre Audience publique du 7 janvier 2015 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34095 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 février 2014 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …(T...

Tribunal administratif N° 34095 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 février 2014 1re chambre Audience publique du 7 janvier 2015 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34095 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 février 2014 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …(Turquie), de nationalité turque, demeurant actuellement à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 20 janvier 2014 portant refus de sa demande de protection internationale, et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2014 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Cigdem KUTLAR, en remplacement de Maître Olivier LANG, et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 décembre 2014.

En date du 19 octobre 2010, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».

Le même jour, Monsieur… fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-

Duché de Luxembourg.

Monsieur… fut entendu les 28 août et 3 octobre 2013 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 20 janvier 2014, expédiée par courrier recommandé le 21 janvier 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur… que sa demande en obtention d’une protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 19 octobre 2010.

Quant à vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 19 octobre 2010.

Il ressort dudit rapport que vous auriez quitté la Turquie le 14 octobre 2010 et que vous seriez arrivé au Luxembourg le 18 octobre 2010. Vous auriez payé 5.000.- euros pour le trajet et vous n’auriez pas amené votre passeport. Votre oncle, ……, habite également au Luxembourg.

Vous présentez une carte d’identité turque établie le 11 mai 2009.

Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères des 28 août 2013 et 3 octobre 2013.

Il résulte de vos déclarations que vous vous seriez d’ethnie kurde et que vous auriez quitté votre pays d’origine parce que vous y seriez discriminé.

Le 21 mars 2004, vous auriez participé aux festivités du Norouz à …et vous dites que les policiers seraient intervenus avec du gaz lacrymogène, des matraques et des armes parce que ces festivités n’auraient pas été autorisées à cette époque. Vous indiquez avoir été frappé par les policiers, puis menotté et amené au commissariat où vous auriez été placé dans une cellule pour 3 jours. Pendant cette garde à vue, vous auriez été frappé et des policiers auraient éteint des cigarettes sur votre épaule; vous n’auriez pas été interrogé. Un jour après votre libération, vous auriez été insulté par des policiers sur votre chemin de l’école. Vous auriez eu peur et vous seriez rentré à la maison; vous précisez ne plus jamais avoir fréquenté l’école depuis ce jour. Vous seriez par la suite parti à Istanbul. En 2004, vous auriez également participé aux manifestations annuelles non autorisées du 15 février condamnant l’arrestation d'ÖCALAN, ainsi qu’aux manifestations du 15 août, constituant le début du combat armé du PKK.

En 2005, vous seriez revenu pour 2-3 jours dans « votre région », mais vous auriez remarqué qu’il y aurait toujours les « mêmes problèmes » (vous parlez de fouilles et de contrôles de police) et vous seriez reparti à Istanbul où vous seriez resté jusqu’en 2008.

Vous seriez par la suite retourné à Sirnak pour participer à une fête au cours de laquelle le corps d’un « guérilla » aurait été enterré. Vous signalez que cette manifestation n’aurait pas été autorisée et que des policiers auraient filmé « tout le monde ». Le lendemain, vous auriez été placé en garde à vue et vous auriez de nouveau subi des « pressions psychologiques », vous auriez été frappé et on aurait encore une fois éteint des cigarettes sur votre épaule. Les policiers vous auraient ensuite menacé d’emprisonnement et ils vous auraient dit que vous devriez quitter la Turquie. Après votre libération, vous seriez allé à l’hôpital, mais le médecin, ayant appris que vous auriez été « maltraité » par des policiers, ne vous aurait pas consulté et ne vous aurait pas donné de rapport. Vous seriez ensuite reparti à Istanbul où vous auriez vécu clandestinement, tout en travaillant « jour et nuit » dans la construction. Vous affirmez avoir travaillé au noir et que votre patron n’aurait pas voulu vous enregistrer parce que vous seriez kurde. De plus, vous auriez deux fois essayé d’obtenir un travail en vous présentant auprès des « organes officiels ».

Apprenant que vous seriez kurde, « ils » vous auraient insulté et jeté dehors. Enfin, vous indiquez ne pas avoir pu participer à un concert à Istanbul parce que vous auriez été frappé et menacé de mort par un policier qui aurait appris que vous seriez kurde.

Vous auriez alors décidé de quitter la Turquie et, après avoir travaillé pendant un ou deux ans, vous auriez payé 5.000.- euros à un passeur pour vous emmener au Luxembourg. Vous auriez par la suite entendu que des policiers seraient à votre recherche puisqu’ils seraient passés à la maison de votre famille et qu’ils auraient demandé à votre père où vous vous trouveriez.

Selon vos dires, vous seriez recherché pour des raisons politiques puisque vous auriez fréquenté le parti DEHAP (BDP); cependant, il n’y aurait pas d’avis de recherche officiel lancé contre vous. Vous précisez ne jamais avoir été membre de ce parti. En tant que sympathisant du parti, vous auriez participé à des manifestations et distribué des affiches concernant des concerts. Vous affirmez avoir subi des gardes à vue « pour des raisons politiques » puisque les autorités vous auraient soupçonné de fréquenter « le Parti et d’adhérer au Parti » (p. 5/18).

Vous affirmez être un sympathisant d’Abdullah ÖCALAN et du PKK, mais vous n’en seriez pas membre.

A noter que vous avez versé un certificat médical indiquant que vous présentez des lésions arrondies « compatibles avec des cicatrices semi-récentes dues à l’écrasement de cigarettes allumées ».

Enfin, il ressort du rapport d’entretien qu’il n’y a plus d’autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.

Analyse ministérielle en matière de Protection internationale En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale est évaluée par rapport aux conditions d’obtention du statut de réfugié et de celles d’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Soulignons dans ce contexte que l'examen et l’évaluation de votre situation personnelle ne se limitent pas à la pertinence des faits allégués, mais qu’il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de vos déclarations.

1. Quant à la Convention de Genève Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des Réfugiés.

Rappelons à cet égard que l’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 c) de la loi modifiée du 5 mai 2006, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31(1) de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 28 de la loi susmentionnée.

Selon l’article 1A paragraphe 2 de ladite Convention, le terme de réfugié s’applique à toute personne qui craigne avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amenées à quitter votre pays d’origine pourraient à priori rentrer dans le champ d’application de ladite Convention, toutefois elles ne sont pas suffisamment graves pour pouvoir retenir dans votre chef l’existence d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006.

En effet, les actes invoqués (agressions, gardes à vue, insultes et menaces) que vous déclarez avoir subis de la part de policiers ne sauraient être considérés comme des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006.

Signalons en premier lieu que les événements dont vous faites état et qui se sont produits en 2004 ou 2005 sont trop éloignés dans le temps pour fonder une demande de protection internationale en 2010, soit au moins 5 ans plus tard. Ainsi, les incidents des festivités du Norouz de 2004, votre garde à vue, votre peur d’aller à l’école ou les fouilles et contrôles des policiers en 2005 ne sauraient pas être pris en compte dans le cadre de votre demande de protection internationale.

Il convient ensuite de noter que vous faites état de votre crainte d’être arrêté dans votre pays d’origine parce que la police serait à votre recherche puisqu’elle vous soupçonnerait d’avoir fréquenté le DEHAP. Or, force est de constater que vous affirmez vous-même qu’il n’existerait pas d’avis officiel de recherche lancé contre vous en Turquie. En plus, vous n’auriez jamais été membre de ce parti, ni de son aile de jeunesse. En effet, vous auriez uniquement participé à des manifestations et distribué des affiches concernant un concert. De ce point de vue, il est surprenant de constater que la police vous rechercherait pour des raisons politiques alors que vous n’auriez même pas été membre d’une quelconque organisation politique et que vous n’auriez participé que de manière minimale aux activités de ce parti. Il y a donc lieu de conclure que les craintes que vous exprimez, s’analysent plutôt en l'expression d’un simple sentiment général d’insécurité plutôt qu’en une crainte fondée, basée sur des faits concrets.

Ainsi, de simples craintes hypothétiques qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient cependant constituer des motifs visés par la Convention de Genève. Un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention.

Concernant les gardes à vue que vous auriez subies, il y a tout d’abord lieu de constater que celles-ci auraient eu lieu après que vous ayez participé à des manifestations non autorisées.

De ce point de vue, on ne saurait que difficilement faire valoir une forme quelconque de persécution tombant sous un des cas prévus par la Convention de Genève ou la loi modifiée du 5 mai 2006. En effet, le fait d’être amené au poste de police suite à la participation à une manifestation interdite, ne constitue pas une pratique étatique disproportionnée. A cela s’ajoute que des gardes à vue, même à titre répétitif, ne constituent pas en soi un acte de persécution au sens des prédits textes.

Quant aux insultes, coups et brûlures que vous auriez subis lors de votre garde à vue, il importe en premier lieu de noter que ceux-ci sont condamnables. Il en est de même des insultes et coups que vous auriez reçus de la part d’un policier lorsque vous auriez voulu vous rendre à un concert. Force est ensuite de constater que vous n’auriez jamais déclaré ces incidents aux autorités compétentes de votre pays d’origine. Bien que vous dites avoir eu peur pour votre vie si jamais vous portiez plainte contre un policier, cela ne justifie pas votre inaction. En effet, on peut noter que, si vous vous estimiez victime d’harcèlements policiers, voire de violences policières vous auriez toujours eu la possibilité de dénoncer ces faits auprès des autorités compétentes: « Un représentant de la HRFT a dit que les plaintes concernant la torture ou les mauvais traitements infligés par la police peuvent être déposées au bureau du procureur (HRFT 30 mai 2012). Selon le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, le procureur, qui est responsable de l'enquête, est assisté par la police ou la gendarmerie (Nations Unies 7 févr. 2007, paragr. 45). D'après le rapport de la HRFT, c'est au procureur qu'il incombe de lancer une enquête dès qu'il reçoit une plainte de torture (HRFT 15 oct. 2010, 19). En outre, le procureur doit examiner la scène de l'incident et recueillir des éléments de preuve (Ibid.j. Il doit superviser les installations où les détenus seraient placés et interrogés (ibid.). « .

Dans ce contexte, on peut noter que: « As of 1 October 2012, authorities dismissed 236 Turkish General Staff personnel for disciplinary and moral reasons but none for excessive use of force. As of 8 October 2012, the TNP reported that 870 investigations were opened against TNP personnel for excessive use of force, with 674 indictments. Authorities did not dismiss any Jandarma for excessive use of force, although they were investigating three cases at the end of 2012. ».

On peut également relever, que s’il est certes condamnable que des policiers vous auraient brûlé avec une cigarette en 2008, ce fait ne revêt tout de même pas un degré de gravité tel qu’il puisse être assimilé à un acte de persécution au sens des prédits textes. En plus, le comportement regrettable de certains policiers (vous parlez de trois ou quatre policiers qui seraient entrés dans votre cellule) ne saurait être considéré comme représentatif du système policier et du fonctionnement de la police turque dans son ensemble.

Concernant le fait qu’un médecin aurait refusé de vous soigner et de vous remettre un rapport, il s’agit de noter qu’il ne ressort pas clairement de vos dires que vous seriez effectivement entré dans cet hôpital. Ainsi, vous expliquez que: « Ensuite je voulais aller à l’hôpital et comme l’hôpital était en face du commissariat, j’avais peur de m’y rendre. J’avais peur de subir de nouveau une garde à vue » (p. 6/18). De même, vous signalez que: «(…) je voulais aller à l’hôpital. Je n’ai pas pu y aller, parce que le commissariat se trouvait juste en face de l’hôpital. Je suis donc rentré chez moi par la suite » (p. 12/18). Par contre, vous dites aussi: « Je suis allé à l’hôpital pour une consultation et pour obtenir un rapport. Or, le médecin ne m’a pas consulté et ne m’a pas donné de rapport médical » (p.7/18), ainsi que: « (…) il a refusé de me donner un rapport et il m’a chassé de l’hôpital » (p. 14/18). Force est de constater que ces deux versions sont incohérentes. Quoi qu’il en soit, il faut soulever le fait que si vous aviez peur de vous rendre dans un hôpital qui se trouverait en face d’un commissariat, rien ne vous aurait empêché de vous faire soigner dans un autre établissement. De même, vous auriez certainement eu la possibilité de consulter un autre médecin et vous n’auriez pas été obligé d’informer le personnel de l’hôpital sur l’identité de vos tortionnaires (si vous estimiez que cela aurait pu empêcher un médecin de vous soigner).

Enfin, vous seriez d’avis que vous ne trouveriez pas de travail et que vous ne seriez pas officiellement enregistré parce que vous seriez kurde. De même, les « organes officiels » (probablement une agence de l’emploi) vous auraient insulté et jeté dehors à deux reprises à cause de votre appartenance ethnique. Notons tout d’abord que vous affirmez avoir travaillé « jour et nuit » dans la construction et ceci pendant un ou deux ans. Il s’agit ensuite de constater qu’il n’est nullement établi que vous n’auriez pas trouvé de travail et que vous n’auriez pas été officiellement enregistré par votre employeur à cause de votre appartenance ethnique. En effet: « The problem of the size of the informal economy is even greater in Turkey, where undeclared work is as high as 43.8%2 and the size of the shadow economy itself is estimated to be as high as 50% of gross domestic product. As of 2009, of the 21.3 million people in the active working force, almost 9.3 million rank among those who are not subscribed to any social security scheme.

(…) Additional issues are the age gap, as younger and older age groups are more prone to be within the undeclared work category, and the education gap, with undeclared work prevalently higher among those with lower levels of schooling. (…) One of the most significant factors in the Turkish case, however, is the sheer scale of unemployment and poverty, which takes away any bargaining power workers might have vis-à-

vis employers. The weakness of organised labour, labour movements and solidarity is another factor that reduces the power of employees to resist the imposed obligation to work without social security coverage. A major part of the problem is the shortage of educated and skilled labour, making it a major disincentive for employers to pay higher sums for social security coverage given the low productivity. The low levels of productivity and high levels of unemployment combined imply that a significant part of the population are forced to work at wages below the legal minimum, and hence without legal registration. ».

Il ressort donc de ce rapport que le problème du chômage et de l’économie informelle n’est clairement pas limité à la seule population kurde. En effet, l’économie turque et les travailleurs dans leur ensemble sont confrontés à ces phénomènes. Le fait que vous auriez rencontré des problèmes sur le marché du travail ne saurait donc être considéré comme un acte de persécution tombant sous un des cas prévus par la Convention de Genève ou la loi modifiée du 5 mai 2006.

Il ne saurait pas non plus être établi que les Kurdes feraient l’objet de persécutions de la part des « organes officiels ». S’il est certes vrai que la population kurde ait fait l’objet de persécutions par le passé, la situation de la minorité kurde a nettement évolué depuis. En effet, le gouvernement turc a entrepris en 2012 des mesures visant à améliorer leur situation et leur intégration au sein de la société turque. Ce constat est soutenu par le dernier rapport de la Commission Européenne qui a estimé en octobre 2013 que: « Turkey is a strategic partner for the European Union considering the size of its economy and its important role in foreign policy and energy security. The positive agenda launched in 2012 continues to support and complement accession negotiations. There has been progress in judicial reforms and the government has started an historic peace process aimed at ending terrorism and violence in the Southeast of the country, paving the way to a solution to the Kurdish issue. ».

De même, il ressort du rapport de l’UK Home Office de mai 2013 que: « Following the general election of 12 June 2012 and the re-election of Prime Minister Recep Tayyip Erdogan's AKP government pledged to embark on a complete revision of the 1982 Constitution through consensus and negotiation with the opposition, parties outside of Parliament, the media, NGOs, with academics and with anyone who had something to say. Changes to the Constitution were crucial for Turkey's minorities, since only three minority groups were currently recognised, namely Armenians, Greeks and Jews. The others, including Alevis, Kurds and Roma, remain excluded. Even recognised minorities continue to face discrimination and the Parliament Conciliation Commission had been set up to work on revising the Constitution. Representatives of minority groups had begun to push for their cultural, linguistic and civil and political rights to be incorporated in the new Constitution and to be recognised as equal citizens. ».

Ou encore: « On 12 June 2012 Al Jazeera reported, Turkey has announced plans to allow schools to teach the Kurdish language as an elective subject, a step aimed at reconciliation that Kurdish minority activists argue does not go far enough. Recep Tayyip Erdogan , the Turkish prime minister, told his ruling party members in parliament on Tuesday that if "enough students come together, Kurdish can be taken as an elective lesson, it will be taught and it will be learned". Erdogan told parliament the measure was "a historic step". The government is trying to stop decades of fighting with Kurdish fighters seeking autonomy in the largely Kurdish southeast.

The teaching of Kurdish has long been banned in schools on the grounds that it could divide the country along ethnic lines. In recent years Justice and Development Party (AKP) government has adopted a softer approach, permitting Kurdish-language institutes and private courses as well as Kurdish language television broadcasts. However, it is the first time Turkish public schools will be able to offer Kurdish language courses at a time the government has faced criticism for dragging its feet on its so-called Kurdish initiative. Activists and Kurdish politicians, however, insist on autonomy and full Kurdish education in schools. (…) Ankara announced a so-called "Kurdish opening" in 2009 in a bid to persuade fighters of the Kurdistan Workers' Party (PKK) to end their decades-long struggle. The initiative included investment in Turkey's poorer southeastern region and greater recognition of Kurdish cultural and identity rights, but it faltered amid continued violence and a Turkish nationalist backlash. (…) Erdogan on Tuesday said his party was open to dialogue with all parties, including a pro-Kurdish party, for a solution. In 2011, Turkey's first Kurdish language department opened in the Mardin Artuklu and Mus Alparslan universities. The first alumni of these two schools are expected to graduate in 2015. Batman University is also expected to start up a Kurdish language department in the near future. ».

Le constat d’une amélioration incontestable du sort des Kurdes en Turquie est renforcé par le fait que: «Al Monitor » affirma en juin 2013 que: « Erdogan is planning to expedite some democratic opening moves related to Kurdish and Alevi issues to overcome his image erosion internally and externally. (…) According to reports leaking from the Council of Ministers, the government is planning to implement some concrete measures to continue with its Kurdish opening with mother tongue education, strengthening local administrations, softening the Law for Combating Terrorism and granting amnesty to PKK militants who have given up their guns.».

Il ressort donc clairement de ces rapports et articles que le gouvernement turc est activement en train d’améliorer la situation des Kurdes au sein de la société turque en leur garantissant plus de droits et de libertés.

En conclusion, les faits que vous alléguez ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.

De tout ce qui précède, les conditions permettant l’octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies.

2.

Quant à la Protection subsidiaire L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 37 de ladite loi, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 28 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié. Vous indiquez qu’en tant que kurde, vous auriez subi plusieurs injustices (agressions, gardes à vue, insultes et menaces) de la part de policiers turcs.

De plus, vous n’auriez pas trouvé de travail et un médecin n’aurait pas voulu vous soigner.

Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l’appui de votre demande, ne nous permettent pas d’établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

De tout ce qui précède, les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies.

Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Turquie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner.

La décision de rejet de votre demande de protection internationale est susceptible d'un recours en réformation devant le Tribunal administratif.

Un recours en annulation devant le Tribunal administratif peut être introduit contre l’ordre de quitter le territoire.

Les deux recours doivent faire l'objet d'une seule requête introductive, sous peine d'irrecevabilité du recours séparé. Le recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai d’un mois à partir de la notification de la présente.

Je vous informe par ailleurs que le recours gracieux n’interrompt pas les délais de la procédure ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 février 2014, Monsieur… a fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre du 20 janvier 2014 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte.

1) Quant au recours en réformation introduit contre la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Ledit recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur renvoie aux faits et rétroactes de sa demande en obtention d’une protection internationale tels que retranscrits dans les rapports d’entretien auprès de l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères.

Le demandeur souligne ensuite que même si le ministre n’avait pas directement mis en doute sa crédibilité, il aurait cependant tenté de jeter un discrédit sur ses déclarations en émettant des doutes sur un seul élément de son récit, à savoir la question de savoir si après être sorti de sa garde à vue en 2008, il s’était effectivement rendu à l’hôpital où il se serait vu refuser l’aide de la part d’un médecin. Monsieur… estime cependant que les doutes du ministre seraient la conséquence d’une mauvaise lecture de son rapport d’audition, le demandeur expliquant en effet que le 21 mars 2004, après avoir été libéré par la police, il aurait voulu se rendre à l’hôpital se trouvant devant le commissariat, mais qu’il se serait résigné par la suite de peur de subir une nouvelle garde à vue et que fin 2008, il se serait effectivement rendu à l’hôpital mais que le médecin aurait refusé de le soigner. Il en conclut qu’il s’agirait de deux évènements distincts, de sorte que ce serait à tort que le ministre aurait émis des doutes quant à sa crédibilité.

Quant à la situation générale de son pays d’origine, et en se basant sur l’article 26 (3) a) de la loi du 5 mai 2006 lequel imposerait au ministre d’examiner sa situation individuelle dans le contexte général de son pays d’origine, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir fait des recherches suffisantes quant à la situation sécuritaire de la minorité kurde en Turquie et plus particulièrement de celle des Kurdes ayant exprimé d’une manière ou d’une autre leurs opinions politiques et des Kurdes à qui de telles opinions politiques sont prêtées. Après avoir dressé un résumé de la cause kurde en Turquie, le demandeur, sur base des différents rapports d’organisations internationales et d’articles de presse, vient à la conclusion que la situation sécuritaire en Turquie devrait être assimilée à une poudrière qui menacerait d’exploser à la moindre contrariété entre les autorités turques et les Kurdes.

Quant à sa situation particulière et en se fondant sur l’article 26 (3), c) de la loi du 5 mai 2006, le demandeur critique tout d’abord que le ministre ait décidé de ne pas prendre en compte un certain nombre d’évènements en les jugeant trop éloignés dans le temps pour pouvoir fonder une demande de protection internationale, et ce alors même que le fait qu’il aurait abandonné l’école en 2004 serait directement lié à sa peur de la police suite à sa garde à vue lors de laquelle il aurait été torturé, peur qui l’aurait d’ailleurs poursuivi jusqu’à son départ au Luxembourg. De même, et en ce qui concerne les fouilles policières de 2005, le demandeur fait plaider que cet évènement aurait changé le cours de sa vie dans la mesure où il lui aurait fait comprendre qu’il ne pourrait plus se rendre dans sa ville natale. A cela s’ajouterait que tous les évènements décrits relèveraient du même dénominateur commun, à savoir son appartenance à la minorité kurde de Turquie, mais surtout ses opinions politiques. En ne prenant pas en compte les évènements marquants dont le demandeur aurait été victime depuis son adolescence, le ministre empêcherait également la bonne application des articles 26 (4) et 31 (1) b de la loi du 5 mai 2006 et il se priverait d’apprécier le volet subjectif de la crainte de persécution du demandeur.

En ce qui concerne l’appréciation des autres informations présentées par le demandeur et plus particulièrement les motifs à la base des persécutions invoquées, ce dernier, en se fondant sur les articles 2 d), 32 (1) a), 32 (1) c) et 32 (1) d) de la loi du 5 mai 2006, insiste sur le fait que sa demande de protection internationale aurait comme toile de fond des craintes de persécutions en raison de sa race, de sa nationalité et de son appartenance au groupe social des Kurdes de Turquie. Il estime également invoquer des craintes de persécutions en raison d’opinions politiques au sens de l’article 32 (1) e) de la même loi et ce même s’il n’avait pas été membre effectif du parti politique DEHAP, Monsieur… rappelant à cet égard que d’après l’article 32 (2) il serait indifférent qu’un demandeur de protection internationale possède effectivement la caractéristique liée notamment à ses opinions politiques pour autant que cette caractéristique lui soit attribuée par l’agent de persécution.

Quant à la gravité des actes invoqués, le demandeur reproche au ministre non seulement de ne pas s’être penché sur la gravité des persécutions qu’il craindrait subir mais qu’il aurait même minimisé la gravité des persécutions qu’il aurait d’ores et déjà subies. A cet égard, le demandeur met en exergue qu’il aurait dû faire face à des insultes, des coups, des gardes à vue et des tortures de la part des policiers turcs à cause de ses opinions politiques. Il rappelle avoir fourni un certificat médical au ministre lequel prouverait qu’il a subi des brûlures de cigarettes sur les épaules. En ce qui concerne plus particulièrement l’attitude affichée par les policiers turcs lors de manifestations kurdes, le demandeur renvoie à un article d’Amnesty International du 2 octobre 2013 qui dépeindrait la violence policière, notamment lors de manifestations. Le demandeur souligne encore qu’il ne faudrait pas seulement examiner les agissements dont il aurait déjà été victime mais également et surtout sa crainte de faire l’objet d’agissements futurs dont il craint la gravité. Les craintes dont il se prévaut répondraient en tout état de cause aux exigences de gravité de l’article 31 de la loi du 5 mai 2006 puisqu’il ferait état de craintes d’être victime d’atteintes à son intégrité physique et à sa liberté. En effet, les violences qu’il redouterait subir de la part des autorités turques seraient suffisamment graves de par leur nature pour constituer une atteinte grave à ses droits fondamentaux, le demandeur insistant encore sur le fait que l’accumulation des diverses mesures qu’il aurait dû supporter depuis son adolescence et qu’il devra supporter en cas de retour serait sans aucun doute suffisamment grave au sens de l’article 31 (1) b) de la loi du 5 mai 2006.

Quant aux agents de persécution et quant à la protection des autorités nationales, le demandeur fait valoir que les actes invoqués proviendraient d’agents étatiques, de sorte que, par définition, dans de telles situations toute protection nationale serait impossible. A cet égard, le demandeur se base sur le considérant numéro 27 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par la « directive 2011/95/UE », en vertu duquel, lorsque les acteurs des persécutions ou des atteintes graves sont l’Etat ou ses agents, il devrait exister une présomption selon laquelle une protection effective n’est pas offerte aux demandeurs de protection internationale. Le demandeur rappelle encore à cet égard que selon une certaine interprétation du droit communautaire, une directive devrait être interprétée par les Etats-membres lors de la transposition conformément à ses considérants.

En tout état de cause, le demandeur reproche au ministre que l’instance citée par celui-ci, à savoir le bureau du procureur, n’aurait pas pu lui apporter une aide alors que l’efficacité de cet organisme ne serait pas démontrée. En effet, selon un rapport de l’« Immigration and Refugee Board of Canada », le mécanisme mis en place par la Turquie ne serait pas impartial et empêcherait des enquêtes efficaces, rapides et indépendantes sur les allégations de torture et de mauvais traitements infligés par des agents étatiques et des membres des forces de sécurité. Par ailleurs, ce système serait caractérisé par une absence de transparence en rapport avec les enquêtes administratives sur les allégations de violence policière. En se référant au même rapport ainsi qu’à un rapport d’Amnesty International intitulé « Gezi Park Protests : Brutal denial of the right to peaceful assembly in Turkey » du 2 octobre 2013 et sur un communiqué de presse de la même organisation du 13 novembre 2013 inititulé « Turkey : Historic torture verdict confirmed by Appeal Court », le demandeur fait encore valoir qu’il serait non seulement difficile de porter plainte contre les violences policières mais encore que les policiers seraient rarement inquiétés même si une plainte avait pu être enregistrée. A cela s’ajouterait qu’il ressortirait notamment des sources citées par le ministre lui-même et notamment du rapport de l’US Department of State du 19 avril 2013 intitulé « « 2012 Human Rights Reports : Turkey », ainsi que d’un article du 14 juin 2013 de « Radio Free Europe/Radio Liberty » que les violences policières seraient rarement sanctionnées et que par ailleurs, l’accès à la justice serait largement défaillant. Le demandeur souligne dans ce contexte encore que le système judiciaire turc devrait régulièrement faire face à de nombreux problèmes dénoncés entre autres par la Commission européenne dans un rapport du 16 octobre 2013. L’absence de protection de la part des autorités turques serait d’ailleurs parfaitement expliquée et confirmée par le récent scandale de corruption lequel entacherait le gouvernement turc et notamment le Premier ministre lequel, se trouvant au pied du mur, n’aurait rien trouvé d’autre que de s’attaquer à l’autonomie judiciaire, le demandeur se basant à cet égard notamment sur un article du journal « Libération » du 20 janvier 2014.

En ce qui concerne l’actualité et le caractère fondé des craintes de persécutions, le demandeur, en se fondant sur l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, insiste sur le fait qu’il craindrait de faire de nouveau l’objet des mêmes persécutions dont il aurait déjà été victime, le demandeur donnant notamment à considérer que l’examen de la situation conflictuelle entre les Kurdes et les Turcs, l’impunité et la violence des policiers ainsi que l’état du système policier et judiciaire turc ne laisserait aucune possibilité de cerner la moindre raison de penser que les persécutions ne se reproduiront pas. Ainsi, il estime que les harcèlements policiers dont il aurait été victime et les attaques des autorités turques sur les manifestants kurdes dont il aurait fait partie, devraient être considérés comme des actes susceptibles de se reproduire.

Le délégué du gouvernement insiste quant à lui d’abord sur le fait que le ministre n’aurait pas directement remis en doute tous les évènements qui se seraient passés dans la vie de Monsieur…, mais qu’il aurait simplement constaté que le demandeur aurait fait état de deux récits différents. Ainsi, le demandeur aurait affirmé qu’après une manifestation, il aurait tenté d’aller voir un médecin mais que celui-ci n’aurait pas voulu l’examiner, pour ensuite affirmer qu’il n’aurait pas osé se rendre à l’hôpital vu que celui-ci se serait trouvé en face d’un poste de police.

Le ministre aurait dès lors seulement mis en doute le fait que le demandeur n’aurait pas pu être soigné en raison de son ethnie kurde. Il existerait par ailleurs plusieurs hôpitaux à Istanbul qui ne seraient pas situés à côté d’un poste de police, de sorte que le demandeur aurait pu essayer de se faire soigner ailleurs.

La partie étatique souligne ensuite que le ministre aurait certes pris en compte la situation en Turquie telle qu’elle se présente en 2014 mais qu’il se serait également basé sur le récit du demandeur et serait arrivé à la conclusion que les évènements invoqués seraient insuffisants et manqueraient de gravité pour justifier le statut de la protection internationale. Par ailleurs, la situation des Kurdes en Turquie ne serait pas telle que toute personne appartenant à cette ethnie devrait se voir accorder d’office le statut de réfugié.

La partie étatique maintient ensuite que les évènements qui se seraient déroulés en 2004, notamment la garde à vue du demandeur lors de laquelle il aurait été frappé et brûlé avec des cigarettes seraient trop éloignés dans le temps pour fonder une demande de protection internationale. Le délégué du gouvernement rappelle que le demandeur aurait vécu sans problèmes jusqu’en 2008 à Istanbul et serait revenu à Sirnak pour participer à une manifestation, lors de laquelle il aurait été filmé. Il estime que la garde à vue qui s’en serait suivie et lors de laquelle le demandeur aurait été frappé et aurait de nouveau été brûlé avec des cigarettes ne présenterait pas un degré de gravité tel que Monsieur… pourrait prétendre au statut de réfugié, mais devrait être considérée comme une chicanerie par les autorités de police. La partie étatique ajoute que tant des manifestations autorisées que non autorisées donneraient lieu à des altercations entre policiers et manifestants, de sorte que dans ces circonstances, la police ferait généralement usage de gaz lacrymogène ce qui ne pourrait toutefois être qualifié de réaction disproportionnée ni être qualifié de persécution au sens de la Convention de Genève. La même conclusion s’imposerait d’ailleurs en ce qui concerne le fait que le demandeur aurait été filmé. Le délégué du gouvernement met encore en exergue que le demandeur n’aurait été que simple sympathisant du DEHAP et non pas membre, de sorte qu’il ne se serait pas particulièrement investi pour la cause kurde.

En prenant appui sur diverses sources internationales, le délégué du gouvernement fait ensuite valoir que si le demandeur devait effectivement avoir eu l’impression d’être harcelé par la police, il aurait pu dénoncer le comportement des policiers auprès des autorités compétentes et notamment porter plainte auprès du bureau du procureur.

La partie étatique estime en outre qu’il y aurait lieu de rejeter les développements du demandeur en ce qui concerne le fait que les Kurdes ne trouveraient que des petits boulots et seraient discriminés à l’emploi, alors que le chômage et le travail au noir concerneraient non seulement les Kurdes mais également les Turcs. Par ailleurs, le demandeur aurait reconnu avoir travaillé jour et nuit de sorte qu’il serait malvenu d’affirmer qu’il n’aurait pas trouvé de travail.

Le délégué du gouvernement conclut dès lors que les évènements invoqués par le demandeur, même en leur globalité, ne seraient pas suffisamment graves pour constituer une atteinte aux droits fondamentaux de l’Homme au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006.

Le délégué du gouvernement fait encore valoir que contrairement aux affirmations du demandeur le ministre n’aurait pas omis de se prononcer sur la situation sécuritaire en Turquie, mais qu’elle aurait été mise en parallèle avec la situation personnelle de ce dernier. Le ministre aurait à cet égard notamment relevé que l’évolution de la Turquie ces dernières années aurait été positive et que les quelques affrontements entre Turcs et Kurdes n’auraient eu lieu que dans des zones bien délimitées. Il ressortirait en effet des récits du demandeur que les affrontements avec les forces de l’ordre auxquels il aurait participé se seraient principalement produits dans sa région d’origine, de sorte qu’il aurait pu trouver un lieu de fuite interne dans son pays et que l’article 30 de la loi du 5 mai 2006 aurait pu lui être appliqué. Ainsi, le demandeur n’aurait rencontré aucun problème concret à Istanbul. Ce serait également à bon droit que le ministre aurait déduit du récit du demandeur que ce dernier éprouverait seulement un sentiment d’insécurité commun aux minorités.

Quant à la situation générale de la minorité kurde en Turquie, la partie étatique souligne qu’il ressortirait des recherches ministérielles que s’il était vrai que la population kurde aurait fait l’objet de persécutions par le passé, la situation de celle-ci aurait nettement évolué depuis. Ainsi, le gouvernement turc aurait pris en 2012 des mesures visant à améliorer la situation de cette minorité et son intégration au sein de la société turque. Il ressortirait par ailleurs des publications citées par le ministre que le gouvernement turc serait activement en train d’œuvrer afin que les droits et les libertés des Kurdes soient respectés. La partie étatique insiste également sur le fait que ce serait à tort que le demandeur tenterait de faire un amalgame entre sa situation personnelle et les évènements du Parc Gézi, alors que les manifestations du Parc Gézi, qui auraient été initiées par des écologistes, n’auraient rien à voir avec la situation des Kurdes en Turquie. Par ailleurs, la circonstance que la Turquie serait actuellement secouée par des affaires de corruption au niveau étatique n’aurait pas non plus d’incidence sur la situation du demandeur.

Partant, le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 31, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : «(1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

En ce qui concerne tout d’abord la circonstance que le demandeur n’aurait pas trouvé de travail stable déclaré, le tribunal est amené à relever qu’il ne ressort pas des informations à sa disposition que cette circonstance soit directement liée à l’origine ethnique du demandeur. Il ne ressort pas non plus du récit du demandeur quelles démarches concrètes il aurait personnellement accomplies pour trouver un emploi en Turquie, respectivement que malgré ses démarches, il aurait dû faire face à des refus d’embauche basés uniquement sur son origine ethnique. Par ailleurs, il résulte des explications circonstanciées et non contestées du délégué du gouvernement, sources à l’appui, que le problème du chômage et du travail au noir touche non seulement les personnes d’ethnie kurde, mais également les Turcs lesquels doivent également faire face à une pénurie de l’emploi. Ainsi et à défaut de précisions quant aux discriminations et pressions que le demandeur aurait personnellement subies dans son pays d’origine sur le marché de l’emploi, le tribunal n’est pas en mesure d’apprécier le bien-fondé de ces reproches.

En ce qui concerne le prétendu refus d’un médecin de recevoir Monsieur… après que celui-ci avait été libéré de sa garde à vue en 2008, force est de relever que cet évènement à le supposer établi et à admettre qu’il ait comme origine l’ethnie kurde du demandeur est certes fortement critiquable, mais, et dans la mesure où il s’agit d’un incident isolé, il n’a pas pu atteindre le niveau de gravité prévu par l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 rendant la vie du demandeur intolérable en Turquie.

En ce qui concerne les autres problèmes mis en avant par le demandeur et plus particulièrement les violences de la part des autorités policières, force est de relever que ces persécutions respectivement, ces craintes de persécutions sont liées à son origine ethnique kurde et à ses convictions politiques, de sorte que les problèmes invoqués semblent a priori trouver leur fondement dans l’un des critères de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006.

A cet égard, et en ce qui concerne plus particulièrement l’activité politique de Monsieur…, il y a lieu de préciser que si, comme l’affirme à juste titre la partie étatique, celui-ci a effectivement admis lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration qu’il n’a jamais été membre effectif du parti DEHAP, actuellement le parti BDP, il a néanmoins ouvertement proclamé ses convictions politiques en participant notamment aux manifestations et aux concerts organisés par ledit parti et en aidant activement les organisateurs de ces évènements, le demandeur ayant en effet déclaré que « (…) Je distribuais des affiches pour les concerts organisés par le Parti. Chaque année, il y avait des manifestations pour condamner l’arrestation d’ÖCALAN à la date à laquelle il a été incarcéré. Donc il fallait manifester contre son arrestation, on prévenait les gens afin de les informer. On distribuait des posters aux gens qui venaient au Parti. (…) Lors des meetings et les manifestations, on aidait les organisateurs afin qu’il n’y ait pas des débordements et des dommages »1. Il résulte encore du rapport d’audition du demandeur que les deux gardes à vue dont il fait état ont eu lieu dans le cadre de sa participation à des manifestations culturelles kurdes organisées par le parti DEHAP, le demandeur ayant 1 Page 9/18 du rapport d’audition.

encore précisé qu’en 2008, lors de sa participation à une telle manifestation, il aurait été filmé par les forces de police. Ainsi, et dans la mesure où l’article 32 (2) de la loi du 5 mai 2006 prévoit qu’il est indifférent si un demandeur de protection internationale possède effectivement la caractéristique liée à ses opinions politiques, pour autant que cette caractéristique lui soit attribuée par l’acteur de persécution, ce qui au vu des différentes arrestations du demandeur est le cas en l’espèce, le tribunal est amené à conclure que les craintes mises en avant par Monsieur… tant en ce qui concerne son origine ethnique, que ses opinions politiques, sont susceptibles de tomber sous le champ d’application de la Convention de Genève.

En ce qui concerne la gravité des faits dont se prévaut le demandeur, le tribunal ne saurait suivre les développements du délégué du gouvernement selon lesquels ces faits devraient s’analyser en de simples chicaneries de la part des autorités policières, de sorte que même pris en leur globalité, ils ne seraient pas suffisamment graves pour constituer une atteinte aux droits fondamentaux de l’homme au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006.

En effet, il résulte des déclarations circonstanciées et non contestées du demandeur que celui-ci a à deux reprises fait l’objet d’une garde à vue a priori arbitraire de plusieurs jours, gardes à vue lors desquelles il a subi non seulement des pressions psychologiques mais également des atteintes graves à son intégrité physique. Ainsi, il résulte du rapport d’audition du demandeur auprès de la direction de l’Immigration que lors de ces arrestations se caractérisant par des conditions de détention particulièrement dégradantes et inhumaines, il a non seulement été menacé verbalement de mort par lesdits policiers, mais que ces derniers l’ont également frappé et ont éteint des cigarettes sur son épaule, le demandeur ayant en effet déclaré que lors de sa garde à vue en mars 2004 « (…) Ils m’ont frappé avec des matraques, ils m’ont mis des menottes et ensuite ils m’ont fait monter dans un de leurs véhicules. (…) ils m’ont mis dans une cellule où il n’y avait rien. Il n’y avait même pas de toilettes et je devais faire mes besoins dans cette pièce. 3 ou 4 policiers sont entrés dans la cellule, ils m’ont frappé avec des matraques et ils m’ont donné des coups de pied. Après ça ils sont partis et ils m’ont fait attendre dans cette cellule pendant 3 jours. Ils ont brûlé mon épaule avec leur cigarette ». Le demandeur a encore précisé que sa cellule aurait été une petite pièce avec deux petites fenêtres de la taille d’une feuille A4, dans laquelle il n’aurait pas eu de chaise, ni aucun autre meuble, de sorte qu’il aurait obligé de dormir et de faire ses besoins par terre. Le demandeur a ajouté qu’après avoir été libéré, il aurait essayé de se rendre de nouveau à l’école, mais qu’il aurait été arrêté sur la route par des policiers qui l’auraient traité de terroriste et lui aurait ordonné de partir2, de sorte qu’il n’aurait plus eu le courage de retourner à ses cours.

Force est encore de constater qu’en 2005, le demandeur a également fait l’objet de traitements fortement condamnables de la part des autorités de police, le demandeur ayant en effet expliqué que ces dernières l’aurait surveillé dès qu’il sortait de son domicile, qu’ils l’auraient contrôlé et l’auraient fouillé en le jetant par terre.

En ce qui concerne la garde à vue de 2008, le demandeur a souligné être retourné à Sirnak pour la fête du Ramadan ou la fête du mouton, fête lors de laquelle un guérilla aurait été enterré.

Lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration le demandeur a précisé que « Les policiers étaient partout et ils filmaient tout le monde. Quand le convoi est passé devant nous, 2 Page 6/18 du rapport d’audition.

nous avons fait le signe de la paix. Les policiers ont analysé les enregistrements et le lendemain de la fête les policiers m’ont barré la route. Ils m’ont arrêté et m’ont mis en garde à vue pendant 4 jours. J’ai de nouveau subi des pressions psychologiques, j’ai été frappé et ils m’ont éteint leur cigarette sur mon épaule. Ils m’enlevaient la chemise et ils me brûlaient l’épaule avec une cigarette. Ils m’ont dit de dégager de la Turquie et que j’étais un terroriste, sinon mon sort serait pareil que celui qui a été tué ». Il résulte encore des déclarations du demandeur qu’il faisait noir dans sa cellule et que les policiers qui l’auraient insulté, frappé et brûlé auraient été masqués, de sorte qu’il lui était impossible de les identifier, voire de porter plainte à leur encontre auprès du bureau du procureur, étant encore précisé à cet égard qu’il résulte des explications circonstanciées du demandeur, sources internationales à l’appui3, que l’efficacité de cet organe est de tout façon sujet à caution, le Comité contre la torture des Nations Unies et la Commission européenne ayant en effet retenu que les enquêtes relatives aux actes de violence et aux écarts de conduite commis par la police sont souvent menées par d’autres agents d’application de la loi et non pas par le procureur public, de sorte qu’elle ne sont pas nécessairement efficaces et indépendantes.

Finalement, et en ce qui concerne plus particulièrement les brûlures de cigarettes dont le demandeur fait état, il y a lieu de préciser que celles-ci ont été confirmées par certificat médical du 5 novembre 2010, tel que versé en cause par Monsieur… et duquel il résulte que ce dernier présente « au niveau des deux membres supérieurs des lésions arrondies de 8 à 10 mm, légèrement rouges compatibles avec des cicatrices semi-récentes dues à l’écrasement de cigarettes allumées ».

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de retenir que les persécutions de la part des entités étatiques dont le demandeur fait état, à savoir des arrestations arbitraires, des gardes à vue dans des conditions inhumaines et dégradantes pendant lesquelles il a non seulement subi des menaces et insultes mais également des coups de matraques, des coups de pied et des brûlures de cigarettes, s’analysent en de véritables actes de torture physiques et sont de ce fait suffisamment graves de par leur nature et leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006.

Par ailleurs et en ce qui concerne les développements de la partie étatique que les évènements de 2004 et 2005 seraient trop éloignés dans le temps pour être pris en considération dans le cadre de la présente demande de protection internationale, force est au tribunal de souligner que si la première garde à vue dont le demandeur fait état remonte certes à 2004, et qu’elle est dès lors déjà relativement éloignée dans le temps, la gravité de cet évènement telle que relevée ci-avant par le tribunal, le fait que le demandeur n’ait par la suite plus osé aller à l’école et le fait qu’elle s’est déroulée dans le même contexte, voire dans un contexte fortement similaire à celui de la deuxième garde à vue dont Monsieur… s’est prévalu, à savoir dans le contexte de sa participation à des manifestations culturelles et politiques kurdes, le tribunal est amené à retenir que tant cette garde vue, que les évènements qui se sont déroulés 2005, sont pertinents dans le cadre de l’examen de la demande de protection internationale de celui-ci.

3 Rapport de l’Immigration and Refugee Board of Canada du 8 juin 2012 intitulé « Turquie : information sur le traitement des personnes détenues par la police ; les recours dont disposent les détenus pour porter plainte contre la police et leur efficacité » Au vu des considérations qui précèdent, il y a dès lors lieu de retenir que le demandeur a fait état de persécutions au sens de la convention de Genève. Il y a encore lieu de retenir que contrairement aux affirmations de la partie étatique, il n’existe pas de bonnes raisons de croire que ces persécutions ne se reproduiront pas en cas de retour du demandeur dans son pays d’origine. En effet, il n’est pas contesté en cause que le demandeur a été filmé au moins une fois lors de ses participations à des manifestations culturelles ou politiques kurdes, enregistrement qui a d’ailleurs conduit à sa garde à vue de 2008. Il résulte par ailleurs des déclarations non contestées du demandeur que s’il n’existe certes pas d’avis officiel de recherche lancé contre lui en Turquie, des policiers se sont néanmoins rendus à 3 ou 4 reprises chez ses parents après son départ de Turquie et ils les ont interrogés à son sujet, de sorte qu’ils semblent a priori toujours enquêter sur lui. Dans ce contexte, il y a encore lieu de préciser qu’il résulte d’un article relativement récent d’Amnesty International, article datant du 2 octobre 2013, que les policiers turcs font toujours preuve d’une violence pour le moins condamnable face à des manifestants, ledit article ayant notamment relevé que la police n’a pas hésité à infliger des violences sexuelles à des manifestantes et à utiliser non seulement des balles en caoutchouc et des grenades lacrymogènes, mais également des balles réelles. Par ailleurs, le tribunal vient de retenir ci-avant que les possibilités de porter plainte contre des policiers qui se sont rendus coupables de telles violences sont relativement restreintes en Turquie. Ainsi, et au vu des persécutions d’ores et déjà subies par le demandeur, du fait que la police est toujours à sa recherche et des possibilités restreintes de porter plainte contre les violences policières, la présomption que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine inscrite à l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 ne saurait été renversée en l’espèce.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et sans qu’il ne soit besoin de statuer plus en avant que le recours sous analyse est fondé, de sorte que, par réformation de la décision déférée, il y a lieu d’octroyer au demandeur le statut de réfugié.

2) Quant au refus dirigé contre la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 20 janvier 2014 a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 19, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire aux termes de la loi du 5 mai 2006.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le demandeur est fondé à se prévaloir du statut de réfugié, et que la décision de refus de la protection internationale est à réformer dans cette mesure, il y a lieu d’annuler l’ordre de quitter le territoire tel que contenu dans la décision ministérielle déférée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 20 janvier 2014 portant refus d’un statut de réfugié et d’une protection subsidiaire ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation, accorde à Monsieur … le statut de réfugié au sens de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 et renvoie le dossier en prosécution de cause au ministre ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, annule l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle déférée ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 janvier 2015 par :

Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge.

en présence du greffier Michèle Hoffmann.

s. Michèle Hoffmann s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8/1/2015 Le Greffier du Tribunal administratif 20


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 34095
Date de la décision : 07/01/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2015-01-07;34095 ?

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