Tribunal administratif N° 33897 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 janvier 2014 1re chambre Audience publique du 5 janvier 2015 Recours formé par Madame … et Monsieur …, … (Belgique), contre une décision du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en matière d’aides financières pour études supérieures
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 33897 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2013 par Maître Pascal PEUVREL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, étudiante, et de Monsieur …, demeurant ensemble à B-…, tendant à l’annulation d’une décision de refus en matière d’aides financières pour études supérieures du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche datée du 18 octobre 2013 ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg au greffe du tribunal administratif le 31 janvier 2014 ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 4 mars 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick KINSCH au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 avril 2014 par Maître Pascal PEUVREL au nom des demandeurs ;
Vu le mémoire en duplique déposé le 11 avril 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick KINSCH au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Pascal PEUVREL et Maître Patrick KINSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 décembre 2014.
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Moyennant un formulaire établi par le Centre de Documentation et d’Information sur l’Enseignement Supérieur (CEDIES) auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Madame …, étudiante demeurant en Belgique, sollicita une aide financière pour études supérieures relatives à ses études d’éducatrice spécialisée poursuivies à la Haute Ecole Charlemagne à Liège (Belgique) pour l’année académique 2013/2014.
Par un courrier du 18 octobre 2013, signé par Monsieur …, pédagogue, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants :
« J’ai en mains votre demande en vue de l’obtention d’une aide financière de l’Etat pour études supérieures pour l’année académique 2013-2014.
La loi du 9 juillet 2013 modifiant, entre autres, 1a loi modifiée du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, dispose à son article 2bis que, « un étudiant ne résidant pas au Grand-Duché de Luxembourg peut également bénéficier de l’aide financière pour études supérieures, à condition qu’il soit enfant d’un travailleur salarié ou non salarié ressortissant luxembourgeois ou ressortissant de l’Union européenne ou d’un autre Etat partie à l’Accord sur l’espace économique européen ou de la Confédération suisse employé ou exerçant son activité au Luxembourg, et que ce travailleur ail été employé ou ait exercé son activité au Luxembourg pendant une durée ininterrompue d’au moins cinq ans au moment de la demande de l’aide financière pour études supérieures par l’étudiant.
L’emploi au Luxembourg doit être au moins égal à la moitié de la durée normale de travail applicable dans l’entreprise en vertu de la loi ou de la convention collective de travail, le cas échéant, en vigueur, Le travailleur non salarié doit être affilié obligatoirement et d’une manière continue au Grand-Duché de Luxembourg en vertu de l’article 1er, point 4) du Code de la sécurité sociale au cours des cinq ans précédant la demande de l’aide financière pour études supérieures », Etant donné que vous ne remplissez pas ces conditions, il n’est pas possible au service des aides financières du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de donner une suite favorable à votre demande et de vous accorder l’aide financière de l’Etat pour études supérieures pour l’année académique 2013-2014.
La présente décision est susceptible d’un recours en annulation devant le Tribunal administratif de et à Luxembourg. Ce recours doit être intenté par ministère d’avocat dans les trois mois de la notification de la présente, au moyen d’une requête à déposer au secrétariat du Tribunal administratif ».
Par requête inscrite sous le numéro 33897 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2014, Madame … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision de refus précitée. Par la même requête, son beau-père, Monsieur …, travaillant au Luxembourg et prétendant entretenir Madame …, a déclaré intervenir volontairement dans l’instance introduite par celle-ci.
Quant à la recevabilité :
Etant donné que la loi modifiée du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures ne prévoit pas la possibilité d’introduire un recours de pleine juridiction, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre de la décision de refus déférée.
Il convient toutefois de vérifier la recevabilité de l’intervention volontaire introduite par Monsieur …, en sa qualité de beau-père travaillant au Grand-Duché de Luxembourg de l’étudiante.
A cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une intervention est recevable dès lors que l’intervenant justifie d’un intérêt direct ou indirect, matériel ou moral, la jurisprudence des juridictions civiles admettant même que le risque que le jugement à intervenir ne crée un simple préjugé favorable comme constitutif d’un intérêt suffisant pour intervenir1, l’intérêt à intervenir étant d’ailleurs apprécié de manière plus libérale que l’intérêt à agir, de sorte que sont recevables à intervenir tous ceux qui n’ont pas un intérêt direct à la solution du litige, mais à l’égard desquels le principe de cette solution peut avoir des incidences2.
A ce titre, Monsieur … expose avoir un intérêt à intervenir aux côtés de sa belle-fille, étant donné que si le tribunal administratif venait à ne pas accueillir la demande en annulation de sa belle-fille, celle-ci n’aurait droit à aucune aide financière et le coût de ses études serait à charge de son beau-père.
Il doit donc être considéré comme justifiant d’un intérêt suffisant pour intervenir volontairement dans le présent litige et présenter ses moyens en appui de la décision entreprise.
Une requête en intervention volontaire, lorsqu’elle intervient en appui à une requête, peut en effet seulement étayer les moyens développés dans la requête principale ; ainsi, par une intervention, un intervenant ne peut ni étendre la portée de la requête, ni exposer des moyens nouveaux3 : en d’autres termes, l’intervenant ne peut que s’associer à l’action principale.
Sous cette réserve, le recours en annulation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond :
Le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.
Dans ce cadre, il appartient d’abord au tribunal de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.
En ce qui concerne la légalité extrinsèque de la décision déférée, Madame … fait en premier lieu état à l’appui de son recours du fait que la décision de refus du 18 octobre 2013 a été signée par Monsieur …, pédagogue en remplacement du ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, sans qu’aucune expédition mentionnant une délégation de signature en faveur de Monsieur … n’ait toutefois été déposée, pour en déduire que Monsieur … n’aurait manifestement 1 Voir Lux. 21 juin 1972, Pas. 22, p. 229.
2 Trib. adm. 22 juillet 2009, n° 24495, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n° 393 ; voir aussi trib. adm. 11 janvier 2012, n° 27576, 27679, 27689 et 28442 du rôle.
3 M. Leroy, Contentieux administratif, 3e édition, p.566.
pas le pouvoir de signer la décision du 18 octobre 2013 en lieu et place du ministre de l’Enseignement et de la Recherche La partie étatique rétorque que le fonctionnaire de l’Etat ayant signé la décision litigieuse disposerait, en vertu d’un arrêté ministériel du 22 août 2013, d’une délégation de signature pour toutes les affaires relevant du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
En ce qui concerne la légalité externe de la décision attaquée et l’incompétence de la personne ayant signé la décision déférée, force est de relever qu’un administré qui conteste la qualité du signataire d’un acte administratif doit spécifier en quoi les dispositions de l’arrêté grand-ducal du 22 décembre 2000 concernant la délégation de signature par le Gouvernement n’ont pas été respectées4 et il lui appartient, le cas échéant, de s’enquérir au ministère d’Etat si la signature apposée sur la décision attaquée est conforme au spécimen de la signature du fonctionnaire délégué.
En l’espèce, il résulte par ailleurs des explications de la partie étatique et des pièces versées en cause par la partie étatique et en particulier de l’arrêté ministériel du 22 août 2013 portant délégation de signature en matière administrative par le ministre à Monsieur … conformément à l’arrêté grand-ducal du 22 décembre 2000 concernant les délégations de signature par le Gouvernement que ce dernier a signé la décision déférée sur base d’une délégation de signature lui conférée légalement et approuvée formellement par le ministre en date du 22 août 2013, de sorte que le moyen de la partie demanderesse doit être écarté comme étant non fondé.
La partie demanderesse se prévaut ensuite d’un défaut de motivation de la décision ministérielle déférée, lequel constituerait une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, la partie demanderesse estimant en effet que le ministre, en se contentant de rappeler les termes de la loi tout en précisant que les conditions visées ne sont pas remplies, sans donner davantage de précisions, n’aurait pas valablement motivé sa décision de refus, la partie demanderesse estimant plus particulièrement que comme la loi prévoit la réunion de plusieurs conditions nécessaires à l’attribution d’une aide financière pour les étudiants, il n’appartiendrait pas à l’étudiant concerné de déduire ou de deviner quelle était la motivation exacte de la décision rendue par l’Etat.
Elle en déduit qu’il s’agirait d’une formulation générale et abstraite figurant dans la loi, ce qui équivaudrait à une absence de motivation empêchant le contrôle de la légalité de l’acte ;
par ailleurs, elle s’oppose à ce que le tribunal tienne compte des motifs complémentaires donnés tardivement par le ministère de l’Enseignement et de la Recherche en cours de procédure contentieuse.
Il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et elle doit formellement indiquer les motifs par 4 voir trib. adm. 27 février 1997, n° 9605 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Actes administratifs, n° 126, et autres références y citées.
l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé. Il convient cependant de souligner que l’article 6 précité n’impose pas une motivation exhaustive et précise, seule une motivation « sommaire » étant expressément exigée.
Or en l’espèce, force est de constater que le ministre, dans la décision déférée, citée in extenso ci-dessus, a tant énoncé la base légale du refus, en l’occurrence, l’article 2bis de la loi du 22 juin 2000 telle qu’elle a été modifiée, que les circonstances de fait justifiant en l’espèce le refus, à savoir le fait que l’étudiant ne remplissait pas « les » conditions ouvrant le droit à une aide financière, sans préciser il est vrai laquelle précisément des conditions y citées n’aurait pas été respectées.
Il convient toutefois de rappeler que l’obligation de motivation formelle inscrite à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne constitue pas une fin en soi, mais consacre des garanties visant à ménager à l’administré concerné la possibilité d’apprécier la réalité et la pertinence de la motivation à la base d’une décision administrative, de sorte que dans l’hypothèse où il est établi que cette finalité est atteinte, la question du respect de cette obligation par la décision devient sans objet5.
Or, en l’espèce, force est de constater que non seulement la partie demanderesse a pu exhaustivement prendre position par rapport au motif ayant présidé au refus lui opposé, mais encore que ledit motif, justifiant aux yeux de la partie étatique ladite demande, lui a été explicitement précisé au cours de la procédure contentieuse.
Enfin et à titre superfétatoire, il y a lieu de relever, en ce qui concerne les conclusions de la partie demanderesse tendant à l’annulation pure et simple de la décision a quo du fait du défaut allégué de motivation, que la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours et que celle-ci reste a priori valable, l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois au cours de la phase contentieuse. Le but principal de l’obligation de l’administration de motiver ses décisions, à savoir de permettre à l’administré de connaître cette motivation sans devoir engager des frais pour l’obtenir, par exemple moyennant recours contentieux peut également être obtenu par d’autres moyens plus adéquats. Dans ce contexte, il convient de rappeler encore que tant le silence de l’administration suite à une requête légitime que l’absence de motivation d’une décision peuvent constituer l’administration en faute si elle n’a pas agi en tant qu’administration normalement prudente, diligente et avisée, un tel comportement doit cependant trouver sa sanction dans les règles de la responsabilité civile et non pas conduire à l’annulation automatique de l’acte si la décision administrative est, par ailleurs, basée sur des motifs légaux quoique non formellement énoncés dans l’acte. Pour le surplus, pour l’hypothèse spécifique d’une absence de motivation d’une décision par l’administration avant la phase contentieuse, une sanction plus adéquate se dégage d’une législation postérieure à la législation sur la procédure administrative non contentieuse, à savoir la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, prise en ses articles 32 et 33 permettant aux juridictions administratives de condamner par décision motivée une partie 5 Voir en ce sens. trib. adm. 11 janvier 2010, n° 25445, Pas. adm. 2012, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 54.
ayant gagné son procès à une fraction ou la totalité des dépens ou de mettre à charge de cette partie la totalité ou une partie des sommes exposées par l’autre partie et non comprises dans les dépens, dont plus particulièrement les frais d’avocat, pour l’hypothèse où il paraît inéquitable de laisser ces frais à charge de cette autre partie. Dès lors, lorsque le défaut de motivation allégué oblige l’administré à introduire d’abord un recours contentieux pour provoquer la motivation à la base d’une décision le concernant, respectivement une motivation pertinente complémentaire, cela justifie par principe respectivement l’allocation d’une indemnité de procédure et la condamnation de l’administration fautive à une partie ou la totalité des dépens6.
Par conséquent, le tribunal, conformément aux enseignements de la juridiction suprême, doit en tout état de cause rejeter le moyen basé sur l’absence formelle de motivation, à supposer l’existence d’un tel défaut avérée, et tendant à l’annulation de la décision déférée, sans préjudice toutefois du contrôle subséquent du bien-fondé de la motivation avancée.
A cet égard, et quant à l’illégalité interne alléguée de la décision, Madame …, tirant prétexte du fait qu’elle résiderait à la même adresse que Monsieur …, travailleur salarié sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg depuis le 1er mai 1998, lequel aurait épousé sa mère en 1999, affirme être à la charge de Monsieur …. Aussi, encore qu’elle ne soit pas sa fille, mais celle de sa compagne, elle estime qu’elle constituerait un « membre de la famille » au sens de la directive 2004/38/CE sur les droits des citoyens de l’Union européenne de séjourner et circuler librement sur le territoire d’un état membre. Elle affirme que la référence à la prédite directive serait d’autant plus importante que le législateur luxembourgeois s’en serait directement inspiré pour établir les modifications de la loi du 22 juin 2000 à travers la nouvelle loi du 19 juillet 2013, puisque, suivant un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 20 juin 2013, la loi du 26 juillet 2010 modifiant la loi du 22 juin 2000 aurait été déclarée non-conforme à l’article 7 paragraphe 2 du règlement 1612/68, dans la mesure où son article 2 constituait une discrimination indirecte à l’égard des enfants de travailleurs frontaliers, la partie demanderesse soulignant que dans cet arrêt la Cour de justice aurait cité l’exemple de l’article 24 paragraphe 2 de la directive 2004/38CE, pour en déduire que le législateur se serait directement inspiré de cette directive lors de l’élaboration de la loi du 19 juillet 2013.
Or, cette directive définirait notamment comme « membre de famille » les descendants directs du conjoint.
Etant constant en cause qu’elle serait un membre de la famille de Monsieur …, conformément à cette directive, elle devrait pouvoir bénéficier de l’aide financière litigieuse.
Enfin, elle estime que le refus d’accorder une bourse d’étude à un membre de la famille tel que défini par la directive 2004/38/CE constituerait ni plus ni moins qu’une violation du droit de l’Union sur la libre circulation des citoyens de l’Union, de sorte qu’elle fait plaider qu’il serait de l’obligation du Grand-Duché de Luxembourg, de se conformer « au droit européen applicable et aux principes de la Constitution luxembourgeoise en vigueur » et qu’il y aurait lieu de voir annuler la décision entreprise du 26 septembre 2013.
Dans son mémoire en réplique, la partie demanderesse entend étoffer son argumentation 6 Cour adm. 20 octobre 2009, n° 25738C, Pas. adm. 2012, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 76.
en insistant sur le fait qu’une exclusion des membres de la famille du travailleur frontalier du bénéfice de la loi du 19 juillet 2013 irait à l’encontre « des principes de libre circulation et d’égalité de traitement régissant l’Union Européenne ». Si elle admet que Monsieur … n’est effectivement pas son père, elle relève toutefois qu’il vit avec elle quotidiennement, et continuerait de pourvoir à son entretien et son éducation en sa qualité de membre de sa famille ;
aussi, en dépit du fait que Monsieur … n’ait aucune obligation alimentaire à son égard, elle affirme que la situation familiale dans laquelle il se trouve impliquerait nécessairement une prise en charge financière de l’enfant. Dès lors, comme il serait indéniable que l’octroi d’une bourse aurait vocation à réduire la charge financière de Monsieur … de manière indirecte, une telle aide financière constituerait donc un avantage social, dans la mesure où elle permettrait de couvrir de nombreux frais générés par le statut d’étudiant de la partie demanderesse et auxquels il participe dans la mesure où elle ne bénéficie pas de cette aide financière, la partie demanderesse en voulant pour preuve le fait que le législateur luxembourgeois aurait introduit dans le Code de la Sécurité Sociale les dispositions relatives aux prestations familiales qui envisageraient expressément le versement des allocations aux membres de la famille des résidents luxembourgeois ou des travailleurs frontaliers.
Le représentant de l’Etat, de son côté, soutient que la partie demanderesse ne remplirait pas les conditions requises pour prétendre à l’obtention d’une aide financière : ainsi, si le législateur luxembourgeois exige que l’étudiant soit « l’enfant » d’une personne travaillant depuis au moins 5 ans au Luxembourg, tel ne serait pas le cas en l’espèce, la partie demanderesse n’étant pas l’enfant d’un travailleur employé au Luxembourg et ne prétendant pas l’être.
Il expose ensuite que le législateur ne se serait pas inspiré de la directive 2004/38/CE lors de l’élaboration de la loi du 19 juillet 2013, mais se serait uniquement référé à cette directive, à l’instar de arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 20 juin 2013 invoqué par la partie demanderesse, pour apprécier la période minimale pendant laquelle le travailleur doit avoir été employé au Luxembourg pour présenter des liens suffisants avec la société luxembourgeoise, la partie étatique relevant que la directive 2004/38/CE ne serait pas pertinente pour la présente espèce, puisque ne visant pas le droit des travailleurs frontaliers de bénéficier des mêmes avantages sociaux que les travailleurs nationaux, question régie par l’article 7, paragraphe 2 du règlement n° 492/2011. Or, à cet égard, il rappelle que l’étudiant, qui ne serait que le bénéficiaire indirect du traitement égalitaire prévu par l’article 7, paragraphe 2 du règlement n° 492/2011 précité, devrait pour pouvoir prétendre à l’application de ce traitement égalitaire, établir que les aides financières auxquelles il prétend avoir droit, sont un avantage social pour le travailleur frontalier. Or, en l’espèce, le représentant étatique relève, outre que la réalité de la contribution financière du beau-père de l’étudiant ne serait pas établie, qu’une telle contribution ne découlerait pas d’une obligation alimentaire du beau-père à l’égard de l’étudiant mais serait purement volontaire et facultative.
Il convient de rappeler que la disposition pertinente, à savoir l’article 2bis de la loi du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, tel qu’ajouté par la loi du 19 juillet 2013, citée par le ministre dans ses décisions, se lit comme suit :
« Un étudiant ne résidant pas au Grand-Duché de Luxembourg peut également bénéficier de l’aide financière pour études supérieures, à condition qu’il soit enfant d’un travailleur salarié ou non salarié ressortissant luxembourgeois ou ressortissant de l’Union européenne ou d’un autre Etat partie à l’Accord sur l’espace économique européen ou de la Confédération suisse employé ou exerçant son activité au Luxembourg, et que ce travailleur ait été employé ou ait exercé son activité au Luxembourg pendant une durée ininterrompue d’au moins cinq ans au moment de la demande de l’aide financière pour études supérieures par l’étudiant. L’emploi au Luxembourg doit être au moins égal à la moitié de la durée normale de travail applicable dans l’entreprise en vertu de la loi ou de la convention collective de travail, le cas échéant, en vigueur.
Le travailleur non salarié doit être affilié obligatoirement et d’une manière continue au Grand-
Duché de Luxembourg en vertu de l’article 1er, point 4) du Code de la sécurité sociale au cours des cinq ans précédant la demande de l’aide financière pour études supérieures. ».
Il en résulte que le droit à l’obtention d’aides financières pour études supérieures est accessible sous l’égide de la loi du 19 juillet 2013 aux étudiants ne résidant pas au Grand-Duché de Luxembourg, à condition qu’ils soient l’enfant d’un travailleur salarié ou non salarié ressortissant luxembourgeois ou ressortissant de l’Union européenne ou d’un autre Etat partie à l’Accord sur l’espace économique européen ou de la Confédération suisse, employé ou exerçant son activité au Luxembourg.
Il est constant en cause ni que le père, ni la mère de la partie demanderesse ne travaillent au Luxembourg, la partie demanderesse estimant toutefois pouvoir se prévaloir du fait que son beau-père, à savoir le mari de sa mère, travaille au Luxembourg, la partie demanderesse entendant voir interpréter le terme d’« enfant » de manière extensive, au sens large de « membre de la famille ».
La notion d’« enfant » telle que retenue par le législateur dans l’article 2bis précité, conviant l’idée de filiation, qu’il s’agisse de la filiation légitime, de la filiation naturelle ou de la filiation adoptive - le tribunal renvoyant à cet égard aux articles 319 et suivants du Code civil -, est toutefois à ce point claire et dépourvue d’ambiguïté qu’elle ne souffre aucune interprétation, de surcroît extensive, étant rappelé qu’avant toute interprétation le juge est amené à appliquer les dispositions légales suivant le sens premier qu’elles revêtent, dans la mesure où elles sont claires et précises. En présence d’un texte clair et précis, ni le recours à un texte antérieur que le texte invoqué remplace, ni les avis et opinions exprimés au niveau des travaux parlementaires préparatoires du texte, ni encore des réflexions de politique sociale ou législative n’entrent en ligne de compte7 : en d’autres termes, dès lors que la disposition visée emploie uniquement les termes d’« enfant », il n’appartient pas à la juridiction saisie d’insérer des distinctions qui n’y figurent point ou d’interpréter cette disposition légale au-delà des termes y employés8.
Il s’ensuit que les renvois effectués par la partie demanderesse à des textes nationaux ouvrant le bénéfice à des prestations sociales à un champ de bénéficiaires plus étendu, à savoir aux membres de famille, sont à rejeter pour manquer de pertinence, ne s’agissant en l’espèce pas d’une question d’interprétation, mais, le cas échéant, d’une question de conformité par rapport à des normes supérieures.
A cet égard, la partie demanderesse entend se référer, outre, comme indiqué ci-avant « au droit européen applicable et aux principes de la Constitution luxembourgeoise en vigueur » ainsi 7 Trib. adm. 12 janvier 1999, n° 10800, Pas. adm. 2012, V° Lois et règlements, n° 75 8 Voir par analogie Cour adm. 11 octobre 2012, n° 29650C.
qu’aux « principes de libre circulation et d’égalité de traitement régissant l’Union Européenne », à la directive 2004/38 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004.
En ce qui concerne l’invocation abstraite de principes et de textes, le tribunal n’est pas en mesure de prendre position par rapport à un tel moyen simplement suggéré, sans être soutenu effectivement.
La partie demanderesse reste en effet en défaut, d’une part, de préciser les dispositions communautaires et/ou constitutionnelles par elle visées, et d’autre part, d’expliquer dans quelle mesure le droit communautaire serait violé. Or les moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement, ne sont pas à prendre en considération par le tribunal, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, étant rappelé qu’en tout état de cause l’exposé d’un moyen de droit requiert non seulement de désigner la règle de droit qui serait violée, mais également la manière dont celle-ci aurait été violée par l’acte attaqué9.
En ce qui concerne l’invocation de la directive 2004/38 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, l’objet de la directive ayant été de réunir, de simplifier et clarifier presque toutes les règles éparses relatives à l’immigration des citoyens européens en un seul texte, il convient de relever que cette directive n’est pas applicable aux faits au principal, à savoir la question de l’octroi d’aides financières pour études10, puisque cette directive est destinée à faciliter la migration de l’ensemble de la cellule familiale dans de bonnes conditions en vue de maintenir l’unité de la famille au sens large du terme, ladite directive précisant d’ailleurs dans son 5e considérant ne viser les membres de famille des citoyens de l’Union qu’afin de garantir le droit de tous les citoyens de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire dans des conditions objectives de liberté et de dignité - l’article 2 de la directive précisant encore que la définition des « membres de famille » s’inscrit dans le seul cadre de la directive tel que défini à l’article 1er11 -, et non d’assurer l’égalité de traitement des travailleurs migrants, voire, comme en l’espèce, des travailleurs frontaliers, la Cour de Justice de l’Union Européenne ayant d’ailleurs précisé dans son arrêt du 20 juin 2013, aff. C-20/12, point 80, qu’il s’agit « d’un autre contexte ».
A titre superfétatoire, en dépit de l’absence de moyen afférent présenté par la partie demanderesse, le tribunal tient toutefois à rappeler, à l’instar du représentant étatique, que l’article 2bis litigieux, inséré par la loi du 19 juillet 2013 dans la loi du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, s’inscrit dans le contexte, ou plutôt dans la suite, de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 20 juin 201312, ladite loi constituant « une première réforme destinée à tirer les conséquences de l’arrêt de la Cour de 9 Voir trib. adm. 27 mai 2013, n° 32017, ou encore trib. adm. 29 avril 2013, n° 32324 10 CJUE, 18 novembre 2008, Förster c/ Hoofddirectie van de Informatie Beheer Groep, aff. C-158/07, point 55.
11 « La présente directive concerne les conditions d’exercice du droit des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ; b) le droit de séjour permanent, dans les États membres, des citoyens de l’Union et des membres de leur famille ; c) les limitations aux droits prévus aux points a) et b) pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique ».
12 CJUE, 20 juin 2013, Elodie Giersch et autres contre Etat du Grand-Duché de Luxembourg, aff. C-20/12.
Justice de l’Union Européenne du 20 juin 2013 dans l’affaire C-20/1213 », ledit arrêt ayant en effet retenu, sur base du principe communautaire de l’égalité de traitement énoncé par l’article 7 du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, que le financement des études accordé par un État membre aux enfants des travailleurs constitue, pour un travailleur migrant, un avantage social, au sens dudit article 7, paragraphe 2, lorsque ce dernier continue à pourvoir à l’entretien de l’enfant.
En effet, il découle de la jurisprudence de la Cour de Justice qu’un ressortissant d’un Etat membre exerçant une activité salariée sur le territoire d’un autre Etat membre, tout en conservant sa résidence dans l’Etat dont il est le ressortissant, peut se prévaloir de l’article 7 paragraphe 2 du règlement 1612/6814 15. En outre, un travailleur migrant peut se prévaloir de l’article 7 paragraphe 2 du règlement 1612/68 afin d’obtenir le bénéfice des prestations sociales prévues par la législation de l’État membre d’accueil en faveur des enfants des travailleurs nationaux, sous condition et dans la mesure où celui-ci continue à assurer le soutien de son descendant16.
Le tribunal souligne à cet égard qu’aux termes de la jurisprudence communautaire, ce bénéfice ne constitue, effectivement, pour le travailleur migrant, un avantage social, au sens de ladite disposition, que dans la mesure où celui-ci continue à assurer le soutien de son descendant17. En particulier, dans son arrêt du 8 juin 199918, la Cour de Justice a précisé qu’une aide financière pour permettre à un étudiant le financement de ses études constitue un avantage social dans le chef d’un ressortissant d’un Etat membre, qui exerce une activité salariée dans un autre Etat membre tout en conservant sa résidence dans l’Etat dont il est le ressortissant, lorsque ce dernier continue à pourvoir à l’entretien de l’enfant.
Cette restriction est encore énoncée par l’arrêt Hartmann19, qui énonce qu’un avantage social peut être indirectement lié au salarié, en bénéficiant à un membre de famille - en l’espèce l’épouse du travailleur - lorsque l’avantage réclamé est susceptible de « diminuer l’obligation qui pèse sur les travailleurs de contribuer aux charges de la famille », l’accent étant mis sur l’obligation de contribuer aux charges de la famille.
Enfin, il résulte de l’arrêt du 20 juin 2013 que la Cour de Justice reprend comme élément représentatif du degré réel de rattachement du demandeur de l’aide au pays le fait que l’un des parents qui est travailleur frontalier continue de pourvoir à l’entretien de l’étudiant20 en vertu de l’obligation alimentaire entre parents et enfants imposée par le Code civil, laquelle comprend tant les aliments versés en espèces qu’en nature, l’étudiant devant prouver qu’il est à charge du 13 Projet de loi n° 6585 modifiant la loi modifiée du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, Exposé des motifs, p.2.
14 CJCE 8 juin 1999, C. P. M. Meeusen, aff. C-337/97.
15 Le règlement 1612/68 a été abrogé et remplacé par le règlement 492/2011 du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union, entré en vigueur le 16 juin 2011.
16 CJCE 20 juin 1985, Deak, aff. 94/84 17 CJCE 18 juin 1987, Lebon, aff. 316/85, points 12 et 13, ainsi que CJCE 26 février 1992, Bernini, aff. C-3/90, points 25 et 26.
18 CJCE, 8 juin 1999, Meeusen c/ Hoofddirectie van de Informatie Beheer Groep, aff.C-337/97.
19 CJCE 18 juillet 2007, Hartmann c/ Freistaat Bayern, aff. C.212/05, points 25 et 26.
20 « le fait que l’un des parents, qui continue de pourvoir à l’entretien de l’étudiant, est un travailleur frontalier » travailleur21.
Il s’ensuit, tel que souligné à bon droit par le litismandataire de l’Etat, que l’article 7, paragraphe 2 du règlement 492/2011 (équivalent à l’article 7 paragraphe 2 du règlement 1612/68) en vertu duquel le travailleur frontalier doit bénéficier des mêmes avantages sociaux que le travailleur national, s’applique donc uniquement aux père et mère de l’étudiant, soumis à une obligation alimentaire légale envers leur enfant : en d’autres termes, l’étudiant ne saurait se prévaloir d’un droit dérivé que lorsqu’il se trouve légalement à charge du bénéficiaire direct de l’avantage, à savoir du travailleur migrant.
En l’espèce, la partie demanderesse n’est pas à charge de son beau-père ; inversement, l’avantage social que constitueraient les aides financières ne bénéficie pas à ce dernier, le beau-
père n’ayant pas d’obligation alimentaire légale envers l’enfant de son épouse.
Le tribunal relève par ailleurs que plus récemment, la Cour de Justice semble admettre que lorsqu’est en jeu un objectif « social » (la promotion d’une mobilité étudiante), alors « la seule contribution économique du travailleur ne suffit plus à constituer le lien social et les travailleurs, notamment frontaliers, doivent démontrer d’un certain niveau d’intégration au sein de la société22 », à moins de considérer, à l’instar de l’avocat général dans ses conclusions, que « lorsqu’il s’agit de restreindre le cercle des bénéficiaires d’une aide aux études supérieures pour des raisons d’ordre plutôt social, la Cour analyse la situation en prenant comme point de référence, non plus le travailleur auquel est reconnue, comme pour les membres de sa famille, une égalité de traitement en ce qui concerne l’octroi d’avantages sociaux, mais l’étudiant lui-
même. Autrement dit, l’intégration économique du parent travailleur frontalier ne vaut pas nécessairement, automatiquement, intégration sociale des membres de sa famille23 ».
Or, en l’espèce, en sus de ce que le tribunal vient de retenir, force est de constater, outre que la partie demanderesse ne bénéficie pas d’un parent travailleur frontalier, qu’elle ne présente elle-même aucune circonstance de rattachement avec le Luxembourg, Madame … n’y résidant pas et n’y étudiant pas.
Dès lors, la décision de refus se justifie par le fait que la partie demanderesse ni ne présente un élément de rattachement au Luxembourg, ni ne peut se prévaloir d’un droit dérivé découlant d’un lien de filiation avec un travailleur frontalier.
Partant, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
La partie demanderesse sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.500 euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant 21 M. Neyens, Les citoyens européens et la libre circulation, Feuille de liaison de la conférence Saiunt-Yves, n° 114, 2013, p.86 22 G. Busschaert, « L’arrêt Commission c./Pays-Bas sur la portabilité du financement des études supérieures : quel avenir pour l’État providence territorial », RTD europ. 2013, p. 292-1.
23 Conclusion de l’avocat général M. Paolo Mengozzi présentées le 7 février 2013 dans l’affaire C-20/12, Elodie Giersch et autres contre Etat du Grand-Duché de Luxembourg, point 58.
règlement de procédure devant les juridictions administratives, demande qui, au vu de l’issue du litige, est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
le déclare toutefois non fondé, partant en déboute ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la partie demanderesse, condamne la partie demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 janvier 2015 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Schmit s. Sünnen 12