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10/12/2014 | LUXEMBOURG | N°35456

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2014, 35456


Tribunal administratif Numéro 35456 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 novembre 2014 1re chambre Audience publique du 10 décembre 2014 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 23 L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35456 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 novembre 2014 par Alain BINGEN, avocat à la Cour, inscr

it au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosov...

Tribunal administratif Numéro 35456 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 novembre 2014 1re chambre Audience publique du 10 décembre 2014 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 23 L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35456 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 novembre 2014 par Alain BINGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo), de nationalité kosovare, demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation, d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 septembre 2014 ayant déclaré sa demande de protection internationale irrecevable sur base de l’article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et des formes complémentaires de protection ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 novembre 2014 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI, en remplacement de Maître Alain BINGEN, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 décembre 2014.

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Le 3 novembre 1999, Monsieur … déposa une première demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », auprès du service compétent du ministère de la Justice, demande à laquelle il renonça volontairement en date du 9 février 2000.

Le 14 juillet 2011, Monsieur … et son ex-épouse, Madame …, agissant en leur nom personnel, ainsi qu’au nom de leurs enfants mineurs … et…, introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».

Par décision du 6 juillet 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, rejeta leur demande comme n’étant pas fondée, sa décision contenant par ailleurs un ordre de quitter le territoire.

1 Par jugement du 19 juin 2013, n° 30940 du rôle du rôle, le tribunal administratif rejeta le recours contentieux afférent en ses deux volets comme n’étant pas fondé, ce jugement ayant été confirmé en appel par un arrêt de la Cour administrative du 22 octobre 2013, n° 32973C du rôle.

En date du 19 février 2014, Monsieur… retourna volontairement au Kosovo, son ex-

épouse et ses enfants étant retrounés quant à eux volontairement en Serbie en date du 16 janvier 2014.

Le 28 août 2014 Monsieur…, entretemps divorcé, introduisit seul auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006.

En date du même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 8 septembre 2014, Monsieur… passa un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013, dit « règlement Dublin III ».

Monsieur… fut entendu en date du 12 septembre 2014 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa nouvelle demande de protection internationale.

Par décision du 29 septembre 2014, notifiée en mains propres le 13 octobre 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, entretemps en charge du dossier, ci-après le ministre, rejeta cette nouvelle demande pour être irrecevable, décision libellée en les termes suivants :

« Par la présente, j'accuse réception de votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes le 28 août 2014.

Il ressort de votre dossier que vous avez déposé une première demande d'asile le 3 novembre 1999 et que vous avez retiré cette demande le 9 février 2000. Vous avez ensuite déposé une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg le 14 juillet 2011, qui a été rejetée comme non fondée par une décision ministérielle en date du 6 juillet 2012. Vous aviez invoqué à la base de cette demande qu'en 2001, votre père aurait été kidnappé et relâché après deux jours; de plus, le commerce de votre mère aurait brûlé en 2000. En 2002-2003, vous auriez été agressé physiquement au Kosovo par des personnes inconnues et vous auriez eu les dents cassées. Vous n'auriez pas porté plainte par peur mais vous auriez été traité médicalement. Vous auriez quitté le Kosovo en 2003 pour vous installer à Kula/Serbie. Vous y auriez ouvert un commerce de restauration rapide qui aurait été vandalisé le 18 juin 2011. Vous êtes en possession d'un rapport de police et vous pensez que l'affaire serait en cours mais vous ne 2pensez pas que la police ferait quelque chose. Vous avez été débouté de votre deuxième demande de protection internationale par un arrêt de la Cour administrative qui estima le 22 octobre 2013 que « L'argumentaire des appelants étant resté sensiblement le même qu'en première instance, c'est encore à bon escient que les premiers juges ont conclu, à partir de l'ensemble des éléments leur soumis concernant la demande de statut de réfugié, qu'au-delà du fait que les auteurs des actes discriminatoires, selon eux, mis en avant, n'ont pas pu être considérés comme auteurs de persécution au sens de l'article 28, ensemble l'article 29 de la loi du 5 mai 2006, il n'est pas établi en cause à suffisance de droit qu'il ait existé des raisons personnelles dans le chef de l'un et de l’autre des appelants de nature à justifier une crainte actuelle fondée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social au sens de l’article 2, sub c), de la loi du 5 mai 2006. il est vrai que s'agissant d'un couple mixte ayant cohabité durant toute la période sous analyse, c'est à juste titre que les premiers juges ont opté pour une vue globale des choses plutôt que de disséquer pour chacun des époux son récit et de ne retenir uniquement que les faits en rapport avec son propre pays d'origine (…) Cependant, sur base des dispositions des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, ni pour la Serbie, Etat-candidat à l'adhésion à l'Union Européenne, ni pour le Kosovo, dont la situation est en voie de stabilisation notamment sous l'égide des représentants de la communauté internationale sur place et de la normalisation des relations avec la Serbie, compte tenu précisément des conditions imposées à ce dernier Etat en vue d'obtenir le statut d'Etat-candidat à l'adhésion à l'Union Européenne, il ne se trouve suffisamment vérifié à partir des éléments constants fournis en cause que le système judiciaire respectif ne soit pas effectif à un point tel qu'il ne permette pas de déceler, de poursuivre ou de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave. Dès lors, sur base des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, s'agissant à chaque fois d'actes émanant de personnes privées - cette même qualification devant être retenue également pour les actes dont les auteurs restent inconnus, étant donné que par expérience généralement vérifiée dans la plupart des cas ces auteurs correspondent à des personnes privées - la demande de statut de réfugié de chacun des appelants s'avère être non fondée sur cette seule base. ». Vous êtes retourné volontairement au Kosovo le 19 février 2014. A noter que vous avez versé l'original de votre acte de divorce daté du 19 juin 2014.

Quant à vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire Il ressort dudit rapport que vous auriez quitté votre pays d'origine fin juillet 2014 et que vous seriez arrivé au Luxembourg en date du 16 août 2014.

Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains le rapport d'entretien Dublin Ill du 8 septembre 2014 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 12 septembre 2014.

Il ressort de votre nouvelle demande que vous auriez de nouveau quitté votre pays d'origine « pour les mêmes raisons. Pour des raisons de sécurité» (p. 3/7 du rapport d'entretien).

Vous dites que vous seriez menacé aussi bien par la population albanaise que par les Serbes.

Vous précisez que vous auriez peur de sortir de votre maison et de circuler librement parce que vous auriez été agressé en 2002, 2004 et 2008. Vous ajoutez que vous auriez également quitté le 3Kosovo parce que votre famille se trouverait au Luxembourg.

Monsieur, il s'agit de noter que l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 dispose que:

«Le ministre considérera comme irrecevable la demande de protection internationale d'une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés ou d'une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu'ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l'incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. ».

Or, force est avant tout de constater que vous aviez déjà fait part de problèmes de sécurité dans votre pays d'origine lors de votre deuxième demande de protection internationale.

Votre peur de sortir de votre maison ne saurait donc pas être considérée comme un fait nouveau puisqu'elle découlerait directement d'incidents qui se seraient produits avant votre deuxième séjour au Luxembourg. En effet, votre peur résulterait d'agressions dont vous auriez été victime en 2002, 2004 et 2008 et ne saurait donc pas être considérée comme un fait nouveau dont il ne vous aurait pas été possible d'en faire état au cours de votre précédente procédure.

Il en est de même des autres faits que vous invoquez (menaces, insultes) et que vous déclarez avoir subis par des habitants albanais et serbes. En effet, il y a lieu de préciser que ces incidents se seraient produits avant votre deuxième séjour au Luxembourg et il s'en suit que vous n'auriez donc pas été dans l'incapacité de les faire valoir lors de votre dernier séjour au Luxembourg. Vous expliquez même qu'hormis des insultes, il n'y aurait eu aucun incident précis que vous auriez personnellement vécu entre le 19 février 2014 et le 14 août 2014, à savoir la période de votre dernier séjour dans votre pays d'origine. De plus, il y a lieu de souligner que ces incidents ne revêtent manifestement pas un degré de gravité tel à être assimilés à une persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006 et ne sauraient pas non plus fonder une demande de protection internationale. Ce constat est corroboré par le fait que vous affirmez vous-même que «Si j'avais les moyens là-bas je retournerais volontairement» (p. 4/7) laissant ainsi clairement sous-entendre que votre demande de protection internationale serait en fait basée sur des motifs économiques.

Enfin, concernant le fait que vous auriez décidé de quitter votre pays d'origine et de revenir au Luxembourg parce que des membres de votre famille y habiteraient, il s'agit de préciser que de telles raisons strictement privées ou familiales ne sauraient manifestement pas fonder une demande de protection internationale.

Je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l’article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

4Votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable.

La présente décision est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai d'un mois à partir de la notification de la présente. La décision du Tribunal administratif ne sera susceptible d'aucun appel (…)».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 novembre 2014, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle précitée du 29 septembre 2014, notifiée le 13 octobre 2014, déclarant irrecevable sa demande de protection internationale sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006.

Etant donné que l’article 23 (3) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection prévoit un recours en annulation en matière de nouvelles demandes déclarées irrecevables, seul un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle critiquée, recours qui en l’espèce est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu d’analyser le recours en réformation introduit à titre subsidiaire.

A l’appui de son recours, le demandeur rappelle les faits et rétroactes à la base de sa demande de protection internationale sous analyse et il souligne que cette nouvelle demande de protection internationale serait motivée par des considérations relatives à la sécurité dans son pays d’origine, Monsieur… précisant à cet égard qu’il aurait été menacé tant par la population serbe que par la population albanaise et que depuis les agressions dont il aurait été victime en 2002, en 2004 et en 2008, il aurait peur de sortir de sa maison et de circuler librement dans son pays d’origine. Il donne plus précisément à considérer que cette peur aurait persisté au-delà de la survenance desdites agressions et aurait perduré de manière ininterrompue jusqu’à la date de sa troisième demande de protection internationale, de sorte que contrairement à l’appréciation du ministre, elle devrait être considérée comme fait nouveau, de sorte qu’il y aurait lieu d’annuler la décision ministérielle sous analyse.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Il y a lieu de rappeler que l’article 23 de la loi du 5 mai 2006, telle que modifiée par la loi du 17 juillet 2007 dispose que :

« (1) Le ministre considérera comme irrecevable la demande de protection internationale d’une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés ou d’une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut 5conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse (2) Le demandeur concerné devra indiquer les faits et produire les éléments de preuve à la base de sa nouvelle demande de protection internationale dans un délai de 15 jours à compter du moment où il a obtenu ses informations. Le ministre peut procéder à l’examen préliminaire prévu au paragraphe (1) en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien ».

Le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction d’une demande de protection internationale est ainsi conditionné par la soumission d’éléments qui, d’une part, doivent être nouveaux et être invoqués dans un délai de 15 jours à compter du moment où le demandeur les a obtenus et, d’autre part, doivent augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur devant par ailleurs avoir été dans l’incapacité - sans faute de sa part - de se prévaloir de ces nouveaux éléments au cours de la procédure précédente, en ce compris la procédure contentieuse.

Il y a lieu de souligner que ce droit ne constitue en principe pas en quelque sorte une « troisième instance », mais une exception - soumise à des conditions d’ouverture strictes - à l’autorité de chose jugée dont est revêtue la procédure contentieuse antérieure, respectivement à l’autorité de chose décidée dont est revêtue la première décision de refus de protection internationale.

Il appartient dès lors au ministre d’analyser les éléments nouveaux soumis en cause par le demandeur afin de vérifier le caractère nouveau des éléments lui soumis ainsi que leur susceptibilité d’augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplit les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale, le caractère nouveau des éléments avancés en cause s’analysant notamment par rapport à ceux avancés dans le cadre de la précédente procédure, laquelle, doit, aux termes de l’article 23 (1) de la loi du 5 mai 2006, être définitivement terminée.

Force est d’abord de constater que dans le cadre de sa précédente demande de protection internationale le demandeur s’est prévalu d’incidents qui s’étaient déroulés, d’une part, au Kosovo, et, d’autre part, en Serbie, le demandeur ayant expliqué à l’époque avoir vécu alternativement dans ces deux pays, étant donné que son ex-épouse était de nationalité serbe.

Ainsi, il avait d’abord fait état de deux incidents qui s’étaient déroulés au Kosovo en 2000 et en 2003, à savoir l’incendie volontaire du commerce de sa mère et l’enlèvement de son père par des Albanais, faits pour lesquels le tribunal, dans son jugement du 19 juin 2013, avait retenu qu’ils se sont déroulés dans une situation d’après-guerre caractérisée par des règlements de compte et des épurations ethniques, de sorte qu’ils étaient trop éloignés dans le temps pour être encore pris en considération dans le cadre de l’examen de ladite demande. Le demandeur avait encore fait valoir que lorsqu’il aurait vécu au Kosovo, il aurait été agressé tant verbalement que physiquement par un groupe de jeunes Albanais en 2002 et 2003 et qu’au cours de l’année 2007, des inconnus auraient frappé pendant une demi-heure à la porte de l’appartement qu’il aurait 6occupé avec son ex-épouse à …, appartement qui aurait par ailleurs été cambriolé en 2008. En juin 2011, alors qu’il aurait vécu en Serbie avec sa famille, il aurait été agressé par quatre personnes, agression au cours de laquelle il aurait été insulté et roué de coups de poings et de coups de pied et ses dents auraient été cassées. Finalement, le demandeur avait soulevé que le 18 juin 2011, son commerce de restauration rapide aurait été vandalisé par une ou plusieurs personnes qui auraient cassé des vitres et y auraient apposé des graffitis mentionnant « shiptar » et « Retourne d’où tu viens ». Pour l’ensemble de ces faits, le tribunal, dans son jugement précité du 19 juin 2013, avait en substance retenu qu’il n’était pas démontré que les autorités kosovares, respectivement serbes, seraient dans l’incapacité de fournir à Monsieur… et à son ex-épouse une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006, respectivement qu’elles auraient refusé de leur fournir une telle aide et que Monsieur… et son ex-épouse étaient par ailleurs restés en défaut d’établir qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, ils risqueraient la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Il résulte du rapport d’entretien du demandeur du 12 septembre 2014, que celui s’est prévalu du moins partiellement des mêmes faits que ceux développés dans le cadre de sa demande de protection internationale précédente, sinon de faits identiques, le demandeur ayant en effet déclaré à l’agent compétent de la direction de l’Immigration qu’il aurait déposé une 3ième demande de protection internationale « pour les mêmes raisons. Pour des raisons de sécurité.

(…) Nous avons quatre locaux au Kosovo mais ils sont tous fermés. On ne peut pas ouvrir un commerce là-bas ». De même, il résulte des pièces versées en cause, et plus particulièrement de la fiche que Monsieur… a remplie au moment du dépôt de sa nouvelle demande de protection internationale sous analyse, qu’il s’est rendu au Grand-Duché de Luxembourg pour la troisième fois « et à chaque fois à cause de la sécurité ». Au moment du dépôt de sa demande de protection internationale et lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration le demandeur a dès lors explicitement reconnu qu’il est ici en partie du moins pour les mêmes faits, que ceux soulevés dans le cadre de sa demande de protection internationale antérieure. Or, ces faits, de même que la peur qui en découle et dont le demandeur se prévaut dans le cadre du présent recours, ont d’ores et déjà été toisés par les juridictions administratives, de sorte à bénéficier de l’autorité de la chose jugée et à ne plus pouvoir faire l’objet d’un nouvel examen par le tribunal.

En ce qui concerne les agressions physiques dont le demandeur fait état, le tribunal constate que même si le demandeur soutient dans le cadre de la présente demande de protection internationale avoir été agressé en 2002, 2004 et 2008, alors que dans le cadre de sa précédente demande, il avait fait état d’agressions physiques qu’il aurait subies au Kosovo au cours des seules années 2002 et 2003, tant la partie étatique, que le litismandataire du demandeur semblent soutenir qu’il s’agit des mêmes agressions physiques que celles d’ores et déjà soulevées dans le cadre de la demande de protection internationale introduite le 14 juillet 2011. A supposer que Monsieur… se soit trompé de dates et qu’il a effectivement fait état des mêmes agressions physiques, ces dernières ont d’ores et déjà été prises en considération par les juridictions administratives, de sorte à bénéficier de l’autorité de la chose jugée et à ne plus pouvoir faire l’objet d’un nouvel examen par le tribunal.

7Si au contraire, le demandeur ne s’est pas trompé de dates et qu’il n’a partant pas fait état dans le cadre de sa précédente demande de protection internationale des agressions physiques qu’il aurait subies en 2004 et 2008, il y a néanmoins lieu de rappeler, comme retenu ci-avant, que le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction d’une demande de protection internationale est non seulement conditionné par la soumission d’éléments qui, d’une part, doivent être nouveaux, et, d’autre part, comporter des indications sérieuses d’une crainte fondée de persécution, mais que le demandeur doit également avoir été dans l’incapacité - sans faute de sa part - de se prévaloir de ces nouveaux éléments au cours de la procédure précédente, en ce compris la procédure contentieuse.

Or, et dans la mesure où ces prétendues agressions ont eu lieu plusieurs années avant l’introduction de la précédente demande de protection internationale par Monsieur…, il y a lieu de retenir que ce dernier n’était pas dans l’incapacité d’en faire état antérieurement, mais à supposer ces faits véridiques, il a nécessairement délibérément omis d’en informer tant le ministre lors de la phase précontentieuse, que le tribunal administratif et la Cour administrative lors de la procédure contentieuse.

Il s’ensuit que ces éléments ne sauraient justifier l’introduction d’une nouvelle demande de protection internationale, alors que le demandeur, en omettant de faire état de ces agressions physiques dont il aurait encore actuellement des séquelles, a bien enfreint l’obligation prévue par l’article 23 précité, laquelle ne constitue qu’une application de l’article 26 de la même loi, aux termes duquel il appartient au demandeur de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale, à savoir, outre ses déclarations, « tous les documents dont le demandeur dispose concernant son âge, son passé, y compris ceux des parents à prendre en compte, son identité, sa ou ses nationalité(s), le ou les pays ainsi que le ou les lieux où il a résidé auparavant, ses demandes d ’asile antérieures, son itinéraire, ses titres de voyage, ainsi que les raisons justifiant la demande de protection internationale ».

Finalement, il résulte encore du rapport d’entretien auprès de la direction de l’Immigration que le demandeur, depuis son retour au Kosovo en février 2014, ne serait que très rarement sorti de sa maison, le demandeur ayant en effet soutenu qu’il serait resté enfermé « parce que les problèmes m’attendaient », Monsieur… ayant plus particulièrement affirmé que tant sa mère que lui-même auraient été menacés par des individus serbes et albanais.

Dans la mesure où le demandeur affirme avoir subi ces menaces après être rentré volontairement au Kosovo suite au rejet de sa dernière demande de protection internationale, il s’agit a priori de faits nouveaux.

Or, si ces menaces verbales de la part d’individus non autrement identifiés ne sont certes pas identiques à celles dont le demandeur avait d’ores et déjà fait état dans le cadre de sa précédente demande, elles sont néanmoins fortement semblables, étant donné que dans le cadre de sa demande de protection internationale déposée en 2011, Monsieur… a également fait état de menaces verbales qu’il aurait reçues de la part d’individus albanais et serbes non autrement identifiés. Par ailleurs, et tout comme dans le cadre de sa précédente demande de protection 8internationale, le demandeur a affirmé ne pas avoir déposé de plainte contre les individus qui lui ont proféré lesdites menaces.

Or, lieu de rappeler que la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays.

Force est de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent, outre nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine, une absence de protection dans le pays d’origine, soit que la personne concernée refuse d’accepter la protection des autorités du pays dont elle a la nationalité, soit qu’elle n’y a pas accès.

Dès lors, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale1. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut2.

Il y a, à cet égard, encore lieu de rappeler l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 qui définit la protection comme suit : « Une protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » Si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays 1 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.

2 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

9d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

En l’espèce, le demandeur a déclaré lors de son audition par l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères qu’en raison d’un manque de preuve et du fait que les lois kosovares ne seraient pas semblables à celles du Luxembourg, il n’aurait pas déclaré ces incidents à la police.

Il s’ensuit que, dans la mesure où le demandeur n’a pas eu recours aux moyens à sa disposition pour bénéficier d’une protection des autorités compétentes de leur pays et que par ailleurs il ne fournit aucun élément pertinent permettant de conclure que les autorités kosovares seraient dans l’incapacité de lui fournir une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier et au vu de l’arrêt de la Cour administrative du 22 octobre 2013 précité, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-

fondé de la décision litigieuse étant donné que celle-ci est motivée par un défaut de pertinence des éléments nouveaux présentés par le demandeur, de sorte que la nouvelle demande de protection internationale de Monsieur… a valablement pu être déclarée irrecevable en application de l’article 23 de la loi précitée du 5 mai 2006, le demandeur ne fournissant aucun nouvel élément suivant lequel il existe de sérieuses indications d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève ou d’atteinte grave augmentant de manière significative la probabilité qu’il remplit les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, dit qu’il n’y pas lieu d’analyser le recours en réformation introduit à titre subsidiaire ;

condamne le demandeur aux frais.

10 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 décembre 2014 par :

Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.

s. Michèle Hoffmann s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10/12/2014 Le Greffier du Tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 35456
Date de la décision : 10/12/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-12-10;35456 ?

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