Tribunal administratif Numéro 35530 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 novembre 2014 2e chambre Audience publique du 8 décembre 2014 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 10 L.5.05.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35530 du rôle et déposée le 28 novembre 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Edévi Amegandji, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … né le … à … (Bénin), de nationalité béninoise, retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 25 novembre 2014 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2014 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 décembre 2014 par Maître Edévi Amegandji pour compte du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Edévi Amegandji et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 décembre 2014.
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En date du 12 septembre 2014, Monsieur … déposa une demande de protection internationale auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et des Affaires européennes, direction de l’Immigration, sur le fondement de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 ».
Il ressort des recherches ministérielles que Monsieur … était titulaire d’un visa allemand valable du 25 août au 7 septembre 2014.
Suite à une demande afférente des autorités luxembourgeoises du 22 septembre 2014, les autorités compétentes allemandes confirmèrent en date du 19 novembre 2014 de prendre en charge Monsieur … sur le fondement de l’article 12, paragraphe 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III » Par décision du 25 novembre 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg ne serait pas compétent pour examiner sa demande de protection internationale, en se référant aux dispositions de l’article 15 de la loi du 5 mai 2006 et à celles de l’article 12, paragraphe 4 du règlement Dublin III, au motif que ce serait la République fédérale d’Allemagne qui serait responsable du traitement de sa demande de protection internationale, étant donné qu’il aurait été titulaire d’un visa allemand valable du 25 août au 7 septembre 2014.
Par arrêté du 25 novembre 2014 notifié le même jour, le ministre ordonna le placement en rétention de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de ladite décision. Ledit arrêté est motivé comme suit :
« Vu l’article 10 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport N° SPJ/15/2014/38847.1/HA du 12 septembre 2014 établi par le Service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux ;
Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un document de voyage valable;
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qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;
Considérant que l’intéressé a déposé une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 12 septembre 2014 ;
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qu’une demande de prise en charge en vertu de l’article 12§4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 a été adressée aux autorités allemandes en date du 22 septembre 2014 ;
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que les autorités allemandes ont marqué leur accord de prise en charge en date du 19 novembre 2014 ;
Considérant qu’un éloignement immédiat n’est pas possible ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite non négligeable, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ;
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que la mesure de placement est nécessaire afin de ne pas compromettre le transfert de l’intéressé vers l’Allemagne ; (…) ».
Par requête déposée le 28 novembre 2014 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du 25 novembre 2014 ordonnant son placement en rétention.
Etant donné que l’article 10 (4) de la loi du 5 mai 2006, par renvoi à l’article 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désigné par « la loi du 29 août 2008 », prévoit un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative prise sur le fondement de l’article 10 de la loi du 5 mai 2006, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Il ressort d’une télécopie adressée le 5 décembre 2014 au tribunal par le délégué du gouvernement que le demandeur a été remis aux autorités allemandes le 3 décembre 2014.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait valoir à ce sujet que, nonobstant le fait qu’il a été transféré en Allemagne, il garderait un intérêt à agir, étant donné que sa rétention, qu’il estimerait illégale, lui aurait causé un préjudice dont il entendrait obtenir réparation devant les juridictions de l’ordre judiciaire et que l’annulation de la décision déférée constituerait un préalable nécessaire à la mise en œuvre de la responsabilité de l’Etat à cet égard.
Dans la mesure où Monsieur … n’est actuellement plus retenu au Centre de rétention, du fait de sa remise aux autorités allemandes, le tribunal n’est plus en mesure, au stade actuel de la procédure contentieuse, de faire droit à la demande tendant à sa libération du Centre de rétention. En conséquence, le contrôle du tribunal ne peut désormais plus que porter sur les moyens de légalité invoqués dans le cadre du recours en réformation.1 Au vu des considérations qui précèdent, le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable dans la limite des moyens d’annulation invoqués par le demandeur et doit être déclaré sans objet pour autant qu’il conclut à la libération de ce dernier.
A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que la décision déférée ne serait pas suffisamment motivée, en ce que le ministre se serait limité à énumérer des textes légaux sans pour autant indiquer de quelle manière l’application de ces textes serait de nature à justifier la décision litigieuse, de sorte qu’il se trouverait dans l’impossibilité de « (…) répondre au ministre (…) ».
Par ailleurs, la motivation à la base de la décision déférée serait juridiquement erronée, étant donné que, du fait de son statut de demandeur de protection internationale en transfert vers un autre pays de l’Union européenne, en application du règlement Dublin III, il ne serait pas à considérer comme étant en situation irrégulière. Il en déduit que la décision litigieuse serait dépourvue de base légale. Dans ce contexte, il reproche encore au ministre de s’être référé au terme « éloignement », qui s’appliquerait aux personnes en situation irrégulière, tandis que le règlement Dublin III, applicable en l’espèce, emploierait le terme « transfert ».
Le demandeur fait encore valoir que la décision déférée violerait l’article 125 (1) « (…) de la loi du 5 mai 2006 (…) », en ce que le ministre n’aurait pas pris en compte sa situation personnelle. Or, dans la mesure où il disposerait d’un logement lui attribué en vertu de son statut de demandeur de protection internationale, le ministre aurait aisément pu le localiser, de sorte que son transfert aurait pu être réalisé sans recourir à une mesure de placement en rétention. Or, une telle mesure devrait rester exceptionnelle et l’autorité administrative aurait l’obligation d’opter pour la mesure la moins coercitive pour procéder à son transfert.
Il reproche encore au ministre d’avoir commis un abus de pouvoir, en ce qu’il n’aurait pas accompli de démarches suffisantes et préalables à son placement en rétention, en vue d’organiser son transfert.
1 Trib. adm., 22 octobre 2012, n° 31533 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu Par ailleurs, le demandeur conteste l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite. En effet, compte tenu de son statut de demandeur de protection internationale, il n’aurait pas intérêt à fuir, étant donné qu’en cas de fuite, son séjour dans « (…) l’espace européen (…) » serait illégal et, s’il se faisait arrêter, il serait en tout état de cause reconduit au Luxembourg, respectivement en Allemagne.
Dans son mémoire en réplique, il fait encore valoir que la décision de placement en rétention serait disproportionnée par rapport à sa situation personnelle.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Quant au premier moyen tiré d’un défaut d’indication des motifs de la nécessité de la mesure de placement en rétention, respectivement d’une insuffisance de motifs justifiant la nécessité de ladite mesure, il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et les catégories de décisions énumérées à l’alinéa 2 de cette disposition doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base. Or, le cas d’espèce sous examen ne tombe dans aucune de ces catégories de décisions énumérées par l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, de sorte que l’obligation de motivation formelle y énoncée ne trouve pas d’application en l’espèce. Comme il n’existe en outre aucun autre texte légal ou réglementaire exigeant l’indication des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention, sans demande expresse de l’intéressé, le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision de placement.
A titre superfétatoire et en fait, le tribunal est amené à constater qu’en l’espèce, la décision de placement en rétention déférée énonce les motifs à sa base – à savoir que le demandeur, qui ne serait pas en possession d’un document de voyage valable, serait en séjour irrégulier au pays, qu’il aurait déposé une demande de protection internationale au Luxembourg le 12 septembre 2014, qu’une demande de prise en charge en vertu de l’article 12, paragraphe 4 du règlement Dublin III aurait été adressée aux autorités allemandes le 22 septembre 2014, que lesdites autorités auraient marqué leur accord de prise en charge le 19 novembre 2014, qu’un éloignement immédiat ne serait pas possible, qu’il existerait un risque de fuite non négligeable dans le chef du demandeur, alors que ce dernier serait susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement et que la mesure de placement serait nécessaire afin de ne pas compromettre son transfert vers l’Allemagne. Qui plus est, cette motivation a été complétée par les explications du délégué du gouvernement au cours de la procédure contentieuse, de sorte que ce premier moyen est à rejeter pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 10 (1) de la loi du 5 mai 2006, « (…) Le demandeur peut, sur décision du ministre, être placé dans une structure fermée pour une durée maximale de trois mois dans les cas suivants:
a) la demande de protection internationale a été déposée dans le but de prévenir un éloignement de la personne concernée alors que celle-ci se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg;
b) le demandeur refuse de coopérer avec les autorités dans l’établissement de son identité ou de son itinéraire de voyage;
c) la demande de protection internationale est traitée dans le cadre d’une procédure accélérée conformément à l’article 20 paragraphes (1) d), e), f), i), k), l) ou m) de la présente loi;
d) le placement s’avère nécessaire afin de ne pas compromettre le transfert du demandeur vers le pays qui, en vertu d’engagements internationaux auxquels le Luxembourg est partie, est considéré comme responsable de l’examen de la demande. (…) ».
Force est au tribunal de constater qu’il se dégage de la décision déférée qu’elle est basée plus précisément sur le point d) de l’article 10 (1) de la loi du 5 mai 2006, en vertu duquel un demandeur de protection internationale peut être placé en rétention pour une durée maximale de trois mois si le placement s’avère nécessaire afin de ne pas compromettre son transfert vers le pays responsable de l’examen de la demande de protection internationale en vertu d’engagements internationaux auxquels le Luxembourg est partie, dont notamment le règlement Dublin III.
Il n’est pas contesté en l’espèce qu’en vertu du règlement Dublin III, l’Allemagne est responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, de sorte qu’a priori, le ministre a valablement pu prendre une mesure de placement en rétention à l’égard du demandeur, sous condition toutefois que cette mesure s’avèrait nécessaire afin de ne pas compromettre son transfert vers l’Allemagne.
Dans ce contexte, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir recherché s’il existait une mesure moins coercitive que le placement en rétention, afin de ne pas compromettre son transfert, en se prévalant à cet égard de « (…) l’article 125 (1) de la loi du 5 mai 2006 (…) ». Or, force est au tribunal de constater qu’une telle disposition légale n’est pas prévue par la loi du 5 mai 2006. Pour autant que le demandeur ait en réalité entendu se prévaloir de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « (…) Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre une décision d’assignation à résidence l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3). La décision d’assignation à résidence peut être prise pour une durée maximale de six mois. Elle est prise et notifiée dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. L’étranger astreint à résider dans les lieux qui lui sont fixés par le ministre, doit répondre personnellement aux convocations du ministre. L’original des documents de voyage de l’étranger sont retenus. La décision d’assignation à résidence est reportée si l’étranger ne remplit pas les conditions fixées par le ministre ou s’il existe un risque de fuite. », le tribunal est amené à retenir que ce texte ne saurait s’appliquer en l’espèce, étant donné qu’il vise « (…) les cas prévus à l’article 120 (…) », c’est-à-dire les hypothèses où le ministre prépare l’exécution d’une mesure d’éloignement ou d’une demande de transit par voie aérienne d’un étranger en séjour irrégulier, respectivement le cas où le maintien en zone d’attente aérienne d’un étranger en séjour irrégulier dépasse la durée de quarante-huit heures, c’est-à-dire des hypothèses autres que celles prévues à l’article 10 de la loi du 5 mai 2006.
A l’audience des plaidoiries, le tribunal a invité les parties à prendre oralement position par rapport à la question de l’incidence, sur le bien-fondé du présent recours, des principes dégagées par la Cour administrative dans son arrêt du 16 octobre 2014 portant le numéro 35285C du rôle.
Tant le litismandataire du demandeur que le délégué du gouvernement se sont rapportés à prudence de justice par rapport à cette question.
Dans son arrêt précité du 16 octobre 2014, la Cour administrative a retenu ce qui suit:
« (…) l’article 10 de la loi du 5 mai 2006 prévoit le placement en rétention comme seule mesure envisageable dans les différentes hypothèses évoquées, dont plus particulièrement celle du placement en vue d’un transfert vers un autre Etat membre compétent, à l’exclusion de toute autre mesure moins coercitive. Dès lors, alors que l’article 28 du règlement 604/2013 requiert l’examen préalable, par l’autorité compétente, si une mesure moins coercitive qu’une rétention est envisageable, l’article 10 de la loi du 5 mai 2006 n’impose pas un tel examen préalable au ministre. Les premiers juges ont encore justement relevé que la seule disposition en droit luxembourgeois prévoyant une telle mesure moins coercitive, à savoir l’article 125 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, relatif aux assignations à résidence, visant l’hypothèse où le ministre prépare l’exécution d’une mesure d’éloignement ou d’une demande de transit par voie aérienne d’un étranger en séjour irrégulier ou lorsque le maintien en zone d’attente aérienne d’un étranger en séjour irrégulier dépasse la durée de quarante-huit heures, n’est pas applicable dans les hypothèses prévues à l’article 10 de la loi du 5 mai 2006. C’est dès lors à bon droit que les premiers juges ont conclu que l’article 10 de la loi du 5 mai 2006 doit être considéré comme non conforme à l’article 28 du règlement 604/2013 dans la mesure où une personne placée en rétention sur base de l’article 10 de la loi du 5 mai 2006 en vue de son transfert vers un autre Etat membre compétent ne saurait, sur base des dispositions de droit luxembourgeois, se prévaloir de la possibilité de se voir imposer une mesure moins coercitive qu’une rétention, dont notamment une assignation à résidence, et où le ministre n’est pas obligé à se livrer à l’examen y relatif avant d’ordonner une mesure de rétention. (…) ». Dans le même arrêt, la Cour a encore retenu que « (…) l’application de l’article 10 de la loi du 5 mai 2006 ne doit pas être entièrement écartée à l’égard d’un demandeur de protection internationale faisant l’objet d’une procédure de transfert conformément au règlement 604/2013, mais il faut soumettre son application à la condition supplémentaire découlant de l’article 28 du règlement 604/2013, directement applicable, relative à l’examen préalable si une mesure moins coercitive ne peut pas être utilement prononcée. Finalement, l’article 28 du règlement 604/2013 n’impose pas au législateur national de définir plus précisément ces mesures alternatives, mais se limite à imposer un examen afférent à l’autorité nationale compétente qui doit donc être considérée comme disposant d’un pouvoir d’appréciation quant à la mesure moins coercitive à prononcer dans un cas particulier en fonction des particularités de l’espèce. C’est partant à juste titre que les premiers juges ont considéré qu’il y a lieu d’appliquer les principes dégagés de l’article 28 du règlement 604/2013 en complément de l’article 10 de la loi du 5 mai 2006 et qu’ils étaient appelés, en tant que juge de la réformation, à statuer au fond et à refaire l’appréciation en fait et en droit.
L’appréciation de la possibilité d’une mesure moins coercitive, dont notamment une assignation à résidence, doit être faite eu égard à la finalité de « garantir les procédures de transfert » et donc par rapport aux garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite, l’article 28, paragraphe 2, du règlement 604/2013 liant lui-même ce besoin de garantie à l’existence d’un risque non négligeable de fuite sur la base d’une évaluation individuelle. (…). » Il ressort de cette jurisprudence de la Cour administrative que dans le cadre de l’application de l’article 10 de la loi du 5 mai 2006, le ministre est obligé de procéder à l’examen préalable de la question de savoir si une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention est envisageable, même si le texte en question ne le prévoit pas expressément, étant donné qu’un tel examen est imposé par les dispositions, directement applicables, de l’article 28 du règlement Dublin III, norme hiérarchiquement supérieure à la loi du 5 mai 2006 et en vertu duquel « (…) Les États membres peuvent placer les personnes concernées en rétention en vue de garantir les procédures de transfert conformément au présent règlement lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite de ces personnes, sur la base d’une évaluation individuelle et uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionnel et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être effectivement appliquées. (…) », étant précisé, d’une part, que cet examen doit se faire par rapport aux garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite dans le chef du demandeur et, d’autre part, qu’il appartient au tribunal, statuant en tant que juge de la réformation, de statuer au fond et de procéder à l’analyse en fait et en droit à faire par le ministre à cet égard.
En l’espèce, force est au tribunal de constater, d’une part, que le demandeur est dépourvu de documents d’identité et de voyage valables, de sorte qu’il présente un risque de fuite non négligeable et, d’autre part, qu’il ne fait pas état d’éléments permettant de conclure à l’existence de garanties de représentation effectives en vue de son transfert, le simple fait qu’un logement lui ait été fourni par les autorités luxembourgeoises en raison de sa qualité de demandeur de protection internationale étant insuffisant à cet égard, dans la mesure où cet élément ne permet pas de retenir l’existence, dans le chef de Monsieur …, d’attaches suffisamment concrètes et stables avec le Luxembourg établissant qu’il ne va pas se soustraire à son transfert.
Au vu de ces éléments, le tribunal est amené à retenir qu’une mesure moins coercitive que le placement en rétention, dont notamment une assignation à résidence, n’était pas envisageable en l’espèce, de sorte que le moyen afférent est à écarter. Pour les mêmes raisons, cette conclusion s’impose également en ce qui concerne le moyen ayant trait à une disproportion entre la décision déférée et la situation personnelle du demandeur.
En ce qui concerne le moyen du demandeur selon lequel le ministre aurait commis un abus de pouvoir, en ce qu’il n’aurait pas accompli de démarches suffisantes en vue d’organiser son transfert, il y a d’abord lieu de rappeler qu’une mesure de rétention prise sur base de l’article 10 d) de la loi du 5 mai 2006 s’analyse en une mesure administrative privative de la liberté de mouvement de la personne concernée et qu’elle doit partant être limitée à la durée strictement nécessaire afin de permettre l’exécution du transfert du demandeur vers le pays responsable de l’examen de sa demande de protection internationale.
A cette fin, le ministre est, dès le placement en rétention de l’intéressé et partant dès que ce dernier est privé de sa liberté, dans l’obligation de faire entreprendre avec la diligence requise toutes les démarches nécessaires en vue de l’organisation dudit transfert. Cependant, contrairement à ce que soutient Monsieur …, le ministre n’est pas obligé d’accomplir ces démarches avant la notification de la décision de placement en rétention, une telle mesure ayant justement pour objet de permettre au ministre d’organiser utilement le transfert susmentionné.
En l’espèce, il se dégage du dossier administratif que le 25 novembre 2014, soit le jour même de la prise et de la notification de la décision de placement en rétention déférée, le ministre a demandé au Service de police judiciaire, section des étrangers et des jeux, de procéder au transfert de Monsieur … vers l’Allemagne, étant précisé que les autorités allemandes avaient, sur demande afférente des autorités luxembourgeoises du 22 septembre 2014, marqué leur accord de prise en charge le 19 novembre 2014. Il est, par ailleurs, constant en cause que ledit transfert a eu lieu le 3 décembre 2014, soit approximativement une semaine après la notification de la décision déférée.
Dans ces circonstances, le tribunal est amené à retenir qu’en l’espèce, le ministre a, dès le placement en rétention du demandeur, entrepris avec la diligence requise toutes les démarches nécessaires afin d’organiser le transfert de ce dernier vers l’Allemagne.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à conclure que c’est à bon droit que le ministre a pris une décision de placement en rétention à l’égard du demandeur sur le fondement de l’article 10 d) de la loi du 5 mai 2006, tel qu’appliqué conformément à l’article 28 du règlement Dublin III, de sorte que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait lieu d’analyser le moyen du demandeur selon lequel la motivation de la décision déférée serait erronée, au motif qu’en tant que demandeur de protection internationale, il ne serait pas à considérer comme étant en situation irrégulière, cet examen devenant surabondant, étant donné qu’en l’espèce les conditions légales d’un placement en rétention sur base de l’article 10 d) de la loi du 5 mai 2006 étaient remplies. Il en est de même en ce qui concerne le reproche du demandeur ayant trait à l’emploi, par le ministre, du terme « éloignement », au lieu de celui de « transfert ».
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare le recours principal en réformation recevable dans la limite des moyens de légalité invoqués et le déclare sans objet pour le surplus ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Anne Gosset, premier juge, Paul Nourissier, juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 8 décembre 2014 par le premier juge en présence du greffier Monique Thill.
s.Monique Thill s.Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 décembre 2014 Le greffier du tribunal administratif 9