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24/11/2014 | LUXEMBOURG | N°35220

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 novembre 2014, 35220


Tribunal administratif N° 35220 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 septembre 2014 2e chambre Audience publique du 24 novembre 2014 Recours formé par Monsieur ….. et consort, .

contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35220 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 septembre 2014 par Maître Ardavan Fatho

lahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom d...

Tribunal administratif N° 35220 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 septembre 2014 2e chambre Audience publique du 24 novembre 2014 Recours formé par Monsieur ….. et consort, .

contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35220 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 septembre 2014 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le …. à …. (Albanie) et de son épouse, Madame ….., née le …. à …. (Albanie), tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…., tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 11 septembre 2014 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision du même ministre portant refus de faire droit à leur demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2014 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 octobre 2014 par Maître Ardavan Fatholahzadeh pour compte des demandeurs ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 novembre 2014 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 novembre 2014.

En date du 24 mars 2014, Monsieur ….. et son épouse, Madame ….., ci-après désignés par « les consorts ….. », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par la « loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations des consorts ….. sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Monsieur ….. fut entendu les 28 mars et 11 août 2014 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, les auditions de Madame ….. s’étant déroulées les 28 avril et 12 août 2014.

Par décisions du 11 septembre 2014, notifiées aux intéressés par lettre recommandée envoyée le 15 septembre 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa les consorts ….. qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se fondant sur les dispositions de l’article 20 (1) sous a) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leur demande ava it été refusée comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à destination de l’Albanie ou de tout autre pays dans lequel ils seraient autorisés à séjourner.

La décision du ministre est tout d’abord motivée par la considération que, selon les dispositions de l’article 1er (1) du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 », les consorts ….. proviendraient d’un pays d’origine sûr au sens des dispositions de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, c’est-à-dire d’un pays dans lequel il n’existerait généralement et de façon constante pas de persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ». Cette analyse de la situation générale en Albanie serait encore confortée par les déclarations de l’ancien président de la Commission européenne, Monsieur José Manuel Barroso, selon lesquelles le statut de pays candidat pour adhérer à l’Union européenne serait accessible.

Le ministre releva ensuite que les faits invoqués par les consorts ….. à l’appui de leur demande, à savoir les menaces et agressions subies de la part de la famille de Madame ….. en raison du refus de cette dernière d’épouser l’homme choisi par sa famille, le mariage avec Monsieur ….. ayant porté atteinte à l’honneur de sa famille et exposant les consorts ….. à des actes de vengeance fondés sur la loi du kanun, ne sauraient établir dans leur chef une crainte fondée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoient les dispositions de l’article 1er, section A, § 2 de la Convention de Genève et les articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006. En effet, les faits relatés seraient constitutifs de délits de droit commun punissables en tant que tels selon la loi albanaise et non de persécutions au sens de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006. Le ministre mit également en doute l’attestation du 28 février 2014 de la mission de réconciliation des « Peace Reconciliation Missionaries of Albania » invoquée par les consorts ….. à l’appui de leur demande de protection international.

S’agissant en outre de faits imputés à une personne privée, ils ne pourraient en tout état de cause fonder une crainte légitime de persécution que si les demandeurs établissent que les autorités de leur pays d’origine sont en défaut de leur fournir une protection adéquate contre les agissements allégués. Or, tel ne serait pas le cas en l’espèce puisque qu’il ne ressortirait pas des déclarations des demandeurs faites dans le cadre de leurs auditions que l’Etat ou d’autres organisations étatiques présentes sur le territoire albanais ne pourraient pas ou ne voudraient pas leur accorder une protection, les demandeurs étant restés en défaut de s’adresser aux autorités policières albanaises, respectivement à des autorités hiérarchiquement supérieures, telles que notamment l’Ombudsman. Le ministre releva encore que les faits de violence domestique subis par Madame ….. seraient punis par le Code pénal albanais et que cette dernière aurait pu intégrer, en Albanie, un foyer pour femmes ayant fait l’objet de violences conjugales.

Le ministre ajouta que les demandeurs n’auraient présenté aucune raison valable pour justifier leur impossibilité de s’installer dans une autre partie de leur pays d’origine afin d’échapper aux difficultés rencontrées. Les craintes d’être retrouvés par des membres de la famille de Madame ….. seraient hypothétiques et ne sauraient suffire pour justifier une telle impossibilité.

S’agissant enfin de la protection subsidiaire, le ministre conclut que les demandeurs ne feraient état d’aucun motif sérieux et avéré de croire qu’ils courent un risque réel de subir les atteintes graves définies par l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans leur pays d’origine.

Par requête déposée en date du 25 septembre 2014 au greffe du tribunal administratif, les consorts ….. ont fait introduire un recours qualifié dans la motivation de la requête introductive de « (…) recours en réformation à l’encontre d’une décision du Ministre de l’Immigration et de l’Asile datée du 11 septembre 2014 (…) aux termes de laquelle Monsieur le Ministre de l’Immigration et de l’Asile a décidé d’examiner la demande des requérants sur base de la procédure accélérée prévue à l’article 20 de la loi modifiée du 5 mai 2006, relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection (…) » ainsi qu’un « (…) recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision précitée du 11 septembre 2014 refusant aux requérants, une protection internationale au sens de la loi du 05 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection (…) » et enfin « (…) un recours en annulation à l’encontre de la décision critiquée, en ce qu’elle sous-

entend dans le chef des requérants l’ordre de quitter le territoire », tandis que le dispositif dudit recours est, pour sa part, notamment libellé comme suit : « (…) Réformer la décision querellée en accordant aux requérants le bénéfice de la protection internationale, annuler la décision ministérielle critiqué[…] en ce qu’elle vise à autoriser le ministre à statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, constater que la décision ministérielle critiquée contrevient aux dispositions de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et accorder aux requérants le bénéfice de la protection subsidiaire, par voie de conséquence, dire qu’il y a encore lieu d’annuler l’ordre notifié aux requérants de quitter le territoire (…) », de sorte qu’il y a lieu de retenir que les demandeurs ont introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle du 11 septembre 2014 ayant statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en réformation contre la décision ministérielle déférée du 11 septembre 2014 ayant rejeté leur demande de protection internationale comme n’étant pas fondée, ainsi qu’un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Quant à la recevabilité des trois recours, il y a lieu de relever que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, ainsi qu’un recours en annulation contre l’ordre de quitter contenu dans le même acte, de sorte que les deux recours en annulation, ainsi que le recours en réformation ont valablement pu être dirigés contre les trois volets de la décision déférée du ministre du 11 septembre 2014, les trois recours étant, par ailleurs, recevables pour avoir été introduits dans les formes et délai de la loi.

Avant d’aborder l’analyse du bien-fondé de la décision déférée, il convient encore d’examiner la question de la fourniture des mémoires dans les délais impartis et suivant le nombre prévu par la loi, telle que soulevée par le délégué du gouvernement dans son mémoire en duplique eu égard à la nature du présent recours introduit sur base de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006 régi par des délais spécifiques.

En l’espèce, suite au dépôt du mémoire en réponse du délégué du gouvernement le 9 octobre 2014, le demandeur a encore déposé un mémoire en réplique le 30 octobre 2014, suivant les indications non contestées y apposées par le greffe.

Il échet de relever que le recours a été introduit sur base de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006, lequel est régi par des délais particuliers qui s’imposent face aux délais ordinaires des affaires, et que le tribunal a communiqué aux parties en cause un calendrier pour déposer les mémoires en réponse, en réplique et en duplique duquel il ressort que le délai fixé pour le dépôt du mémoire en réplique venait à expiration le mercredi 29 octobre 2014 à 12.00 heures.

Le mémoire en réplique ayant été déposé en date du 30 octobre 2014, il doit être écarté des débats, le mémoire en duplique ne constituant qu’une réponse au mémoire en réplique doit partant encourir le même sort et être, à son tour, écarté des débats.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 11 septembre 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée A l’appui de leur recours, les demandeurs estiment tout d’abord que ce serait à tort que le ministre, pour traiter leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, se soit notamment basé sur le fait que l’Albanie est désignée comme étant un pays d’origine sûr par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007.

Ils estiment, en effet, que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 serait illégal, en raison de sa contrariété tant avec les dispositions de l’article 30, sous paragraphes 1 et 5, de la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres, ci-

après désignée par « la directive 2005/85/CE », qu’avec l’article 3 de la Convention de Genève.

Le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 méconnaîtrait l’article 3 de la Convention de Genève, qui interdit aux Etats signataires toute discrimination liée au pays d’origine des réfugiés, en introduisant une discrimination incontestable entre les réfugiés en raison de leur pays d’origine, selon que celui-ci se trouve ou pas inscrit sur la liste des pays dits sûrs.

De plus, les demandeurs relèvent que les Etats membres de l’Union européenne ayant échoué à arrêter une liste commune des pays d’origine sûrs, il s’y ajouterait une discrimination entre réfugiés selon l’Etat chargé d’instruire la demande d’asile.

Ils font, par ailleurs, état de critiques à l’égard de la notion de « pays d’origine sûr » telles qu’elles ont été formulées par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés lors des travaux préparatoires de la directive européenne 2005/85/CE, ainsi que par la Commission consultative des droits de l’homme luxembourgeoise concernant le projet de règlement grand-ducal du 18 avril 2007 et, finalement, par le Conseil d’Etat dans son avis du 3 mai 2005 relatif au projet à la base de la loi du 5 mai 2006.

Les demandeurs reprochent encore au règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 de rester muet quant aux méthodes et critères d’après lesquels la liste de pays sûrs a été établie, conduisant à ce que la pluralité des sources exigées par l’article 30 sous paragraphe 5 de la directive 2005/85/CE ne saurait être utilement vérifiée.

Finalement, les demandeurs affirment que, d’après l’article 21(4) de la loi du 5 mai 2006, la désignation de pays d’origine sûrs se ferait pour chaque pays après un examen détaillé de la situation dudit pays. Ils sont cependant d’avis qu’au vu du fait que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 resterait muet quant aux méthodes et critères utilisés pour établir une liste de pays d’origine sûrs, il n’existerait pas de garantie qu’il y ait effectivement eu un examen pays par pays.

Ils concluent ainsi à l’illégalité du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, tant pour violation des dispositions de la directive 2005/85/CE et plus particulièrement de la pluralité des sources exigée par l’article 30 sous paragraphe 5, que pour violation des dispositions de l’article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006 et de l’article 3 de la Convention de Genève, et demandent au tribunal, par voie de conséquence, de ne pas faire application dudit règlement grand-ducal sur base de l’article 95 de la Constitution.

Les demandeurs soutiennent ensuite que ce serait à tort que le ministre a estimé qu’ils n’auraient exposé à l’appui de leur demande que des faits soulevant des questions sans pertinence, pour justifier l’examen de leur demande dans le cadre d’une procédure accélérée sur le fondement juridique des dispositions de l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006.

A cet égard, les demandeurs font valoir que les faits relatés justifieraient l’octroi du statut de réfugié ou, à défaut, celui de la protection subsidiaire.

Par conséquent, ils estiment que la décision querellée devrait être annulée pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Le délégué du gouvernement estime que ce serait à juste titre que le ministre a statué sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre de la procédure accélérée et conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 :

« Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale; (…) c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; (…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de cette demande ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Concernant plus particulièrement le point c) de l’article 20 (1) précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de rappeler qu’un pays est à considérer comme sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.

(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.

(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » Il est constant que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 a désigné l’Albanie comme pays d’origine sûr.

En premier lieu, il convient d’examiner le moyen tiré de l’illégalité du règlement grand-

ducal du 21 décembre 2007, étant rappelé qu’aux termes de l’article 95 de la Constitution « les cours et tribunaux n’appliquent les arrêtés et règlements généraux et locaux qu’autant qu’ils sont conformes aux lois ».

Les demandeurs invoquent tout d’abord une violation de l’article 3 de la Convention de Genève, qui consacre le principe de non-discrimination des réfugiés et qui dispose que « les Etats contractants appliqueront les dispositions de cette Convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d’origine. » Force est au tribunal de relever que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 a été pris en exécution de l’article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006, qui institue le principe qu’une demande de protection internationale est rejetée lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr, soit par l’Union européenne, soit par un règlement grand-ducal, loi dont la légalité n’est pas remise en cause par les demandeurs. Le tribunal est encore amené à relever que l’inscription d’un pays sur une liste de pays sûrs par un pays individuellement est en principe expressément prévu par l’article 30, paragraphe 1, de la directive 2005/85/CE. Cette inscription constitue d’ailleurs l’aboutissement de l’examen de la situation de ce pays à un niveau réglementaire, à l’instar d’un examen individuel de la situation d’un pays dans le cadre d’une demande de protection internationale, de sorte que le simple fait que l’Albanie soit inscrite sur cette liste n’aboutit pas à une discrimination des réfugiés en provenance de ce pays par rapport à des réfugiés provenant d’autres pays non inscrits sur cette liste. Dans ce contexte, il convient encore de relever qu’en vertu des dispositions combinées des points (2) et (3) de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, même dans l’hypothèse où le pays d’origine du demandeur d’une protection internationale figure parmi les pays d’origine sûrs désignés par règlement grand-ducal, un examen individuel de sa situation sera toujours effectué, l’article 21 (2), auquel renvoie l’article 21 (3), faisant expressément référence à un examen individuel de la demande. Le fait que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 a été critiqué par la Commission consultative des droits de l’homme n’est pas de nature à infirmer ce constat, une telle critique n’impliquant pas une présomption d’illégalité du règlement en question. Si le défaut d’une liste commune des Etats membres de l’Union européenne est regrettable, le fait en soi qu’une liste soit établie par le Luxembourg individuellement, tel que prévu d’ailleurs par la loi du 5 mai 2006 et par l’article 30 précité de la directive 2005/85/CE, ne conduit pas de iure à l’illégalité du règlement, alors que le règlement litigieux est appliqué de la même manière à tous les réfugiés introduisant une demande de protection internationale au Luxembourg et que pour le surplus, tel que relevé ci-dessus, l’application dudit règlement n’implique pas que la situation individuelle du demandeur d’une protection internationale ne soit pas examinée.

Au demeurant, il convient encore de souligner qu’en l’espèce, le ministre a, au-delà du constat de l’inscription de l’Albanie sur la liste des pays d’origine sûrs, procédé à une analyse in specie de la situation actuelle dans ce pays, tout comme d’ailleurs de la situation personnelle des demandeurs.

Il suit des considérations qui précèdent que le reproche des demandeurs d’une discrimination des réfugiés en fonction de leur pays d’origine sur base du règlement grand-

ducal du 21 décembre 2007 laisse d’être fondé.

Les demandeurs reprochent en outre au règlement grand-ducal litigieux de rester muet quant aux critères d’après lesquels la liste de pays sûrs a été établie, de sorte que la pluralité des sources exigée par la directive 2005/85/CE ne saurait être valablement vérifiée. De même, ils reprochent audit règlement de contrevenir aux dispositions de l’article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006, alors que du fait de l’établissement d’une liste de pays d’origine sûrs, il n’existerait pas de garantie qu’il y ait effectivement eu un examen pays par pays comme l’exigerait la loi.

En substance, les demandeurs reprochent ainsi au règlement grand-ducal de ne pas être motivé, alors que les critères et les sources ayant conduit la partie étatique à considérer les pays figurant sur cette liste comme des pays sûrs feraient défaut.

Force est tout d’abord au tribunal de constater que contrairement à ce qui est imposé pour les décisions administratives individuelles par l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 sur la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, aucun texte n’oblige l’autorité détentrice du pouvoir réglementaire, dans le cadre de l’exercice de celui-ci, à formuler de manière expresse et explicite les motifs gisant à la base d’un règlement grand-ducal. Ainsi, un règlement grand-ducal peut valablement contenir sa motivation dans son exposé des motifs et son commentaire des articles, documents qui n’ont cependant pas été versés aux débats par le délégué du gouvernement, de sorte que le tribunal administratif est dans l’impossibilité de pouvoir vérifier la motivation du règlement grand-

ducal du 21 décembre 2007 quant aux sources et critères retenus pour qualifier l’Albanie comme étant un pays d’origine sûr. Si le délégué du gouvernement se réfère à un jugement du tribunal administratif du 24 septembre 2009, inscrit sous le numéro 25522 du rôle, suivant lequel la motivation à la base du règlement grand-ducal ressortirait de son exposé des motifs et de son commentaire d’articles, force est au tribunal de retenir que la solution retenue dans ledit jugement n’est pas transposable en l’espèce, étant donné que ledit jugement portait sur la question de savoir si le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 comportait une motivation suffisante pour permettre l’inscription de la Bosnie-Herzégovine sur la liste des pays d’origine sûrs. Or, en l’espèce, les demandeurs sont originaires de l’Albanie.

Il s’ensuit que le moyen tiré de l’illégalité du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, en ce qui concerne la qualification de l’Albanie comme étant un pays d’origine sûr, est fondé, de sorte que, d’une part, l’application du prédit règlement au présent litige est à écarter sur base de l’article 95 de la Constitution, et, d’autre part, que le ministre ne pouvait pas fonder sa décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur le dispositions de l’article 20 (1) c) de la loi du 5 mai 2006.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant cependant énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, il appartient encore au tribunal de vérifier si le ministre a pu valablement fonder sa décision sur les dispositions de l’article 20 (1) a) de la prédite loi, en retenant que les demandeurs n’auraient soulevé que des questions sans pertinence ou d'une pertinence insignifiante au regard de l'examen visant à déterminer s'ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.

En vertu de l’article 2 a) de la même loi, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays.

Or, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les agissements dont les consorts ….. ont fait état ne relèvent pas du champ d’application de l’article 1er, A, 2 de la Convention de Genève.

En l’espèce, il ressort des déclarations des demandeurs telles qu’actées dans leurs rapports d’audition respectifs que les faits qui les ont amenés à quitter leur pays d’origine, dont la réalité n’a pas été contestée par la partie étatique, ne sont pas motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social. En effet, les menaces et agressions de la part de la famille de Madame ….. doivent être considérées comme des infractions de droit commun, respectivement comme un conflit d’ordre purement privé et familial, fondées sur la vengeance, de sorte que de tels agissements, bien qu’ils soient d’une certaine gravité, en ce qui concerne l’agression de Madame ….., ne sauraient fonder une demande de protection internationale pour ne pas être de nature à rentrer dans le champ d’application de la Convention de Genève.

Il résulte des considérations qui précèdent que les agressions subies de la part de la famille de Madame ….. sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante en ce qui concerne leur demande d’octroi du statut de réfugié.

Quant à la protection subsidiaire, il y a lieu de rappeler que l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ». L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Le tribunal relève tout d’abord que les faits invoqués et plus amplement exposés ci-

avant ne se rapportent pas au risque de subir la peine de mort, l’exécution ou la torture, ni ne s’inscrivent dans le cadre d’un conflit armé interne ou international. S’agissant du risque de subir des sanctions ou traitements inhumains ou dégradants invoqué par les demandeurs, le tribunal est amené à constater que les maltraitances infligées à Madame ….. par sa famille sont a priori à qualifier d’atteintes graves au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006, en ce qu’elle a dû subir des menaces de mort et, à plusieurs reprises, des violences physiques qui, prises dans leur globalité, sont susceptibles d’être considérées comme des traitements inhumains ou dégradants constitutifs d’atteintes graves au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006.

Partant, c’est également à tort que le ministre a basé la décision de statuer sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée sur l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006, en ce que les faits présentés à l’appui de leur demande sont d’une pertinence en ce qui concerne l’octroi de la protection subsidiaire.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à tort que le ministre a estimé qu’il y aurait lieu de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre de la procédure accélérée prévue à l’article 20 de la loi du 5 mai 2006, de sorte qu’il y a lieu d’annuler la prédite décision ministérielle du 11 septembre 2014.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Dans la mesure où le tribunal a annulé la décision ministérielle de statuer sur le bien-

fondé de la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée et dans la mesure où la prédite décision ministérielle n’est pas exempte de conséquences en ce qui concerne les garanties pour les demandeurs, notamment en termes de double degré de juridiction, droit qui ne saurait être rétabli par le tribunal dans le cadre du recours en réformation sous analyse, il y a lieu d’annuler la décision ministérielle déférée dans le cadre du recours en réformation et de renvoyer le dossier devant le ministre afin qu’il procède à un réexamen de la demande de protection internationale.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision précitée encourt l’annulation.

3) Quant au recours en annulation contre le l’ordre de quitter le territoire En l’espèce, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire au motif qu’ils seraient exposés à des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans leur pays d’origine.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Dans la mesure où le tribunal administratif vient d’annuler tant la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée que la décision ayant refusé de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale, il y a lieu d’annuler également l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

écarte des débats le mémoire en réplique fourni tardivement, ainsi que le mémoire en duplique subséquent ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 11 septembre 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale des consorts ….. dans le cadre d’une procédure accélérée :

au fond, le déclare justifié ;

partant, annule la décision ministérielle du 11 septembre 2014 de statuer sur le bien-

fondé des demandes de protection internationale des consorts ….. dans le cadre d’une procédure accélérée et renvoie l’affaire devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile en prosécution de cause ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 11 septembre 2014 ayant refusé aux consorts ….. l’octroi d’une protection internationale ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision ministérielle du 11 septembre 2014 portant refus d’une protection internationale aux consorts ….. et renvoie l’affaire devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile en prosécution de cause ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 11 septembre 2014 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, annule la décision ministérielle du 11 septembre 2014 portant ordre de quitter le territoire ;

donne acte aux demandeurs de ce qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Anne Gosset, premier juge, Paul Nourissier, juge et lu à l’audience publique du 24 novembre 2014 par le vice-président, en présence du greffier Monique Thill.

s. Monique Thill s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 novembre 2014 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 35220
Date de la décision : 24/11/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-11-24;35220 ?

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