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19/11/2014 | LUXEMBOURG | N°33931

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 novembre 2014, 33931


Tribunal administratif N° 33931 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 janvier 2014 3e chambre Audience publique du 19 novembre 2014 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures en matière de permis de conduire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33931 du rôle et déposée le 24 janvier 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Henri Frank, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant

à l’annulation d’une décision du ministre du Développement durable et des Infrastru...

Tribunal administratif N° 33931 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 janvier 2014 3e chambre Audience publique du 19 novembre 2014 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures en matière de permis de conduire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33931 du rôle et déposée le 24 janvier 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Henri Frank, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures du 6 novembre 2013 portant retrait de son permis de conduire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2014;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Henri Frank, et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 octobre 2014.

Par un courrier du 30 août 2000, le ministre des Transports adressa à Monsieur … un avertissement au vu de l’information par les autorités judiciaires que celui-ci aurait commis diverses infractions au Code de la route et notamment aurait conduit un véhicule sous l’influence de drogues.

Par un arrêté du 1er mars 2002, le ministre des Transports retira à Monsieur … le permis de conduire un véhicule automoteur et un cyclomoteur, ainsi que les permis de conduire internationaux lui délivrés.

Par un courrier du 7 novembre 2002, le ministre des Transports invita Monsieur … à envoyer au médecin-président de la commission médicale un rapport psychiatrique.

Par une décision du 2 juillet 2003, le ministre des Transports restitua le permis de conduire à Monsieur … pour une durée de douze mois.

Par une décision du 30 juillet 2004, le ministre des Transports prorogea la validité du permis de conduire de Monsieur … pour une durée de vingt-quatre mois.

Par une décision du 13 septembre 2006, le ministre des Transports prorogea la validité du permis de conduire de Monsieur … pour la durée légale.

Par un courrier du 6 août 2008, rappelé le 6 novembre 2008, le ministre des Transports invita Monsieur … à soumettre à la commission médicale un rapport psychiatrique récent.

Le 15 décembre 2008, la commission médicale émit un avis favorable quant aux aptitudes de conduire de Monsieur ….

Le 22 avril 2011, Monsieur … fit l’objet d’une ordonnance pénale pour inobservation de la limitation de la vitesse à l’intérieur d’une agglomération ayant conduit à la perte de deux points du capital dont est doté son permis de conduire.

En date du 5 novembre 2012, la police grand-ducale dressa un rapport n° 2012/35225/236/BG, faisant état de consommation de drogues par Monsieur ….

Par un courrier du 4 décembre 2012, rappelé le 3 mai 2013, Monsieur … fut invité à adresser les résultats d’un screening toxicologique des cheveux à la commission médicale.

En date du 12 septembre 2013, Monsieur … fut convoqué devant la commission médicale pour le 24 octobre 2013.

Sur base d’un avis de la commission médicale du 28 octobre 2013, le ministre du Développement durable et des Infrastructures, ci-après désigné par « le ministre », retira, par un arrêté du 6 novembre 2013, le permis de conduire un véhicule automoteur délivré à Monsieur …, ainsi que les permis de conduire internationaux délivrés sur le vu dudit permis national. Ledit arrêté est fondé sur la considération que l’intéressé souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2014, et inscrite sous le numéro 33931 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 6 novembre 2013 portant retrait de son permis de conduire.

Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif le même jour et inscrite sous le numéro 33932 du rôle, Monsieur … a sollicité l’institution d’un sursis à exécution de cette décision.

Par une ordonnance du 30 janvier 2014, le président du tribunal administratif débouta Monsieur … de son recours en institution d’un sursis à exécution.

Etant donné que ni la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après désignée par « la loi du 14 février 1955 », ni l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, ni d’autres dispositions légales, ne prévoient de recours en réformation en la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation. Ledit recours est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient qu’au regard de l’examen médical sur lequel s’est basé le ministre et établi suite à l’analyse des cheveux prélevés le 5 juillet 2013, la conclusion du ministre qu’il souffrirait d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire équivaudrait à dénaturer les faits et irait par ailleurs bien au-

delà de ce qui pourrait lui être reproché.

En se référant à la conclusion du rapport d’expertise toxicologique, ayant retenu une concentration de tétrahydrocannabinol, ci-après dénommé par « THC », dans ses cheveux compatible avec le fait qu’il était en contact avec le cannabis et en a consommé pendant environ une durée de six mois avant le prélèvement capillaire, le demandeur donne à considérer que la question de la légalisation du cannabis serait régulièrement à l’ordre du jour dans tous les pays européens y compris le Luxembourg, qu’il ne résulterait ni de l’examen capillaire, ni du rapport établi par la suite, qu’il aurait consommé des grandes quantités de cannabis et que, par ailleurs, il ne serait pas prouvé que son aptitude de conduire un véhicule serait entravée. Bien au contraire, il aurait parfois pris recours au cannabis pour des raisons médicales, en l’occurrence en raison de migraines, tel qu’il l’aurait précisé dans un courrier du 24 octobre 2013.

Il s’ensuivrait que la décision attaquée constituerait un abus de pouvoir, sinon un détournement de pouvoir, sinon encore un excès de pouvoir.

Par ailleurs, la mesure prise serait disproportionnée par rapport aux faits lui reprochés.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, tout en donnant à considérer que les résultats d’analyse du 5 juillet 2013 auraient renseigné un taux de THC de 0,30 ng/mg de cheveux, qui dépasserait de loin le seuil de positivité de 0,05 ng/mg de cheveux, ce qui permettrait de conclure à une consommation régulière de ladite drogue et donne à considérer que le cannabis constituerait un danger pour la conduite automobile puisque ses effets auraient un impact direct sur le comportement du conducteur en ce que ses réflexes seraient diminués, ses capacités de coordination altérées et le temps de réaction allongé.

A l’audience des plaidoiries, le mandataire du demandeur a encore invoqué un certain nombre de moyens qui n’ont pas été développés dans le cadre de la requête introductive d’instance.

Ainsi, il a contesté la validité du procès-verbal de police du 5 novembre 2012 sur lequel s’est basé le ministre et a invoqué une violation de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », à cet égard, puisqu’il n’aurait pas été assisté par un avocat lorsqu’il avait été entendu par la police.

D’autre part, il a soutenu que le screening toxicologique constituerait une preuve illégale et serait contraire à l’article 6 de la CEDH, en mettant en doute, d’une part, qu’une consommation de drogues puisse être découverte à partir d’un échantillon de cheveux et en soutenant, d’autre part, qu’il ne pourrait pas être exclu qu’il ait consommé des drogues dans un pays où cette consommation n’est pas illégale.

Le mandataire du demandeur a encore donné à considérer que le fait de consommer de manière occasionnelle des drogues ne permettrait pas d’établir l’existence d’une dépendance à la drogue.

Enfin, Monsieur … serait indépendant et aurait partant besoin de son permis de conduire.

Tel que cela a été soulevé à l’audience des plaidoiries par le tribunal, se pose la question de l’admissibilité de ces moyens présentés pour la première fois à l’audience des plaidoiries.

Dans la mesure où la procédure devant les juridictions administratives est essentiellement écrite, des moyens qui n’ont pas été présentés dans la requête introductive d’instance ou dans un mémoire ultérieur, mais pour la première fois de manière orale à l’audience des plaidoiries, ne sont en principe pas admissibles, à l’exception des moyens d’ordre public, qui sont susceptibles d’être invoqués d’office par le tribunal.

Au regard de ces considérations, le tribunal est amené à retenir que les moyens présentés ainsi oralement à l’audience des plaidoiries par le demandeur pour la première fois sont à écarter comme étant des moyens nouveaux, à l’exception des moyens fondés sur l’article 6 de la CEDH qui constituent des moyens d’ordre public.

En revanche, le moyen tendant à mettre en doute la réalité d’un lien de dépendance peut être rattaché implicitement aux contestations développées dans la requête introductive quant aux quantités de cannabis qu’il aurait consommées.

Il convient de prime abord d’examiner le moyen fondé sur une violation de l’article 6 de la CEDH en relation avec le procès-verbal de police du 5 novembre 2012, sur lequel s’est fondé la commission médicale et partant également le ministre, ce moyen relevant de la légalité externe de la décision litigieuse.

Aux termes de l’article 6, paragraphe 3 c) de la CEDH « Tout accusé a droit notamment à […] c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent. […] ».

Cette disposition consacre dès lors le droit d’être assisté d’un avocat en matière pénale.

La Cour européenne des droits de l’homme a relevé que l’article 6 de la CEDH a pour finalité principale, au pénal, d’assurer un procès équitable devant un tribunal compétent pour décider du bien-fondé de l’accusation, et que l’article 6, et spécialement son paragraphe 3, peut également jouer un rôle avant la saisine du juge dans la mesure où son inobservation initiale risque de compromettre gravement l’équité du procès et a estimé pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6, paragraphe 1 demeure suffisamment concret et effectif, il faut que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit, et qu’il est en principe porté une atteinte irrémédiable au droit de la défense lorsque les déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation (cf. considérants n° 50 à 55 de l’arrêt du 27 novembre 2008, affaire Salduz c/ Turquie, cité par le demandeur).

Néanmoins, les dispositions afférentes n’étant applicables qu’en matière pénale, se pose en l’espèce la question de savoir si le retrait du permis de conduire effectué en l’espèce en vertu de l’article 2, paragraphe 4 de la loi du 14 février 1955 relève de la matière pénale.

La Cour européenne des droits de l’homme retient que l’existence ou non d’une «accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 de la CEDH doit s’apprécier sur base de trois critères se dégageant des affaires Engel et autres c/ Pays Bas, arrêt du 8 juin 1976, et rappelés dans la suite dans différentes affaires, notamment dans l’affaire Ezeh et Connors c/ Royaume-Uni, arrêt du 9 octobre 2003 rendu par la Grande Chambre, le premier étant la qualification juridique de l’infraction en droit interne, critère qui n’est cependant pas considéré à lui seul comme étant suffisant, le second étant la nature même de l’infraction et le troisième étant la nature et le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé, étant relevé que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme retient par rapport à ce troisième critère qu’il convient de prendre en compte la peine maximale susceptible d’être prononcée. La Cour européenne des droits de l’homme a encore retenu que le deuxième et troisième critère sont alternatifs et non pas nécessairement cumulatifs, tout en relevant que l’adoption d’une approche cumulative est possible si l’analyse séparée de chaque critère ne permet pas d’aboutir à une conclusion claire quant à l’existence d’une accusation en matière pénale (cf. affaire Zolotoukhine c/ Russie du 10 février 2009, considérant n° 53, affaire Pierre Bloch c/ France du 21 octobre 1997).

En l’espèce, le tribunal est amené à retenir que la mesure de retrait administratif du permis de conduire en vertu de l’article 2, paragraphe 4 de la loi du 14 février 1955, en vertu duquel le ministre peut notamment retirer le permis de conduire si l’intéressé « souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire », n’est en droit luxembourgeois pas qualifiée de sanction pénale, mais de mesure administrative.

S’agissant de la nature de l’« infraction », le tribunal constate que le retrait du permis de conduire, dans l’hypothèse visée à l’article 2, paragraphe 4 de la loi 14 février 1955, est fondé sur le constat de l’existence de troubles ou d’infirmités susceptibles d’entraver l’aptitude ou la capacité de conduire de l’intéressé, partant un constat qui n’est pas basé sur un comportement positif ou la violation d’une règle de droit. En effet, les faits à la base des décisions prises sur le fondement de l’article 2, paragraphe 4 de la loi du 14 février 1955 sont exclusivement de nature médicale et sans connotation pénale.

S’agissant de la nature et de la gravité de la mesure litigieuse, le tribunal relève que s’il est certes vrai que le retrait du permis de conduire implique nécessairement des inconvénients tant au niveau de la vie sociale que de la vie professionnelle, tel que cela a été retenu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Malige c/ France (arrêt du 23 septembre 1998) par rapport à la perte du permis de conduire suite à la perte des points du capital dont est doté le permis de conduire, qu’il est encore vrai qu’une interdiction de conduire est prévue également en matière pénale à titre de sanction, et que dans l’affaire Malige c/ France, la Cour européenne des droits de l’homme a retenu que le retrait de points du capital dont est doté le permis de conduire présente certes un caractère préventif, mais surtout un caractère punitif et dissuasif et s’apparente ainsi à une peine accessoire, pour en conclure que le troisième critère de qualification de la matière pénale était donnée par rapport au retrait de points, force est de constater qu’un retrait administratif plus particulièrement décidé sur le fondement du paragraphe 4 de l’article 2 de la loi du 14 février 1955 n’a aucun caractère punitif ou dissuasif, mais a un caractère exclusivement préventif et n’est pas destiné à sanctionner un comportement déterminé de l’intéressé, mais repose sur le seul constat neutre que l’intéressé n’a pas les capacités et l’aptitude nécessaire pour la conduite d’un véhicule automoteur en raison de troubles ou d’infirmités dont il est atteint.

Il s’ensuit que l’article 6 de la CEDH invoqué en l’espèce par le demandeur ne trouve pas application, de sorte que l’argumentation, fondée sur cette disposition et consistant à reprocher à la police de l’avoir entendu sans avoir été assisté d’un avocat, est à rejeter.

Il en est de même du deuxième moyen fondé sur l’article 6 de la CEDH en relation avec la validité de la preuve résultant de l’examen toxicologique effectué en l’espèce.

Pour le surplus, les contestations du demandeur présentées en rapport avec l’article 6 de la CEDH à l’audience des plaidoiries, tournant soit autour de la question du bien-fondé du résultat médical, respectivement celle de la légalité de la consommation de cannabis, qui sont d’ordre purement privé et ne sont, au regard de ce qui a été retenu ci-avant, admissibles que dans la limite des moyens présentés dans le cadre de la requête introductive d’instance, étant précisé qu’aucun mémoire en duplique n’a été déposé en l’espèce. L’argumentation du demandeur tendant à mettre en doute le bien-fondé médical du screening toxicologique, non soutenue dans la requête introductive, est partant à écarter comme constituant un moyen nouveau, invoqué pour la première fois à l’audience des plaidoiries.

S’agissant des autres moyens présentés par le demandeur à l’appui de son recours, il convient de relever qu’en vertu de l’article 2, paragraphe 4 de la loi du 14 février 1955, sur lequel est basé la décision litigieuse, aux termes duquel, « Le ministre des Transports ou son délégué délivre les permis de conduire civils; il peut refuser leur octroi, restreindre leur emploi ou leur validité, les suspendre et les retirer, refuser leur restitution, leur renouvellement ou leur transcription et même refuser l’admission aux épreuves si l’intéressé:

[…] 4) souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire; […] », le ministre peut retirer les permis de conduire civils, notamment, quand l’intéressé souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire.

La décision litigieuse du ministre est fondée sur un avis de la commission médicale, qui lui-même est basé sur les résultats d’un screening toxicologique des cheveux sur base d’un prélèvement du 5 juillet 2013, sur un rapport de la police judiciaire du 5 novembre 2012, les antécédents du dossier du demandeur et sur ses déclarations devant la commission médicale, et qui conclut que l’intéressé « présente une dépendance vis-à-vis de substances à caractère psychotropes » et qu’il souffrirait d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire.

A titre liminaire, le tribunal relève que lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinés à protéger des intérêts privés. Confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, tel que cela est le cas en l’espèce, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation peut examiner si la mesure prise n’est pas manifestement disproportionnée par rapport aux faits établis, en ce sens que cette disproportion laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité, étant relevé que la sanction d’une disproportion est limitée au cas exceptionnel où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par cette autorité. Par ailleurs, il ne saurait annuler la décision prise qu’au cas où l’erreur d’appréciation reprochée au ministre, qu’il aurait commise dans le cadre de la marge d’appréciation qui lui est laissée plus particulièrement en l’espèce à travers l’article 2 de la loi du 14 février 1955, est manifeste.

Le tribunal constate qu’il se dégage d’un rapport d’expertise toxicologique du 26 août 2013 du docteur M.Y., établi sur base d’un prélèvement de cheveux du 5 juillet 2013, qu’une concentration capillaire de THC de l’ordre 0,30 ng/mg de cheveux a été détectée et que le médecin en a conclut que « la concentration déterminée dans les cheveux pour le THC est compatible avec le fait que la personne sous rubrique était en contact avec le cannabis ou en a consommé pendant environ une période de six mois avant le prélèvement capillaire ».

S’il est exact que, tel que cela est soutenu par le demandeur, ledit examen n’a pas montré des traces de la consommation régulière de cocaïne, de héroïne, de morphine, de codéine ou encore de méthadone ou de stimulants de type amphétaminique durant une période de six mois avant la coupe des cheveux, il n’en reste pas moins que le taux de concentration de cannabis détecté dans les prélèvements capillaires de l’ordre de 0,30 ng/mg de cheveux dépasse de loin le seuil de positivité de 0,050 ng/mg de cheveux, tel qu’il se dégage du descriptif de l’annexe du rapport de l’analyse médicale.

Le tribunal constate encore que le demandeur a reconnu devant la commission médicale consommer des drogues occasionnellement pour des raisons médicales, aveu réitéré par son mandataire dans la requête introductive, quitte à insister sur les motifs de cette consommation.

Devant la police grand-ducale, le demandeur a encore reconnu consommer de manière régulière du marihuana, tel que cela se dégage du rapport précité de la police grand-ducale du 5 novembre 2012.

Le tribunal est amené à retenir que la réalité d’une consommation essentiellement de cannabis se dégage dès lors du dossier soumis à son appréciation.

S’agissant de l’incidence de cette consommation sur l’aptitude générale du demandeur de conduire un véhicule, le tribunal relève de prime abord qu’il est sans pertinence d’examiner les motifs à la base de la consommation des drogues ou encore la question de l’opportunité d’une légalisation des drogues, voire celle de la législation du pays dans lequel elles ont été consommées, étant donné qu’une légalisation du cannabis ou encore un motif de la consommation d’ordre médical n’est pas de nature à amoindrir les conséquences de la consommation de cannabis sur l’aptitude et les capacités de conduire de l’intéressé. La seule question pertinente est dès lors celle de savoir si l’intéressé souffre de troubles ou d’infirmités susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire.

Il est indéniable, tel que cela a été relevé par la partie étatique, que la consommation de cannabis a des incidences sur les capacités réactionnelles de l’intéressé et que l’aptitude d’un conducteur, qui conduit un véhicule automoteur sous l’influence de cannabis, est altérée.

Néanmoins, dans la mesure où le ministre, en entérinant l’avis de la commission médicale du 28 octobre 2013, a déduit du screening toxicologique et des antécédents et explications du demandeur que celui-ci présente une dépendance vis-à-vis de substances à caractère psychotrope susceptibles d’altérer de manière générale son aptitude ou sa capacité de conduire, se pose la question de l’existence, au regard des contestations afférentes du demandeur, d’un tel lien de dépendance.

Il est certes vrai que la réalité de la consommation essentiellement de cannabis se dégage des éléments du dossier, tel que cela a été retenu ci-avant. Il est encore vrai que le taux de THC mesuré dans les cheveux du demandeur était de 0,30 ng/mg de cheveux, soit un taux dépassant le taux de positivité de 0,05 ng/mg, et que le demandeur est d’ailleurs resté en défaut de fournir des explications médicales de nature à expliquer l’importance de ce taux. Enfin, le tribunal constate que, tel que cela a été relevé par le délégué du gouvernement à l’audience des plaidoiries, le résultat de l’examen se rapporte à une consommation durant les six mois avant le prélèvement, soit durant une période se situant postérieurement à la date de la première invitation à soumettre une analyse des cheveux à travers un courrier du 4 décembre 2012, de sorte que le constat s’impose que, malgré le fait que le demandeur était conscient qu’il allait devoir se soumettre à un examen toxicologique, il a été, tel que relevé dans le rapport, en contact ou a consommé du cannabis après ladite invitation.

Néanmoins, le tribunal est amené à retenir que ces constats à eux seuls ne sont pas suffisants pour retracer la conclusion factuelle de l’existence d’une dépendance retenue par la commission médicale et, par la suite, par le ministre. En effet, la conclusion de la commission médicale que le taux de 0,30 ng/mg de cheveux détecté implique un état de dépendance pouvant être qualifié de trouble ou d’infirmité susceptible d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire un véhicule automoteur ne se dégage pas ipso facto du résultat du screening toxicologique, qui se limite à retenir que le demandeur était durant les six derniers mois en contact avec du cannabis ou en a consommé. Plus particulièrement, la conclusion tirée par le médecin de ce test ne permet pas de déduire quelle est la fréquence de consommation de cannabis susceptible de conduire à un tel taux et si ce taux reflète un état de dépendance, ni quelles sont les incidences, de manière générale, d’une telle consommation sur l’aptitude ou les capacités de conduire un véhicule. Or, au regard des contestations du demandeur sur l’existence d’un lien de dépendance et dans la mesure où l’appréciation des questions ainsi posées relève du domaine médical et que le tribunal n’est lui-même pas outillé pour résoudre ces questions de fait d’ordre médical, il y a lieu d’ordonner, avant tout autre progrès en cause, une expertise médicale avec la mission plus amplement décrite au dispositif du présent jugement.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

avant tout autre progrès en cause nomme comme expert Madame …, neurologue, demeurant à L-…, avec la mission de se prononcer dans un rapport écrit et détaillé sur les questions de savoir quelle est la fréquence de consommation de cannabis susceptible de conduire à un taux de 0,30 ng/mg de cheveux tel qu’il a été constaté dans le chef de Monsieur … et tel qu’il ressort du rapport d’expertise toxicologique du 26 août 2013, si ce taux reflète un état de dépendance et quelles sont, de manière générale, les incidences d’une telle consommation de cannabis sur l’aptitude ou les capacités de l’intéressé de conduire un véhicule automoteur ;

dit qu’en cas d’impossibilité d’accepter la mission, l’expert désigné sera remplacé à la requête de la partie la plus diligente sinon d’office par ordonnance du président de la troisième chambre du tribunal administratif, les autres parties dûment informées ;

invite l’expert à remettre son rapport pour le 1er février 2015 au plus tard et à solliciter un report de ce délai dans le cas où il n’arriverait pas à remettre son rapport dans le délai lui imparti ;

ordonne au demandeur de consigner la somme de 1.000 € (mille euro) à titre d’avance sur les frais et honoraires de l’expert à la caisse des consignations ou d’un établissement de crédit à convenir entre parties et d’en justifier au tribunal jusqu’au 10 décembre 2014 ;

dit qu’en cas de dépassement de la provision ainsi fixée, en cours d’exécution de la mesure d’expertise ordonnée, il appartiendra à l’expert de s’adresser au président de la troisième chambre du tribunal administratif en vue de la fixation d’une provision supplémentaire à consigner par le demandeur, au vu de justificatifs de ses dépenses et honoraires encourus ou à encourir dans le cadre de l’accomplissement de sa mission ;

fixe l’affaire au rôle général ;

réserve les frais ;

Ainsi jugé par :

Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Jackie Maroldt, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 19 novembre 2014 par le vice-président en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s.Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 novembre 2014 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 33931
Date de la décision : 19/11/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-11-19;33931 ?

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