Tribunal administratif N° 33785 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 décembre 2013 1re chambre Audience publique du 17 novembre 2014 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19 L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 33785 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2013 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, assisté de Maître Mariana LUNCA, avocat, tous deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , actuellement … (Russie), de nationalité ukrainienne, demeurant actuellement à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 14 novembre 2013 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 février 2014 ;
Vu le mémoire additionnel déposé le 20 octobre 2014 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;
Vu le mémoire additionnel déposé le 24 octobre 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier LANG pour compte du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Cigdem CUTLAR, en remplacement de Maître Olivier LANG et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 novembre 2014.
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Le 21 janvier 2010, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, dénommée ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Monsieur … fut entendu le 16 février 2010, ainsi que les 25 avril et 11 juillet 2013 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 14 novembre 2013, expédiée par courrier recommandé le 18 novembre 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères en date du 21 janvier 2010.
En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 21 janvier 2010 et le rapport d'entretien de l'agent du ministère des Affaires étrangères du 16 février 2010, du 25 avril et du 11 juillet 2013.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté l'Ukraine en novembre 2004 pour aller à Riga en Lettonie où vous auriez trouvé un travail. Vous auriez quitté Riga en fin décembre 2009 pour vous rendre au Luxembourg en minibus, via la Pologne et l'Allemagne, et vous y seriez arrivé le soir du 20 janvier 2010.
Vous auriez laissé votre passeport à Riga.
Lors de votre entretien du 16 février 2010, vous avez remis à l'agent du ministère un passeport interne ukrainien (n°V0035312), un certificat de naissance et un carnet militaire de l'URSS (n°3389053) que votre amie … à Riga vous aurait fait parvenir. Vous auriez laissé vos papiers à Riga par peur d'être arrêté pendant votre voyage et renvoyé en Ukraine.
Il résulte de vos déclarations transcrites dans le rapport d'entretien que vous auriez quitté l'Ukraine parce que vous auriez eu des problèmes avec le régime prorusse.
IANOUKOVICH aurait été Premier ministre à l'époque et membre du même parti qu'un certain … qui aurait été député de votre région. Le gouverneur … et le procureur … auraient également été membres de ce parti qui s'appellerait à l'époque « Ligionov » et aujourd'hui « Parti des Régions ».
Votre cousin … se serait porté candidat aux élections municipales de … et vous auriez financé sa campagne électorale. Votre cousin aurait gagné, malgré les obstacles que le parti de … aurait dressés contre lui et ses sympathisants. En 2002, votre cousin aurait été retrouvé pendu dans la forêt et il n'y aurait pas eu d'investigations.
Vous dites avoir été un homme d'affaires en Ukraine. Vous auriez eu un petit café privé et une société du nom de « … » active dans l'import-export, mais vous auriez dû la fermer. Vous auriez eu beaucoup de mal à fonder votre deuxième société, appelée « … », en janvier 2003. Elle aurait produit de l'eau minérale gazeuse dans une usine à …, une petite ville à 22 kilomètres de …. L'eau se serait appelée « … ».
En juin ou juillet 2004, le représentant du Parti de …, un certain …, vous aurait invité dans son bureau pour discuter. Ils vous auraient proposé de devenir membre de leur parti pour que vous vous convertissiez au christianisme. … vous aurait laissé le choix de soit devenir membre du parti et de payer des cotisations, soit qu'un groupe de membres du parti prennent votre usine. Vous auriez refusé d'adhérer au parti, mais ces personnes auraient exigé que vous payiez 20 % des bénéfices de votre usine au parti. Pendant les trois heures que l'entrevue aurait duré, ces personnes se seraient moquées de vous. Elles vous auraient frappé et menacé en vous disant qu'on vous retrouverait battu ou enterré dans la forêt. On vous aurait également menacé de poursuites judiciaires. Elles vous auraient traité de membre de secte parce que vous seriez baptiste. Vous auriez fini par signer le papier et par céder ainsi votre usine aux épouses de deux membres du Parti du nom de … et de ….
Ainsi, vous vous seriez retrouvé du jour au lendemain sans revenu.
Un mois ou trois semaines après avoir signé les papiers, vous auriez été convoqué au parquet. On vous aurait expliqué que vous seriez devenu propriétaire de l'usine de façon illégale, que le prix d'achat aurait été trop bas et que vous devriez encore de l'argent à l'Etat - l'usine ayant été étatique à l'époque soviétique et vous l'auriez acheté de la mairie de …. Le procureur …aurait voulu vous emprisonner. On vous aurait demandé de revenir au parquet le lendemain avec votre passeport interne, mais vous n'y seriez pas allé, vous auriez pris la fuite.
Bien que vous ayez signé les papiers, vous croyez qu'on aurait voulu vous éliminer pour vous empêcher de porter plainte. Ils auraient voulu vous détruire parce que vous auriez financé la compagne pré-électorale de votre cousin qui aurait été le maire de la ville de 1997 ou 1998 jusqu'en 2000 ou 2001. Vous auriez quitté le pays par peur d'être emprisonné sur base de fausse accusation ou d'être retrouvé pendu dans la forêt. Vous auriez divorcé, mais vous n'auriez plus de contact avec votre épouse. On vous considérerait comme disparu en Ukraine et vous préfériez qu'on ne sache pas que vous seriez au Luxembourg.
Vous n'auriez pas envisagé de vous installer dans une autre région de l'Ukraine parce que vous n'auriez pas confiance dans le système en place en Ukraine. Ce système serait corrompu et vous auriez été victime d'extorsion de fonds par ces bandits qui seraient aujourd'hui députés de ville ou de région. Vous avouez que ce système vous ferait peur.
Vous ajoutez que votre fille aurait été retrouvée étranglée en 2009, à l'âge de 26 ans. Votre avocate … vous en aurait informé. Vous dites ignorer qui aurait tué votre fille et si sa mort serait en relation avec vos problèmes. Actuellement, la société « … » et votre café auraient fermé.
En cas de retour en Ukraine, vous seriez arrêté immédiatement et emprisonné parce que vous seriez recherché par la police pour fraude.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.
Concernant votre déclaration d'être recherché pour fraude sur base de fausse accusation, celle-ci reste à l'état de simple affirmation. Vous produisez, en guise de preuve, une photo d'une affiche de personnes recherchées que votre avocate aurait prise dans le bâtiment de police à … (document 1), une page web imprimée du département de la région (document 2) et une page web imprimée d'un site d'actualités sur lesquelles vous figurez comme personne recherchée pour fraude. Cependant, rien ne prouve qu'… et les autres membres du Ligionov aient monté une accusation fausse contre vous. Il est même étonnant que vous ayez toujours des ennuis avec le Parti, malgré le fait que vous ayez signé les papiers faisant des épouses de membres du Parti les propriétaires de votre usine. Un lien entre les événements de 2004 et une éventuelle poursuite judiciaire n'est donc pas établi avec certitude.
Je relève encore que la mort de votre cousin et celle de votre fille sont des faits non personnels. Ainsi, ils ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur d'asile établit dans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières. Or, vous restez en défaut d'étayer un lien entre la mort de votre cousin et celle de votre fille et les problèmes que vous auriez eu avec les membres du Parti des Régions vous exposant à des actes similaires.
Je rappelle que vous auriez certes soutenu la candidature de votre cousin au poste de maire de la ville de …, mais vous n'auriez même pas été membre de son parti. De plus, vous dites clairement que vous n'auriez pas eu de problèmes entre 1997 et 2004, c'est-à-dire du moment où votre cousin serait devenu maire de la ville jusqu'au moment où vous auriez été invité au bureau de …. Vous dites que votre cousin aurait été retrouvé pendu dans la forêt et que vous auriez eu peur de subir le même sort. Toutefois, il n'est pas exclu que le mort de votre cousin aurait été un suicide.
Vous dites que les baptistes seraient plutôt mal vus en Ukraine où la plupart des gens seraient des chrétiens orthodoxes et que les personnes réunies dans le bureau de … vous auraient traité de membre de secte. Cependant, vous restez à défaut de donner des exemples concrets de maltraitances ou de persécutions en raison de votre religion à la quelle vous adhérez depuis 1996. Vous dites que « je n'avais pas de graves problèmes (par rapport à ma religion]. Cependant la société réagit plutôt de façon négative envers moi. » (p. 8/12) Vous ne faites donc pas état de problèmes liés à votre appartenance religieuse.
Il convient de soulever que vous auriez vécu en Lettonie pendant cinq ans sans envisager de déposer une demande de protection internationale, alors que l'on s'attendrait à ce qu'une personne persécutée dans son pays cherche protection dans le premier pays sûr rencontré ce que vous n'avez pas fait. Je vous informe que la Lettonie a ratifié la Convention de Genève de 1951 et son protocole de 1967 le 19 juin 1997 et que vous y auriez bien eu la possibilité de déposer une demande de protection internationale.
Vous dites avoir peur du système politique corrompu en Ukraine. Cependant, je vous informe que lors de la 59e réunion plénière du GRECO en mars 2013, «[…] le Groupe d'États contre la corruption a jugé que l'Ukraine avait satisfait aux recommandations relatives au développement et à la mise en ouvre de la stratégie anti-corruption ainsi qu'au plan d'action. L'Ukraine a appliqué les recommandations sur l'adoption d'un code de conduite pour les fonctionnaires et sur la formation des fonctionnaires à la déontologie professionnelle et à la prévention et la lutte contre la corruption, a indiqué le ministre de la Justice Oleksandr Lavrynovych. Le groupe a également salué la participation du public dans l'évaluation des efforts de l'État en matière de lutte contre la corruption. » Ainsi, les craintes que vous exprimez s'analysent en l'expression d'un simple sentiment général d'insécurité, plutôt qu'en une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
L'Ukraine est membre de l'OSCE et du Conseil de l'Europe depuis 1995 et elle a signé le partenariat pour la paix de l'OTAN. De plus, elle est considérée comme un pays d'origine sûr par le Luxembourg, la France et la Suisse.
En effet, en vertu de l'article 21 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection et du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, l'Ukraine doit être considérée comme pays d'origine sûr où il n'existe pas, généralement et de façon constante de persécution au sens de la Convention de Genève.
Ce constat n'a pas pu être contredit par l'examen individuel de votre demande de protection internationale.
Un pays est considéré comme sûr s'il veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l'état de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De plus, lorsque sur la base de la situation légale, de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques, il peut être démontré que, d'une manière générale et de manière durable, il n'existe pas de recours à des persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, ni des motifs sérieux de croire que le demandeur de protection internationale court un risque réel de subir une atteinte grave telle que déterminée à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006, le pays d'origine concerné peut valablement être considéré comme pays d'origine sûr.
A titre complémentaire, il convient également de relever qu'en Ukraine, les critères suivants sont garantis :
l'existence d'un système judiciaire indépendant;
la reconnaissance des libertés et des droits démocratiques de base, y compris de mécanismes de recours si ces droits ou libertés sont violés;
l'existence d'organisations de la société civile.
Compte tenu des constatations qui précédent concernant la situation juridique, l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et la mesure dans laquelle une protection est offerte dans votre pays d'origine contre d'éventuels persécutions ou mauvais traitements, le Ministère des Affaires étrangères est d'avis que, d'une manière générale et uniformément, il n'est pas recouru en Ukraine à la persécution au sens de la Convention relative au statut des réfugiés. Ainsi, force est donc de constater que les critères du paragraphe 4 article 21 sont clairement remplis. De plus, il n'existe pas de motif sérieux de croire que vous courez un risque réel de subir une atteinte grave telle que déterminée à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006.
Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués a l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Suivant le raisonnement élaboré plus haut, les problèmes que vous auriez eu avec des membres du Parti Ligionov sont trop éloignés dans le temps pour être pris en compte dans l'évaluation de votre demande de protection internationale. Étant donné que les autorités luxembourgeoises reconnaissent l'Ukraine comme pays d'origine sûr, garantissant un système judiciaire indépendant et reconnaissant les libertés et des droits démocratiques de base y compris de mécanismes de recours si ces droits ou libertés sont violés, rien ne s'oppose à un retour dans votre pays d'origine, même si vous seriez effectivement recherché pour fraude.
Ainsi, les faits que vous alléguez ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19 §1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l'Ukraine, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2013, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 14 novembre 2013, par laquelle il s’est vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale, et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à son égard ordre de quitter le territoire.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.
Le recours en réformation, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur renvoie aux faits et rétroactes de sa demande en obtention d’une protection internationale tels que retranscrits dans les rapports d’entretien auprès de l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères.
En droit, le demandeur fait tout d’abord valoir qu’en vertu de l’article 26 paragraphe (3), point a) de la loi du 5 mai 2006, le ministre devrait prendre en compte les faits pertinents dans le pays d’origine du demandeur de protection internationale, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués, alors qu’un tel examen serait particulièrement requis en l’espèce pour bien cerner son histoire.
Le demandeur pointe ensuite un certain nombre d’éléments relatifs à la situation générale en Ukraine qui auraient été mis en avant par le ministre sans toutefois être pertinents dans le cadre de l’examen de sa situation individuelle. Ainsi, notamment la référence aux conclusions de la 59e réunion du Group of States against Corruption (« GRECO ») de mars 2013 lors de laquelle il aurait été retenu que l’Ukraine satisferait aux recommandations relatives au développement et à la mise en œuvre de la stratégie anti-corruption ou encore le fait que l’Ukraine serait membre de l’OSCE et du Conseil de l’Europe depuis 1995 ne permettraient aucunement de conclure que les principes démocratiques, l’Etat de droit et les droits humains seraient respectés en Ukraine et ces faits ne seraient d’ailleurs pas non plus pertinents quant à sa situation personnelle.
Le demandeur est en tout état de cause d’avis que compte tenu de ses déclarations, les faits pertinents concernant son pays d’origine seraient ceux ayant notamment trait au contexte social, politique et juridique de l’Ukraine postcommuniste, faits qui auraient dès lors dû être pris en considération par le ministre puisqu’ils révèleraient une situation extrêmement critique, susceptible d’exploser à tout moment et dont tous ceux qui ne seraient pas des sympathisants du pouvoir pourraient être potentiellement victimes.
En se référant ensuite à un rapport de l’organisation non gouvernementale Freedom House de 2013, intitulé « Freedom in the World 2013 », le demandeur entend mettre en exergue que depuis l’élection de « l’actuel président Victor Ianoukovitch », l’Etat de droit serait en constant déclin en Ukraine, situation qui aurait suscité à plusieurs reprises la consternation de la communauté internationale. Ce même constat de crise démocratique serait dressé dans le rapport du US Department of State intitulé « Human Rights Reports :
Ukraine », publié en 2012 ainsi que dans celui de l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch, intitulé « World Report 2013 », et ayant plus particulièrement trait aux conditions dans lesquelles se seraient déroulées les élections parlementaires d’octobre 2012.
Le demandeur fait encore valoir que la situation des droits de l’Homme en Ukraine se serait détériorée de manière drastique ces dernières années et ce pour toutes les catégories de droits et libertés civils et politiques.
Ainsi, en ce qui concerne la liberté d’opinion et d’expression, le demandeur donne à considérer que les rapports internationaux les plus récents constateraient une absence de liberté d’expression en Ukraine et des attaques violentes contre ceux qui oseraient critiquer le pouvoir. Il renvoie à cet égard plus particulièrement à des rapports de l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch de 2012 et de 2013 ayant fait état de nombreuses attaques contre des journalistes et de restrictions à la liberté d’expression en Ukraine. Le demandeur se réfère par ailleurs à un rapport de 2013 de l’organisation non gouvernementale Freedom House qui ferait état de la détérioration des conditions des médias depuis l’élection de Monsieur IANOUKOVYCH. Par ailleurs, Amnesty International aurait mis en avant dans son rapport de 2012 les risques encourus par les défenseurs des droits humains ayant dénoncé des faits de corruption et des violations des droits humains commis par les représentants des autorités locales ou de la police et qui auraient notamment fait l’objet de poursuites judiciaires destinées à les faire taire.
Le demandeur fait encore état, d’une part, d’arrestations et de détentions arbitraires en Ukraine en renvoyant à cet égard plus particulièrement au rapport du US Department of State de 2012 intitulé « 2012 Human Rights Reports : Ukraine » et, d’autre part, de violations des droits des détenus qui seraient notamment mises en avant dans le rapport d’Amnesty International de 2012 qui dénoncerait l’ampleur du recours à la torture et aux mauvais traitements par les forces de police en Ukraine. Les rapports de Freedom House et de Human Rights Watch précités de 2013 attesteraient également d’une aggravation des cas de mauvais traitements et de torture par la police et dans les prisons. Par ailleurs, d’autres rapports internationaux, tel que celui du US Department of State de 2012 précité, décriraient de manière très détaillée la situation difficile des détenus en Ukraine ainsi que les violations massives de leurs droits. Le demandeur fait à cet égard encore valoir que ces violations massives et systématiques des droits de l’Homme auraient donné lieu à des condamnations fréquentes de l’Ukraine par la Cour européenne des droits de l’Homme.
Le demandeur renvoie ensuite à un certain nombre de rapports internationaux émanant du US Department of State, d’Amnesty International ou encore de Freedom House, ainsi qu’à un article d’un ancien commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe et au « Joint Staff Working Document » de la Commission européenne intitulé « Implementation of the European Neighbourghood Policy in Ukraine Progress in 2012 and recommandations for actions » de novembre 2013, dont il ressortirait clairement que la situation d’état de droit et de respect des droits de l’Homme qui régnerait en Ukraine serait déplorable, notamment au vu du dysfonctionnement total du système judiciaire.
Le demandeur conteste ensuite le bien-fondé de la décision déférée et critique plus particulièrement la décision ministérielle en ce qu’il n’aurait pas été retenu dans son chef une crainte actuelle, réelle et fondée de persécutions au sens de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 en se basant notamment sur les articles 26, paragraphe 3, point c), l’article 32, paragraphe (1), point e), et l’article 26, paragraphe (5) de la loi du 5 mai 2006, le demandeur reprochant encore au ministre de ne pas avoir reconnu que son refus d’adhérer au parti des Régions et ses opinions politiques lui avaient valu d’être l’objet de menaces et d’attaques de la part du dénommé … et que ces mêmes opinions politiques avaient été à la base de violences physiques à son encontre et de la spoliation de son usine ainsi que des poursuites engagées contre lui peu de temps après pour acquisition frauduleuse de celle-ci. Ce serait dès lors à tort que ses opinions politiques, qui seraient pourtant indéniablement à l’origine de ses craintes de persécutions et des persécutions d’ores et déjà subies, n’auraient pas été prises en considération par le ministre dans l’appréciation de sa demande de protection internationale.
En se fondant encore sur l’article 16, paragraphes 2 et 4 à 8, de la loi du 5 mai 2006, le demandeur réfute également la qualification de l’Ukraine comme étant un pays d’origine sûr en insistant plus particulièrement sur le fait que l’Ukraine aurait été inscrite sur la liste des pays d’origine sûr lorsque le pays aurait été dirigé par Viktor IOUCHENKO et à un moment où des progrès considérables auraient été enregistrés en matière de démocratie et de respect des droits de l’Homme. Or, il résulterait des développements du demandeur quant à la situation générale de l’Ukraine que ce pays ne pourrait pas être qualifié à l’heure actuelle comme pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, de même qu’il ne s’agirait pas d’un pays d’origine sûr en raison de la situation personnelle du demandeur.
Dans la mesure où le tribunal statue en la présente matière en tant que juge de la réformation, appelé à statuer au fond au jour où lui-même est appelé à statuer, et compte tenu des changements politiques intervenus au cours des derniers mois en Ukraine, le tribunal a invité les parties à lui fournir des précisions quant à la situation générale régnant actuellement en Ukraine, ce que les deux parties ont fait à travers des mémoires additionnels. Force est toutefois à cet égard de relever que dans son mémoire additionnel, le demandeur a pris position non seulement par rapport à la situation générale actuelle en Ukraine mais également par rapport au mémoire en réponse de la partie étatique du 7 février 2014 afin de critiquer plus particulièrement la circonstance que sa crédibilité aurait été remise en cause pour la première fois dans le cadre de la procédure contentieuse. Or, étant donné que le tribunal a seulement invité les parties à fournir à travers un mémoire supplémentaire des informations quant à la situation générale telle qu’elle se présente actuellement en Ukraine, les développements du demandeur allant au-delà de ce cadre clairement circonscrit sont à écarter.
En ce qui concerne ensuite la situation générale actuelle en Ukraine, le demandeur souligne à travers son mémoire additionnel que depuis le dépôt du recours sous analyse, l’Ukraine aurait connu des mutations politiques et territoriales importantes en raison desquelles la situation sécuritaire sur une partie du territoire ukrainien se serait trouvée détériorée. Malgré les élections présidentielles de mai 2014 et la victoire de Petro POROCHENKO, la stabilité politique du pays ne serait pas pour autant actuellement acquise, les observateurs internationaux ayant en effet constaté des violations graves des droits de l’Homme et du droit international humanitaire.
Le demandeur renvoie ensuite à un certain nombre de rapports récents, dont notamment celui du Haut Commissariat pour les droits de l’Homme de l’ONU du 15 avril 2014, intitulé « Report on the human rights situation in Ukraine » ou encore le rapport commun du Legatum Institut et du Institut of Modern Russia de juillet 2014 intitulé « Looting Ukraine : How East and West Teamed up to Steal a Country » et celui de Human Rights Watch d’octobre 2014 intitulé « How to Promote Ukraine’s Democracy. Blueprint for US Government Policy » traitant de la corruption en Ukraine, rapports qui dresseraient le constat de la subsistance de ce phénomène après la révolution.
En ce qui concerne le fonctionnement actuel du système judiciaire ukrainien, le demandeur donne à considérer que les rares rapports internationaux décrivant le fonctionnement du système judiciaire ukrainien suite aux changements intervenus dans le pays en 2014 en constateraient la défaillance. Ce constat résulterait tant du rapport du Haut Commissariat des droits de l’Homme de l’ONU du 15 avril 2014 que d’un communiqué de presse du 11 avril 2014 intitulé « Ukraine : New Law Violates Judicial Independence » émanant de Human Rights Watch. En effet, alors même que la ratification de l’accord d’association avec l’Union européenne en mars 2014 aurait entraîné pour l’Ukraine l’obligation d’entreprendre des réformes en vue de rendre la justice plus indépendante, la Rada ukrainienne aurait adopté le 8 avril 2014 une loi qui serait perçue par Human Rights Watch comme étant une violation de l’indépendance des juges.
En conclusion, le demandeur donne à considérer que même si le court laps de temps qui s’est écoulé depuis les manifestations de Maïdan ainsi que la situation fragile et évolutive en Ukraine ne permettraient pas d’avoir suffisamment de recul pour dresser un tableau complet de la situation générale actuelle en Ukraine, il n’en demeurerait pas moins qu’il résulterait de ses développements et des pièces versées en cause que la situation sécuritaire en Ukraine serait instable et amenée à évoluer. Le demandeur met plus particulièrement en avant que la situation décrite par lui dans son recours quant à la corruption et au dysfonctionnement du système judiciaire n’aurait pas évolué et demeurerait d’actualité en dépit du changement de régime.
Le délégué du gouvernement fait valoir pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur.
Aux termes de l'article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l'article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d'un pays tiers qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. (…) » Par ailleurs, l’article 31 de la loi du 5 mai 2006 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être:
a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) » L’octroi du statut de réfugié est donc notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons de croire que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, il ressort du récit du demandeur qu’à la fin des années 1990, ce dernier aurait financé la compagne électorale de son cousin, un dénommé …, qui aurait par la suite été élu maire de la Ville de … et qui aurait été retrouvé pendu dans une forêt en 2002. Ensuite, après que le demandeur aurait acquis en janvier 2003 une usine produisant de l’eau minérale, un dénommé …, délégué du parti des Régions au pouvoir à l’époque, aurait essayé de le forcer en automne 2004 à devenir membre de ce parti et à payer des cotisations en le menaçant de lui prendre son usine s’il n’obtempérait pas, le demandeur ayant également expliqué que dès l’acquisition de son usine, le dénommé … aurait manifesté son intérêt pour cette usine. Comme le demandeur aurait refusé de céder à la pression, il aurait été menacé et rué de coups jusqu’à ce qu’il cède finalement gratuitement son usine aux épouses de deux membres du parti. Environ un mois après, le demandeur aurait été convoqué au Parquet où on l’aurait informé qu’un dossier criminel avait été ouvert à son encontre au motif qu’il serait devenu le propriétaire de l’usine d’eau de manière illégale et moyennant paiement d’un prix trop bas. Comme le procureur l’aurait obligé à revenir le lendemain avec son passeport interne, il aurait préféré s’enfuir de peur d’être condamné et emprisonné sur base de fausses accusations et ce parce que le parti des Régions aurait contrôlé la police et le Parquet qui auraient de ce fait été obligés d’exécuter ses ordres. Le demandeur a en effet expliqué que pour l’empêcher de porter plainte contre le dénommé … et les autres membres du parti responsable de la cession de son usine, mais également pour lui faire payer le fait qu’il avait financé la compagne électorale de son cousin, le parti des Régions aurait voulu le faire emprisonner, voire même le faire tuer, et ce notamment avec l’aide du procureur dénommé …qui aurait également été membre de ce parti. Il serait d’ailleurs actuellement toujours recherché par la milice pour escroquerie.
Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à relever qu’indépendamment de la crédibilité du récit du demandeur, les motifs invoqués par ce dernier à l’appui de sa demande de protection internationale trouvent principalement leur origine dans son refus d’adhérer au parti des Régions, de sorte qu’ils ont une toile de fond politique. Si les motifs d’ordre politique invoqués par le demandeur à la base de sa demande de protection internationale rentrent a priori dans un des critères énumérés à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, ce dernier reste toutefois en défaut d’établir à suffisance une crainte fondée de persécution de ce chef dans son pays d’origine.
En effet, en ce qui concerne tout d’abord la cession forcée de son usine en 2004, force est au tribunal de relever qu’encore qu’il s’agit d’un incident certes condamnable, il n’en demeure pas moins que cet incident est non seulement trop éloigné dans le temps mais que, tel que cela sera développé plus amplement ci-dessous, il s’est également produit dans un contexte politique différent de celui existant à l’heure actuelle en Ukraine. A cela s’ajoute que dans la mesure où le demandeur a déjà perdu son usine et qu’il a par ailleurs déclaré lors de son audition par l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères qu’il avait fermé les autres sociétés, à savoir un petit café et une société d’import-export, dont il était également propriétaire, le risque qu’il soit de nouveau dépossédé de l’un de ses biens immobiliers en cas de retour en Ukraine est purement hypothétique, voire même inexistant.
Le demandeur fait ensuite état de sa crainte de retourner en Ukraine de peur d’y être arrêté et emprisonné sur base des accusations d’escroquerie portées à son encontre en 2004.
Or, force est de relever que le demandeur a lui-même déclaré que ces accusations avaient été montées de toutes pièces par les membres du parti des Régions et plus particulièrement par le dénommé … afin de l’empêcher de porter plainte suite à la cession forcée de son usine, de sorte qu’il y a lieu de considérer qu’en 2004, il était recherché dans le contexte de persécutions destinées à le dissuader de dénoncer les agissements de certains membres du parti des Régions qui était à l’époque des faits le parti du premier ministre et futur président ukrainien, Viktor IANOUKOVITCH.
Or, le tribunal, statuant en tant que juge de la réformation, c’est-à-dire appelé à statuer au fond en se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, constate, dans un premier temps, que la situation générale en Ukraine a changé depuis le départ du demandeur de son pays d’origine et ce plus particulièrement au cours des derniers mois. En effet, l’ancien régime de Viktor IANOUKOVITCH est tombé au début de l’année 2014 et en octobre 2014, il y a eu de nouvelles élections législatives auxquelles le parti des Régions n’a pas participé et qui ont été entre autres remportées par le parti de l’actuel président ukrainien, Petro POROSHENKO, élu en mai 2014.
En ce qui concerne ensuite la situation personnelle du demandeur, s’il a pu craindre d’être jugé et condamné arbitrairement en 2004 à un moment où le parti des Régions a pu exercer une certaine influence tant au niveau politique que judiciaire, il reste toutefois en défaut d’établir à suffisance qu’à l’heure actuelle des poursuites pénales seraient encore susceptibles d’être engagées à son encontre dans le seul but de le dissuader de dénoncer les agissements de certains membres du parti des Régions qui ont eu lieu en 2004 et ceci au vu de l’évolution politique qu’a connue son pays d’origine depuis son départ et plus particulièrement au cours des derniers mois, de sorte que le risque de subir des persécutions sur cette base sont purement hypothétiques. Force est à cet égard également de relever que s’il ressort certes des documents versés par le demandeur que ce dernier serait recherché par les officiers de la milice pour escroquerie, il n’en demeure pas moins que ces documents ont été imprimés en mai et en décembre 2013, c’est-à-dire avant le changement de régime politique en Ukraine, de sorte que ces documents ne sauraient pas non plus servir à établir dans le chef du demandeur une crainte actuelle et fondée d’être incarcéré de ce même chef en cas de retour dans son pays d’origine.
Ces constats sont encore confortés par la circonstance qu’il ressort du rapport du Haut Commissariat des droits de l’Homme de l’ONU du 19 septembre 20141 que dès la mise en place du nouveau président Petro POROSCHENKO, les premières démarches ont été entreprises en vue de réformer les services chargés de l’application des lois et qu’entre autres le cadre légal pour lutter contre la corruption a été amélioré, étant à cet égard plus particulièrement relevé qu’il ressort du rapport du bureau du Haut Commissariat des droits de l’Homme de l’ONU de juillet 2014 que la corruption dans toutes ses formes est dorénavant punissable en tant que crime2. A cela s’ajoute que le nouveau gouvernement a entrepris un certain nombre de démarches en vue d’écarter parmi les personnes exerçant des fonctions publiques notamment celles ayant travaillé en étroite collaboration avec l’administration de l’ancien président IANOUKOVYCH3. Ainsi, dès le 8 avril 2014, le parlement ukrainien a voté une loi « sur la restauration de la crédibilité judiciaire en Ukraine » qui est entrée en vigueur le 10 mai 2014, cette loi ayant été votée afin de restaurer la confiance dans le système judiciaire et de combattre la corruption dans les cours de justice4. A cela s’ajoute que le 1er juillet 2014, le ministère des Affaires internes ukrainien a lancé un projet pilote dans le contexte du développement d’une réforme de la police à échelle nationale.
S’il ressort certes des rapports internationaux invoqués par le demandeur que des efforts doivent encore être réalisés tant en matière de lutte contre la corruption qu’en matière de respect des droits de l’Homme, tel que relevé ci-avant, il ressort toutefois des rapports les plus récents que l’Etat ukrainien a entrepris dès la chute du régime de l’ancien président IANOUKOVITCH un certain nombre de démarches afin d’endiguer ces problèmes. Par ailleurs, même si le Haut Commissariat des droits de l’Homme de l’ONU appelle à la prudence en ce qui concerne l’application de la nouvelle loi ayant pour but de contrôler et d’écarter les fonctionnaires corrompus ou ceux ayant collaboré avec l’ancien gouvernement et s’il critique que certaines des personnes responsables de la violation de droits de l’Homme occupent actuellement encore des postes d’autorité, il n’en demeure pas moins qu’il apparaît clairement que l’actuel régime s’efforce non seulement de combattre la corruption à tous les niveaux de la société, mais également de lutter de manière efficace contre les dysfonctionnements du système judiciaire.
Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a estimé que les faits invoqués à la base de la demande de protection internationale ne sauraient 1 Page 9 du “Report of the United Nations High Commissioner for Human Rights on the situation of human rights in Ukraine” du 19 septembre 2014.
2 Page 149 du “Report on the human rights situation in Ukraine, 15 July 2014”.
3 Page 19 du “Report on the human rights situation in Ukraine, 15 April 2014”.
4 Page 37 du “Report on the human rights situation in Ukraine, 15 May 2014“.
justifier l’octroi du statut de réfugié, de sorte que le recours relatif à ce volet de la demande est d’ores-et-déjà à rejeter.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 (…) ».
L’article 37 de la loi du 5 mai 2006 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine.
Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les atteintes graves d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles atteintes se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons de supposer que de telles atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En ce qui concerne sa demande d’une protection subsidiaire, le demandeur donne à considérer que lors de ses entretiens auprès de l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères, il aurait invoqué des motifs sérieux et avérés de croire qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine. Il insiste plus particulièrement sur le fait qu’en cas d’arrestation, il n’aurait aucune chance d’établir sa bonne foi et ce compte tenu du contexte politique et juridique actuel en Ukraine. Le demandeur renvoie à cet égard plus particulièrement aux articles 2 f) et 37 b) de la loi du 5 mai 2006, tout en rappelant que la dignité humaine serait protégée par l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales comme étant un des seuls droits intangibles auquel l’article 15 de la même Convention ne permettrait aucune dérogation. Il estime qu’en tout état de cause les mauvais traitements dont il a fait l’objet et ceux qu’il risque de subir s’il devait retourner en Ukraine constitueraient incontestablement des actes de torture ou des traitements inhumains, sinon des traitements dégradants. Par ailleurs, par application de l’article 26, paragraphe 4, de la loi du 5 mai 2006, le caractère réel de sa crainte fondée de subir ces atteintes graves serait démontré par les atteintes graves, respectivement les menaces d’atteintes graves dont il aurait fait l’objet avant son départ de son pays d’origine. En effet, les violences physiques et les menaces de mort dont il aurait été victime ainsi que les poursuites illégales engagées contre lui et qui auraient provoqué sa fuite laisseraient présumer sa crainte justifiée de subir des atteintes graves en cas de retour. Il s’ensuivrait que le ministre ne se serait aucunement livré à un examen rigoureux de sa situation puisqu’un tel examen lui aurait permis de conclure à l’existence d’un risque pour le demandeur de subir des tortures, sinon des traitements inhumains ou dégradants s’il devait retourner en Ukraine.
Or, dans la mesure où il a été retenu ci-avant dans le cadre de l’analyse de la demande en obtention du statut de réfugié que depuis le départ du demandeur de son pays d’origine et plus particulièrement au cours des derniers mois, la situation politique en Ukraine a changé, c’est sur base des mêmes considérations qu’il y a lieu de constater que le demandeur ne fait pas état de motifs sérieux et avérés de croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants.
En effet, en ce qui concerne plus particulièrement les craintes mises en avant par le demandeur de se retrouver arbitrairement emprisonné dans des conditions de détention telles qu’elles devraient s’analyser en des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, le tribunal est amené à retenir que le risque que le nouveau régime actuellement en place cherche à couvrir les agissements de certains membres du parti au pouvoir sous l’ancien régime et que le demandeur se voit confronté à son retour à des accusations prétendument montées de toutes pièces par des membres d’un parti qui n’est actuellement plus représenté au Parlement ukrainien est purement hypothétique, de sorte que les conditions du régime pénitentiaire ukrainien ne sont pas pertinentes dans le cadre de l’analyse de la situation personnelle du demandeur.
En ce qui concerne finalement l’impact de la situation conflictuelle existant actuellement en Ukraine sur la situation individuelle du demandeur, il ne ressort pas des éléments à la disposition du tribunal que cette situation conflictuelle serait telle que l’intégrité physique de toutes les personnes vivant sur le territoire ukrainien serait actuellement en danger quelle que soit la région où elles se trouvent. En effet, s’il est vrai que l’Ukraine est actuellement en proie à un conflit armé interne, force est toutefois de constater que ce conflit ne touche pas l’intégralité du territoire ukrainien mais seulement l’Est du pays et plus particulièrement la province de Donetsk à l’extrême est du pays et la province de Luhansk dans le Sud-Est, les deux provinces faisant partie de la région de Donbass. Force est d’ailleurs également de relever que le demandeur a déclaré avoir vécu avant sa fuite à … dans l’Oblast qui est une région de Transcarpathie se trouvant tout à fait à l’Ouest de l’Ukraine et donc à l’opposé de la région des conflits.
Il s’ensuit que le demandeur ne saurait pas non plus faire valoir un risque réel et actuel de subir des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
2.
Quant au recours tendant à l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.
Le demandeur soutient en premier lieu que si la décision de refus d’octroi du statut de protection internationale encourt la réformation, l’ordre de quitter devrait également être annulé.
Il se dégage des conclusions ci-avant retenues par le tribunal que le ministre a refusé à bon droit d’accorder au demandeur un statut de protection internationale, de sorte qu’il a également pu valablement émettre l’ordre de quitter le territoire.
En ordre subsidiaire, il conclut à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, au motif qu’il violerait de façon autonome tant l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration que l’article 3 de la CEDH. Les demandeurs estiment en effet que le champ d’application de ces dispositions serait plus large que celui de l’article 2 d) et f) de la loi du 5 mai 2006. Il considère que le degré du risque de faire l’objet de mauvais traitements exigé pour obtenir la reconnaissance d’une protection internationale serait beaucoup plus élevé que celui requis pour interdire l’éloignement de l’étranger vers le pays dans lequel ce risque existe et que l’on ne saurait automatiquement conclure qu’un demandeur de protection internationale débouté ne puisse pas valablement faire état d’un risque de traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine qui interdirait son éloignement vers ce pays. L’ordre de quitter le territoire ne serait pas une conséquence légale du refus de protection internationale alors qu’il existerait des critères bien particuliers qui interdiraient l’éloignement d’un étranger vers un pays où il risquerait d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, qui seraient étrangers à ceux selon lesquels un statut de protection internationale peut être accordé. Le demandeur estime avoir établi la réalité du risque pesant sur lui et qui interdirait son éloignement vers l’Ukraine et ce grâce au faisceau d’indices qui serait constitué par toutes les violences morales et physiques dont il aurait d’ores et déjà été victime et dont il recommencerait à faire l’objet et contre lesquels les autorités seraient incapables de le protéger, respectivement ne voudraient pas le protéger. Le demandeur soutient encore que la situation de détresse dans laquelle il serait plongé en cas de retour en Ukraine, mêlée au sentiment d’angoisse de subir des mauvais traitements, serait constitutive d’un traitement inhumain et dégradant. Il soutient encore que l’article 3 de la CEDH, combiné à l’article 129 de la loi précitée du 29 août 2008, poserait un principe absolu d’interdiction de refoulement vers un pays où la personne concernée risque de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre vaut décision de retour, laquelle est définie par l’article 2 r) de la même loi comme étant la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire. L’ordre de quitter le territoire y prononcé comporte l’indication du délai pour quitter le territoire ainsi que le pays à destination duquel le demandeur sera renvoyé en cas d’exécution d’office.
Quant à l’incidence de l’article 3 de la CEDH, si ledit article proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existe un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Ukraine, le tribunal administratif a conclu ci-avant à l’absence dans le chef du demandeur de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, point b) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal actuellement ne saurait pas se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH5, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi des demandeurs en Ukraine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
5 CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, § 59.
Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision déférée portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 novembre 2014 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Schmit s. Sünnen 18