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05/11/2014 | LUXEMBOURG | N°33650

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 novembre 2014, 33650


Tribunal administratif N° 33650 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 novembre 2013 3e chambre Audience publique du 5 novembre 2014 Recours formé par Madame …, … (Allemagne) contre deux décisions du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire Vu la requête inscrite sous le numéro 33650 du rôle et déposée le 21 novembre 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Kamilla Ladka, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à D-…, tendant à

la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’Agence p...

Tribunal administratif N° 33650 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 novembre 2013 3e chambre Audience publique du 5 novembre 2014 Recours formé par Madame …, … (Allemagne) contre deux décisions du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire Vu la requête inscrite sous le numéro 33650 du rôle et déposée le 21 novembre 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Kamilla Ladka, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à D-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi du 24 avril 2013 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée …, ainsi qu’à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision confirmative du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi du 21 août 2013 prise sur recours gracieux introduit le 23 juillet 2013 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 février 2014 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Kamilla Ladka et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 octobre 2014.

Il ressort des pièces versées en cause, et notamment du dossier administratif, qu’en date du 5 novembre 2010, par-devant Maître …, notaire de résidence à Luxembourg, Madame … et Monsieur … constituèrent la société à responsabilité limitée …, ci-après dénommée « la société … », et que Madame … souscrivit 65 parts sociales dans la capital de ladite société et Monsieur … les 35 restantes. Monsieur … fut en outre nommé gérant de la société pour une durée indéterminée par l’assemblée générale extraordinaire qui se tint le même jour.

Il en ressort par ailleurs que le 15 novembre 2011, Madame … signa avec la société …, représentée par son gérant technique, un contrat de travail à durée indéterminée.

Il résulte encore des explications de Madame …, non contestées par la partie étatique, que la faillite de la société … fut prononcée en date du 15 juin 2012 sur aveu de cessation de paiement déclaré par le gérant auprès du tribunal de commerce en date du 13 juin 2012.

Le 13 novembre 2012, Madame … déposa une déclaration de créance au greffe du tribunal de commerce de et à Luxembourg pour le montant de ….- €, au titre d’arriérés de salaire, ainsi que des salaires légalement dus en raison de la faillite de la société ….

Ladite créance fut admise au passif de la faillite de la société … suivant procès-verbal de vérification des créances du 30 novembre 2012.

Par courrier du 9 décembre 2012, Maître …, en sa qualité de curateur de la société … en faillite, sollicita l’intervention du fonds pour l’emploi à travers l’agence pour le Développement de l’emploi aux fins de paiement de la créance déposée par Madame ….

Par décision du 24 avril 2013, le directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi, ci-après désigné par « le directeur », refusa de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale sollicitée au motif que Madame … détiendrait 65% des parts sociales émises dans la société …, que l’article 10 des statuts de la société … préciserait que les décisions collectives ne seraient valablement prises que pour autant qu’elles sont adoptées par les associés représentant plus de la moitié du capital social, de sorte qu’elle ne serait pas étrangère à la faillite et qu’un lien de subordination ferait défaut.

Par courrier du 5 juin 2013, Madame … introduisit un recours gracieux contre la décision précitée du directeur du 24 avril 2013.

Par décision du 21 août 2013, le directeur confirma sa décision du 24 avril 2013.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 2013, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des décisions du directeur des 24 avril et 21 août 2013 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société ….

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours principal en réformation introduit contre les décisions déférées.

Il est partant compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation, qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délais de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose avoir été engagée en qualité de serveuse par la société … en vertu d’un contrat de travail signé en date du 15 novembre 2011.

Dès lors, il existerait un lien de subordination effectif entre elle-même et la société … et sa qualité d’associé majoritaire n’aurait aucune incidence sur l’existence de ce lien de subordination dans la mesure où elle aurait été employée par le gérant de la société, seul titulaire du pouvoir de direction et de gestion de la société, disposant par ailleurs du pouvoir exclusif de signature et seul capable d’engager à ce titre la société ….

Le délégué du gouvernement fait valoir que la décision déférée serait motivée par le fait que l’article 10 des statuts de la société prévoirait que les décisions collectives ne seraient valablement prises que pour autant qu’elles sont adoptées par les associés représentant plus que la moitié du capital, or Madame … détiendrait 65% du capital.

L’article L.126-1 du Code du travail dispose que :

« (1) En cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit les créances résultant du contrat de travail sous les conditions et dans les limites fixées au présent article.

(2) Sont garanties jusqu’à concurrence du plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.

[…] (5) Le droit à la garantie s’ouvre pour le salarié, lorsque les créances visées au présent article ne peuvent être payées, en tout ou en partie, sur les fonds disponibles dans les dix jours qui suivent le prononcé du jugement déclaratif de la faillite.

(6) A la demande du curateur, le Fonds pour l’emploi verse aux salariés, dans les limites visées au présent article et, le cas échéant, en tenant compte des avances versées au titre de l’alinéa qui suit, les sommes impayées figurant sur le relevé des créances présenté par le curateur, visé par le juge commissaire et vérifié par l’Agence pour le développement de l’emploi.

Le relevé prévu au présent paragraphe peut être présenté par le curateur avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances.

Pour toute créance salariale visée au paragraphe (2), le salarié créancier peut, si sa créance représente plus de la moitié du salaire mensuel, calculé sur la moyenne des trois derniers mois précédant le mois de la déclaration de la faillite, remettre une copie de sa déclaration de créance déposée au Tribunal de commerce concernant les arriérés de salaire, à l’Agence pour le développement de l’emploi. Après vérification par l’Agence pour le développement de l’emploi des pièces remises, le Fonds pour l’emploi verse à titre d’avance les créances de salaire arriéré sans pouvoir dépasser soixante-quinze pour cent du plafond visé au paragraphe (2).[…]. » Il s’ensuit qu’en cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit jusqu’au plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, c’est-à-dire jusqu’au sextuple du salaire social minimum, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.

Dans ce contexte, force est au tribunal de conclure de prime abord que l’ADEM a non seulement le droit, mais l'obligation de vérifier en premier lieu l'existence de la qualité de salarié au jour de la survenance de la faillite dans le chef du demandeur de la garantie salariale sollicitée,1 de sorte que l’acceptation d’une créance par le juge commissaire et par le curateur ne s’oppose en principe pas à un refus du directeur de libérer les fonds nécessaires à la garantie salariale.

Il résulte en effet de l’article L.126-1 du Code du travail que peuvent seules faire l’objet d’une prestation de garantie à charge du Fonds pour l’emploi les créances de nature salariale et que, conformément au paragraphe (6) du même article, les versements sont effectués sur base de relevés « vérifiés par » l’ADEM. Sous peine de vider ledit texte de toute 1 Cour adm. 18 mai 2006, n° 21111C du rôle, Pas. adm. 2012, v° Travail, n° 12.

portée, il y a lieu de retenir que l’administration est en droit de procéder à son propre examen des créances qui lui sont soumises.

Cette vérification doit se rapporter à l’examen de la justification de l’intervention du Fonds pour l’emploi qui a vocation, en cas de faillite, à se substituer à l’employeur en carence et qui bénéficie d’une subrogation dans les droits du salarié. Il en découle que l’administration est en droit de vérifier aussi la qualité de salarié de l’intéressé et donc l’existence d’une relation de travail entre celui-ci et le failli.2 Quant au fond du contrôle à exercer par l’ADEM, le tribunal est amené à conclure, tel que relevé ci-avant, que la garantie prévue à l’article L.126-1 du Code du Travail s’appliquant, en vertu du paragraphe (1) dudit article, aux « créances résultant du contrat de travail », de sorte que son application est plus particulièrement conditionnée par l’existence d’un contrat de travail, caractérisé par l’existence d’un lien de subordination.

Le contrat de travail s’analyse en effet en une convention par laquelle une personne s’engage à mettre, moyennant une rémunération, son activité à la disposition d’une autre à l’égard de laquelle elle se trouve dans un rapport de subordination juridique. Un tel rapport de subordination requiert que le contrat place le salarié sous l’autorité de son employeur qui lui donne des ordres concernant l’exécution du travail, en contrôle l’accomplissement et en vérifie les résultats.3 En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que la demanderesse a signé en date du 15 novembre 2011 un contrat de travail à durée indéterminée avec effet à partir du 1er décembre 2011 et que le contrat de travail porte la mention qu’elle a été engagée en qualité de serveuse et barman.

Il n’est pas non plus contesté, et cela résulte d’ailleurs des pièces soumises par le demandeur et du dossier administratif, que la déclaration de créance de la demanderesse a été acceptée par le juge commissaire et par le curateur à hauteur du montant déclaré, de sorte que dans ce contexte, l’existence d’un contrat de travail n’a pas été remise en cause.

Cependant, en cas de refus par l'ADEM du paiement d'une créance dûment acceptée par le curateur et le juge-commissaire, tel que c’est le cas en l’espèce, la charge de la preuve du bien-fondé des motifs justifiant la décision de refus incombe à l'Etat, cette preuve étant à rapporter sur la toile de fond de l'examen, par le juge administratif, de l'existence et de l'exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision déférée, et de la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à la motiver légalement.4 Ainsi, il appartient à l’Etat, ayant refusé la prise en charge de la créance pourtant acceptée par le curateur et le juge commissaire, de fournir la preuve du bien-fondé des motifs justifiant sa décision. En l’occurrence, l’Etat faisant état d’une situation excluant un lien de subordination tiré du pouvoir de contrôle dans la société en faillite, en l’espèce fondé notamment sur le constat d’une participation dans le capital de la société et d’un pouvoir de 2 Cour adm. 5 juin 2003, n° 15903C, ayant réformé le jugement du tribunal administratif du 18 décembre 2002 invoqué par le demandeur à l’audience des plaidoiries, disponible sous www.jurad.public.lu 3 Cour adm. 16 juin 2011, n° 27974C du rôle, Pas. adm. 2012, v° Travail, n° 7 4 Trib. adm., 22 mai 2006, n° 20427 du rôle, Pas. adm. 2012, v° Travail, n°5 réformé par Cour adm., 18 mai 2006, n° 21111C du rôle sans que le principe énoncé ci-dessus n’ait été remis en cause par la Cour administrative ; Trib. adm., 30 septembre 2013, n° 31400 du rôle, www.jurad.public.lu signature pour agir pour le compte de la société, il lui appartient partant d’établir, d’une part, la réalité de la situation juridique, respectivement de fait qu’il allègue, et, d’autre part, de justifier que celle-ci est de nature à conclure que, vue les circonstances de l’espèce, le demandeur a exercé un contrôle déterminant sur les activités de la société, de sorte que l’existence d’un lien de subordination est inconcevable. Une fois cette preuve rapportée, il appartient cependant au demandeur d’établir que, malgré la situation de contrôle légal ou de fait ainsi démontrée et excluant a priori l’existence d’un lien de subordination, il se trouve en réalité lié à la société par un contrat de travail caractérisé par un lien de subordination et correspondant à une convention réelle et sérieuse.5 En l’espèce, force est au tribunal de constater au regard de la contestation étatique quant au lien de subordination existant entre la demanderesse et la société …, qu’il ressort des éléments soumis à son appréciation que la demanderesse détenait 65% des parts sociales pour ce qui est de la période pertinente, en l’occurrence les mois de février à août 2012, de sorte qu’elle avait le pouvoir de révoquer seule le gérant représentant la société en vertu de l’article 10 des statuts de la société …, et que, par voie de conséquence, elle exerçait, à travers ce pouvoirs, un contrôle à tel point déterminant sur les activités des société qu’a priori aucun lien de subordination n’a pu exister entre la société, représentée par son gérant, et elle-même.

Il s’ensuit que c’est à bon droit, pour des motifs que le tribunal adopte, que le directeur, sur base de ce seul motif de refus, a refusé de faire droit à la demande litigieuse.

Par ailleurs, le tribunal est encore amené à conclure que la demanderesse ne lui soumet aucun élément de fait de nature à conclure, malgré sa position juridique prédominante, à l’existence d’un lien de subordination, et par voie de conséquence à l’existence d’un contrat de travail réel et sérieux.

Etant donné que le directeur a valablement refusé la liquidation de la créance salariale litigieuse sur base du constat qu’un lien de subordination fait défaut entre la demanderesse et la société …, il devient surabondant d’analyser les contestions de la demanderesse par rapport au second motif selon lequel elle ne serait pas étrangère à la faillite de la société.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié ;

partant, en déboute ;

5 Trib. Adm., 6 septembre 2014, n° 33313 du rôle, publié sous www.jurad.public.lu condamne la partie demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Jackie Maroldt, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 5 novembre 2014 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s.Judith Tagliaferri s.Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 novembre 2014 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 33650
Date de la décision : 05/11/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-11-05;33650 ?

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