Tribunal administratif Numéro 32279 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2013 1re chambre Audience publique du 22 octobre 2014 Recours formé par Madame …, … contre des décisions du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en matière d’aides financières pour études supérieures
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 32279 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2013 par Maître Luc JEITZ, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision de refus en matière d’aides financières pour études supérieures du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche datée du 10 décembre 2012, confirmée suite à un recours gracieux introduit en date du 8 janvier 2013 par une décision de refus du même ministre du 14 janvier 2013 ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée le 16 mai 2013 par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ;
Vu le mémoire en réponse de Maître Patrick KINSCH déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2013 au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 octobre 2013 par Maître Luc JEITZ au nom de la partie demanderesse ;
Vu le mémoire en duplique de Maître Patrick KINSCH, déposé au greffe du tribunal administratif le 11 novembre 2013 au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Luc JEITZ et Maître Patrick KINSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 octobre 2014.
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Madame … sollicita au courant du mois d’octobre 2012 une aide financière pour études supérieures en vue de la poursuite d’études de styliste et modéliste au sein de l’école privée … Deutschland pour l’année académique 2012/2013.
Par un courrier du 10 décembre 2012, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, sous la signature du Premier Conseiller de Gouvernement, refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants :
« J’ai en mains votre demande en vue de l’obtention d’une aide financière de l’Etat pour études supérieures pour l’année académique 2012-2013.
L’article I, point 2° b, de la loi du 26 juillet 2010 modifiant, entre autres, la loi modifiée du 22 juin 2000 dispose que, pour pouvoir bénéficier d’une aide financière de l’Etat pour études supérieures, l’étudiant ressortissant d’un autre Etat membre de l’Union européenne ou d’un des autres Etats parties à l’Accord économique européen et de la Confédération suisse doit séjourner, conformément au chapitre 2 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, au Grand-Duché de Luxembourg en qualité de travailleur salarié, de travailleur non-salarié, de personne qui garde ce statut ou de membre de famille de l’une des catégories de personnes qui précèdent, ou avoir acquis le droit de séjour permanent ».
Etant donné que les études pour lesquelles vous demandez une aide financière de l’Etat ne font pas partie de l’enseignement supérieur tel que défini à l’article précité, il n’est pas possible au service des aides financières du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de donner une suite favorable à votre demande et de vous accorder l’aide financière de l’Etat pour études supérieures pour l’année académique 2012-2013.
La présente décision est susceptible d’un recours en annulation devant le Tribunal administratif de et à Luxembourg. Ce recours doit être intenté par ministère d’avocat dans les trois mois de la notification de la présente, au moyen d’une requête à déposer au secrétariat du Tribunal administratif ».
Suite à un recours gracieux adressé par le mandataire de Madame … au ministère compétent en date du 8 janvier 2013, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche confirma sa décision précédente de refus par courrier daté du 14 janvier 2013, libellé comme suit :
« J’ai en mains votre courrier du 8 janvier 2013 concernant votre client Madame …, au sujet de sa demande d’aide financière pour études supérieures pour l’année académique 2012/2013.
Les aides financières pour études supérieures de l’Etat sont destinées à permettre aux résidents luxembourgeois de poursuivre des études supérieures. A ce titre, elles sont réservées aux seuls étudiants inscrits dans une formation d’enseignement supérieur, formation à l’issue de laquelle l’étudiant qui a réussi se voit attribuer un grade d’enseignement supérieur.
Tel n’est pas le cas pour la formation proposée par l’école de mode « …» à Munich où votre cliente s’est inscrite. A l’issue de sa formation, Madame … se verra délivrer un diplôme appelé «… Diplom » qui ne peut être considérée comme un grade d’enseignement supérieur. Il en est autrement pour l’établissement … à Paris, lequel, étant en partenariat avec le Conservatoire National des Arts et Métiers de Paris, est en mesure de délivrer à ses étudiants le grade d’enseignement supérieur de Bachelor.
Après vérification du dossier de votre cliente, il s’avère que pour l’année académique 2011/2012 votre cliente était également inscrite dans le même établissement à Munich.
L’aide financière lui a donc été accordée par erreur pour l’année académique 2011/2012 et nous tenons à vous informer que [nous] renonçons au recouvrement de celle-ci.
Par conséquent, il n’est pas possible de réserver une suite favorable à la demande de votre et de lui accorder une aide financière pour l’année académique 2012/2013. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2013, Madame … a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions de refus précitées du 10 décembre 2012 et 14 janvier 2013.
Etant donné que la loi modifiée du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures ne prévoit pas la possibilité d’introduire un recours de pleine juridiction, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre des décisions de refus déférées.
Le tribunal est partant incompétent pour connaître du recours tendant principalement à la réformation des décisions respectives déférées.
En revanche, le tribunal est compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation, lequel est encore recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai de la loi.
Le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.
Madame … attaque la décision déférée pour divers motifs relevant du fondement propre à la décision, motifs qui en substance peuvent être énumérés comme suit :
- violation du principe de confiance légitime, cette dernière étant basée sur l’attribution en sa faveur de l’aide pour études supérieures pour l’année académique 2011-2012 ;
- violation, sinon mauvaise application de la loi du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, la demanderesse expliquant que « … International » implanté à Munich ne constituerait qu’un établissement étranger de l’établissement d’enseignement supérieur « … International» situé à Paris, tandis que le diplôme déféré par « … International » Munich correspondrait en fait à un diplôme déféré par « … International » Paris, reconnu en France comme un établissement d’enseignement supérieur ;
- aveu judiciaire du ministère de l’enseignement supérieur tiré d’un jugement du tribunal administratif du 10 septembre 2008, n° 23.427 et 23.843, dont il ressortirait que le délégué du gouvernement aurait fait l’aveu judiciaire que l’école … international est un établissement d’études supérieures ;
- violation de l’article 10bis de la Constitution, la demanderesse faisant plaider que les étudiants ne devraient pas subir un traitement différent selon qu’ils sont dans l’établissement de Paris ou dans un établissement en Allemagne alors que la formation délivrée est très similaire.
En ce qui concerne le moyen basé sur le fait que les décisions litigieuses devraient être sanctionnées par le tribunal pour contrevenir au principe de confiance légitime résultant du fait que la demanderesse aurait reçu l’aide de l’Etat pour études supérieures pour l’année académique 2011-2012, de sorte que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche aurait créé à son profit une situation administrative acquise et aurait réellement reconnu un droit subjectif en son chef, le tribunal relève de prime abord que si la partie demanderesse lui a certes communiqué deux courriers, datés des 13 octobre 2011 et 13 avril 2012, relatif au paiement d’une aide financière par l’Etat pour les semestres d’hiver et d’été de l’année académique 2011-2012, il ne résulte pas de ces courriers quelles étaient alors les études poursuivies par Madame ….
Il convient ensuite de souligner que d’une manière générale, un administré ne peut prétendre au respect d’un droit acquis que si, au-delà de ses expectatives, justifiées ou non, l’autorité administrative a créé à son profit une situation administrative acquise et réellement reconnu ou créé un droit subjectif dans son chef. Ce n’est qu’à cette condition que peut naître dans le chef d’un administré la confiance légitime que l’administration respectera la situation par elle créée, les deux notions de droits acquis et de légitime confiance étant voisines1.
C’est ainsi que lorsqu’un particulier diligent est surpris du fait qu’il s’est raisonnablement fié au « pré-comportement » objectif de la personne publique, et n’est dès lors pas en mesure de prévoir l’adoption - ou la modification - soudaine d’une disposition de nature à affecter ses intérêts, la « légitimité » de sa confiance subjective peut être présumée, et ce avec d’autant plus de force lorsque existent des dispositions concrètes et objectives indéniablement prises dans la confiance2. Cette dernière condition en particulier - l’existence de dispositions concrètes et objectives prises dans la confiance - présuppose plus précisément l’existence d’une relation étroitement personnelle entre l’administré et l’administration tel qu’un acte administratif individuel créateur de droits, telle qu’une décision individuelle d’ordre pécuniaire3.
Or, il est constant en cause que Madame … ne s’est jamais vue reconnaître d’aides financières pour études supérieures du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pour l’année académique litigieuse par le biais d’une décision individuelle prise en sa faveur, que ce soit une décision de principe ou une décision arrêtant le montant même de l’aide financière - condition requise pour pouvoir se prévaloir le cas échéant d’un droit acquis - de sorte qu’il en découle que la demanderesse ne saurait se prévaloir d’un quelconque droit acquis et a fortiori d’une atteinte à sa légitime confiance du fait du refus lui opposé actuellement : le fait que le ministre lui ait apparemment accordé une aide financière pour l’année académique précédente n’est pas nature à faire naître dans le chef de la demanderesse un quelconque droit à bénéficier des aides financières pour études supérieures pour l’année litigieuse, et ce d’autant plus qu’il résulte de la décision confirmative de refus du 14 janvier 2013 que l’aide financière lui précédemment accordée l’avait été par erreur, l’établissement concerné ne pouvant être considéré comme dispensant un enseignement supérieur, question faisant précisément l’objet du présent recours et qui sera abordée ci-après.
Partant, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé des décisions de refus déférées sur base du seul paiement intervenu antérieurement en faveur de Madame ….
En ce qui concerne le moyen de la demanderesse tiré d’une violation, sinon d’une mauvaise application de la loi du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour 1 Voir par analogie pour des applications de ce principe : trib.adm 25 janvier 2010, n° 25548, confirmé sur ce point par arrêt du 18 mai 2010, 26683C, Pas. adm. 2012, V° Etrangers, n° 254, ou encore trib. adm. 12 décembre 2011, n° 27543 et trib. adm. 12 mars 2012, n° 28296.
2 Sylvia CALMES, Du principe de protection de la confiance légitime en droits allemand, communautaire et français, Nouvelle bibliothèque de thèses, Dalloz, n° 214, p. 405, cité dans Cour adm. 11 février 2010, n° 25840C.
3 Voir par exemple trib. adm. 25 janvier 2012, n° 27953.
études supérieures, la demanderesse explique que l’école « … International » implantée à Munich ne constituerait qu’un établissement étranger de l’établissement d’enseignement supérieur « … International » situé à Paris et que le diplôme déféré par « … International » Munich correspondrait en fait à un diplôme déféré par « … International » Paris, reconnu en France comme un établissement d’enseignement supérieur, la demanderesse appuyant cette argumentation sur un jugement du tribunal administratif du 10 septembre 2008, n° de rôle 23.427 et 23.843.
Force est toutefois au tribunal de constater que le jugement en question s’inscrit dans un autre cadre, à savoir celui de l’inscription au registre des diplômes et repose sur le fait que l’étudiant concerné avait débuté ses études de mode à Paris pour les terminer à Berlin et s’était vu délivrer un diplôme final par … International Paris, diplôme qui avait en l’espèce bénéficié d’une attestation du ministère de l’Education Nationale français, Division des Etablissements, certifiant, d’une part, que la formation de « Styliste/Modéliste » en cause bénéficiait d’une reconnaissance auprès du ministre chargé de la formation professionnelle et, d’autre part, que le diplôme dont l’inscription au registre était sollicitée était par ailleurs reconnu au Répertoire National des Certifications Professionnelles de niveau III, correspondant au niveau licence pour les diplômes nationaux.
Or, en l’espèce, outre que la demanderesse n’a pas débuté ses études à Paris, mais s’est directement inscrite à Munich, il ne résulte d’aucune pièce versée en cause qu’il existerait un lien institutionnel entre les études offertes par l’établissement sis à Paris et celles par l’établissement sis à Munich, respectivement que le diplôme final serait délivré par l’établissement parisien, nonobstant le fait que la demanderesse aurait intégralement suivi ses études à Munich.
Il convient encore de relever que si à l’époque des faits ayant donné lieu à ce jugement, la loi applicable à la question des aides financières, à savoir la loi du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, considérait également dans son article 1er, point 4.3, comme susceptibles de donner lieu à l’octroi d’aides financières sous la forme de bourses, de prêts, avec ou sans charge d’intérêts, de subventions d’intérêts et de primes d’encouragement, « les études non universitaires et à cycle d’études ou de formation unique », correspondant à des études non universitaires et à cycle d’études ou de formation unique ne comprenant qu’un cycle d’études et préparant surtout à l’entrée dans la vie active, cette disposition a été abrogée par la loi du 26 mai 2010 qui limite l’octroi d’aides financières aux seules études d’enseignement supérieur reconnues par l’autorité compétente du pays où se déroulent les études comme relevant de son système d’enseignement supérieur, respectivement aux élèves du régime professionnel de l’enseignement secondaire technique qui ont été autorisés par le ministre ayant l’Éducation nationale et la Formation professionnelle dans ses attributions à suivre leur enseignement scolaire à l’étranger.
La solution retenue à l’époque par le tribunal administratif dans un autre cadre légal ne saurait partant être appliquée mutatis mutandis au présent litige.
Comme relevé ci-dessus et exposé par le ministre à la demanderesse, les aides financières sont réservées par la loi applicable au cas d’espèce aux seuls étudiants inscrits dans une formation d’enseignement supérieur, formation à l’issue de laquelle l’étudiant qui a réussi se voit attribuer un grade d’enseignement supérieur, et devant être reconnue par l’autorité compétente du pays où se déroulent les études comme relevant de son système d’enseignement supérieur.
Or, à cet égard, la demanderesse ne fournit aucun document probant dont il résulterait que les autorités compétentes allemandes reconnaîtraient les études de styliste et de modéliste poursuivies à Munich comme relevant de leur système d’enseignement supérieur ; bien au contraire, il résulte des différentes « Schulbescheinigungen » versées en cause que l’établissement en question est reconnu par les autorités bavaroises comme « Berufsfachschule für Mode », terme défini sur base des pièces versées en cause par la partie étatique comme suit par la « Ständige Konferenz der Kultusminister der Länder in der Bundesrepublik Deutschland (KMK) » : « Berufsfachschulen sind Vollzeitschulen, die Schülerinnen und Schüler in einen oder mehrere Berufe einführen, ihnen einen Teil der Berufsausbildung in einem oder mehreren anerkannten Ausbildungsberufen vermitteln oder sie zu einem Berufsausbildungsabschluss in einem Beruf führen. […] Unter bestimmten Voraussetzungen kann an Berufsfachschulen auch die Fachhochschulreife erworben werden », la « Fachhochschulreife » correspondant selon les explications non énervées de l’Etat au diplôme d’enseignement secondaire luxembourgeois.
Il s’ensuit, au vu de ces pièces, non utilement énervées par la demanderesse, que l’établissement dans lequel la demanderesse étudie ne dispense pas d’enseignement supérieur au sens de l’article I, point 1 b) de la loi du 26 juillet 2010 modifiant, entre autres, la loi modifiée du 22 juin 2000, de sorte que ces études ne sont pas éligibles pour une aide financière pour études supérieures.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation de la demanderesse tentant à imputer à la partie étatique un aveu judiciaire au sens de l’article 1356 du Code civil, tiré du fait que le jugement précité du tribunal administratif contiendrait la phrase suivante : « le délégué du gouvernement rétorque que concernant la présence d’… international à la Foire de l’Etudiant organisée annuellement par le Centre de Documentation et d’Information sur l’Enseignement Supérieur, celle-ci relèverait de l’obligation qui serait faite à cette administration d’informer les étudiants luxembourgeois sur toutes les possibilités d’études supérieures qui leur sont offertes », Madame … entendant en effet déduire du fait que l’école internationale … aurait été présente à la Foire de l’étudiant l’admission judiciaire que cette école dispenserait des études supérieures.
Un aveu judiciaire ne pouvant toutefois porter que sur des questions de fait4, la seule portée de ce passage est de confirmer la présence de l’école internationale … à la Foire de l’étudiant en 2000, mais non d’établir que cet établissement dispenserait un enseignement supérieur au sens de la loi du 26 juillet 2010, étant rappelé que la notion légale d’enseignement supérieur susceptible de donner droit à des aides financières a depuis lors de surcroît été sensiblement modifiée par cette même loi.
Par ailleurs, comme relevé à juste titre par la partie étatique, la seule présence matérielle à cette foire destinée aux étudiants ne saurait ipso facto conférer à l’établissement concerné le statut d’établissement d’études supérieures au sens de la disposition légale en cause, la foire en question étant également ouverte à des établissements ne dispensant aucun enseignement mais cherchant à recruter des étudiants ayant achevé des études relevant de l’enseignement secondaire au sens large du terme, tel que des instituts bancaires ou encore l’armée luxembourgeoise.
Enfin, Madame … entend encore se prévaloir d’une violation de l’article 10bis de la Constitution, lequel consacre l’égalité des Luxembourgeois devant la loi, au motif que le refus 4 Cour, 3 juin 1921, Pas.11, p.215.
lui opposé serait discriminatoire en ce qu’il traiterait de manière différente des étudiants dans une situation très comparable ou similaire, la demanderesse affirmant en effet que les étudiants seraient traités de manière différente par l’Etat luxembourgeois selon qu’ils suivraient l’enseignement d’… International à Paris ou en Allemagne, alors qu’ils suivraient un cursus très similaire et se verraient remettre un diplôme semblable ou comparable.
Force est toutefois de constater que ce moyen repose sur une double prémisse, laquelle reste toutefois en l’état actuel du dossier en l’état de simple allégation.
C’est ainsi que ce moyen repose de prime abord sur la prémisse que les deux formations, dispensées respectivement à Paris et à Munich, seraient identiques, sinon similaires, la demanderesse s’appuyant manifestement à cet égard sur le jugement précité du 10 septembre 2008. Or, comme retenu ci-avant par le tribunal, ledit jugement s’inscrit dans un cadre légal différent, alors que, d’une part, il s’agissait d’une question juridique différente relevant d’une autre législation, à savoir la loi modifiée du 17 juin 1963 ayant pour objet de protéger les titres d’enseignement supérieur, et, d’autre part, que la définition légale des études supérieures a depuis lors été sensiblement modifiée ; enfin, comme indiqué ci-dessus, les données factuelles étaient différentes du cas de Madame ….
Ce moyen repose ensuite sur la prémisse que des étudiants poursuivant actuellement la formation dispensée par … Paris se verraient accorder une aide financière sur base de la loi du 22 juin 2000 telle que modifiée par la loi du 26 juillet 2010 : or, il ne résulte d’aucun élément du dossier que tel serait encore actuellement le cas, de sorte que l’affirmation selon laquelle les étudiants fréquentant l’établissement parisien - à supposer que la formation suivie soit comparable à celle poursuivie par la demanderesse - percevraient une aide financière étatique reste en l’état de pure allégation.
Le moyen afférent est partant à rejeter.
Dans son mémoire en réplique, Madame … développe de nouveaux moyens, lesquels peuvent en substance être résumés comme suit :
- l’article 1er, 1° b) de la loi du 26 juillet 2010 modifiant la loi du 22 juin 2000 violerait l’article 23 alinéa 3 de la Constitution, dont il résulterait qu’une loi ne pourrait déléguer son pouvoir normatif à une autorité étrangère ou à la loi étrangère. Or, ledit article abandonnerait à l’autorité étrangère du « pays où se déroulent les études » le pouvoir de qualifier les études en question de supérieures ou non ;
- l’article en question violerait encore la disposition constitutionnelle en ce qu’il porterait atteinte au principe du libre choix des études, la demanderesse estimant que comme les étudiants poursuivants des études post-secondaires ou post-
baccalauréat non qualifiées d’études « supérieures » au sens de la loi du 26 juillet 2010 modifiant la loi du 22 juin 2000 seraient exclus de l’aide financière octroyée par l’Etat, les étudiants seraient obligés de choisir des études bien précises en lieu et place des études qu’ils auraient souhaitées faire s’ils avaient eu une réelle liberté de choix de la nature des études et du lieu des études, et ce alors qu’un étudiant ayant des parents avec un revenu faible sera amené à choisir des études post-
secondaires ou post-baccalauréat bénéficiant de l’aide financière à l’exclusion d’autres études post-secondaires ou post-baccalauréat ;
- l’article 1er, 1° b) de la loi du 26 juillet 2010 violerait encore le principe d’égalité prévu à l’article 10bis de la Constitution, puisqu’un étudiant souhaitant faire des études post-secondaires ou post-baccalauréat ou universitaires dites « supérieures » bénéficiera de l’aide financière alors qu’un étudiant souhaitant faire des études post-secondaires ou post-baccalauréat non qualifiées de « supérieures » ne bénéficiera pas de cette aide financière, la demanderesse estimant qu’une telle inégalité de traitement entre ces deux catégories d’étudiants post-secondaires ou post-baccalauréat ne serait basée sur aucune justification rationnelle, adéquate et proportionnée.
Le tribunal constate de concert avec le litimandataire de l’Etat que ces différents moyens n’ont pas été initialement formulés dans le cadre de la requête introductive d’instance.
Or, à cet égard, il convient de prime abord de rappeler que la partie demanderesse doit a priori faire valoir ses moyens et formuler ses conclusions dans la requête introductive et ne peut en principe, sous peine de forclusion, faire valoir d’autres moyens après l’expiration du délai de recours, sous réserve des moyens d’ordre public qui peuvent être soulevés en tout état de cause et même le cas échéant suppléés d’office. Il est ainsi constant que la requête introductive d’instance délimite définitivement le débat et qualifie l’objet du recours, de sorte que les moyens avancés en cours d’instance doivent se limiter à développer et à préciser l’argumentation dans le cadre de l’action déjà engagée5.
Il convient ensuite de constater que ces différents nouveaux moyens constituent autant d’exceptions d’inconstitutionnalité qui tenteraient, à les supposer fonder, à voir écarter par le tribunal la disposition critiquée, à savoir l’article 1er,1° b) de la loi du 26 juillet 2010 modifiant la loi du 22 juin 2000, aux termes duquel, pour rappel, « Pour être éligible dans le cadre de la présente loi, l’étudiant doit être inscrit dans un établissement dispensant un enseignement supérieur et y suivre un cycle d’études dont la réussite procure à l’étudiant un grade, diplôme ou autre titre délivré par une autorité compétente et attestant la réussite à ce programme d’enseignement supérieur. L’établissement d’enseignement supérieur et le cycle d’études doivent être reconnus par l’autorité compétente du pays où se déroulent les études comme relevant de son système d’enseignement supérieur.» Dès lors, à admettre le raisonnement de la demanderesse, le tribunal devrait après avoir constaté ou fait constater l’inconstitutionnalité de cette disposition, en écarter l’application, mettant ainsi un terme aux inconstitutionnalités alléguées, mais sans créer de droit à une aide financière dans le chef de la demanderesse, l’inconstitutionnalité éventuellement constatée aboutissant au contraire à anéantir la base légale même des aides financières étatiques, le tribunal ne pouvant en effet pas créer une norme qui permettrait positivement à la demanderesse de percevoir l’aide financière sollicitée, mais seulement, le cas échéant, de laisser inappliquée la disposition litigieuse.
Or, les moyens d’inconstitutionnalité et d’illégalité soulevés sont à écarter s’ils ne sont pas susceptibles de servir de fondement utile à l’action intentée, n’étant pas de nature à assurer le résultat que le demandeur entend obtenir, objet du litige soumis6.
Le moyen afférent de la demanderesse, en ce qu’il ne saurait en tout état de cause atteindre le résultat recherché, doit par conséquent être considéré comme inopérant et être partant rejeté comme non fondé.
5 Trib. adm. 28 mai 1997, n° 9448, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n° 647.
6 Trib. adm. 24 juin 2003, n° 15975, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse n° 299.
C’est dès lors à titre tout à fait superfétatoire que le tribunal procède ci-après à l’examen au fond de ces différents moyens.
En ce qui concerne le premier moyen supplémentaire de la partie demanderesse, basé sur le fait que la qualification des études supérieures à l’étranger se ferait selon la loi de l’Etat sur le territoire duquel ces études sont accomplies, la demanderesse estimant apparemment que la qualification des études post-secondaires devrait toujours se faire conformément aux seuls critères de la loi luxembourgeoise, le tribunal a retenu ci-avant que la demanderesse ne poursuit pas d’études supérieures au sens de l’article 1er de la loi du 22 juin 2000.
Dès lors, si la question de constitutionnalité soulevée par Madame … présente éventuellement un intérêt théorique - encore que le tribunal n’entrevoit pas comment l’Etat luxembourgeois pourrait accorder à des études étrangères une autre qualification que celle retenue par les autorités compétentes de l’Etat en question sur le territoire duquel ces études sont accomplies sans violer l’article 115 de la Convention sur la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur dans la région européenne, faite à Lisbonne du 11 avril 1997, telle qu’approuvée par la loi du 14 août 2000, lequel définit l’enseignement supérieur comme « des études de niveau post-secondaire reconnus par les autorités d’un Etat comme relevant de son système d’enseignement supérieur » et que ladite disposition conventionnelle, approuvée par une loi, constitue précisément la disposition légale dont la demanderesse critique l’absence - elle ne présente aucun intérêt pour la solution du litige dont est actuellement saisi le tribunal, de sorte que conformément à l’article 6, alinéa 2, de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, le tribunal est dispensé de saisir la Cour Constitutionnelle, alors que la question soulevée, respectivement la réponse à y apporter, est dépourvue de toute incidence en l’espèce, de sorte à ne pas être nécessaire pour rendre son jugement.
En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 23, alinéa 4 de la Constitution qui prévoit que chacun peut librement choisir les études qu’il souhaite poursuivre, ce moyen est pareillement à écarter.
En effet, le fait que le législateur ait choisi de favoriser financièrement les études supérieures et n’ait pas étendu les aides financières étatiques à l’ensemble des études ou formations susceptibles d’être poursuivies, n’est pas de nature à entraver la liberté des étudiants de choisir tel type d’études plutôt qu’un autre, le choix des études, dans la conception du tribunal, s’effectuant en effet primordialement en fonction de la formation initiale achevée par l’étudiant et des aptitudes personnelles de ce dernier, la question du coût des études et des capacités de financement ne devant intervenir que subséquemment afin de départager plusieurs établissements possibles, étant d’ailleurs entendu que tout étudiant, que se soit par sa formation initiale, ses aptitudes personnelles, son vécu, son intérêt, sa situation familiale ou sa situation financière, se trouve dans une situation différente de celle des autres étudiants, ce qui se traduira par un choix personnel différent des études à suivre, sans que ces différences ne constituent une entrave à la liberté des études. En effet, à admettre le raisonnement de la demanderesse, la seule solution à écarter toute prétendue atteinte à la liberté des études impliquerait, outre à garantir par l’Etat la gratuité de toutes études ou formations quelconques, à abolir encore toute sélection quelconque lors de l’accès aux études et à leur issue, toute différenciation ou sélection opérée dans le cadre des études étant perçue comme atteinte à la liberté des études.
Il n’est par ailleurs que difficilement concevable, tel que pourtant avancé par la demanderesse, qu’un étudiant ayant des parents dotés d’un revenu faible soit amené à choisir des études supérieures, de type universitaire - en principe plus longues et plus difficiles -
bénéficiant de l’aide financière, plutôt que les études non supérieures auxquelles il aurait été pourtant destiné par son cursus antérieur et ses aptitudes personnelles.
Enfin, tel que relevé de manière très pertinente par le représentant de l’Etat, il n’existe pas, en droit luxembourgeois, de droit constitutionnel à des aides financières pour tous les jeunes adultes titulaires d’un diplôme de fin d’études secondaires, de sorte que la demanderesse, à travers son moyen, ne saurait être admise à s’en prévaloir.
Quant au dernier nouveau moyen, le tribunal constate que si la demanderesse tente actuellement de réorienter son moyen tiré d’une violation du principe d’égalité devant la loi, en n’incriminant plus les décisions déférées comme portant atteinte à ce principe, mais cette fois-ci l’article 1er,1° b) de la loi du 26 juillet 2010, son moyen repose sur la prémisse que les études … à Paris et les études … à Munich seraient identiques, sinon très similaires, mais que seules les études poursuivies à Paris bénéficieraient d’une aide financière en application de l’article 1er,1° b) de la loi du 26 juillet 2010, prémisse que le tribunal ne saurait retenir pour ne pas avoir été établie par la demanderesse, mais pour avoir été déduite par cette dernière d’un jugement sorti de son contexte particulier.
Par ailleurs, même à admettre pour les besoins de la discussion que les études poursuivies à Paris soient effectivement actuellement considérées par l’Etat comme des études supérieures au sens de l’article 1er,1° b) de la loi du 26 juillet 2010 sur base d’une distinction déterminée, alors que, comme retenu ci-dessus, les études … à Munich ne le sont pas, il convient de rappeler qu’il résulte de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle du 1er février 2013, n° 00075 du registre, que la situation des étudiants résidents poursuivant des études supérieures n’est pas comparable à celle des étudiants résidents poursuivant des études post-secondaires, non considérées comme supérieures, de sorte à ne pas entraîner d’inégalité de traitement entre les étudiants résidents éligibles aux aides financières de l’Etat pour études supérieures prévues par la loi du 26 juillet 2010 et les autres étudiants résidents, poursuivant des études post-
secondaires, ainsi qualifiées en vertu de la législation de leur pays de résidence, mais non reconnues comme supérieures au sens de cette législation. Partant, le tribunal est dispensé de saisir la Cour constitutionnelle de la question de constitutionnalité formulée par la demanderesse, celle-ci étant non seulement dénuée de tout fondement, mais la Cour Constitutionnelle ayant déjà statué sur une question ayant le même objet.
Dès lors, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé des décisions déférées en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le cas échéant même complétés par les nouveaux moyens formulés dans le mémoire en réplique, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
La demanderesse réclame encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000 euros, demande qui, au vu de l’issue du litige, est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 octobre 2014 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Hoffmann s. Sünnen 11