Tribunal administratif Numéro 32193 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 mars 2013 1re chambre Audience publique du 22 octobre 2014 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en matière d’aides financières pour études supérieures
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 32193 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 mars 2013 par Maître Céline LELIEVRE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, étudiante, demeurant à L-…, tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision de refus en matière d’aides financières pour études supérieures du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche datée du 18 décembre 2012 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2013 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 juillet 2013 par Maître Céline LELIEVRE au nom de la partie demanderesse ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Nadine CAMBONIE, en remplacement de Maître Céline LELIEVRE, et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 octobre 2014.
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Moyennant un formulaire établi par le Centre de Documentation et d’Information sur l’Enseignement Supérieur (CEDIES) auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Madame … sollicita en date du 12 octobre 2012 une aide financière pour études supérieures en rapport avec la préparation de son certificat universitaire en psychologie à l’Université Catholique de Louvain pour l’année académique 2012/2013.
Par un courrier du 18 décembre 2012, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, sous la signature du Premier Conseiller de Gouvernement, refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants :
« J’ai en mains votre demande en vue de l’obtention d’une aide financière de l’Etat pour études supérieures pour l’année académique 2012-2013.
L’article I, point 2° b, de la loi du 26 juillet 2010 modifiant, entre autres, la loi modifiée du 22 juin 2000 dispose que, pour pouvoir bénéficier d’une aide financière de l’Etat pour études supérieures, l’étudiant ressortissant d’un autre Etat membre de l’Union européenne ou d’un des autres Etats parties à l’Accord économique européen et de la Confédération suisse doit séjourner, conformément au chapitre 2 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, au Grand-Duché de Luxembourg en qualité de travailleur salarié, de travailleur non-salarié, de personne qui garde ce statut ou de membre de famille de l’une des catégories de personnes qui précèdent, ou avoir acquis le droit de séjour permanent ».
Etant donné que les études pour lesquelles vous demandez une aide financière de l’Etat ne font pas partie de l’enseignement supérieur tel que défini à l’article précité, il n’est pas possible au service des aides financières du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de donner une suite favorable à votre demande et de vous accorder l’aide financière de l’Etat pour études supérieures pour l’année académique 2012-2013.
La présente décision est susceptible d’un recours en annulation devant le Tribunal administratif de et à Luxembourg. Ce recours doit être intenté par ministère d’avocat dans les trois mois de la notification de la présente, au moyen d’une requête à déposer au secrétariat du Tribunal administratif ».
Suite à un recours gracieux adressé par courriel par Madame … au ministère compétent en date du 16 janvier 2013, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche confirma sa décision précédente de refus par courrier daté du 25 février 2013, libellé comme suit :
« J’ai en mains un courriel que vous nous avez adressé en date du 16 janvier 2013 concernant notre réponse à votre recours gracieux.
Les aides financières pour études supérieures de l’Etat sont destinées à permettre aux résidents luxembourgeois de poursuivre des études supérieures. A ce titre, elles sont réservées aux seuls étudiants inscrits dans une formation d’enseignement supérieur, formation à l’issue de laquelle l’étudiant qui a réussi se voit attribuer un grade d’enseignement supérieur.
Tel n’est malheureusement pas le cas du certificat universitaire en psychologie de l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve.
Veuillez noter que bien que l’établissement en question confirme officiellement sur son site http://sites.uclouvain.be/archives-portail/ppe20111336626 que «le programme est accessible aux détenteurs d’un diplôme de deuxième cycle universitaires en sciences psychologiques, ou d’un diplôme équivalent.» , il y est précisé que « la formation donne lieu à la délivrance d’un certificat d’université. Ce document atteste la réussite de la formation et l’octroi éventuel de crédits associés, sans conférer de grade académique. » Etant donné qu’aucun grade d’enseignement supérieur n’est conféré et bien que la formation en question puisse être considérée de niveau d’enseignement supérieur, la législation en vigueur actuellement ne permet donc pas au service des aides financières de vous accorder une aide financière.
Je ne peux donc que réitérer le contenu de notre lettre du 18 décembre 2012 et vous informer que dès que vous serez inscrite en doctorat, l’aide financière pourra de nouveau vous être attribuée.
Je reste bien évidemment à votre entière disposition pour tout renseignement complémentaire et je vous prie d’agréer, Madame, l’expression de mes sentiments respectueux. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 mars 2013, Madame … a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision initiale de refus de refus précitée du 18 décembre 2012.
Etant donné que la loi modifiée du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures ne prévoit pas la possibilité d’introduire un recours de pleine juridiction, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre des décisions de refus déférées.
Le tribunal est partant incompétent pour connaître du recours tendant principalement à la réformation de la décision de refus déférée.
En revanche, le tribunal est compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation, lequel est encore recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond, Madame … reproche au ministre compétent de s’être livré à une application erronée de l’article I, point b) de la loi du 26 juillet 2010 modifiant la loi modifiée du 22 juin 2000, alors qu’elle considère remplir parfaitement les conditions d’octroi de l’aide financière de l’Etat.
C’est ainsi qu’elle précise en substance avoir déposé régulièrement sa demande selon les formulaires et dans les délais imposés par le CEDIES et être inscrite dans un établissement dispensant un enseignement supérieur, en l’occurrence l’Université Catholique de Louvain (UCL), laquelle outre d’être considérée comme une université, serait également habilitée à dispenser un enseignement supérieur.
De même, le certificat en sciences psychologiques qu’elle préparait consacrerait une formation continue en psychologie ouverte aux détenteurs d’un titre de licencié en sciences psychologiques ou d’un Master en sciences psychologiques, leur permettant de suivre des cours et/ou de réaliser un stage ou un mémoire dans un domaine complémentaire à celui de leur diplôme initial afin de se spécialiser dans ce domaine. Or, conformément au Décret de Bologne, entreraient dans le champ des études supérieures, les études complémentaires qui ont pour objet de compléter ou d’élargir la formation initiale dans le même domaine d’étude.
Madame … précise encore que la formation suivie se composerait de deux stages de 650 heures chacun, réalisés sous la supervision d’un maître de stage et suivis par un tuteur de stage ; enfin, comme cette formation complèterait la formation initiale et serait sanctionnée par un examen, elle entrerait dans le cadre de la loi et elle constituerait dès lors bien un cycle d’études au sens de la loi, dont la réussite serait attestée par l’attribution du certificat tel que délivré, le cas échéant, en fin de cycle par l’UCL, la demanderesse soulignant dans ce contexte que comme cet enseignement serait sanctionné à la suite d’examens et/ou de rapports de stages, il répondrait à la définition donnée par le Décret de Bologne aux études supérieures.
Par conséquent, elle estime que cet enseignement répondrait aux 4 conditions énoncées par la loi, de sorte à justifier l’octroi de l’aide financière lui refusée.
Le délégué du gouvernement estime pour sa part que la décision de refus serait justifiée en fait et en droit, de sorte que la demanderesse serait à débouter de son recours, en soulignant qu’il résulterait de l’attestation délivrée par l’Université Catholique de Louvain-la-
Neuve en date du 16 janvier 2013, que la réussite au programme d’enseignement supérieur à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation confèrerait à l’étudiante un « Certificat en Sciences Psychologiques », à savoir un certificat qui ne saurait être assimilé à un grade, à un diplôme ou à un titre d’enseignement supérieur.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse précise avoir entre-temps réalisé les deux stages prévus ; elle estime pouvoir en déduire que les établissements publics l’ayant accueillie auraient parfaitement reconnu la validité de la formation suivie comme étant un cursus inséré dans un cursus universitaire. En outre, elle indique avoir réalisé ses stages à l’entière satisfaction de ses tuteurs et maîtres de stages, de sorte à avoir pu valider sa formation et pouvoir, après délibération du jury de l’Université Catholique de Louvain, présenter cette formation comme faisant partie de son cursus professionnel. Elle en conclut que cette formation lui accordant un titre attestant du cursus suivi cette année et s’intégrant complètement dans sa formation, serait à admettre au titre de l’article 1er de la loi modifiée du 22 juin 2000.
Elle reproche encore à l’Etat de n’avoir apporté dans son mémoire en réponse aucun développement ni argument nouveau, de sorte à la priver de toute possibilité de répliquer utilement, ce qui outre de constituer une atteinte au droit de la défense, établirait l’absence de tout moyen de défense dans le chef de l’Etat et devrait entraîner purement et simplement l’octroi de l’aide financière sollicitée.
A titre subsidiaire, elle s’empare finalement du 4ème alinéa de l’article 1er de la loi modifiée du 22 juillet 2000, relatif aux études non universitaires et à cycle d’études ou de formation unique, pour soutenir qu’elle aurait précisément suivi une telle formation pratique préparant à l’entrée dans la vie active, qui correspondrait à la définition de l’article 1er, alinéa 4.3 de la loi modifiée du 22 juin 2000, de sorte à s’imposer au ministre, lequel ne disposerait d’aucun pouvoir d’appréciation.
Le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.
Comme relevé ci-dessus et exposé par le ministre à la demanderesse, les aides financières sont réservées par la loi applicable au cas d’espèce, à savoir l’article 1er, 1° b) de la loi du 26 juillet 2010 modifiant la loi du 22 juin 2000, aux seuls étudiants inscrits dans une formation d’enseignement supérieur, formation à l’issue de laquelle l’étudiant qui a réussi se voit attribuer un grade d’enseignement supérieur, et devant être reconnue par l’autorité compétente du pays où se déroulent les études comme relevant de son système d’enseignement supérieur.
Si Madame … entend à cet égard se prévaloir d’une formation suivie au sein de l’Université Catholique de Louvain et aboutissant à l’octroi d’un « Certificat en Sciences Psychologiques », il résulte toutefois tant de la documentation fournie à cet égard par la demanderesse que d’une attestation émise par la responsable des stages à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education de l’Université Catholique de Louvain que la formation visée constitue une formation continue en psychologie ouverte aux détenteurs d’un titre de licencié en sciences psychologiques ou d’un Master en sciences psychologiques, leur permettant de suivre des cours et/ou de réaliser un stage ou un mémoire dans un domaine complémentaire à celui de leur diplôme initial afin de se spécialiser dans ce domaine, sans toutefois que ce certificat ne soit équivalent au diplôme de licencié en psychologie ou de licencié en sciences psychologiques.
Quant à la documentation afférente versée en cause par la partie étatique, il en résulte expressément que la formation en question « donne lieu à un certificat d’université », lequel atteste la réussite de la formation et l’octroi éventuel de crédits associés, « sans conférer de grade académique ».
Or, conformément au Décret belge définissant l’enseignement supérieur, favorisant son intégration dans l’espace européen de l’enseignement supérieur et refinançant les universités, dit décret « Bologne », tel qu’invoqué par la demanderesse, si les établissements d’enseignement supérieur dispensent un enseignement supérieur reconnu, répondant à la définition de l’article 14 § 1er de ce décret, c’est-à-dire relevant soit des cursus initiaux, soit des études de spécialisation, soit des études de troisième cycle, l’enseignement supérieur étant en effet organisé en Belgique en trois cycles menant à l’obtention d’un grade académique1, étant souligné que seule l’obtention d’un grade académique, attesté par un diplôme, atteste du niveau atteint au sein d’un cycle d’études supérieures2, les établissements d’enseignement supérieur peuvent également, conformément à l’article 14, § 1er et § 3, organiser des études complémentaires qui « ont pour objet de compléter ou d’élargir la formation initiale, dans le même domaine d’études ou dans un domaine différent », ainsi qu’« organiser d’autres formations qui n’appartiennent à aucune [des] catégories [d’enseignement supérieur] ; elles ne sont pas sanctionnées par un grade académique et ne mènent pas à la délivrance d’un diplôme ».
L’article 19 du même décret, traitant tout spécialement des études complémentaires, telles que définies ci-avant et telles que suivies en l’espèce par la demanderesse, précise pour sa part que ces études complémentaires « ne conduisent pas à un grade académique, Elles permettent toutefois l’octroi de crédits aux étudiants, si elles respectent les mêmes critères d’organisation, de contenu et de qualité que les études menant à des grades académiques », le second alinéa de cet article 19 stipulant encore que ces études complémentaires ne sont pas éligibles en Belgique pour l’obtention d’aides financières pour études supérieures.
Il s’ensuit que les études complémentaires poursuivies par la demanderesse, ne conduisant pas un grade académique, c’est-à-dire à un titre d’enseignement supérieur, ne sont pas reconnues en Belgique comme relevant du système d’enseignement supérieur belge, nonobstant le fait, mis en avant par la demanderesse, que ces études complémentaires sont dispensées par un établissement d’enseignement supérieur et s’inscrivent en complément à des études supérieures.
A fortiori, elles ne constituent pas des études supérieures au sens de l’article I, point 1 b) de la loi du 26 juillet 2010 modifiant, entre autres, la loi modifiée du 22 juin 2000, de sorte qu’elles ne sont pas éligibles pour une aide financière pour études supérieures.
Cette conclusion n’est pas énervée par la référence faite par la demanderesse à l’article 1er, alinéa 4.3 de la loi modifiée du 22 juin 2000. En effet, si la loi du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures considérait également dans son article 1er, 1 Voir article 6, § 1er du décret, sous « Cursus » et « cycle ».
2 Voir article 6, § 1er du décret, sous « Grade académique ».
point 4.3, comme susceptibles de donner lieu à l’octroi d’aides financière sous la forme de bourses, de prêts, avec ou sans charge d’intérêts, de subventions d’intérêts et de primes d’encouragement, « les études non universitaires et à cycle d’études ou de formation unique », correspondant à des études non universitaires et à cycle d’études ou de formation unique ne comprenant qu’un cycle d’études et préparant surtout à l’entrée dans la vie active, cette disposition a été abrogée par la loi du 26 mai 2010 qui limite l’octroi d’aides financières aux seules études d’enseignement supérieur reconnues par l’autorité compétente du pays où se déroulent les études comme relevant de son système d’enseignement supérieur, respectivement aux élèves du régime professionnel de l’enseignement secondaire technique qui ont été autorisés par le ministre ayant l’Éducation nationale et la Formation professionnelle dans ses attributions à suivre leur enseignement scolaire à l’étranger.
Quant au moyen tendant à l’obtention de l’aide financière refusée sur base de la seule argumentation prétendument défaillante de l’Etat telle que produite dans son mémoire en réponse, même à supposer que l’argumentation de l’Etat puisse être considérée comme sommaire, un tel constat ne saurait en tout état de cause entraîner ipso facto, indépendamment des mérites propres de cette argumentation et de son caractère justifié, la réformation, respectivement l’annulation de la décision déférée, une motivation sommaire ne constituant en effet pas une atteinte au droit du demandeur de répliquer, un mémoire en réplique ne constituant pas un droit dans le chef du demandeur, mais seulement une faculté lorsque le demandeur estime nécessaire ou utile de répondre au mémoire en réponse du défendeur, ce qui, au vu des propres développements de la demanderesse, ne semble pas avoir été le cas.
Partant, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le cas échéant complétés par les moyens formulés dans le mémoire en réplique, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
La demanderesse réclame encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000 euros, demande qui, au vu de l’issue du litige, est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 octobre 2014 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
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