Tribunal administratif Numéro 35083 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 août 2014 Ire chambre Audience publique du 15 octobre 2014 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35083 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 août 2014 par Maître Katia Aïdara, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (République Fédérale d’Allemagne) et de Madame …, née le … à … (Ancienne République Yougoslave de Macédoine), tous les deux de nationalité macédonienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 30 juillet 2014 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du même jour portant refus de leur accorder le statut de la protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2014 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Faisal Quraishi, en remplacement de Maître Katia Aïdara, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 14 mai 2014, Monsieur … et Madame … introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations de Monsieur … et de Madame … sur leurs identités et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour.
Monsieur … et Madame … furent en outre entendus séparément en dates des 20 mai et 11 juin 2014 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.
Par décision du 30 juillet 2014, envoyée par pli recommandé du lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … et Madame … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 20, paragraphe (1) points a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leur demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 août 2014, Monsieur … et Madame … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du ministre du 30 juillet 2014 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre portant refus de faire droit à leur demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 30 juillet 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est dès lors recevable.
A l’appui de leur recours, les demandeurs soutiennent que ce serait à tort que le ministre, pour traiter leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, s’est notamment basé sur le fait que l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine, ci-après dénommée par « l’ARYM », est désignée comme étant un pays d’origine sûr par le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 ».
Ils contestent en effet provenir d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours relatif à ce volet de la décision déférée.
En l’espèce, il échet de relever que les demandeurs ne soumettent au tribunal, dans le cadre de leur requête introductive d’instance, aucun élément de nature à mettre en doute, en ce qui les concerne, la conclusion retenue par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 que l’ARYM est à considérer comme étant un pays d’origine sûr.
Or, concernant le point c) de l’article 20, paragraphe (1) précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de rappeler qu’un pays est à considérer comme sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » Il est constant que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 a désigné l’ARYM comme pays d’origine sûr.
En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que les demandeurs ont la nationalité macédonienne et qu’ils ont habité en ARYM avant de venir au Luxembourg, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de statuer en l’espèce dans le cadre de la procédure accélérée en application des dispositions de l’article 20 c) précité.
Toutefois, au vu du libellé des différents paragraphes de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme sûr n’est pas suffisant pour justifier le recours à une procédure accélérée, étant donné que l’article 21, paragraphe (2) de la même loi oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, à procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de sa demande de protection internationale, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
En l'espèce, le ministre, après examen de la demande de protection internationale de Monsieur … et de Madame … a conclu qu’ils proviennent d’un pays qui, dans leur chef, est à qualifier de pays d’origine sûr, de sorte qu'il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20, paragraphe (4) de loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si les demandeurs lui soumettent, conformément à l’article 21, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de leur situation personnelle.
Or, l'analyse de la situation décrite par les demandeurs lors de leurs auditions ainsi que dans le cadre du présent recours ne permet pas au tribunal d'en dégager des éléments convaincants pour renverser cette présomption en ce qui les concerne et pour conclure en conséquence à l’illégalité de la décision ministérielle.
En effet, force est de constater que les demandeurs n’ont apporté aucune raison valable de penser que leurs droits les plus élémentaires seraient bafoués en cas de retour dans leur pays d’origine sans que les autorités de leur pays d’origine puissent leur fournir une protection appropriée.
Ainsi, le tribunal est amené à constater à partir des faits relatés par les demandeurs lors de leurs auditions respectives que leur fuite de l’ARYM a été motivée par le fait qu’ils ont simplement pris peur au moment où ils ont été contrôlés par des policiers en civil, au moment où ils étaient en train de vendre des « affaires au marché », ledit contrôle ayant été motivé, d’après eux, par le fait qu’ils auraient discuté de la question de savoir s’il était opportun de créer « un propre parti » en considération de ce que le parti actuellement au pouvoir dans leur pays d’origine se comporterait « injustement envers nous les Roms », de sorte que leurs « droits étaient limités ». Par ailleurs, il échet encore de retenir au vu des mêmes déclarations des demandeurs que d’une manière générale, ils déclarent avoir fait l’objet de discriminations dans leur pays d’origine en leur qualité de membres de l’ethnie des Roms, en ce que l’accès à certains endroits comme le café ou la piscine leur aurait été refusé. Au vu des explications ainsi fournies par les demandeurs au cours de leurs auditions, le tribunal n’est pas en mesure de conclure que les actes auxquels ils ont ainsi fait référence soient dirigés ou orchestrés sinon du moins couverts par les autorités macédoniennes et seraient partant l’expression d’agissements des autorités étatiques de l’ARYM, de sorte que l’existence d’une protection ne peut pas être exclue au motif que les actes émaneraient de l’Etat macédonien.
Il ressort encore des déclarations des demandeurs que ceux-ci n’ont pas recherché l’aide et la protection des autorités macédoniennes, mais qu’ils ont pris immédiatement la fuite après le contrôle d’identité précité, en soutenant avoir peur des policiers du fait que ceux-ci seraient liés au parti au pouvoir et qu’ils seraient « en mesure de [les] tuer, de [les] incarcérer et de jeter [leur] corps quelque part », en ajoutant que la police serait dangereuse et qu’elle risquerait de les retrouver en cas de retour dans leur pays d’origine.
Si les demandeurs déclarent ainsi avoir fait l’objet, d’une part, de mesures de la part d’une unité spéciale de la police, consistant, d’après leurs propres déclarations, en un simple contrôle d’identité et, d’autre part, de menaces exprimées par lesdits agents dans le cadre du projet envisagé par eux de créer un nouveau parti politique en ARYM, force est de constater qu’il se dégage des explications fournies par la partie étatique qu’ils auraient pu s’adresser à des autorités compétentes, tel que par exemple l’Ombudsman, pour réagir contre ce qu’ils estiment constituer des abus commis par des policiers individuels ce qu’ils n’ont cependant pas fait. Il s’ensuit que les demandeurs ne sont pas fondés à soutenir qu’ils n’auraient aucune possibilité de recourir contre les actes dont ils s’estiment être les victimes pour ainsi justifier le défaut d’avoir recherché la protection des autorités de leur pays d’origine.
D’une manière générale, il échet de retenir que les demandeurs n’ont pas fourni d’éléments de nature à renverser le constat du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 selon lequel l’ARYM est à considérer comme pays d’origine sûr pour eux, et c’est par conséquent à bon droit que le ministre, après analyse de leur situation concrète, a pu conclure qu’ils proviennent d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 20, paragraphe (1) c) de la loi du 5 mai 2006 et décider de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.
Partant, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait lieu d’analyser les conditions retenues à l’article 20, paragraphe (1) sous les points a) et b) de la loi du 5 mai 2006, cet examen devenant surabondant du fait du caractère alternatif des critères d’application de l’article 20 (1).
2) Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 30 juillet 2014 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre cette décision du ministre. Le recours en réformation, ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.
Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre ce volet de la décision ministérielle.
Par rapport au refus du ministre relatif à la demande du statut de réfugié, les demandeurs lui reprochent de ne pas avoir pris en compte la situation des personnes appartenant à la minorité ethnique des Roms. En ce qui concerne leur situation personnelle, ils reprochent au ministre d’avoir fait abstraction des « menaces directes, graves et réelles » qu’ils auraient subies « en raison de leur appartenance à la minorité Rom ».
Ils reprochent encore à l’autorité administrative d’avoir fait une appréciation erronée et superficielle des faits lui soumis, de sorte qu’elle serait arrivée à tort à la conclusion que lesdits faits ne seraient pas de nature à justifier une crainte suffisante dans leur chef en vue de la reconnaissance d’un statut de réfugié.
Quant à la protection subsidiaire, les demandeurs soutiennent en substance remplir les conditions posées par l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en ce qu’un retour dans leur pays d’origine les exposerait à des traitements inhumains et dégradants en raison de leur appartenance à la minorité ethnique des Roms.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut partant au rejet du recours.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».
Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » (3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que les demandeurs avancent, du risque d’être persécutés qu’ils encourent en cas de retour dans leur pays d’origine.
C’est tout d’abord à bon droit que le délégué du gouvernement conteste que le ministre aurait procédé à un examen superficiel et insuffisant des faits lui soumis par les demandeurs, étant donné que le ministre a pris position, sur environ cinq pages par rapport aux faits de l’espèce.
C’est encore à bon droit que le représentant étatique conclut que les faits évoqués par les demandeurs dans le cadre de leur demande de protection internationale ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné que même à supposer, ce qui n’est toutefois pas établi en cause, que le contrôle d’identité effectué par les agents de police tel que mentionné par les demandeurs ainsi que les menaces proférées par ceux-ci trouveraient leur origine dans l’appartenance à l’ethnie des Roms des demandeurs, les faits décrits par ceux-ci ne revêtent pas le caractère de gravité légalement requis. Or, comme il vient d’être relevé ci-avant, les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, de sorte que, dans la mesure où au moins l’une de celles-ci ne se trouve pas être remplie en l’espèce, c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié des demandeurs.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas.
L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
A l’appui de leur demande de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Le tribunal relève tout d’abord que les faits invoqués et plus amplement exposés ci-
avant ne s’inscrivent pas dans le cadre d’un conflit armé interne ou international, ni ne se rapportent au risque de subir la peine de mort, l’exécution ou la torture, de sorte que la demande de protection subsidiaire n’est pas fondée à ce titre.
S’agissant du risque de subir des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, le tribunal rappelle que les difficultés pour trouver un emploi, telles qu’alléguées par les demandeurs, ne s’analysent pas comme constituant un tel risque au sens des dispositions de l’article 37 b) précité de la loi du 5 mai 2006.
En effet, force est de constater, d’une part que l’article 37 précité se réfère à des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants « infligés » au demandeur, tandis que l’article 28 de la même loi énumère les acteurs des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’« atteintes graves » lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu pour responsable. Il en résulte que des difficultés matérielles et économiques telle que la difficulté à trouver du travail, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire qu’elles auraient été infligées ou qu’elles résulteraient d’une intervention humaine directe ou indirecte, ne constituent pas à elles seules un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire. Or, en l’espèce, aucune corrélation ne peut être établie entre la situation des demandeurs sur le marché de l’emploi et une intervention humaine.
Ensuite, s’agissant des actes commis par des policiers, il échet de retenir que pour les mêmes considérations que celles retenues dans le cadre de l’examen du refus du statut de réfugié, ces faits ne sont pas d’une gravité telle qu’ils sont de nature à justifier des motifs sérieux de craindre de subir des atteintes graves.
C’est dès lors à bon droit que le ministre a refusé d’accorder aux demandeurs une protection subsidiaire.
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 30 juillet 2014 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 30 juillet 2014 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
En l’espèce, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire au motif qu’en application du principe de précaution, il serait préférable de ne pas les reconduire dans leur pays d’origine, en raison du risque qu’ils y courraient de subir des atteintes graves à leur vie.
Aux termes de l’article 20, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. r) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale des demandeurs, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
A défaut d’autres moyens soulevés par les demandeurs, le tribunal ne saurait mettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire pris à leur égard.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 30 juillet 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 30 juillet 2014 portant refus d’une protection internationale aux demandeurs ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit quant à ce volet de la décision incriminée ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 30 juillet 2014 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et partant en déboute ;
donne acte aux demandeurs de ce qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Laurent Lucas, juge, Olivier Poos, juge, et lu à l’audience publique du 15 octobre 2014 par le premier vice-président, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 octobre 2014 Le greffier du tribunal administratif 11