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15/10/2014 | LUXEMBOURG | N°33660

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 octobre 2014, 33660


Tribunal administratif Numéro 33660 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 novembre 2013 Ire chambre Audience publique du 15 octobre 2014 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33660 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 novembre 2013 par Maître Frank Wie

s, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M...

Tribunal administratif Numéro 33660 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 novembre 2013 Ire chambre Audience publique du 15 octobre 2014 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33660 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 novembre 2013 par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Albanie), et de son épouse, Madame …, née le … à …, agissant tant en leurs noms personnels qu’aux noms et pour le compte de leurs enfants mineurs …, né le … à … et …, née le … à …, tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 22 octobre 2013 portant refus de leur demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 janvier 2014 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Catherine Wagener, en remplacement de Maître Frank Wies, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives.

Le 6 août 2013, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leurs noms personnels qu’aux noms et pour le compte de leurs enfants mineurs … et …, ci-

après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

1Les déclarations des consorts … sur leurs identités et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Monsieur … fut entendu les 27 août, 5 et 27 septembre 2013 et Madame … fut entendue les 28 août et 2 septembre 2013 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.

Par décision du 22 octobre 2013, notifiée par lettre recommandée envoyée le 24 octobre 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts … de ce que leur demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« J’ai l’honneur de me référer à vos demandes en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 6 août 2013.

En application de la loi précitée du 5 mai 2006, vos demandes de protection internationale ont été évaluées par rapport aux conditions d’obtention du statut de réfugié et de celles d’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 6 août 2013 et les rapports d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères des 27 et 28 août 2013 et des 2, 5 et 27 septembre 2013.

Madame, Monsieur, il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous êtes entrés en territoire Schengen en date du 27 juillet 2013. Vous êtes en possession de passeports albanais.

Monsieur, il résulte de vos déclarations auprès de l’agent du Ministère des Affaires étrangères que vous auriez travaillé pendant dix ans comme journaliste et que vous auriez été licencié à plusieurs reprises parce que vous auriez été un journaliste « rebelle ». Ainsi, vous signalez avoir dénoncé la corruption du « système », raison pour laquelle vous seriez devenu victime de menaces.

En 2005, vous auriez été menacé suite à la rédaction d’un article sur un cambriolage et vous auriez été obligé de retirer cet article.

En 2009, vous auriez été menacé par le chauffeur du procureur parce que vous l’auriez filmé au volant d’une voiture appartenant à une personne qui aurait dû être condamnée. Vous précisez tout de même qu’« à la fin, rien de concret n’est passé entre nous » (p. 4/14).

2Le 14 juin 2013, vous auriez dénoncé des crimes commis par des « membres de l’Etat » et vous auriez critiqué la police sur une chaine de télévision en lui reprochant incompétence et corruption. Le 19 juin 2013, une personne inconnue vous aurait menacé par téléphone afin que vous retiriez ces déclarations faites en public.

Le lendemain, deux personnes vous auraient menacé devant votre bureau. Elles vous auraient fait comprendre qu’elles vous redemanderaient de contredire vos déclarations et de vous excuser publiquement. Elles auraient également menacé de tuer votre famille. Comme vous seriez d’avis qu’il se serait agi de policiers en civil, vous auriez décidé d’aller voir le directeur de police, …, ensemble avec le président de l’UPJN (« Union of Professional Journalists of the North »), …, pour trouver une solution et demander une protection. Le directeur vous aurait expliqué qu’il n’aurait pas envoyé de policiers chez votre bureau et qu’il se renseignerait sur cet incident. Vous dites qu’il ne vous aurait plus contacté par la suite. Pendant que vous auriez discuté avec le directeur de police, les deux malfaiteurs se seraient rendus auprès du lieu de travail de votre épouse et l’auraient également menacée avec les mêmes arguments. Ni vous, ni votre épouse n’auriez déposé plainte contre ces incidents.

Le 29 juin 2013 des inconnus auraient tiré sur votre maison avec une arme automatique. Vous auriez appelé la police qui serait venue « tout de suite ». Les policiers auraient « vérifié ce qui s’était passé » et auraient noté vos coordonnées et vos déclarations. Le lendemain, un policier du quartier serait encore une fois venu vous voir pour noter vos coordonnées. Il vous aurait par après envoyé un message vous conseillant de ne pas sortir de la maison parce que votre vie serait en danger.

Vous seriez d’avis que cette attaque serait liée à votre travail puisque vous auriez été engagé comme porte-parole du parti FRD (Nouvel Esprit Démocratique) en mai 2013 à l’occasion de la campagne électorale. Après cette attaque, vous vous seriez enfermé dans votre maison et vous auriez attendu que vos enfants reçoivent des passeports afin de quitter le pays.

Enfin, vous signalez avoir séjourné à trois reprises en Allemagne, à savoir en 2010, en 2012 et en juin 2013 pour acheter et revendre des voitures.

Il y a lieu de noter que vous avez versé plusieurs documents pour étayer vos dires:

1. Un article du journal Shqiptarja (Document 1) publié le 23 juillet 2013. Il informe que la branche de Shkodra du FRD a fait état de manipulations dans le recomptage des bulletins lors des élections de 2013. Dans ce contexte, il précise que le chef du FRD, … a signalé des pressions et des menaces qui auraient été exercées à votre encontre. Un autre article, publié sur gazetametropol.com (Document 2) par un certain …, critique le sort réservé aux journalistes en Albanie. Il parle également de votre travail pour la chaîne de télévision « Klan », confirmant que vous auriez été le porte-parole de la branche de Shkodra du FRD pour les élections du 23 juin 2013. Il signale notamment que vous auriez été menacé par des phalanges politiques 3(« ceux qui ont perdu et ceux qui ont gagné à la fois ») parce que le mandat d’un député aurait été menacé par les votes que le FRD aurait pu remporter. Il précise que des responsables « de la santé ou de l’éducation », soupçonnés d’abus de pouvoir, auraient été impliqué[…]s dans ces menaces.

2. Vos cartes de membre de l’UPJN Albania et de l’UGPV Shqiperia (Document 4). Vous avez également versé une référence de l’UGPV (Document 8) signée par … en date du 20 juillet 2013, signalant que vous seriez membre de « l’Union des Journalistes Professionistes du Nord » depuis le 23 octobre 2005 et employé « comme reporteur pour quelques media nationales (correspondant) et medias locaux en se distinguant pour sa correctesse dans l’exercice de la profession ». Vous vous seriez présenté auprès de l’UGVP avant les élections du 23 juin 2013 afin d’obtenir un permis provisoire professionnel pour vous engager comme porte-parole officiel du FRD. L’UGVP vous aurait accordé ce permis pour un mois à partir du 1er juin 2013.

3. Un certificat du FRD - Direction de Shkoder (Document 5), établi le 20 juillet 2013, confirmant que vous auriez été « le porte-parole de la campagne électorale des élections parlementaires de 23 juin 2013, à district Shkodra ».

Lors de votre engagement d’un mois, vous auriez été « confronté à des pressions et des menaces qui ont été fait (sic) pas (sic) des employés civils de la police d’Etat. ». Ainsi, vous auriez été menacé à cause de vos déclarations, mais aussi à cause de celles du candidat du FRD. Ces menaces auraient été dénoncées par le FRD dans les médias locaux de Shkodra.

4. Un certificat de la Chambre des notaires de Shkoder (Document 6), établi par …, le Secrétaire général du Préfet du district de Shkoder, le 19 juillet 2013, par lequel il est certifié que vous auriez été employé auprès de l’Institution du Préfet du district de Shkodra « (…) avec office du secrétariat du bureau du député … (…) » d’avril 2006 jusqu’en septembre 2009.

5. Un certificat de l’Union des syndicats indépendants — Préfecture Shkoder (Document 7) non daté, attestant que vous seriez le « (…) représentant des médias (…) » de cette institution. En même temps, vous seriez engagé « (…) dans le département de la jeunesse, auprès de syndicats indépendants albanais dans Shkodra. (…) » 6. Cinq CDs, contenant des reportages en langue albanaise. Ils vous montrent notamment comme étant un des journalistes d’une émission de télévision intitulée « mix night show ».

Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Vous dites que votre époux aurait souvent été menacé par téléphone parce qu’il aurait dénoncé les pratiques de corruption au sein de la société albanaise.

Vous ajoutez que vous auriez séjourné en Allemagne en décembre 2011 et en 4juin 2013.

Madame, Monsieur, il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Relevons en premier lieu que vous possédez la nationalité albanaise et que selon l’article 1 (1) du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, votre pays d’origine, l’Albanie doit être considérée comme pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la prédite loi, les conditions du point c) de l’article 20§1 étant donc également remplies.

Un pays est considéré comme sûr s’il veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l’état de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales. De plus, lorsque sur la base de la situation légale, de l’application du droit dans le cadre d’un régime démocratique et des circonstances politiques, il peut être démontré que, d’une manière générale et de manière durable, il n’existe pas de recours à des persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, ni des motifs sérieux de croire que le demandeur de protection internationale court un risque réel de subir une atteinte grave telle que déterminée à l’article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006, le pays d’origine concerné peut valablement être considéré comme pays d’origine sûr.

A titre complémentaire. il convient également de relever qu’en Albanie, les critères suivants sont garantis :

l’existence d’un système judiciaire indépendant;

la reconnaissance des libertés et des droits démocratiques de base, y compris de mécanismes de recours si ces droits ou libertés sont violés ;

l’existence d’organisations de la société civile.

Cet aspect est renforcé par le fait que l’Albanie se rapproche davantage des normes européennes et constitue un candidat officiel à l’élargissement: « The European Commission concluded that Albania made good progress on its path towards EU integration, notably by adopting measures identified as essential for granting candidate country status and by continuing to deliver reforms against the key priorities of the Commission’s 2010 Opinion. Albania took initial steps towards improving the efficiency of investigations and prosecutions in the fight against organised crime and corruption. The 2013 parliamentary elections were conducted in an overall smooth and orderly manner. In view of this, the European Commission recommends that Albania be granted EU candidate status on the understanding that Albania continues to take action in the fight against organized crime and corruption. ».

5Compte tenu des constatations qui précèdent concernant la situation juridique, l’application du droit dans le cadre d’un régime démocratique et la mesure dans laquelle une protection est offerte dans votre pays d’origine contre d’éventuels persécutions ou mauvais traitements, le Ministère des Affaires étrangères est d’avis que, d’une manière générale et uniformément, il n’est pas recouru en Albanie à la persécution au sens de la Convention relative au statut des réfugiés.

Ainsi, force est donc de constater que les critères du paragraphe 4 article 21 sont clairement remplis. De plus, il n’existe pas de motif sérieux de croire que vous courez un risque réel de subir une atteinte grave telle que déterminée à l’article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006.

En tout état de cause, même à supposer les faits que vous exposez comme établis, ceux-ci ne sauraient pour autant constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d’être persécutés dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques, ainsi que le prévoit l ’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.

En effet, Monsieur, vous dites que les menaces dont vous seriez victime seraient liées à votre profession de journaliste politique. Or, bien que vous dites être persécuté à cause de vos engagements et de vos reportages politiques, il y a lieu de rappeler à cet égard que l’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 c) de la loi modifiée du 5 mai 2006, que ces actes sont d ’une gravité suffisante au sens de l’article 31(1) de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi susmentionnée.

Selon l’article 1A paragraphe 2 de ladite Convention. le terme de réfugié s’applique à toute personne qui crai[nt] avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

En l’espèce, il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amenées à quitter votre pays d’origine rentrent [a] priori dans le champ d’application de ladite Convention. En effet, vous dites que vous ne seriez pas persécuté à cause de vos opinions politiques, mais bien à cause de vos activités professionnelles. Ainsi, Monsieur, vous faites état de menaces verbales proférées à votre encontre à cause de votre travail de journaliste et votre engagement pour le FRD. Vous auriez été menacé en 2005, en 2009 par le chauffeur 6du procureur, et les 19 et 20 juin 2013 par des personnes non identifiées que vous soupçonnez être des policiers.

Madame, vous auriez été menacée à une reprise par ces mêmes personnes.

Des inconnus auraient également tiré sur votre maison le 29 juin 2013.

Force est cependant de constater que ces incidents constituent des délits relevant du droit commun, punissables selon la loi albanaise et qui ne sauraient être considérés comme des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006. En plus, les malfaiteurs susmentionnés ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006, d’autant plus que vous dites ne pas savoir qui seraient les acteurs de ces menaces. Toutefois, s ’agissant d’actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers p eut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. En application de l’article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l’espèce, il ne ressort pas des rapports d’audition que l’Etat ou d’autres organisations étatiques présentes sur le territoire albanais ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l’encontre de ces personnes.

Bien que le directeur de police ne vous ait pas accordé de protection et que les malfaiteurs inconnus n’aient pas encore été retrouvés, on ne saurait déduire un défaut de volonté de protection à partir de ces seuls constats. En effet, vous n’auriez à aucun moment déposé plainte et par conséquent, aucun reproche ne saurait être prononcé à l’encontre des policiers en cas de l’espèce. En plus, Monsieur, vous signalez que la police serait immédiatement venue après que des inconnus auraient tiré sur votre maison. Elle aurait « (…) vérifié (…) » (p. 4/14) les lieux et aurait noté vos déclarations.

Ainsi, on ne saurait conclure que les autorités albanaises ne veulent ou ne peuvent pas vous offrir une protection.

Concernant la police albanaise, il convient de noter que: « Selon la loi de 2007 de l’Albanie sur la police d’État, la force policière albanaise est une institution relevant du ministère de l’intérieur (Albanie 2007, art. 6). D’après l’article 12 de la loi, la police est organisée centralement et localement; la Direction générale, située à Tirana, supervise le niveau central, alors que les directions régionales et les directions régionales de la frontière et des migrations administrent les fonctions au niveau local (ibid., art. 12, 13). Le paragraphe 13(3) de la loi prévoit que la Direction générale de la police  supervise l’exécution des fonctions et des tâches policières par les directions régionales de la police;

 coordonne les questions touchant le recrutement et la formation des employés de la police;

7 coordonne la mise en œuvre de stratégies pour la prévention et la réduction du crime, le maintien de l’ordre public, la supervision et le contrôle des frontières de l’État et, en collaboration avec d’autres organisations désignées, la protection de la sécurité nationale;

 coordonne l’exécution des fonctions et des tâches policières;

 coordonne la mise en œuvre d’accords internationaux concernant la police;

 traite les données collectées par la police dans la mesure où cela est nécessaire pour remplir les fonctions de la police;

 exécute des tâches policières conformément à la présente loi, à d’autres lois et aux lois normatives s’appuyant sur la présente loi et sur d’autres lois (ibid., paragr. 13(3)). (…) Selon un organigramme affiché sur le site Internet de la Police d’État de l’Albanie, la police compte 12 directions régionales situées aux endroits suivants : Tirana, Shkodër, Korçë, Elbasan, Kukës, Dibër, Lezhë, Fier, Berat, Gjirokastër, Vlorë et Durrës (Albanie s.d.). Au sein de chaque direction régionale de la police, il y a de trois à sept commissariats, selon la région (ibid.). Tirana a six commissariats (ibid.). Il y a également des commissariats aux endroits suivants : Kavajë, Shkodër, Puke, M. Madhe, Korce, Pogradec, Kolonjë, Devoll, Elbasan, Librazhd, Gramsh, Peqin, Kukës, Tropojë, Has, Dibër, Mat, Bulgizë, Lezhë, Kurbin, Mirditë, Fier, Lushnjë, Mallakastër, Berat, Skrapar, Kuçovë, Gjirokastër, Permet, Tepelenë, Vlorë, Sarandë, Delvinë, Durrës, Krujë et Shijak (ibid.). ».

Par ailleurs, il convient de mentionner un extrait de la loi albanaise no. 8224 sur l’organisation et le fonctionnement de la police municipale: « (…) are mandated to perform functions that "serve the public order, tranquility, and the progress of public works within the territory of the municipality or commune, [and] which are not under the competence of other state authorities in compliance with the provisions of this law. » Force est ainsi de constater qu’une police de municipalité locale est en place pour répondre aux problèmes émanant de la société civile. Ces unités sont indépendantes des autorités étatiques et peuvent mieux répondre aux besoins et soucis de la population. Il est aussi évident que les instances nécessaires sont en place pour traiter vos problèmes. Il ne peut être démontré que les autorités albanaises seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection quelconque.

Monsieur, il faut également soulever que vous n’êtes pas en mesure de corroborer vos dires selon lesquels vous auriez été menacé par des policiers en civil. Ainsi, vous soupçonneriez les deux personnes civiles d’appartenir à la police d’Etat et vous apportez un certificat du FRD signalant que vous auriez souffert de « pressions » et des « menaces » proférées par des policiers en civil. Or, ce seul élément ne saurait suffire pour confirmer vos dires. En effet, ces personnes ne se seraient jamais identifiées elles-mêmes comme policiers et vos allégations relèvent donc du domaine de la pure supposition. Les autres documents versés confirment toutefois que vous auriez travaillé comme journaliste et porte-parole du FRD et que vous auriez été menacé à cause de ces engagements. Ainsi, il ressort du document 2 que vous auriez été menacé par des « phalanges politiques », ainsi que par des responsables « de la santé ou de l’éducation ». Or, il est étonnant de constater que vous ne signalez pas ces « phalanges politiques » au cours de votre entretien.

Quoi qu’il en soit, force est de constater que vous auriez eu la possibilité de 8dénoncer le comportement de ces policiers présumés auprès de l’instance de l’Ombudsman.

Ainsi, en ce qui concerne la promotion et l’exécution des droits de l’homme, le Bureau de l’Ombudsman (The People’s Advocate) est la principale institution nationale. Il joue un rôle actif dans le suivi de la situation des droits de l’homme en Albanie et contribue à accroître la responsabilisation des institutions de l’Etat. Le médiateur est élu par le parlement à la majorité qualifiée. Les principaux domaines dans lesquels le médiateur est intervenu concernent les litiges de propriété, l’abus de la police, la longueur excessive des procédures judiciaires, la non-exécution des jugements en matière civile et licenciements abusifs. Il a également à plusieurs reprises exprimé une préoccupation particulière sur les conditions inadéquates dans les prisons, les centres de détention provisoire et les postes de police, de la corruption dans la magistrature et des conditions de vie difficiles de la minorité Rom. En effet: « The Ombudsperson established a working group on election-

related matters for the first time and urged civil servants under pressure to campaign or vote a certain way to file complaints, though very few did so. ».

En tout cas, il s’agit de noter que la liberté de presse est garantie par la Constitution albanaise: « The Constitution provides for freedom of expression and freedom of the media without censorship. Broadcast media is mainly regulated by the media law. The AMA is responsible for implementing the law, issuing licenses, monitoring the media, and reallocating the frequencies after the digital switchover. (…) The Electoral Code constitutes a comprehensive legal basis for the media coverage of the elections; it stipulates rules for free airtime, news coverage and paid advertising. Its provisions apply to all broadcast media during the official campaign period. Public and private media must allocate equal news coverage to the large political parties, double the airtime compared to other parliamentary parties. News coverage of non-parliamentary parties is at the discretion of the editors. Any propaganda by journalists is prohibited during news editions. News stories about public institutions promoting their achievements are considered campaign-

related, thus counted as airtime of the party associated with the head of the institution.

The Electoral Code obliges TVSH to provide free airtime to all political parties according to their representation in parliament. » Par ailleurs: « A wide range of media outlets operates in Albania. According to the Audiovisual Media Authority (AMA), there are 3 national television (TV) channels (public channel TVSH, TV Klan and Top Channel). 71 local TV channels, 83 cable TV channels and 59 radio stations. Print media are numerous, although circulation and impact are limited. Internet provides an open sphere for public discourse. TV has the highest share of advertising market and is considered the primary source of information due to its wide geographical coverage. ».

Vos dires selon lesquels vous seriez persécuté dans votre pay s d’origine à cause de votre travail et de votre engagement politique ne sauraient donc être confirmés par les informations en nos mains. En effet, il ressort des informations susmentionnées que la liberté de presse est garantie, qu’il vous aurait toujours été possible d’exercer votre profession de journaliste et que vous auriez pu rechercher de l’aide si vous aviez été mis sous pression dans le cadre des élections de 2013.

Comme le FRD, un parti crée en 2012 par l’ancien président de l’Albanie. …, a pu 9participer aux élections de 2013, il en découle également que c’est un parti enregistré et que ces activités sont considérées légales. En tout cas, il ne ressort pas de nos recherches que les candidats ou employés de ce parti aient fait l’objet d’intimidations depuis sa création. En plus, on peut noter que les élections albanaises de 2013 se sont déroulées de façon pacifique et que les différents candidats ou partis ont pu s’exprimer librement. En effet: « Candidates actively engaged in a vibrant campaign. Fundamental freedoms were respected and all contestants were able to campaign freely. The campaign environment was peaceful overall, with only a few isolated incidents of violence. Two campaign offices were vandalized ».

Enfin et surtout, vous dites avoir été engagé comme porte-parole du FRD pour les élections de juin 2013. Or, comme les élections sont terminées, vous ne devriez donc plus occuper cette fonction et vos problèmes présumés appartiendraient conséquemment au passé.

Par ailleurs, hormis le fait que des inconnus auraient tiré sur votre maison, un fait que vous n’êtes pas en mesure de corroborer avec des éléments de preuve quelconques, vous faites uniquement état de menaces verbales que vous auriez reçues par des inconnus entre 2005 et 2013. Or, ces seules menaces ne revêtent pas un caractère de gravité particulière et suffisante au point de valoir comme actes de persécution au-delà du caractère non éligible des auteurs de persécutions suivant les dispositions du point c) de l’article 28 ensemble le paragraphe 2 de l’article 29 de la loi modifiée du 5 mai 2006. Il s’en suit que les craintes que vous exprimez s’analysent en l’expression d’un simple sentiment général d’insécurité, plutôt qu’en une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention.

Ce constat vaut d’autant plus que vous auriez séjourné en Allemagne à plusieurs reprises, la dernière fois en juin 2013, sans y avoir recherché une forme quelconque de protection. Or, on peut s’attendre à ce qu’une personne vraiment persécutée dans son pays d’origine dépose une demande de protection internationale dans le premier pays sûr rencontré. Ceci confirme le fait que les ennuis que vous invoquez n’entrent pas dans le cadre de la Convention de Genève.

Finalement il s’agit de noter que vous restez en défaut de présenter une raison valable justifiant votre impossibilité de profiter d’une fuite interne, pour ainsi échapper à vos malfaiteurs présumés. Relevons qu’en vertu de l’article 30 (1) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection le ministre peut estimer qu’un demandeur n’a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d’origine, il n’y a aucune raison de craindre d’être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu’il est raisonnable d’estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d’une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d’origine, une existence conforme à la 10dignité humaine. Selon les lignes directrices de l’UNHCR, l’alternative de la fuite interne s’applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu’en termes de sécurité.

En l’espèce, Monsieur, vous indiquez uniquement que la situation serait partout pareille en Albanie. Madame, vous ajoutez que vous auriez souvent discuté sur ce sujet mais que votre époux vous aurait expliqué que cela ne servirait à rien de déménager à l’intérieur de l’Albanie. Or, il ne se dégage pas de ces seuls constats une impossibilité de profiter d’une fuite interne comme vous n’auriez jamais essayé de vous éloigner de vos malfaiteurs non identifiés. Ainsi, il n’est pas établi en l’espèce que vous n’auriez pas pu recourir vous-même à une réinstallation à l’intérieur de l’Albanie.

Compte tenu des constatations qui précédent concernant les conditions générales dans cette partie du pays et votre situation personnelle, force est de retenir que les critères du paragraphe 2 de article 30 de la loi modifiée du 5 mai 2006 sont clairement remplis.

Ainsi, vous n’alléguez aucun fait susceptible d’établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l’octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, vos récits ne contiennent pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. En effet les faits invoqués à l’appui de vos demandes ne nous permettent pas d’établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Etant donné que les faits invoqués à la base de vos demandes de protection internationale ne sauraient être actuellement admis comme justifiant à suffisance une crainte de persécution ; dès lors, et a fortiori, l’absence matérielle de crainte actuelle fondée s’impose également en ce qui concerne les demandes tendant à obtenir la protection subsidiaire.

En effet, vous ne faites pas état d’un jugement ou d’un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. Vous ne faites également pas état de risque réel de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou de risques réels émanant d’une violence aveugle résultant d’un conflit armé interne ou international.

La situation actuelle en Albanie ne saurait être considérée comme conflit armé interne ou international.

Ainsi, les faits que vous alléguez ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré 11par la protection subsidiaire.

Vos demandes en obtention d’une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l’Albanie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 novembre 2013, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 22 octobre 2013 portant refus de leur demande de protection internationale et un recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 22 octobre 2013 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours au fond en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, un recours en réformation a valablement pu être introduit contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, et en fait, les consorts … expliquent que Monsieur … aurait été journaliste de profession depuis une dizaine d’années et qu’il aurait été engagé en mai 2013 comme porte parole du parti politique FRD dans le cadre des élections du 23 juin 2013. En sa qualité de journaliste, il n’aurait jamais mâché ses mots lorsqu’il y aurait eu lieu de dénoncer publiquement les injustices commises par le gouvernement, l’inaction de la police et la corruption des fonctionnaires, ce qui l’aurait, déjà en 2005 et 2009, exposé à des menaces.

Les demandeurs soulignent cependant que les évènements qui les auraient amenés à quitter l’Albanie se seraient déroulés en juin 2013, suite à des problèmes relatifs à une critique de la police d’Etat que Monsieur … aurait faite le 14 juin 2013 dans le cadre de sa fonction de porte-parole du RFD. Après avoir reçu le 19 juin 2013 une menace téléphonique lui ordonnant de faire un contredit public de ses déclarations concernant la police, il aurait à nouveau été interpellé le lendemain à la sortie de son bureau par ces mêmes personnes qui auraient alors menacé de tuer sa famille au cas où il ne s’exécuterait pas. Etant donné que Monsieur … aurait reconnu ces deux personnes comme étant deux policiers en civil, il se serait rendu, accompagné par des collègues journalistes, auprès du directeur de la Police pour dénoncer les agissements de ces derniers. Pendant ce temps, ces deux personnes auraient également rendu visite à Madame … à son lieu de travail pour proférer les mêmes menaces. Obligés de rester cloîtrés dans leur maison, les 12consorts … auraient été, le soir du 29 juin 2013, victimes de tirs d’une arme à feu sur leur maison. La police qui aurait été alertée, serait certes venu sur place, mais se serait limitée à vérifier ce qui se serait passé et à prendre la déposition de Monsieur …, sans faire d’autres travaux d’enquête. Un ami, agent de police de quartier, envoyé sur les lieux le lendemain, aurait déclaré au demandeur que tous ces problèmes seraient liés aux élections, ainsi qu’aux travaux journalistiques passés. Craignant pour leurs vies, les consorts auraient décidé de quitter leur pays pour le Luxembourg.

En droit, les consorts … font plaider que la présence de l’Albanie sur la liste des pays d’origine sûrs ne serait qu’une présomption qui pourrait être renversée par leur situation personnelle, alors qu’ils auraient établi qu’ils seraient victimes de persécutions et d’atteintes graves pour lesquelles aucune protection leur aurait été accordée, malgré le fait qu’il en auraient informé les autorités de police compétentes.

Ils estiment qu’en leur refusant toute forme de protection internationale, le ministre aurait commis une erreur d’appréciation, alors qu’ils craindraient avec raison des persécutions en raison des opinions politiques et critiques émises par Monsieur … dans le cadre de sa profession de journaliste et de porte-parole d’un parti politique. Au regard des menaces et des coups de feu tirés sur leur maison, les demandeurs estiment que les faits invoqués rempliraient la condition de gravité exigée par l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, de sorte à ne pas constituer un simple sentiment général d’insécurité. En application de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, le fait qu’ils auraient déjà subi de telles persécutions ferait présumer que de tels faits se reproduiront en cas de retour dans leur pays d’origine, et ce, nonobstant le fait que les élections de juin 2013 soient terminées.

Les consorts … estiment qu’en Albanie la liberté d’expression et de presse seraient loin d’être garanties, les journalistes albanais faisant l’objet de pressions, menaces et agressions et que toutes les sphères du gouvernement, et plus particulièrement la police, seraient gangrénées par la corruption. A ce titre, ils citent des extraits de plusieurs rapports internationaux de l’organisation Freedom in the World et de l’United States Departement of State.

Les agressions que Monsieur … aurait subies auraient également été relatées dans les médias albanais.

Contrairement à ce qui serait affirmé par le ministre, Monsieur … aurait reconnu ses agresseurs du fait de les avoir déjà vu dans un bureau de police qu’il aurait souvent fréquenté dans le cadre de son activité journalistique, de sorte que les acteurs de persécutions ne pourraient pas être considérés comme des personnes privées. D’ailleurs au vu de la critique formulée hautement par Monsieur …, seule la police aurait un intérêt à obtenir un contredit de sa part.

Quant au reproche de ne pas avoir déposé de plainte, les demandeurs estiment que du fait d’avoir mis au courant le directeur de la police des menaces et d’avoir appelé la police suite aux coups de feu dirigés contre leur maison, ils auraient valablement fait 13appel aux forces de l’ordre de leur pays d’origine, mais que, malgré le déplacement de policiers à leur domicile, ainsi que des tentatives de rappels au directeur de la police, aucune suite n’aurait été réservée à leurs doléances. Ils invoquent à ce sujet des extraits de rapports internationaux sur la police albanaise constatant l’inefficacité, la corruption et des nombreux manquements aux droits de l’Homme.

Quant au reproche du ministre tiré du fait qu’ils n’auraient pas demandé de protection internationale lors de leur séjour en Allemagne en juin 2013, les consorts … expliquent avoir été en Allemagne la dernière fois le 10 juin 2013, à savoir, à un moment où ils n’auraient pas encore connu les persécutions qui les auraient fait fuir leur pays d’origine quelque temps plus tard.

En ce qui concerne la possibilité d’une fuite interne, ils font valoir qu’il appartiendrait au ministre de prouver qu’une telle alternative serait possible, ce qui en l’espèce ne serait pas le cas, tout en expliquant qu’il résulterait de leurs déclarations faites lors de leurs auditions respectives qu’une fuite interne ne serait pas envisageable du fait que cela aurait impliqué pour Monsieur … de renoncer à ses droits fondamentaux que sont la liberté d’expression et la liberté de la presse.

A titre subsidiaire, les consorts … estiment remplir, sur base des mêmes faits, les conditions d’octroi de la protection subsidiaire.

Le délégué du gouvernement fait valoir pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés 14fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : «(1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière.» Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 15mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que les demandeurs avancent, du risque d’être persécutée qu’ils encourent en cas de retour dans leur pays d’origine.

A titre liminaire, alors même que le ministre semble vouloir mettre en doute la réalité des coups de feu tirés sur la maison des demandeurs au motif que ces derniers ne présenteraient aucun élément de preuve y relatif, le tribunal est cependant amené à retenir la crédibilité générale des demandeurs, de sorte à considérer les faits invoqués comme avérés.

En ce qui concerne les menaces verbales répétées et les coups de feu dirigés sur leur maison en juin 2013, faits qui sont présentés dans la requête introductive d’instance comme étant l’unique motif de la demande de protection internationale, force est au tribunal de constater que ces évènements liés principalement à l’activité politique de Monsieur … dans sa fonction de porte parole du parti politique FRD sont susceptibles de tomber dans le champ d’application de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006. En effet, le fait de subir des menaces pour avoir critiqué ouvertement l’institution de la police d’Etat, pendant la campagne électorale et en sa qualité de porte parole d’un parti politique peut être considéré a priori comme une persécution pour des motifs politiques. Si, par la circonstance que des coups de feu ont été tirés sur leur maison, une certaine gravité des faits est certes donnée, les consorts … restent cependant en défaut d’établir qu’aucune protection ne leur aurait été offerte par les autorités de leur pays.

A ce titre, force est au tribunal de retenir que si les faits, pour le moins en ce qui concerne les menaces, ont été commis, selon les explications de Monsieur …, par des policiers en civil, ces derniers n’agissant pas dans le cadre de leur fonction, sont à considérer comme des personnes privées dont les actes ne peuvent constituer des 16persécutions qu’à condition que les autorités du pays d’origine refusent ou sont incapables de fournir une protection adéquate y relative.

Une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, -

ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Ainsi, il ressort d’abord du récit des demandeurs que chaque fois qu’ils auraient fait appel à la police, cette dernière se serait déplacée respectivement les aurait accueillis pour prendre leurs dépositions.

Il ressort en effet des rapports d’audition versés en cause que les policiers, appelés à la suite de la fusillade, se seraient « tout de suite » déplacés sur les lieux pour dresser un constat des faits et prendre note des déclarations des demandeurs. De même, Monsieur … a pu, après avoir été menacé devant son bureau, s’entretenir personnellement, le jour même, autour d’un café, avec le directeur de la police, qui lui a promis de se renseigner à ce sujet. Le fait que ce dernier n’ait pas directement accordé à Monsieur … une protection rapprochée, ainsi que le fait que, pendant cette période de fin de campagne électorale, il aurait été difficilement joignable ne saurait nécessairement mener à la conclusion que ce dernier aurait refusé de réserver des suites à cette affaire. Si les consorts … se plaignent de l’inaction des forces de l’ordre quant à l’élucidation de cette affaire, il leur aurait appartenu d’insister plus formellement à déposer une plainte contre les policiers soupçonnés être à l’origine des agressions subies, policiers que Monsieur … estime d’ailleurs avoir reconnus, respectivement de saisir des autorités supérieures telles que l’Ombudsman de leurs doléances vis-à-vis du manque d’entrain des services de police, démarches qu’ils n’ont cependant pas entreprises.

En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de 17protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence d’agressions ou de menaces physiques, communément la forme d’une plainte.

Force est dès lors au tribunal de retenir que relativement à ces faits, les consorts … n’ont pas eu recours à tous les moyens mis à leur disposition pour bénéficier d’une protection des autorités compétentes. Ils sont partant mal fondés à arguer de l’absence de protection de la part des autorités albanaises, du fait qu’ils n’ont pas mis les autorités en mesure de la leur apporter. Il ne saurait en effet en principe être admis qu’un demandeur, aux fins d’obtenir le statut de réfugié ou celui conféré par la protection subsidiaire, se prévale de l’incapacité des autorités en place d’assurer sa protection sans avoir suffisamment tenté d’obtenir une telle protection1.

Dans ce contexte, force est de constater que les consorts … n’ont pas fait état avoir été personnellement confrontés à un phénomène de corruption ou de violation des droits de l’Homme de la part des forces de l’ordre, de sorte que les rapports internationaux cités dans leur requête introductive ne sont pas concluants en l’espèce, dans la mesure où la situation individuelle des demandeurs n’est pas de nature à contredire les explications circonstanciées de la partie étatique sur la situation générale en Albanie et la désignation de l’Albanie en tant que pays d’origine sûr.

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande des consorts … en obtention du statut de réfugié.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et 1 trib. adm. 30 avril 2008, n° 23732, Pas. adm. 2012, V° Etrangers, p. 405, n°115.

18que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 f), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas.

L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal constate qu’à l’appui de leur demande de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.

S’agissant des actes des menaces et des coups de feu subis par les demandeurs, comme le tribunal a ci-avant retenu qu’il existe une protection adéquate, et que le tribunal ne saurait se départir de cette conclusion dans le cadre de ce volet du recours, ils ne sauraient établir l’existence d’un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.

Les consorts … restant en défaut d’établir, qu’en cas de retour en Albanie, ils risqueraient la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, respectivement des menaces graves et individuelles contre leurs vies ou leurs personnes en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international, c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande des consorts … en obtention de la protection subsidiaire.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

2. Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 22 octobre 2013 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

19 Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Les demandeurs soutiennent en premier lieu que si la décision de refus d’octroi d’une protection internationale encourt la réformation, l’ordre de quitter devrait également être annulé.

Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre vaut décision de retour, laquelle est définie par l’article 2. r) de la même loi comme étant la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire. L’ordre de quitter le territoire y prononcé comporte l’indication du délai pour quitter le territoire ainsi que le pays à destination duquel le demandeur sera renvoyé en cas d’exécution d’office.

Il se dégage des conclusions ci-avant retenues par le tribunal que le ministre a refusé à bon droit d’accorder aux demandeurs une protection internationale, de sorte qu’il a également valablement pu émettre l’ordre de quitter le territoire.

En ordre subsidiaire, les demandeurs concluent à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, au motif qu’il violerait l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », étant donné qu’un retour en Albanie les exposerait à des traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Tel que cela a été retenu ci-avant, l’ordre de quitter le territoire est la conséquence légale de la décision de refus d’une protection internationale.

Si l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », auquel renvoie l’article 129 de la loi du 29 août 2008, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des 20traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Albanie, le tribunal administratif a conclu ci-avant à l’absence dans le chef des demandeurs de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, point b) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal actuellement ne saurait pas se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH2, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi des demandeurs en Albanie soit dans ces circonstances incompatibles avec l’article 3 de la CEDH.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs;

le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 22 octobre 2013 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision déférée portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

donne acte aux demandeurs de ce qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;

2 CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.

21 condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Laurent Lucas, juge, Olivier Poos, juge, et lu à l’audience publique du 15 octobre 2014 par le premier vice-président, en présence du greffier Michèle Hoffmann.

s. Michèle Hoffmann s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15/10/2014 Le Greffier du Tribunal administratif 22


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 33660
Date de la décision : 15/10/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-10-15;33660 ?

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