Tribunal administratif N° 29195a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 septembre 2011 2e chambre Audience publique du 22 septembre 2014 Recours formé par Madame ….. et consort, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Revu la requête inscrite sous le numéro 29195 du rôle et déposée le 29 septembre 2011 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame ….., née le …. à ….
(Kosovo), agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de son enfant mineur ….., né le …. à …. (Kosovo), ayant été retenus au Centre de rétention au Findel, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 20 septembre 2011 ayant déclaré irrégulier le séjour de Madame ….. et portant ordre de quitter le territoire à son encontre ;
Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 30 septembre 2011 par laquelle a été déclarée fondée une requête en institution d’une mesure de sauvegarde et par laquelle Madame ….. ainsi que son enfant mineur ….. ont été autorisés à résider sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en attendant que le tribunal administratif se soit prononcé sur le mérite du recours au fond ;
Vu le jugement du tribunal administratif du 21 mars 2013, inscrit sous le numéro 29195 du rôle ;
Vu l’arrêt de la Cour administrative du 11 juillet 2013, numéro 32266C du rôle, déclarant, par réformation du jugement entrepris du tribunal administratif du 21 mars 2013, numéro 29195 du rôle, qu’il n’y avait pas lieu à annulation de la décision ministérielle déférée pour violation causée aux droits de la défense ainsi qu’au droit à l’exercice d’un recours effectif et revoyant le dossier devant le tribunal administratif en prosécution de cause ;
Vu le courrier de reprise de mandat déposé au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2013 par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la demanderesse ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Sandrine Francis, en remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 janvier 2014.
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Par décision du 4 février 2010, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », refusa de faire droit à la demande de protection internationale présentée par Monsieur ….. et son épouse, Madame ….., ayant également agi pour compte de leur fils mineur ….., ladite demande ayant été présentée auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères en date du 5 octobre 2009.
Un recours contentieux dirigé contre la décision ministérielle précitée du 4 février 2010 fut rejeté comme n’étant pas fondé par un jugement du tribunal administratif du 14 juillet 2010, inscrit sous le numéro 26699 du rôle, confirmé, sur appel, par un arrêt de la Cour administrative du 19 octobre 2010, inscrit sous le numéro 27223C du rôle.
Par décision du 1er décembre 2010, le ministre refusa à Monsieur ….. et à son épouse, Madame ….., ainsi qu’à leur fils mineur ….. la délivrance d’un sursis à l’éloignement, au motif que l’état de santé des époux ….. n’était pas de nature à engager le pronostic vital ou fonctionnel et que les traitements médicaux dont ils auraient besoin pourraient leur être fournis dans leur pays d’origine. Cette décision est basée sur deux avis émis par le médecin-
chef de service de la Direction de la Santé du ministère de la Santé, dénommé ci-après « le médecin-délégué », datés du 30 novembre 2010 suivant lesquels l’état de santé des époux …..
ne nécessiterait pas une prise en charge médicale dont le défaut aurait entraîné pour eux des conséquences d’une exceptionnelle gravité, de sorte qu’ils n’auraient pas rempli les conditions médicales pour bénéficier d’un sursis à l’éloignement.
La décision ministérielle précitée du 1er décembre 2010 fut confirmée sur recours gracieux et à la suite d’un réexamen du dossier afférent, par une décision ministérielle du 6 janvier 2011, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».
A la suite d’une nouvelle demande tendant à la délivrance d’un sursis à l’éloignement présentée par le litismandataire des demandeurs en date du 22 février 2011 au vu de nouveaux certificats médicaux émis au sujet de l’état de santé de Monsieur ….., le ministre confirma, par courrier du 1er mars 2011, ses décisions antérieures, au motif que les pathologies décrites quant à l’état de santé de Monsieur ….. dans les nouveaux certificats lui soumis n’étaient pas « de nature à engager son pronostic vital ou fonctionnel et que le traitement est réalisable dans son pays d’origine ».
Une nouvelle demande tendant à la délivrance d’un sursis à l’éloignement dans le chef de Monsieur ….., adressée au ministre par courrier du litismandataire de celui-ci du 6 mai 2011, fut refusée à nouveau par un courrier ministériel du 13 mai 2011 sur base d’un nouvel avis du médecin-délégué du 11 mai 2011 suivant lequel « les différentes affections dont souffre Monsieur ….. ne sont pas de nature à engager le pronostic vital ou fonctionnel et que le traitement des affections de Monsieur ….. peut être réalisé dans le pays d’origine ».
Une itérative confirmation des décisions antérieures fut prise par le ministre le 13 septembre 2011 à la suite d’une nouvelle demande présentée par le litismandataire des époux ….. pour les mêmes motifs que ceux se trouvant à la base des décisions antérieures.
En date du 20 septembre 2011, le ministre, après avoir constaté que Madame ….. se trouvait en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter le territoire sans délai « à destination du pays dont elle a la nationalité, le Kosovo, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel elle est autorisée à séjourner ». Ladite décision ministérielle est basée sur les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée la « loi du 29 août 2008 », ainsi que sur les considérations que l’intéressée n’était en possession ni d’un passeport ni d’un visa en cours de validité, qu’elle ne justifiait pas l’objet ni les conditions du séjour envisagé, qu’elle ne justifiait pas non plus de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagée que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie, qu’elle n’était en possession ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail et qu’elle présentait un risque de fuite. Par le même arrêté, le ministre fit interdiction à Madame ….. d’entrer sur le territoire luxembourgeois pour une durée de 5 ans. Par un arrêté séparé du même jour, le ministre prit une décision au contenu identique à l’égard de Monsieur ….. et par un troisième arrêté du même jour, Madame ….. ainsi que son fils mineur ….. furent placés en rétention au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question, qui fut effectuée le 29 septembre 2011.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 septembre 2011, Madame ….., agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de son fils mineur ….., a fait introduire un recours tendant à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 20 septembre 2011 portant décision de retour à son égard, et portant interdiction d’entrée sur le territoire. Par jugement du 21 mars 2013, portant le numéro 29195 du rôle, le tribunal déclara ce recours justifié et annula la décision ministérielle attaquée du 20 septembre 2011 pour renvoyer le dossier devant le ministre en prosécution de cause et condamner l’Etat aux frais au motif d’une violation, par le ministre, d’une formalité substantielle destinée à protéger les intérêts privés, en ce qu’il n’avait pas mis la demanderesse en mesure de faire valoir valablement ses droits de la défense et d’avoir un accès effectif au juge administratif, le tout en violation de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », en raison, d’une part, de la notification de la décision de retour la veille de l’éloignement projeté de la demanderesse vers son pays d’origine, et, d’autre part, de la communication tardive du dossier administratif.
Par un arrêt du 11 juillet 2013, inscrit sous le numéro 32266C du rôle, la Cour administrative a déclaré, par réformation du jugement entrepris du tribunal administratif du 21 mars 2013, que dans la mesure où l’accès à la justice et l’effectivité du recours ont été garantis, malgré le caractère probablement difficile de l’exercice afférent, il n’y avait pas lieu à annulation de la décision ministérielle critiquée pour violation d’éléments de légalité externe tenant à l’exercice des droits de la défense et à l’accès à la justice voire au droit à un recours effectif et a renvoyé le dossier devant le tribunal administratif en prosécution de cause.
A l’appui de son recours, la demanderesse se prévaut de l’effet direct de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115/CE », après l’écoulement du délai de transposition le 24 décembre 2010.
Elle soutient que la décision de retour serait illégale puisqu’elle aurait été prise en violation de la directive 2008/115/CE, en ce que, d’une part, les critères de présomption de l’existence d’un risque de fuite, tels qu’instaurés par l’article 111 (3) c) de la loi du 29 août 2008 seraient contraires à l’article 3, paragraphe 7 de la directive précitée qui exigerait une vérification au cas par cas, et, d’autre part, aucun délai pour quitter volontairement le territoire ne lui aurait été accordé, en invoquant à cet égard l’article 7, paragraphe 1 de ladite directive posant comme principe qu’un délai pour un départ volontaire doit être accordé, ainsi que l’article 3, paragraphe 7 de la même directive en ce qui concerne la notion de risque de fuite auquel se réfère l’article 7 paragraphe 4 de la directive, prévoyant la possibilité de ne pas accorder un délai de retour volontaire en cas de risque de fuite.
En relevant que le ministre déduirait en l’espèce le risque de fuite du simple fait qu’elle ne serait pas en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, de sorte à ne pas respecter l’article 34 (1) de la loi du 29 août 2008, la demanderesse soutient que, pour être conforme à la directive 2008/115/CE, des critères objectifs définis par la loi devraient permettre de déterminer dans un cas particulier s’il existe des raisons de penser qu’un ressortissant de pays tiers faisant l’objet d’une procédure de retour peut prendre la fuite. Il s’agirait dès lors en l’espèce de déterminer, à l’examen du critère défini au point 1 de l’article 111 (3) c) de la loi du 29 août 2008, dans son cas particulier, s’il existe des raisons de penser qu’il risque de prendre la fuite.
La demanderesse fait valoir que si le critère ainsi instauré par le législateur luxembourgeois était objectif, il créerait néanmoins un mécanisme qui la placerait dans une situation de présomption de risque de fuite empêchant toute recherche de raisons de penser que, dans sa situation particulière, elle risquerait de prendre la fuite ou non. Non seulement ce mécanisme interdirait toute recherche pourtant imposée par la directive, mais l’empêcherait en plus de renverser cette présomption puisque ce seraient les raisons objectives pour lesquelles son séjour sur le territoire est précisément déclaré irrégulier qui justifieraient légalement que le ministre la considère comme présentant un risque de fuite.
Il serait dès lors incontournable qu’elle fasse l’objet d’une décision de retour puisqu’elle serait dépourvue de tout document de voyage valable. Or ce constat ne pourrait à lui seul permettre automatiquement de déroger au principe qu’un délai doit être accordé pour rentrer volontairement.
Elle conclut que cette situation serait en violation flagrante avec les articles 3, paragraphe 7 et 7, paragraphes 1 et 4 de la directive 2008/115/CE, de sorte que par l’effet direct de ladite directive, l’application de l’article 111 (3) c) de la loi du 29 août 2008 devrait partant être écartée. Le fait de ne pas lui accorder de délai pour rentrer volontairement dans son pays d’origine constituerait par ailleurs une violation de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CEDH » consacrant le droit à la dignité humaine.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ces moyens. Il souligne plus particulièrement que les critères permettant de retenir la présomption de l’existence d’un risque de fuite seraient déterminés de manière objective par l’article 111 (3) c) de la loi du 29 août 2008 et qu’il ressortirait clairement du dossier que la demanderesse tomberait sous un des cas y visés.
En l’espèce, la décision de retour portant obligation de quitter le territoire ne prévoit pas un délai de départ volontaire.
Aux termes de l’article 111 (3) de la loi du 29 août 2008, dans sa version issue de la loi du 1er juillet 2011 : « L’étranger est obligé de quitter le territoire sans délai : […] c) s’il existe un risque de fuite dans le chef de l’étranger. Le risque de fuite est présumé dans les cas suivants :
1.
si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 ;
2.
si l’étranger se maintient sur le territoire au-delà de la durée de validité de son visa, ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire ;
3.
si l’étranger s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement ;
4.
si une décision d’expulsion conformément à l’article 116 est prise contre l’étranger ;
5.
si l’étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d’identité ou de voyage ;
6.
si l’étranger ne peut justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage en cours de validité, ou qu’il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu’il n’a pas déclaré le lieu de sa résidence effective, ou qu’il s’est soustrait aux obligations prévues aux articles 111 et 125.
Le risque de fuite est apprécié au cas par cas. » L’article 3.7 de la directive 2008/115/CE définit le risque de fuite comme « Le fait qu’il existe des raisons, dans un cas particulier et sur la base de critères objectifs définis par la loi, de penser qu’un ressortissant d’un pays tiers faisant l’objet de procédures de retour peut prendre la fuite ».
Cette disposition de la directive laisse aux législateurs nationaux le soin de définir les critères objectifs sur la base desquels l’autorité administrative peut estimer qu’il existe un risque de fuite dans le chef d’un étranger sous le coup d’une procédure de retour. Cette appréciation du risque de fuite doit pour le surplus se faire au cas par cas.
Le législateur luxembourgeois, à travers la loi du 1er juillet 2011 ayant pour objet de transposer en droit interne les dispositions de la directive 2008/115/CE, a ainsi déterminé six cas comme critères objectifs au sens de la prédite directive dans lesquels le risque de fuite doit être considéré comme présumé et qui sont énoncés à l’article 111 (3) c) de la loi du 29 août 2008, sus-cité.
L’article 111 (3) c) de la loi du 29 août 2008 énumère dès lors un certain nombre de situations objectives dans lesquelles le risque de fuite est présumé. Les six cas y énoncés reposent sur des critères objectifs permettant de penser qu’un étranger faisant l’objet d’une procédure de retour serait susceptible de prendre la fuite, c'est-à-dire de se soustraire à l’obligation de quitter le territoire.
Le point 1 de l’article 111 (3) c) de la loi du 29 août 2008, sur lequel le ministre s’est basé pour retenir dans le chef de la demanderesse le risque de fuite, prévoit une présomption de risque de fuite lorsque des ressortissants d’un pays tiers ne remplissent pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi et se trouvent dès lors en séjour irrégulier sur le territoire.
En ce qui concerne les contestations de la demanderesse quant à la conformité des dispositions de l’article 111 (3) c) de la loi du 29 août 2008 à la directive 2008/115/CE, il convient de relever qu’il est certes exact que le seul fait du séjour irrégulier n’est pas suffisant pour regarder le risque de fuite comme établi. A cet égard, le sixième considérant du préambule de la directive 2008/115/CE prévoit que : « […] Conformément aux principes généraux du droit de l'Union européenne, les décisions prises en vertu de la présente directive devraient l'être au cas par cas et tenir compte de critères objectifs, ce qui implique que l'on prenne en considération d'autres facteurs que le simple fait du séjour irrégulier ».
Tel que cela a été retenu dans un arrêt de la Cour administrative du 11 décembre 20121, l’article 111 (3) c) in fine, qui dispose que « (…) le risque de fuite est apprécié au cas par cas. », impose à l’administration un examen particulier de chaque situation individuelle, tel que cela est exigé par l’article 3.7 de la directive 2008/115/CE, des circonstances particulières pouvant ainsi faire obstacle à ce que le risque de fuite soit considéré comme établi dans l’hypothèse où un étranger entrerait dans un des six cas définis à l’article 111 (3) c) de la loi du 29 août 2008, de sorte que les dispositions de l’article 111 (3) c) de la loi du 29 août 2008 ne sont pas incompatibles avec celles de la directive 2008/115/CE, étant donné que le libellé final de l’article 111 (3) c) de la loi du 29 août 2008 impose un examen individuel du risque de fuite, ainsi que le recommande le considérant précité de la directive 2008/115/CE.
1 Cour adm., 11 décembre 2012, n° 30874C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu A défaut d’autres moyens soulevés par la demanderesse et plus particulièrement à défaut d’avoir soumis au tribunal des éléments permettant de renverser le constat du ministre de l’existence d’un risque de fuite en raison de sa situation personnelle et individuelle, la demanderesse se contentant d’invoquer une incompatibilité des dispositions de l’article 111 (3) c) de la loi du 29 août 2008 avec la directive 2008/115/CE, le ministre a, à bon droit, pu retenir l’existence d’un risque de fuite dans le chef de la demanderesse et ne pas lui accorder de délai pour rentrer volontairement dans son pays d’origine, sans violer l’article 2 de la CEDH consacrant le droit à la dignité humaine, étant rappelé que la demanderesse avait été déboutée de sa demande de protection internationale par décision ministérielle 4 février 2010, décision comportant un ordre de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Il s’ensuit que le moyen tiré de ce que la décision de retour litigieuse aurait été prise sur le fondement de dispositions légales incompatibles avec les dispositions de la directive 2008/115/CE est partant à écarter comme n’étant pas fondé, sans qu’il n’y ait lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union européenne à ce sujet.
La demanderesse estime encore que la décision déférée méconnaîtrait l’intérêt supérieur de son enfant en violation avec la Convention relative aux droits des enfants du 20 novembre 1989 en ce qu’elle ne respecterait pas le droit fondamental à l’éducation de son fils, Monsieur ….., tel que consacré par l’article 28 de la prédite convention, au motif qu’en raison des pressions, humiliations, intimidations et discriminations subies par ce dernier au Kosovo, l’accès à l’éducation n’y aurait pas été assuré.
Contrairement à l’argumentation de la partie étatique, au moment de la prise de la décision ministérielle déférée le 20 septembre 2011, Monsieur ….., né le …., était encore mineur, de sorte que la demanderesse a valablement pu invoquer les dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, étant encore rappelé que le tribunal statue, concernant le présent litige, dans le cadre d’un recours en annulation et est ainsi appelé à examiner la situation qui prévalait au moment de la prise de la décision déférée.
Il y a cependant lieu de constater que les dispositions tirées de la Convention relative aux droits des enfants ne tiennent pas en échec les dispositions légales relatives aux conditions d'entrée et de séjour au Luxembourg, de même qu'aucune d'entre elles ne confère un droit subjectif à un enfant l'autorisant à séjourner dans un pays de son choix en raison de la considération que son droit à l'éducation, tel que consacré par l’article 28 de ladite convention, y serait mieux garanti que dans son pays d'origine,2 étant encore précisé qu’au moment de la prise de la décision déférée du 20 septembre 2011, Monsieur ….. avait dépassé l’âge de la scolarité obligatoire, de sorte que le moyen afférent laisse d’être fondé.
La demanderesse invoque finalement une violation de l’article 8 de CEDH au motif que la décision attaquée constituerait une ingérence illégale dans l’exercice du droit à la vie privée et sociale de la demanderesse et plus particulièrement à celle de son fils. Cette 2 Cour adm. 10 avril 2008, n° 23943C du rôle, Pas. adm. 2012, v° Droits de l’homme et libertés fondamentales, n° 48 et les références y citées.
ingérence ne constituerait en aucun cas au Grand-Duché de Luxembourg une mesure nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui de sorte qu’elle ne pourrait pas se justifier au regard de l’article 8 de la CEDH. La demanderesse fait ainsi valoir qu’elle et son fils auraient des attaches au Luxembourg puisqu’ils y auraient noué et développé des relations depuis plus de deux ans, caractérisées par une scolarité et une intégration exemplaire de son fils. La demanderesse conclut encore, dans son mémoire en réplique, à l’annulation de la décision déférée du 20 septembre 2011 sur le fondement de l’article 8 CEDH au motif qu’elle aurait pour effet de la séparer de son époux qui ne serait pas concerné par la décision déférée.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen au motif que l’article 8 de la CEDH ne ferait pas obstacle à un rapatriement d’étrangers se trouvant en situation irrégulière sur le sol luxembourgeois. La partie étatique insiste dans ce contexte sur l’importance du caractère précaire de la présence d’un étranger en situation irrégulière sur le territoire luxembourgeois dans l’analyse de la conformité de la mesure restrictive ainsi que sur le fait que les demandeurs seraient sciemment en situation irrégulière depuis le 19 octobre 2010 et que la circonstance que leur présence ne contreviendrait pas à l’ordre ou à la sécurité publics ne serait pas pertinente. Le délégué du gouvernement rappelle à ce sujet que la Cour européenne des Droits de l’Homme n’accorderait qu’une faible importance aux évènements de la vie d’immigrants qui se produisent pendant une période pendant laquelle leur présence sur le territoire était contraire à la loi nationale, voire couverte par un statut de séjour précaire.
L’article 8 de la CEDH est libellé comme suit : « 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.
L’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit de l’Etat à contrôler l’immigration.
Si, à cet égard, l’existence d’une vie privée effective sur le territoire luxembourgeois, susceptible d’être protégée par l’article 8 de la CEDH peut effectivement constituer un éventuel obstacle à la prise d’un arrêté de retour, encore faut-il évaluer la gravité de l’ingérence éventuellement opérée en prenant en considération la situation de séjour concrète des personnes concernées. En effet, si un étranger en situation irrégulière demeurant pendant plusieurs années sur le territoire luxembourgeois et y ayant créé une vie privée effective, peut certes alléguer qu’une décision de retour constitue une ingérence dans sa vie privée, il n’en reste pas moins que le caractère précaire de sa présence sur le territoire n’est pas sans pertinence dans l’analyse de la conformité de la décision litigieuse avec notamment la condition de proportionnalité inscrite au second paragraphe de l’article 8 de la CEDH, étant entendu que ledit article 8 ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis.
A cet égard, le seul fait que pendant l’instruction de ses différentes demandes ayant tendu à régulariser son séjour au pays ainsi que pendant le temps nécessaire pour l’évacuation des recours contentieux exercés à l’encontre des différentes décisions de refus, la demanderesse et son fils ont pu demeurer sur le territoire luxembourgeois et y bénéficier d’un certain degré d’intégration caractérisant leur vie privée actuelle, est insuffisant pour établir une ingérence disproportionnée par les autorités luxembourgeoises dans la vie privée de la demanderesse et de son enfant, étant donné que ce développement est inhérent au fait même de séjourner pendant un certain temps dans un pays, même si c’est à titre précaire.
Force est finalement au tribunal de relever que le moyen de la demanderesse formulé dans son mémoire en réplique et tiré d’une violation de l’article 8 CEDH au motif que la décision déférée aurait pour effet de la séparer de son époux qui ne serait pas concerné par la décision déférée est également à rejeter en ce que la demanderesse reste en défaut d’établir l’existence d’une vie familiale effective au Luxembourg qui serait affectée par la décision déférée, étant précisé que l’époux de la demanderesse est de fait introuvable.
Il s’ensuit que le moyen tendant à l’annulation de la décision attaquée pour être intervenue en violation de l’article 8 de la CEDH est également à rejeter pour ne pas être fondé.
Au vu de tout ce qui précède, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
donne acte à la demanderesse qu’elle déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Anne Gosset, premier juge, Andrée Gindt, juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 22 septembre 2014 par le premier juge, en présence du greffier Monique Thill.
s. Monique Thill s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 septembre 2014 Le greffier du tribunal administratif 10