Tribunal administratif N° 33348 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 septembre 2013 2e chambre Audience publique du 18 septembre 2014 Recours formé par Monsieur ….., contre une décision du ministre de la Famille et de l’Intégration en matière d’aide sociale
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 33348 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 septembre 2013 par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le …., de nationalité nigériane, actuellement sans domicile connu, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Famille et de l’Intégration du 13 mai 2013 limitant partiellement le bénéfice de l’aide sociale en lui retirant le droit à l’hébergement ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sandrine Francis, en remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 juin 2014.
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Le 6 juin 2011, Monsieur ….. introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une deuxième demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée la « loi du 5 mai 2006 ». Dans le cadre de sa demande de protection internationale, Monsieur ….. bénéficia d’un hébergement dans des foyers de l’office luxembourgeois de l’Accueil et de l’Intégration, ci-après désigné par « l’OLAI », conformément à l’article 6 du règlement grand-ducal du 1er septembre 2006 fixant les conditions et les modalités d’octroi d’une aide sociale aux demandeurs de protection internationale, entretemps abrogé par le règlement grand-ducal du8 juin 2012 fixant les conditions et les modalités d’octroi d’une aide sociale aux demandeurs de protection internationale, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 2012 ».
Par courrier notifié en mains propres le 11 avril 2013, le ministre de la Famille et de l’Intégration, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur ….. de son intention de limiter son bénéfice de l’aide sociale aux termes de l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 2012, aux motifs suivants : « Je constate que depuis votre transfert au foyer Esch-sur-
Alzette, sis au 25, Grand-Rue en date du 8 mars 2013, vous avez à ce jour déjà accumulé 9 nuits d’absences (les 8, 9, 12, 13, 15, 16, 17, 28 et 31 mars), sans motif reconnu valable par mes agents, alors que le règlement des logements n’autorise qu’une absence du foyer de 3 nuitées par mois.
Par ailleurs, j’ai pris connaissance que le 18 mars 2013, vous avez refusé d’effectuer vos tâches de nettoyage au sein dudit foyer.
Après avoir été convoqué le vendredi 22 mars 2013 par mes collaborateurs et nonobstant la mise en garde qu’à la prochaine violation du règlement d’ordre intérieur des structures d’hébergement pour demandeurs de protection internationale, une procédure disciplinaire serait entamée. Vous avez continué à accumuler de nouvelles absences.
Par conséquent, je vous informe par la présente de mon intention de vous limiter le bénéfice de l’aide sociale.
Conformément à l’article 6 alinéa 2 du règlement grand-ducal précité, un délai de 8 jours à dater d’aujourd’hui vous est néanmoins accordé pour présenter vos observations.
(…) ».
Par décision du 13 mai 2013, le ministre informa Monsieur ….. du retrait partiel de l’aide sociale antérieurement accordée dans les termes suivants :
« (…) Je constate que vous avez « abandonné la structure d'hébergement sans en avoir informé l'autorité compétente ou si une autorisation est nécessaire à cet effet sans l'avoir obtenue ». [Article 5, point c), tiret 1 du règlement grand-ducal référencé sous rubrique] J'ai pris connaissance que depuis votre transfert au foyer de Esch-sur-Alzette, sis au 25, Grand-Rue en date du 8 mars 2013, vous avez accumulé 9 nuits d'absences (les 8, 9, 12, 13, 15, 16, 17, 28 et 31 mars), sans motif reconnu valable par les agents de mon administration.
Par ailleurs, je me dois de constater que vous avez « commis un manquement grave au règlement d'ordre intérieur des structures d'hébergement » en manquant à plusieurs reprises d'effectuer vos tâches de nettoyage au sein dudit foyer. [Article 5, point d) du règlement grand-ducal référencé sous rubrique] Après avoir été convoqué le vendredi 22 mars 2013 par mes collaborateurs et nonobstant la mise en garde qu'à la prochaine violation du règlement d'ordre intérieur des structures d'hébergement pour demandeurs de protection internationale, une procédure disciplinaire serait entamée, vous avez accumulé un nouveau retard.
Face aux faits reprochés, vous avez omis de présenter vos observations dans le délai imparti suite à la notification de l'intention ministérielle par lettre recommandée en date du 11 avril 2013.
Au vu de ce qui précède, je limite dès ce jour votre aide sociale en vous retirant le droit à l'hébergement. Les autres volets de l'aide sociale restent assurés. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 septembre 2013, Monsieur ….. fit introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 13 mai 2013.
A l’appui de son recours, le demandeur, affirmant être le père d’une fille habitant avec sa mère aux Pays-Bas, fait valoir que la décision ministérielle l’obligerait à vivre dans la rue, respectivement dans un foyer pour toxicomanes, « dans des conditions d’hygiène, de salubrité et de rigueur terribles » mettant sa santé et même sa vie en danger et il reproche au ministre d’avoir fait une mauvaise appréciation des éléments de fait de la cause, un excès, sinon un détournement de pouvoir, sinon une violation de la loi destinée à protéger les intérêts privés et d’avoir pris une décision dont les effets seraient disproportionnés par rapport aux fautes lui reprochées.
La partie étatique conclut au rejet du recours en annulation faisant valoir que le ministre aurait procédé à une appréciation correcte des faits de la présente espèce, sans violer le principe de proportionnalité, au regard du comportement du demandeur consistant, d’une part, à accumuler un nombre important d’absences et de retard de son foyer d’hébergement sans présenter une quelconque excuse valable et, d’autre part, à refuser à accomplir des tâches ménagères dans le prédit foyer, en précisant que l’OLAI devrait être soucieux de voir respecter strictement son règlement d’ordre intérieur, au motif qu’un comportement tel que celui du demandeur serait constitutif d’une perturbation grave de sa mission sociale.
Dans la mesure où aucune disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de retrait partiel de l’aide sociale sur le fondement de l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 2012, seul un recours en annulation a pu être valablement introduit contre la décision ministérielle déférée, ledit recours étant par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Conformément à l’article 5, paragraphes b), c) et d) du règlement grand-ducal du 8 juin 2012, « Le ministre peut limiter ou retirer le bénéfice de l’aide sociale lorsque: (…) c) le bénéficiaire de l’aide sociale:
– abandonne la structure d’hébergement sans en avoir informé l’autorité compétente ou si une autorisation est nécessaire à cet effet, sans l’avoir obtenue, ou – ne respecte pas l’obligation de se présenter aux autorités, ne répond pas à leurs demandes d’information ou ne se rend pas aux entretiens personnels fixés par l’autorité compétente, ou – a déjà introduit une demande au Grand-Duché de Luxembourg.
Lorsque le demandeur est retrouvé ou se présente volontairement aux autorités compétentes, une décision motivée fondée sur les raisons de sa disparition est prise quant au rétablissement du bénéfice de certains ou de l’ensemble des conditions d’accueil;
d) le bénéficiaire de l’aide sociale ou un membre de sa famille qui l’accompagne a commis un manquement grave au règlement d’ordre intérieur des structures d’hébergement. ».
Il échet tout d’abord de constater que le reproche ministériel tiré du fait que le demandeur aurait refusé de participer à l’accomplissement de tâches ménagères au sein de son foyer d’hébergement pourrait a priori justifier la décision déférée, étant donné qu’un tel fait figure parmi les motifs légaux pouvant donner lieu à une limitation, respectivement au retrait du bénéfice de l’aide sociale pour éventuellement constituer un manquement au règlement d’ordre intérieur des structures d’hébergement. Il y a cependant lieu de relever qu’en l’absence de toute précision quant au comportement de Monsieur ….. lors de la manifestation de son refus d’accomplir des tâches ménagères au sein de son foyer d’hébergement, respectivement quant à la fréquence d’un tel refus et au regard du fait que la partie étatique est restée en défaut de verser le règlement d’ordre intérieur de la structure d’hébergement qui aurait été porté à la connaissance du demandeur, la qualification de manquement grave au règlement d’ordre intérieur des structures d’hébergement au sens de l’article 5, paragraphes d) du règlement grand-ducal précité du 8 juin 2012, contrairement aux affirmations de la partie étatique, ne peut pas être retenue en l’espèce.
Le fait que Monsieur ….. était absent de son foyer d’hébergement sans s’être excusé préalablement, voire postérieurement, pendant 9 nuits au cours du mois de mars 2013 n’étant point contesté en l’espèce, les conditions d’ouverture de la faculté pour le ministre de retirer le bénéfice de l’aide sociale sont clairement remplies en l’espèce.
S’agissant d’un pouvoir discrétionnaire du ministre, il appartient néanmoins au tribunal de vérifier, dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision déférée, s’il n’existe pas de disproportion manifeste entre la mesure prise et l’objectif poursuivi, étant rappelé que, saisi d’un recours en annulation, le juge administratif est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée. Le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité.1 Compte tenu du fait que les bénéficiaires de l’aide sociale sont clairement informés du régime des absences ainsi que de leur obligation de signaler une éventuelle absence au responsable de leur structure de logement, ainsi que compte tenu du caractère répété des manquements de Monsieur ….. à ces règles, sans que ce dernier n’ait fourni une quelconque excuse pouvant valablement expliquer ses absences, le tribunal ne saurait suivre l’argumentation du demandeur tendant à établir une sévérité disproportionnée de la mesure prise, étant encore précisé que les affirmations du demandeur relatives à ses prétendues démarches auprès des autorités néerlandaises afin de pouvoir rejoindre sa fille et sa concubine 1 Cour adm, 9 novembre 2010, n°26886C du rôle, Pas. Adm. 2012, V° Recours en annulation, n°22 et les autres références y citées.
se trouvent contredites par les explications circonstanciées de la partie étatique selon lesquelles tant l’ancienne compagne du demandeur que les juridictions néerlandaises se seraient opposées à tout droit de visite du demandeur dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’énerver la régularité de la décision litigieuse et que son recours est partant à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Andrée Gindt, juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 18 septembre 2014 par le vice-président, en présence du greffier Monique Thill.
s. Monique Thill s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 septembre 2014 Le greffier du tribunal administratif 5