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12/09/2014 | LUXEMBOURG | N°35066

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 septembre 2014, 35066


Tribunal administratif N° 35066 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 août 2014 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 12 septembre 2014 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 23, L. 5.05.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35066 du rôle et déposée le 14 août 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Nour E. Hell

al, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mo...

Tribunal administratif N° 35066 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 août 2014 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 12 septembre 2014 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 23, L. 5.05.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35066 du rôle et déposée le 14 août 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Nour E. Hellal, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Serbie), de nationalité serbe, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre l’Immigration et de l’Asile du 25 avril 2014, erronément attribuée au ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ayant déclaré sa demande de protection internationale irrecevable sur base de l’article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 août 2014 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en sa plaidoirie à l’audience publique de vacation du 3 septembre 2014.

Entendu le juge-rapporteur en son rapport complémentaire, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en sa plaidoirie à l’audience publique de vacation du 10 septembre 2014 à laquelle l’affaire a été refixée pour plaidoiries.

En date du 21 décembre 2011, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

Cette demande fut rejetée par une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 21 novembre 2012.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 décembre 2012, Monsieur … introduisit un recours tendant à la réformation de la décision de rejet de sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision, recours dont il fut débouté par jugement du 26 juin 2013, n° 31882 du rôle, confirmé en appel par arrêt de la Cour administrative du 27 février 2014, n° 33141C du rôle.

Le 31 mars 2014, Monsieur …, affirmant détenir de nouveaux éléments, introduisit une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006.

Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 3 avril 2014 sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa nouvelle demande de protection internationale.

Par décision du 25 avril 2014, notifiée par courrier recommandé envoyé le 29 avril 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, entretemps en charge du dossier, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa nouvelle demande de protection internationale avait été déclarée irrecevable sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006. Cette décision est libellée comme suit :

« Monsieur, J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 31 mars 2014.

Avant tout autre développement, il convient de rappeler que vous aviez déposé une première demande de protection internationale au Luxembourg en date du 21 décembre 2011 qui a été rejetée comme non fondée par une décision ministérielle en date du 21 novembre 2012.

Vous aviez invoqué à la base de cette demande que vous auriez quitté la Serbie à cause d'un conflit concernant la possession d'une parcelle. Votre père aurait acheté une parcelle dans les années 1990 qui aurait appartenu à … et son père …. Vous dites que … aurait regretté d'avoir vendu le terrain mais que vous auriez déjà payé l'intégralité du prix. Il serait par la suite venu avec un voisin nommé … pour vous rendre l'argent mais votre père aurait décidé de garder la parcelle. Entre 2001 et 2004, votre famille aurait eu des disputes avec la famille …. En 2004, les affaires concernant les disputes seraient passées au tribunal et vous auriez été menacé par un membre de la famille. Le tribunal ne vous aurait pas donné gain de cause et vous pensez que ceci serait dû au fait que vous ne seriez pas serbe. Le 12 décembre 2010, un membre de cette famille vous aurait menacé, sous influence d'alcool, après vous avoir accusé d'avoir caché son chien.

Vous indiquez avoir appelé la police qui serait venue sur les lieux. Vous n'auriez par la suite plus eu de problèmes avec la famille … parce que la plupart des membres seraient décédés. Vous ajoutez avoir des problèmes avec un certain … depuis 2010, après avoir envoyé des messages à sa fiancée. Depuis, … vous aurait menacé par téléphone à trois reprises. Vous auriez déclaré les faits à la police qui vous aurait confirmé que … vous aurait également dénoncé à la police. Vous déclarez également que … ne vous aurait pas menacé mais seulement demandé par téléphone si vous étiez «… ». Vous dites avoir porté plainte et que l'affaire serait passée au tribunal; ce dernier n’aurait pas constaté d'infractions pour lesquelles … pourrait faire l'objet de poursuites.

Le 16 août 2011, vous auriez été insulté par le frère de … mais vous n'auriez pas été agressé physiquement et vous n'auriez pas porté plainte. Vous avez été débouté de votre première demande par un jugement du Tribunal administratif du 26 juin 2013 aux motifs que: « (…) les problèmes rencontrés par le demandeur avec ses voisins, en l'occurrence les disputes avec ceux-

ci à différentes occasions ayant conduit jusqu'à des procès en justice, ainsi que les menaces émanant de membres de la famille … sont liées à des considérations autres que l'appartenance ethnique ou la religion du demandeur. Il s'agit en effet d'une part d'un litige de voisinage au sujet de la vente d'un terrain. D'autre part, les difficultés s'expliquent par le fait que le demandeur s'est approché d'une jeune fille qui est fiancée à un autre homme. S'il ne peut pas être exclu que ces litiges sont accessoirement également animés par des hostilités ethniques, force est de constater qu'au regard des explications à la disposition du tribunal, la raison principale des conflits avec les voisins réside dans des considérations qui sont étrangères aux motifs de persécutions énumérés dans la Convention de Genève, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l'appartenance à un groupe social. Il s'ensuit que ces difficultés, qui se résument à des disputes récurrentes avec des voisins ainsi que les menaces proférées dans ce contexte, ne tombent pas dans le champ d'application de la Convention de Genève.

En ce qui concerne les difficultés administratives rencontrées par le demandeur et par sa famille, celui-ci lie celles-ci à son origine ethnique, en ce sens qu'il affirme que les autorités administratives de son pays d'origine ne voudraient pas l'aider par rapport au x problèmes d'enclavement du terrain appartenant à sa famille en raison de son origine ethnique et de sa religion et qu'il estime par ailleurs que les autorités administratives le discrimineraient, respectivement que la police et les autorités judiciaires ne voudraient pas l'aider pour les mêmes considérations. S'il n'est pas contesté que la famille des demandeurs a en vain essayé de résoudre le problème d'enclavement de leur terrain et s'il n'est pas non plus contesté qu'il[s] n'ont pas obtenu des aides de la commune suite à des intempéries, le tribunal est cependant amené à retenir qu'au regard du récit du demandeur documenté par les rapports d'auditions et la note manuscrite rédigée par lui et complétées par la requête introductive d'instance, il ne dispo se pas de suffisamment d'éléments permettant de retenir que ces difficultés s'expliquent par des considérations ethnico religieuses des autorités policières, judiciaires ou administratives serbes, étant précisé que la seule allégation du demandeur, reposant sur des simples suppositions, qu'à chaque fois où il a entamé des démarches administratives il se serait vu opposer un refus en raison de son origine ethnique, est insuffisante à cet égard. Au contraire, à la lecture de la note manuscrite rédigée par le demandeur, le résultat négatif de l'affaire liée à la propriété de sa famille s'explique davantage par un problème de non-respect d'un délai légal, que le demandeur a d'ailleurs reproché à son avocat. D'autre part, la seule circonstance que d'autres familles se sont vu accorder des aides, ne permet pas ni de retenir un traitement discriminatoire du demandeur et de sa famille en raison de leur origine ethnique. (…) ».

Le jugement du Tribunal administratif a été confirmé par la Cour administrative en date du 27 février 2014 qui estima que: « (…) la Cour rejoint les premiers juges dans leur analyse que les problèmes rencontrés par Monsieur … avec ses voisins, en l'occurrence les disputes avec ceux-ci à différentes occasions ayant conduit jusqu'à des procès en justice et les menaces émanant de membres de deux familles, sont liés à des considérations autres que son appartenance ethnique ou sa religion et constituent en substance un litige de voisinage au sujet de la vente d'un terrain.

En outre, les difficultés mises en avant par Monsieur … trouvent une autre explication dans le fait qu'il s'est approché d'une jeune fille qui est fiancée à un autre homme. (…) Les premiers juges sont partant à confirmer en ce qu'ils ont décidé que les difficultés invoquées par l'appelant, qui se résument à des disputes récurrentes avec des voisins ainsi que les menaces proférées dans ce contexte, ne tombent pas dans le champ d'application du statut de réfugié.

En ce qui concerne les difficultés administratives rencontrées par l'appelant et par sa famille (…) la Cour partage l'analyse des premiers juges (…) qu'il n'existe pas d'indices suffisants permettant de retenir que ces difficultés s'expliquent par des considérations ethnico-religieuses de la part des autorités policières, judiciaires ou administratives serbes, étant précisé que la seule allégation de l'appelant, reposant sur des simples suppositions, qu'à chaque fois où il a entamé des démarches administratives il se serait vu opposer un refus en raison de son origine ethnique, est insuffisante à cet égard. Les premiers juges ont justement insisté, dans ce cadre, qu'à la lecture de la note manuscrite rédigée par l'appelant, le résultat négatif de l'affaire liée à la propriété de sa famille s'explique davantage par un problème de non-respect d'un délai légal que l'appelant à d'ailleurs reproché à son avocat. (…) ».

Vous n'êtes par la suite pas retourné en Serbie et avez déposé une nouvelle demande de protection internationale sur conseil de votre avocat.

En mains le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 3 avril 2014.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez déposé une deuxième demande de protection internationale à cause du conflit que vous auriez avec votre voisin …. Vous dites que depuis septembre 2013, une personne serbe vous menacerait par téléphone; vous seriez d'avis qu'il s'agirait de … qui vous appellerait à cause d'un conflit datant de 2010 concernant sa future belle-fille. Vous expliquez également avoir reçu ces menaces suite à des documents qui vous auraient été envoyés par votre frère. Il s'agirait de documents concernant votre litige en rapport avec la parcelle. Enfin, vous précisez que votre frère serait également menacé par téléphone, mais qu'il serait resté en Serbie.

Vous ajoutez que vous n'auriez reçu aucune aide de la part des institutions. De plus, la Serbie ne serait pas un pays sûr pour vous puisque … serait au pouvoir et qu'il appartiendrait au même parti politique que …, à savoir le SNS.

A noter que vous avez remis un enregistrement contenant trois menaces présumées que vous auriez reçues par téléphone depuis septembre 2013.

Monsieur, il s'agit de noter que l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 dispose que:

« Le ministre considérera comme irrecevable la demande de protection internationale d'une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés ou d'une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu'ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l'incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. ».

Or, force est tout d'abord de constater que les soucis que vous invoquez ont déjà été traités dans le cadre de votre première demande de protection internationale. En effet, vous aviez déjà fait part de vos soucis avec votre voisin, avec le dénommé … ainsi que vos accusations envers les institutions serbes au cours de votre première demande de protection internationale. Le seul fait que vous auriez entretemps reçu plusieurs menaces par téléphone par une personne inconnue que vous soupçonneriez être …, ne sauraient en tout cas augmenter de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions pour prétendre à une protection internationale.

Concernant plus précisément les prétendues menaces, il convient de relever que vous affirmez que celles-ci auraient commencé en septembre 2013. De même, vous affirmez que ces menaces auraient commencé après que votre frère vous ait envoyé des documents relatifs à votre litige concernant la parcelle; laissant sous-tendre que vous auriez donc été en possession de ces documents au plus tard en septembre 2013. Ainsi, il s'agit de soulever que vous n'étiez pas dans l’incapacité de faire valoir ces incidents ou de remettre les documents en question « au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse » qui n'a abouti qu'en février 2014, puisque vous auriez été au courant de ces faits au plus tard en septembre 2013. Le seul fait, que vous n'auriez pas signalé ces menaces plus tôt parce que « J'avais laissé les documents que j'ai reçus par après chez l'avocat, L'avocat n'a pas donné de suites » (p. 2/7), ne saurait pas justifier votre mutisme. Par ailleurs, les menaces dont vous auriez été victime ne sauraient être qualifiées d’éléments nouveaux alors qu'ils sont intimement liés aux motifs invoqués lors de votre première demande. Même à supposer ces menaces établies, des faits d'ordre privé et donc de droit commun ne relèvent pas de la Convention de Genève. Sans oublier que de simples menaces ne sont pas d’une gravité telle qu'elles pourraient être qualifiées de persécution.

Quoi qu'il en soit, un litige avec votre voisin au sujet d'une parcelle, ainsi qu'avec le dénommé … pour avoir fait des avances à sa future belle-fille, ne revêt pas un caractère de gravité tel à être assimilé à une persécution au sens de la Convention de Genève et ne tombe pas non plus sous un des critères prévus par cette Convention, qui garantit une protection à toute personne qui craigne avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social. Par ailleurs, comme retenu par l'arrêt de la Cour administrative, il n'est nullement démontré que vos problèmes avec les institutions serbes seraient motivés par votre appartenance ethnico-

religieuse.

Les faits que vous avancez dans le cadre de votre deuxième demande de protection internationale ne sont donc pas des éléments nouveaux pouvant augmenter de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire.

Par conséquent, je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

Votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 août 2014, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 25 avril 2014 déclarant irrecevable sa demande de protection internationale sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006, pour violation de la loi, sinon pour excès de pouvoir ou détournement de pouvoir, sinon encore pour erreur manifeste d’appréciation.

Dans la mesure où la décision déférée déclare irrecevable la demande en obtention d’une protection internationale sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006 et que l’article 23 (3) de ladite loi prévoit un recours en annulation en matière de demandes déclarées irrecevables, seul un recours en annulation a pu être dirigé contre la décision ministérielle attaquée.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité ratione temporis du recours précité, en expliquant que la décision ministérielle du 25 avril 2014 aurait été notifiée à la dernière adresse connue du demandeur et que ce dernier aurait omis d’informer l’autorité administrative de son changement de résidence tel qu’expliqué dans la brochure d’information pour demandeurs de protection internationale. En tout état de cause son ancien mandataire aurait reçu une copie de la décision déférée. Il souligne encore que le demandeur n’aurait introduit aucune demande de relevé de forclusion et qu’en l’occurrence, en ne communiquant pas sa nouvelle adresse au ministère compétent, il ne saurait de toute façon pas bénéficier du relevé de forclusion. Il souligne finalement que le demandeur n’aurait plus prolongé son attestation de protection internationale depuis le 21 février 2014.

Monsieur … argue de son côté ne jamais avoir demeuré à l’adresse à laquelle la décision déférée a été notifiée, de sorte qu’il n’en aurait pris connaissance qu’en date du 16 juillet 2014. Il conclut partant à la recevabilité de son recours.

Aux termes de l’article 23 (3) de la loi du 5 mai 2006 « La décision du ministre est susceptible d’un recours en annulation devant le tribunal administratif. Le recours doit être introduit dans un délai d’un mois à partir de la notification ».

L’article 6 de la loi du 5 mai 2006 dispose en ses paragraphes (8) et (9) :

« (8) Le demandeur a l’obligation d’élire domicile au pays pour les besoins de la procédure d’asile. Il a l’obligation de communiquer le domicile au ministre dans les cinq jours suivant le dépôt de sa demande de protection internationale. Toute modification du domicile élu doit être communiquée au ministre contre récépissé. A défaut d’élection de domicile, le demandeur est réputé avoir élu domicile au ministère. […] (9) Le demandeur a l’obligation d’accepter toute communication du ministre à son domicile élu. Sans préjudice d’une notification à personne, toute notification est réputée valablement faite trois jours après l’envoi au domicile élu, sous pli recommandé la poste. » Force est au tribunal de constater qu’il ressort du dossier administratif que la décision déférée du 25 avril 2014 a été notifiée par courrier recommandé envoyé le 29 avril 2014 au demandeur à l’adresse suivante : L-…. L’envoi a été retourné au ministère le 5 mai 2014 avec la mention « n’habite/n’existe plus à l’adresse indiquée ». Il ressort encore du dossier administratif que la première décision du 21 novembre 2012 a été notifiée à Monsieur … à l’adresse suivante :

L-…, adresse qui figure comme celle du demandeur aussi bien dans le jugement précité du 26 juin 2013 que dans l’arrêt précité du 27 février 2014.

Il s’ensuit que le domicile élu du demandeur se trouvait à priori au moins jusqu’au 27 février 2014 à L-…. Or, le dossier administratif est néant quant à une éventuelle fiche de modification du domicile élu par Monsieur …, voire quant à un quelconque autre document prouvant que le demandeur aurait élu un autre domicile dans le cadre de la deuxième demande de protection internationale introduite le 31 mars 2014. Au vu de ce qui précède et étant donné que le demandeur affirme ne jamais avoir changé de domicile et donc d’avoir continué à habiter sans interruption à L-…, dires qui ne sont pas contredites par un quelconque document versé par le délégué du gouvernement, il y a lieu de retenir que Monsieur … n’avait jamais élu domicile à l’adresse à laquelle la décision déférée lui a été envoyée, de sorte que cette dernière ne lui a pas été valablement notifiée par courrier recommandé du 29 avril 2014.

Il s’ensuit que le délai pour introduire un recours contre la décision déférée a commencé à courir au plus tôt le 16 juillet 2014, date à laquelle le demandeur affirme avoir eu connaissance de la décision du 25 avril 2014, pour expirer le 18 août 2014.

Cette conclusion n’est pas énervée par les conclusions du délégué du gouvernement selon lesquelles le mandataire de Monsieur … se serait vu communiqué la décision déférée par courrier du 29 avril 2014.

En effet, si l’article 10, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes précise certes qu’ « en cas de désignation d’un mandataire, l’autorité adresse ses communications à celui-ci (…) », le même article impose également que la décision finale soit notifiée également à la partie elle-même, de sorte qu’il résulte des termes mêmes de ce texte que si l’autorité doit adresser toutes les communications au mandataire du demandeur, la notification de la décision en revanche s’effectue tant à l’égard du demandeur qu’à l’égard de son mandataire.

Au vu de ce qui précède, le moyen suivant lequel le demandeur aurait dû introduire une demande de relevé de déchéance devient redondant, de sorte qu’il n’y a pas lieu de le trancher.

Le fait que le demandeur n’aurait plus prolongé son attestation de protection internationale depuis le 21 février 2014 est sans influence quant à la question de savoir quand le demandeur s’est vu notifier la décision déférée, de sorte que ce moyen est à rejeter pour être dénué de fondement.

Le recours est donc à déclarer recevable ratione temporis et dans la mesure où il a par ailleurs été introduit dans les formes de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur explique avoir reçu, jusqu’au mois de juillet 2014, des menaces de mort par voie écrite sur son téléphone, par une personne qu’il estime être un certain Monsieur …. Il souligne que les autorités serbes n’assureraient pas sa protection et se dit convaincu que la minorité musulmane, à laquelle il appartient, ne serait pas suffisamment protégée par les autorités judiciaires et policières de la Serbie.

En droit, le demandeur estime que ces menaces téléphoniques seraient à considérer comme des actes de persécution lui permettant de prétendre au statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner le caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis, en ce sens qu’au cas où une disproportion devait être retenue par le tribunal administratif, celle-ci laisserait entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision.1 La question afférente ayant été posée d’office par le tribunal lors de l’audience des plaidoiries du 10 septembre 2014, force est de constater à titre liminaire qu’en vertu des articles 1er, alinéa 1er et 5(2) de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives tout administré a l’obligation de se faire représenter par un avocat à la Cour devant les juridiction administratives. En conséquence, les actes de procédure devant les juridictions administratives ne peuvent être accomplis que par l’avocat à la Cour représentant l’administré. En l’espèce, il échet donc d’écarter des débats les pièces déposées par le demandeur lui-même au greffe du tribunal administratif en dates du 2 septembre et du 8 septembre 2014.

Aux termes de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006 : « Le ministre considérera comme irrecevable la demande de protection internationale d’une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés ou d’une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. (…) » Le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction d’une demande de protection internationale est ainsi conditionné par la soumission d’éléments qui, d’une part, doivent être nouveaux et être invoqués dans un délai de 15 jours à compter du moment où le demandeur les a obtenus et, d’autre part, doivent augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur devant par ailleurs avoir été dans l’incapacité - sans faute de sa part - de se prévaloir de ces nouveaux éléments au cours de la procédure précédente, en ce compris la procédure contentieuse.

Ce droit ne constitue en principe pas en quelque sorte une « troisième instance », mais 1 trib.adm. 27 février 2013, n° 30584 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu une exception - soumise à des conditions d’ouverture strictes - à l’autorité de chose jugée dont est revêtue la procédure contentieuse antérieure, respectivement à l’autorité de chose décidée dont est revêtue la première décision de refus de protection internationale.

Il appartient dès lors au ministre d’analyser les éléments nouveaux soumis en cause par le demandeur afin de vérifier le caractère nouveau des éléments lui soumis ainsi que leur susceptibilité d’augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale, le caractère nouveau des éléments avancés en cause s’analysant notamment par rapport à ceux avancés dans le cadre de la précédente procédure, laquelle, doit, aux termes de l’article 23 (1) de la loi du 5 mai 2006, être définitivement terminée.

Il est en l’espèce constant que le demandeur s’est vu refuser en date du 21 novembre 2012 la protection internationale, refus entre-temps revêtu de l’autorité de chose jugée, le demandeur ayant été définitivement débouté de son recours contentieux afférent par l’arrêt précité de la Cour administrative du 27 février 2014.

Force est dès lors de retenir que la demande de Monsieur …, présentée en date du 31 mars 2014, doit être considérée comme nouvelle demande au sens de l’article 23 précité.

Or, la première demande de Monsieur … était basée essentiellement sur les faits suivants, tels que résumés dans l’arrêt de la Cour administrative du 27 février 2014 : « Il rappelle qu’il aurait été menacé de mort à plusieurs reprises par la famille … ainsi que par la famille … et que ces menaces devraient être considérées comme constituant une persécution de par leur nature.

L’appelant rappelle qu’il se heurterait depuis toujours aux discriminations des autorités locales et étatiques de son pays d’origine et qu’en raison de ce refus de ces autorités d’appliquer la loi, il ne parviendrait pas à se sortir de cette situation d’enclavement de sa propriété qui lui porterait gravement préjudice. Il conclut que l’incapacité, voire le défaut de volonté de la part des autorités policières et judiciaires d’assurer sa protection devrait emporter la conséquence que les faits afférents mis en avant par lui devraient être considérés comme étant suffisamment graves du fait de leur seule nature pour être qualifiés de persécutions au sens de l’article 31, paragraphe 1er, a) de la loi du 5 mai 2006 ».

Il est encore constant en cause que le rejet définitif de la demande de Monsieur … reposait sur le fait que les évènements relatés ne pouvaient ni « être considérés comme se trouvant en relation avec l’un des motifs de persécution précités énumérés dans l’article 2, sub d) de la loi du 5 mai 2006 » pour lui permettre de prétendre au statut de réfugié, ni ne présentaient la gravité nécessaire pour lui permettre de prétendre à la protection subsidiaire :

« force est de constater que les risques invoqués par lui de subir des traitements inhumains ou dégradants ne sont pas suffisamment sérieux et avérés pour justifier l’octroi du statut de la protection subsidiaire, alors que les actes invoqués, même pris dans leur globalité, ne revêtent pas un degré de gravité suffisant pour pouvoir être qualifiés de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 37. Plus particulièrement, il ne se dégage pas de l’ensemble des éléments auxquels la Cour peut avoir égard que l’appelant, en cas de retour en Serbie, risquerait la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des actes susceptibles d’être analysés comme des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Force est donc de constater que les menaces de mort émanant de Monsieur … et dont se prévaut le demandeur dans le cadre de son présent recours constituent certes des faits nouveaux qui se sont, partiellement, déroulés après que le demandeur ait été définitivement débouté de sa première demande de protection internationale, mais ne sont néanmoins pas à qualifier de faits nouveaux augmentant de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire au vu de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006. En effet le demandeur s’est déjà infructueusement prévalu de menaces de mort émanent aussi bien de Monsieur …, que de la famille de ce dernier, dans le cadre de sa première demande en obtention d’une protection internationale et les nouvelles menaces ne diffèrent pas qualitativement de celles invoquées lors de la première demande de protection internationale. La même conclusion s’impose d’ailleurs en ce qui concerne la prétendue absence de protection de la part des autorités policières et judiciaires serbes en raison de son appartenance à la minorité musulmane, cette question ayant d’ores et déjà été soumise en dernier ressort à la Cour administrative dans le cadre de l’appel enrôlé sous le n°33141C.

Il en résulte que la demande de Monsieur … a valablement pu être déclarée irrecevable en application de l’article 23 de la loi précitée du 5 mai 2006, le demandeur ne fournissant aucun nouvel élément d’après lequel il existerait de sérieuses indications d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève ou d’atteinte grave augmentant de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

donne acte à Monsieur … qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Claude Fellens, vice-président, Françoise Eberhard, vice-président, Laurent Lucas, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 12 septembre 2014 à 15.00 heures par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 septembre 2014 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 35066
Date de la décision : 12/09/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-09-12;35066 ?

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