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10/09/2014 | LUXEMBOURG | N°34858

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 septembre 2014, 34858


Tribunal administratif N° 34858 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 juillet 2014 chambre de vacation Audience publique de vacation du 10 septembre 2014 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34858 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2014 par Maître Arnaud Ranze

nberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au no...

Tribunal administratif N° 34858 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 juillet 2014 chambre de vacation Audience publique de vacation du 10 septembre 2014 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34858 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2014 par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Serbie), de nationalité serbe, demeurant à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 25 juin 2014 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 25 juin 2014 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 août 2014;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sandrine Francis, en remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 3 septembre 2014.

Le 3 avril 2014, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les 10 avril, 23 mai et 6 juin 2014, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 25 juin 2014, expédiée par lettre recommandée le 26 juin 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que sa demande avait été refusée comme non fondée tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2014, Monsieur … a fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision du ministre du 25 juin 2014 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 25 juin 2014 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

A l’appui de son recours et en fait, Monsieur … explique avoir lancé accidentellement en date du 23 février 2012 une boule de neige sur un véhicule, suite à quoi il se serait disputé avec les occupants dudit véhicule, lesquels l’auraient attaqué le soir même à l’aide d’une hache avec le résultat qu’il se serait retrouvé pendant trois jours dans le coma et qu’il aurait dû être hospitalisé pendant 20 jours. Il explique que, sur plainte de son ami, ses agresseurs auraient été arrêtés par la police et condamné à des peines d’emprisonnement. Il aurait cependant, depuis la plainte de son ami, été menacé à plusieurs reprises aussi bien par ses agresseurs que par les familles de ces derniers, de sorte qu’il aurait décidé de quitter son pays de peur que ces personnes ne mettent leurs menaces à excécution.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée.

Ledit recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours concernant ce volet de la décision, le demandeur estime que ce serait à tort que le ministre, pour traiter sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, aurait conclu au défaut de pertinence des faits invoqués, en donnant à cet égard à considérer que les menaces proférées par ses agresseurs et leurs familles constitueraient des persécutions au sens de la Convention de Genève, de sorte que les conditions d’obtention du statut de réfugié sinon de la protection internationale seraient réunies, et que les conditions de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 ne seraient pas remplies en l’espèce. Il conclut que la décision déférée serait à annuler pour erreur manifeste d’appréciation, sinon excès de pouvoir, sinon violation de la loi destinée à protéger des intérêts privés.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée.

En l’espèce, la décision ministérielle déférée est basée sur les points a), b) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, aux termes desquels :

« (1) Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ;

(…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, soit s’il apparaît clairement que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte fondée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social, respectivement un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la même loi, ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Plus particulièrement, tout d’abord, en ce qui concerne le point c) de l’article 20 (1), précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de rappeler qu’un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.

(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.

(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.» Il est constant en cause que le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste des pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, ci-après dénommé « le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 », retient la Serbie comme constituant un pays d’origine sûr. Or, il se dégage des éléments du dossier que le demandeur a la nationalité serbe et qu’il a vécu en Serbie avant de venir au Luxembourg.

Dès lors que l’énumération d’un pays d’origine sûr dans la liste du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 ne constitue qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006 un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

En l’espèce, l’examen de la situation personnelle décrite par le demandeur lors de ses auditions, ne permet pas au tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation - appelé dès lors à apprécier la légalité de la décision déférée en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, de sorte à ne pas pouvoir tenir compte des faits nouveaux invoqués dans le seul recours en annulation sous analyse - d’en dégager des éléments suffisants pour conclure à l’illégalité de la décision ministérielle.

En effet, il ressort du récit du demandeur que les personnes qui l’auraient attaqué à l’aide d’une hache auraient été arrêtées par la police peu de temps après que son ami aurait déposé une plainte à leur encontre et que le demandeur aurait par la suite été convoqué à trois reprises devant un tribunal. Etant donné qu’il n’aurait pu s’y déplacer en raison de sa situation médicale, le juge se serait même déplacé chez lui afin d’acter ses déclarations au sujet de son agression. Le demandeur précise encore que ses agresseurs auraient été jugés et condamnés à des peines d’emprisonnement élevées1.

Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à constater qu’il résulte du récit du demandeur que la Serbie dispose d’une structure policière et judiciaire efficace et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et que le demandeur a bien eu accès à une protection de la part de la police qui est intervenue rapidement après le dépôt de la plainte afin d’arrêter ses agresseurs, lesquels ont d’ailleurs été jugés et condamnés à des peines de prison conséquentes. En plus, Monsieur … affirme n’avoir même pas tenté de déposer une plainte à l’encontre des personnes qui le menaçaient en indiquant comme seule justification qu’il n’aurait jamais été menacé directement, mais qu’il n’avait eu connaissance de ces menaces que par l’intermédiaire d’amis2.

Dès lors, il appert que le demandeur n’a jamais requis officiellement et formellement la protection des autorités serbes en déposant une plainte à l’encontre des personnes qui l’ont menacé.

Il s’ensuit que le demandeur n’a pas fourni d’éléments de nature à renverser le constat du du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 précité, selon lequel la Serbie est à considérer comme pays d’origine sûr.

Il suit des considérations qui précèdent que le demandeur n’invoque pas de faits démontrant que la Serbie ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr dans son chef, de sorte que c’est à bon droit que le ministre, après analyse de sa situation concrète, a conclu qu’il est originaire d’un pays d’origine sûr, et qu’il a à bon droit pu statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.

1 Pages 2/9 et 3/9 du rapport d’audition de Monsieur … 2 Page 5/9 du rapport d’audition de Monsieur … 2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, seul un recours en réformation a valablement pu être dirigé contre ce volet de la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de ce volet du recours, Monsieur … argue que les menaces proférées par ses agresseurs et leurs familles constitueraient des persécutions suffisamment graves au sens de la Convention de Genève, lui permettant de bénéficier de la protection internationale. Les personnes responsables de ces menaces seraient d’ailleurs à considérer comme des « agents de persécutions ». Il expose encore qu’une fuite interne aurait été impossible alors que les familles de ses agresseurs auraient aisément pu le retrouver sur l’ensemble du territoire de la Serbie. Il conclut à l’existence d’une impossibilité matérielle sinon morale de retourner en Serbie.

Le délégué du gouvernement pour sa part estime que ce serait à bon droit que le ministre a refusé le statut de protection internationale au demandeur.

En vertu de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définis à l’article 37, (…) et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent, outre nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine, une absence de protection dans le pays d’origine, soit que la personne concernée refuse d’accepter la protection des autorités du pays dont elle a la nationalité, soit qu’elle n’y a pas accès.

Dès lors, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale3. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut4.

L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. En cas de persécution ou d’atteinte grave infligées par des entités non étatiques, la crainte d’être persécuté est considérée comme fondée si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.

Il y a, à cet égard, encore lieu de rappeler l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 qui définit la protection comme suit : « La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » Si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, tel que relevé ci-avant, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Comme le tribunal vient ci-avant de le retenir dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée, ce dernier a eu accès aux autorités policières et judiciaires serbes qui ont été capables de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes de violence que son ami avait signalé. Force 3 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.

4 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

est encore de constater que dans le cadre de la procédure contentieuse, le demandeur n’a fourni aucun élément complémentaire pertinent permettant de conclure que les autorités serbes seraient dans l’incapacité de lui fournir une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006.

Il affirme d’ailleurs dans le cadre de son audition ne jamais avoir déposé une plainte à l’encontre des personnes qui l’ont menacé postérieurement à l’attaque dont il a été victime et qui fut dénoncée auprès des autorités policières par son ami, en indiquant comme seule justification qu’il n’aurait jamais été menacé directement, mais qu’il n’avait eu connaissance de ces menaces que par l’intermédiaire d’amis. 5 Dès lors, il est acquis que le demandeur n’a jamais requis officiellement et formellement la protection des autorités serbes en déposant une plainte à l’encontre desdites personnes. Si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant se prévaloir de la protection internationale avant d’avoir tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays, pour autant qu’il ne fournisse aucune raison qui pourrait laisser croire qu’une telle tentative paraisse irraisonnable en raison du contexte, ce qui est le cas en l’espèce. Or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces, communément la forme d’une plainte.

A défaut de fournir le moindre élément pertinent, permettant de conclure que les autorités serbes seraient dans l’incapacité de lui fournir une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006, Monsieur … ne saurait, à travers la protection internationale, réclamer la protection d’un autre Etat.

Il s’ensuit que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, pris en son double volet, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse.

Le recours en annulation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

En l’espèce, le demandeur sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif qu’il existerait une impossibilité matérielle sinon morale de procéder à son retour contraint et forcé en Serbie, de sorte que la décision déférée devrait être annulée pour erreur manifeste d’appréciation sinon pour excès de pouvoir.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en annulation.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de 5 Page 5/9 du rapport d’audition de Monsieur … « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, alors que ce dernier est susceptible de bénéficier d’une protection adéquate en Serbie, et que par conséquent un retour dans son pays d’origine ne le soumet ni à des persécutions ni à des atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006, et à défaut d’autres moyens soulevés par le demandeur, le tribunal ne saurait mettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire pris à son égard, étant précisé que la simple affirmation de l’existence d’une prétendue impossibilité morale ou matérielle d’un retour forcé n’est pas de nature à mettre en échec la légalité de la décision prise à son égard.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 25 juin 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 25 juin 2014 portant refus d’une protection internationale à Monsieur …;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 25 juin 2014 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

donne acte à Monsieur … qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Anne Gosset, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, Laurent Lucas, juge, et lu à l’audience publique de vacation du 10 septembre 2014 par le premier juge, en présence du greffier Anne-Marie Wiltzius.

s. Anne-Marie Wiltzius s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 septembre 2014 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 34858
Date de la décision : 10/09/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-09-10;34858 ?

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