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27/08/2014 | LUXEMBOURG | N°35109

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 août 2014, 35109


Tribunal administratif Numéro 35109 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 août 2014 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 27 août 2014 Recours formé par Monsieur …, Findel contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35109 du rôle et déposée le 22 août 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Karima H

AMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au no...

Tribunal administratif Numéro 35109 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 août 2014 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 27 août 2014 Recours formé par Monsieur …, Findel contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35109 du rôle et déposée le 22 août 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 23 juillet 2014 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 août 2014;

Vu le mémoire en réplique déposé le 26 août 2014 par Maître Karima HAMMOUCHE au greffe du tribunal administratif ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Figen GOKCE, en remplacement de Maître Karima HAMMOUCHE, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 27 août 2014.

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Le 2 avril 2013, Monsieur …, déclarant être né le 10 septembre 1985 à Tunis et être de nationalité tunisienne, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection internationale, ci-après dénommée la « loi du 5 mai 2006 ». Cette demande fut rejetée par décision ministérielle du 26 novembre 2013, notifiée en mains propres le 10 janvier 2014, laquelle ne fut pas entreprise par l’intéressé.

Le 16 janvier 2014, Monsieur … quitta le logement lui assigné pendant la procédure d’asile sans laisser d’adresse.

Le 26 janvier 2014, il fit l’objet d’un mandat d’amener pour infraction à la législation sur les stupéfiants.

Le 18 février 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, entretemps en charge du dossier, ci-après dénommé le « ministre », saisit les autorités tunisiennes aux fins de l’identification de Monsieur … en vue de la délivrance d’un laissez-passer permettant son retour en Tunisie.

Le 24 février 2014, le ministre prit une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois d’une durée de cinq ans.

Le même jour, le ministre ordonna encore le placement du demandeur au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification. Ledit arrêté, notifié le jour même à l’intéressé, est basé sur les considérations et motifs suivants :

« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu ma décision de retour du 26 novembre 2013 ;

Attendu qu'au vu de la situation particulière de l'intéressé, il n'existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu'une mesure de placement alors que les conditions d'une assignation à domicile conformément à l'article 125(1) ne sont pas remplies ;

Attendu qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé ont été engagées ; (…) ».

Par arrêté du 19 mars 2014, notifié à l’intéressé le 24 mars 2014, le ministre prorogea pour une nouvelle durée d’un mois la mesure de placement sur base des considérations et motifs suivants :

« Vu les articles 111, 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 24 février 2014, notifié le même jour, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 24 février 2014 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure d'éloignement ; (…) ».

Par un jugement du tribunal administratif du 9 avril 2014, n° 34306 du rôle, non frappé d’appel, le recours contentieux introduit contre la décision de prorogation du placement en rétention du 19 mars 2014 fut déclaré non justifié.

Par arrêtés successifs des 18 avril 2014, 20 mai 2014 et 17 juin 2014, notifiés à l’intéressé respectivement en date des 24 avril 2014, 23 mai 2014 et 20 juin 2014, le ministre prorogea à chaque fois pour une nouvelle durée d’un mois la mesure de placement précitée du 24 février 2014.

Seul l’arrêté de placement du 20 mai 2014 fit l’objet d’un recours introduit par le demandeur par le biais d’une requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2014, recours dont il fut toutefois débouté par jugement du tribunal administratif du 18 juin 2014, n°34654 du rôle.

Suite à l’échec de la tentative d’éloignement du demandeur vers la Tunisie prévue pour le 25 juin 2014, le ministre prit le même jour un nouvel arrêté de placement du demandeur au centre de rétention pour une durée d’un mois. Cet arrêté, qui fut notifié au demandeur le même jour est basé sur les considérations et motifs suivants :

« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu la décision de retour du 26 novembre 2013 ;

Considérant que l’éloignement était prévu pour le 25 juin 2014 ;

Considérant que l’intéressé s’est opposé au moment de l’embarquement de sorte que l’éloignement a dû être interrompu ;

Considérant que l’éloignement immédiat de l’intéressé est impossible en raison de circonstances de fait ; (…) » Par un arrêté du 23 juillet 2014, notifié au demandeur le 25 juillet 2014 le ministre prorogea pour une nouvelle durée d’un mois la mesure de placement du 25 juin 2014 sur le fondement des considérations suivantes :

« Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 25 juin 2014, notifié le même jour, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 25 juin 2014 s ubsistent dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que les démarches en vue de l’éloignement de l’intéressé ont été engagées ;

Considérant que l’intéressé empêche l’éloignement en raison de son manque de coopération ;

Considérant que l’éloignement de l’intéressé a à deux reprises dû être annulé en raison de son comportement ;

Considérant qu’une nouvelle tentative d’éloignement sera effectuée dans les meilleures délais ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure d’éloignement ; (…) ».

Par requête déposée le 22 août 2014 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision de prorogation du 23 juillet 2014.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Le délégué du gouvernement soulève de prime abord l’irrecevabilité du recours en réformation pour défaut d’objet, en faisant valoir que la mesure aurait cessé de produire ses effets au moment où l’affaire sera plaidée, une nouvelle décision de prorogation ayant été prise le 21 août 2014. Dans son mémoire en réplique, le demandeur insiste sur le fait que son recours en réformation présenterait encore un intérêt certain bien que les effets directs de la décision ministérielle entreprise se seraient écoulés alors que le bien-fondé de cette décision serait de nature à conditionner la décision de prorogation du 21 août 2014.

Il résulte effectivement des pièces versées en cause qu’une nouvelle décision de prorogation a été prise le 21 août 2014, de sorte à remplacer la décision actuellement déférée. Par conséquent, au jour des présentes, la mesure déférée a expiré. Le tribunal, appelé à statuer comme juge du fond et à apprécier la situation de fait et de droit de la cause au moment où il statue, ne saurait partant plus utilement faire droit à la demande en réformation de la décision déférée et ordonner la libération du demandeur, étant donné que le demandeur ne se trouve plus à l’heure actuelle placé en rétention par application de l’arrêté déféré. Le recours en réformation est néanmoins recevable dans la limite des moyens de légalité invoqués, et il est partant à déclarer sans objet pour autant qu’il conclut à la libération du demandeur.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est dès lors recevable dans cette mesure.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique avoir déposé le 2 avril 2013 une demande de protection internationale dont il aurait été déboutée. Il aurait ensuite été condamné pour des infractions aux dispositions de la loi concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie et placé en détention préventive de ce chef pendant 28 jours. Le 24 février 2014, le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, aurait fait droit à sa demande de mise en liberté provisoire. Le même jour, le ministre aurait toutefois ordonné son placement au centre de rétention pour une durée d’un mois, de sorte que le demandeur aurait de nouveau vu sa liberté d’aller et de venir restreinte.

Le demandeur relate ensuite les différentes démarches entreprises par le ministre auprès des autorités tunisiennes en vue de voir procéder à son identification et de voir délivrer un laisser-passer. Il insiste à cet égard sur le fait qu’il n’aurait eu de cesse de déclarer être de nationalité tunisienne et qu’il aurait toujours collaboré avec les autorités luxembourgeoises, le demandeur déclarant que ses tentatives d’obtenir une carte d’identité ou un acte de naissance dans son pays d’origine se seraient soldées par un échec et ce parce qu’il aurait dû pouvoir se rendre personnellement à l’Ambassade de Tunisie à Bruxelles pour obtenir des documents d’identité valables.

Le demandeur explique encore que le 9 mai 2014, les autorités tunisiennes auraient délivré un laissez-passer d’une durée de validité de 10 jours. Comme il aurait toutefois dû être hospitalisé le 15 mai 2014 après avoir avalé un objet métallique, son éloignement aurait été impossible. De ce fait, le ministre aurait prorogé par arrêté du 20 mai 2014 son placement en rétention pour une durée supplémentaire d’un mois.

Suite à l’échec de la première tentative d’éloignement, les autorités luxembourgeoises auraient tenté de l’éloigner du territoire le 25 juin 2014. Cette mesure d’éloignement aurait toutefois été effectuée dans des conditions inhumaines. Le demandeur souligne à cet égard avoir subi de nombreuses blessures lors de la procédure de rapatriement et verse à cet égard des photographies prises de lui lors de son retour au centre de rétention. La direction générale de la Police serait d’ailleurs saisie à l’heure actuelle d’une enquête en vue de vérifier les circonstances dans lesquelles le rapatriement a été effectué.

Le demandeur explique ensuite que dans son désespoir, il aurait utilisé lors de l’escale à Francfort un bout d’une lame de rasoir pour s’entailler une partie du bras suite à quoi il aurait été redirigé vers le centre médical de l’aéroport où le médecin qui l’aurait soigné aurait constaté son état de grande détresse psychiatrique. Ce médecin aurait encore constaté l’impossibilité de rapatriement du demandeur et l’aurait transféré pour internement vers une clinique psychiatrique.

Le deuxième psychiatre qui aurait examiné le demandeur aurait autorisé son retour au Luxembourg mais sous condition de prises de médicaments et d’un suivi à son retour par un psychiatre. Le demandeur aurait ensuite été rapatrié au Luxembourg puisqu’il ne lui aurait pas été possible de prendre le vol prévu de Francfort vers Tunis.

Le demandeur souligne qu’à ce jour il serait toujours retenu au centre de rétention et ce depuis presque 6 mois avec les conséquences psychiatriques liées à cet enfermement et à la crainte d’être rapatrié dans les mêmes conditions.

En droit, le demandeur insiste sur l’impossibilité des autorités luxembourgeoises à pouvoir l’éloigner du territoire à défaut de disposer actuellement d’un laissez-passer valable.

A cela s’ajouterait que le tribunal d’arrondissement, siégeant en matière correctionnelle, aurait ordonné sa mise en liberté provisoire par un jugement du 24 février 2014, alors qu’il se trouvait en détention préventive au centre pénitentiaire de Schrassig, et ce au motif qu’il ne présenterait pas de risque de fuite. Il estime à cet égard que si l’appréciation du risque de fuite par le ministre et celle fait par le tribunal correctionnel dans le cadre d’une procédure pénale seraient certes autonomes, le risque de fuite devrait néanmoins objectivement faire appel à des mécanismes similaires d’appréciation, de sorte que le ministre devrait également considérer l’absence de risque de fuite dans son chef. En effet, comme l’absence de documents d’identité valables dans le chef du demandeur n’aurait pas été considérée par le tribunal correctionnel comme engendrant un risque de fuite et dès lors comme constituant un frein à sa mise en liberté, il ne saurait en être différemment du ministre, ce d’autant plus que les risques encourus au niveau pénal seraient bien plus graves que ceux encourus suite à la mesure d’éloignement.

Le demandeur soulève à cet égard encore que la mesure d’éloignement prononcée à son encontre serait contraire à l’article 6.1. de la Convention européenne des droits de l’Homme et de sauvegarde des libertés fondamentales, ci-après la « CEDH », en ce qu’elle l’empêcherait de pouvoir se présenter à l’audience pénale prévue devant le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, et qui aura trait aux poursuites ayant donné lieu à sa détention préventive. L’exécution de la mesure d’éloignement constituerait dès lors un obstacle grave à son droit de bénéficier d’un procès équitable et a fortiori de se défendre dans une affaire pénale.

Le demandeur estime encore qu’il conviendrait d’apprécier les conditions de mise en œuvre de cette mesure de placement en rétention, alors qu’une telle décision aurait des conséquences graves sur ses libertés fondamentales, puisqu’elle aurait pour effet de restreindre notamment sa liberté d’aller et de venir consacrée par la CEDH à son article 5, pour en conclure que la mesure limitative de liberté telle que déférée serait disproportionnée par rapport au but poursuivi par le ministre, à savoir garantir l’exécution d’une future mesure d’éloignement.

A cet égard, il affirme qu’il résulterait d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne que la durée de la rétention aux fins d’expulsion ne saurait excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi, tandis qu’il résulterait encore d’une décision de la Cour européenne des droits de l’Homme que la détention d’un étranger devrait se faire de bonne foi et sa durée ne devrait pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi ; or, en l’espèce, il serait retenu depuis presque 6 mois, ce qui serait indubitablement et objectivement excessif, eu égard aux exigences de la Cour de Justice de l’Union Européenne et aux démarches entreprises par le ministre pour éviter cette mesure de placement.

Finalement, le demandeur donne encore à considérer que comme le ministre tenterait d’obtenir un nouveau laissez-passer auprès des autorités tunisiennes, sans être certain de pouvoir le recevoir et ce compte tenu des circonstances dans lesquelles se serait déroulée la dernière tentative de rapatriement, la décision déférée devrait être considérée comme disproportionnée par rapport à la situation actuelle qui ne nécessiterait pas de porter une atteinte abusive à sa liberté d’aller et de venir.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que la décision de prorogation serait justifiée en fait et en droit, de sorte que le demandeur serait à débouter de son recours.

En ce qui concerne la régularité de la décision de prorogation, il convient de rappeler que l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 dispose que : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée […].

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ». En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « […] La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. […] ».

L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour la durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite. Dès lors, la seule expectative d’une mesure d’éloignement suffit à justifier une décision initiale de rétention.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais, la rétention pouvant plus particulièrement être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions initiales de rétention sont toujours réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

En ce qui concerne tout d’abord le reproche du demandeur que la mesure d’éloignement dont il fait l’objet serait contraire aux dispositions de l’article 6.1. de la CEDH et ce dans la mesure où son éloignement l’empêcherait de pouvoir se présenter à l’audience pénale fixée devant la chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, le tribunal est amené à rappeler que dans le cadre de la présente instance son analyse est limitée à la décision déférée ayant pour seul objet la prorogation de son placement au centre de rétention. Or, la situation de fait critiquée par le demandeur se situe dans son éloignement imminent vers son pays d’origine, éloignement effectué en exécution non pas de la décision actuellement déférée ayant, tel que relevé ci-dessus, pour seul objet la prorogation de son placement en rétention, mais de la décision ministérielle du 26 novembre 2013 lui refusant une protection internationale et lui enjoignant de quitter le territoire, décision coulée en autorité de chose décidée et jugée.

Le moyen fondé sur une violation par la mesure d’éloignement de l’article 6.1. CEDH doit dès lors être écarté pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne ensuite l’absence de risque de fuite alléguée, force est de rappeler qu’en l’espèce le demandeur a fait l’objet en date du 26 novembre 2013 d’une décision de rejet de sa demande de protection internationale, valant décision de retour, ainsi qu’en date du 24 février 2014 d’une décision lui opposant l’interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois d’une durée de cinq ans, de sorte qu’il se trouve en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois. Or, l’article 111, paragraphe 3 c) de la loi du 29 août 2008 précitée prévoit qu’un risque de fuite est légalement présumé notamment lorsque l’étranger se trouve en séjour irrégulier, de sorte que le risque de fuite résulte en l’espèce d’une présomption légale.

En ce qui concerne les diligences entreprises par le ministre pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais, il résulte à cet égard du jugement du 9 avril 2014, n° 34306 du rôle, coulé en autorité de chose jugée, à défaut d’avoir été entrepris par la voie d’appel, que les autorités tunisiennes avaient été contactées en vue de l’identification et de l’émission d’u n laissez-passer permettant le rapatriement du demandeur dès le 18 février 2014, soit même avant la prise de la mesure de placement initial et que ces mêmes autorités avaient été relancées par la suite aux mêmes fins en date des 12 et 31 mars 2014. Il se dégage encore de ce jugement que les autorités consulaires avaient à l’époque confirmé avoir saisi les autorités compétentes à Tunis et que le dossier suivait son cours, de sorte que ces diligences avaient amené le tribunal, dans son jugement précité, à retenir que les démarches entreprises étaient à considérer comme suffisantes en vue de l’identification et de l’éloignement du demandeur, de sorte que la rétention du demandeur ne pouvait être considérée comme disproportionnée alors que s’inscrivant précisément dans le cadre légal prévu à cette fin.

Il se dégage encore du jugement du 18 juin 2014, n° 34654 du rôle, également coulé en force de chose jugée, que suite à un échange de correspondance entre les autorités luxembourgeoises et le consulat de Tunisie, le demandeur a finalement été positivement identifié en date du 19 avril 2014 par les autorités tunisiennes, lesquelles délivrèrent le 9 mai 2014 un laissez-passer en vue de son rapatriement, prévu et organisé pour le 15 mai 2014. Le demandeur ayant toutefois dû être hospitalisé d’urgence après avoir avalé un briquet la veille de son rapatriement, acte que le tribunal a considéré comme ne pouvant être qualifié d’accidentel, mais au contraire comme ayant été commis délibérément en vue précisément d’empêcher son éloignement, le rapatriement du demandeur a dû être reporté au 25 juin 2014, les autorités luxembourgeoises ayant, en vue de cette date, recontacté le consulat de Tunisie afin d’obtenir l’émission d’un nouveau laissez-passer, de sorte que le tribunal, dans son jugement précité, a été amené à conclure qu’au moment où il était amené à statuer, des démarches suffisantes avaient été entreprises pour écourter au maximum la privation de liberté du demandeur, tout en retenant que « les délais actuellement subis en vue de l’éloignement du demandeur par les autorités luxembourgeoises sont, essentiellement, dus à son manque de collaboration, voire à sa tentative manifeste d’obstruction », de sorte que la décision de prorogation ne constituerait une décision ni excessive, ni disproportionnée.

En ce qui concerne les démarches ultérieures entreprises par les autorités luxembourgeoises, il résulte du dossier administratif qu’alors même que toutes les démarches avaient été entreprises par les autorités luxembourgeoises afin de pouvoir procéder à l’éloignement du demandeur en date du 25 juin 2014 - un vol ayant en effet été réservé et un laissez-passer délivré par les autorités tunisiennes pour cette même date -, son rapatriement a dû de nouveau être reporté en raison du défaut de collaboration du demandeur qui a en effet tout fait pour faire échouer son éloignement. En effet, il ressort du rapport du service de police judiciaire que le demandeur s’est violemment opposé à son rapatriement en essayant notamment d’avaler des objets métalliques. Il ressort encore du même rapport que pendant le vol à destination de Francfort, le demandeur n’aurait eu de cesse d’injurier les agents de police, les passagers ou encore les membres de l’équipement. Par ailleurs, une fois arrivé à Francfort, le demandeur a de nouveau réussi à se blesser avec une lame de rasoir, de sorte qu’il a dû être transporté à l’hôpital où il s’est avéré qu’il avait avalé un briquet.

Le tribunal est dès lors amené à relever que le demandeur est seul responsable de l’échec de la deuxième tentative de rapatriement puisque c’est uniquement en raison de son comportement non coopératif, voire violent, que de nouvelles démarches ont dû être entreprises pour organiser son rapatriement et qu’en attendant son éloignement une nouvelle mesure de placement a dû être ordonnée le même jour.

Il ressort à cet égard du dossier administratif que suite à l’échec de cette nouvelle tentative de rapatriement, les autorités luxembourgeoises ont contacté dès le 27 juin 2014 le consul de l’Ambassade de Tunisie afin de lui expliquer la situation et d’évoquer avec lui la possibilité d’organiser un vol charter spécial en vue du rapatriement du demandeur, ainsi que de plusieurs autres ressortissants tunisiens en séjour illégal. Le consul de l’Ambassade de Tunisie a toutefois souhaité charger un attaché social de l’Ambassade de prendre contact avec le demandeur afin de connaître les raisons à la base de son comportement et d’essayer de le raisonner avant de se prononcer sur l’organisation d’un éventuel vol charter.

Le tribunal relève ensuite que dans la mesure où le consul avait assuré aux autorités luxembourgeoises que l’attaché social de l’Ambassade de Tunisie à Bruxelles les contacterait pour faire un point de la situation et comme le ministre n’a pas eu de nouvelles en ce sens, les autorités luxembourgeoises ont tenté le 21 juillet 2014 de recontacter le consul de l’Ambassade de Tunisie, tentative restée infructueuse. Le 23 juillet 2014, les autorités luxembourgeoises ont été informées par le vice-consul de l’Ambassade de Tunisie qu’un attaché social de l’Ambassade de Tunisie avait rendu visite au demandeur, le vice-consul ayant encore expliqué que le consul était en déplacement jusqu’au 30 juillet 2014 et qu’aucune décision quant à l’éloignement du demandeur ne pouvait être prise avant son retour.

Il ressort encore du dossier administratif qu’après avoir essayé de contacter le consul sans succès le 1er août 2014, les autorités luxembourgeoises ont finalement pu le joindre le 4 août 2014 et qu’à cette occasion le consul a confirmé ne voir aucun inconvénient à délivrer un nouveau laissez-passer pour le demandeur.

Le 20 août 2014, les autorités luxembourgeoises ont chargé le service de police judiciaire de procéder à l’organisation du départ du demandeur.

Au vu des diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, actuellement tributaire à cet égard de la collaboration des autorités tunisiennes, et plus particulièrement de l’information reçue le 4 août 2014 par le consulat de l’Ambassade de Tunisie suivant laquelle rien ne s’opposerait à la délivrance d’un laissez-passer, ainsi qu’en l’absence de contestations circonstanciées de la part du demandeur par rapport à ces démarches, le tribunal est amené à retenir que l’organisation de l’éloignement du demandeur est toujours en cours et est exécutée avec toute la diligence requise afin d’écourter au maximum la privation de liberté du demandeur, étant relevé que les délais actuellement subis en vue de son éloignement par les autorités luxembourgeoises sont essentiellement dus au manque de collaboration du demandeur, respectivement à ses tentatives manifestes d’obstruction, de sorte que la décision déférée, compte tenu de ces circonstances, d’une part, et des diligences effectuées par le ministre, d’autre part, ne constitue une décision ni excessive, ni disproportionnée.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut de tout autre moyen soulevé en cause que le recours sous examen n’est justifié en aucun des moyens et est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

déclare le recours en réformation recevable dans la limite de ses moyens de légalité ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, juge, Laurent Lucas, juge, Hélène Steichen, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 27 août 2014, à 17.30 heures, par le juge Alexandra Castegnaro en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 août 2014 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 35109
Date de la décision : 27/08/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-08-27;35109 ?

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