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27/08/2014 | LUXEMBOURG | N°34810

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 août 2014, 34810


Tribunal administratif N° 34810 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 juillet 2014 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 27 août 2014 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34810 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 juillet 2014 par Maître Nicky

STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au no...

Tribunal administratif N° 34810 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 juillet 2014 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 27 août 2014 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34810 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 juillet 2014 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Bosnie-

Herzégovine) et de son épouse, Madame …, née le … à … (Bosnie-Herzégovine), agissant en leur nom personnel, ainsi qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs …, né le … à … (Bosnie-Herzégovine), …, née le … à … et …, né le … à …, tous de nationalité bosnienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 17 juin 2014 de statuer sur le bien-

fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 17 juin 2014 refusant de faire droit à leurs demandes de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 juillet 2014;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Marcel MARIGO, en remplacement de Maître Nicky STOFFEL, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 27 août 2014.

Le 29 novembre 2013, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant en leur nom personnel ainsi qu’au nom et pour le compte de leurs trois enfants mineurs …, … et …, ci-

après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».

Le même jour, les consorts … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Monsieur … fut entendu le 9 avril 2014 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, tandis que son épouse, Madame …, fut entendue pour les mêmes motifs en date des 28 avril et 9 mai 2014.

Par décision du 17 juin 2014, expédiée par courrier recommandé le 18 juin 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa les consorts … qu’il avait été statué sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1), a) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leurs demandes avaient été refusées comme non fondées, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 juillet 2014, les consorts … ont fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 17 juin 2014 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à leurs demandes de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

En fait, les consorts … exposent à l’appui de leur recours que depuis 2010, ils auraient constamment été victimes d’actes de persécutions émanant de la part de membres du mouvement extrémiste des Wahhabites qui auraient en effet voulu les obliger à rejoindre leur mouvement. Comme le demandeur aurait constamment refusé de rejoindre le mouvement wahhabite, il aurait fini par être agressé par certains membres de ce mouvement en se rendant à l’école pour récupérer sa fille. Suite à cette agression, les consorts … se seraient enfuis pour s’installer dans un autre village mais les Wahhabites auraient quand même continué à les importuner. Face à ces persécutions et en l’absence de toute possibilité de protection contre les actes de persécutions dont ils auraient été victimes, les consorts … n’auraient pas eu d’autre choix que de quitter leur pays d’origine et de solliciter l’octroi de l’un des statuts conférés par la protection internationale.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur les demandes de protection internationale des consorts … dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Les demandeurs reprochent au ministre d’avoir retenu à tort que leur récit rentrerait dans l’une des hypothèses prévues « au point (a), (b) et (c) » du paragraphe 1 de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006 et d’avoir statué sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et ce alors même que les conditions d’application « des points a) au c) » de l’article 20 (1) précité ne seraient pas remplies dans leur chef Les demandeurs font plus particulièrement valoir que la Bosnie-Herzégovine ne pourrait plus être considérée comme étant un pays d’origine sûr au sens de la loi et ce « du fait de la violation récurrente des droits de l’Homme » et de « l’instabilité des institutions étatiques se traduisant par un manque d’indépendance du système judiciaire ».

Par ailleurs, si les demandeurs reconnaissent que la Bosnie-Herzégovine serait actuellement considérée comme étant un pays d’origine sûr, cette circonstance ne saurait être intangible et devrait faire l’objet d’une évaluation régulière compte tenu des indications factuelles données par les demandeurs d’asile en provenance de ce pays.

Finalement, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir retenu à tort et par une mauvaise interprétation des faits lui soumis que les éléments invoqués par eux à l’appui de leurs demandes de protection internationale seraient sans pertinence et insignifiants, les demandeurs estimant au contraire avoir soumis au ministre des faits de nature à justifier le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur les demandes de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée.

En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, aux termes desquels : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

(…) c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi (…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, soit si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Plus particulièrement en ce qui concerne le point c) de l’article 20 (1), précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de relever qu’un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.

(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine, sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.

(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme un pays d’origine sûr :

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.» En l’espèce, il est constant en cause que par règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant la liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, la Bosnie-

Herzégovine a été retenue comme constituant un pays d’origine sûr, tandis qu’il se dégage des éléments du dossier que les demandeurs ont la nationalité bosnienne et qu’ils ont habité en Bosnie-Herzégovine avant de venir au Luxembourg.

Comme l’énumération d’un pays d’origine sûr dans la liste du prédit règlement grand-

ducal du 21 décembre 2007 ne constitue qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006 un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

L’analyse de la situation personnelle décrite par les demandeurs lors de leurs auditions par l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes ne permet cependant pas d’en dégager des éléments suffisants pour conclure à l’illégalité de la décision ministérielle. En effet, les demandeurs ont déclaré lors de leurs auditions respectives qu’ils auraient quitté la Bosnie-Herzégovine parce qu’ils se seraient sentis persécutés par certains membres du mouvement extrémiste des Wahhabites. Or, il ressort du récit de la demanderesse qu’alors même que depuis 2010 sa famille aurait été importunée environ deux fois par mois par quatre ou cinq membres non autrement identifiés du mouvement wahhabite1, elle et son mari ne se seraient adressés en tout et pour tout qu’à deux reprises à la police locale pour dénoncer les passages réguliers de Wahhabites à leur maison2, le demandeur ayant quant à lui d’ailleurs déclaré qu’il ignorerait si la police était au courant des passages réguliers des Wahhabites dans leur village3. A cela s’ajoute qu’après l’agression du demandeur par des Wahhabites le 15 janvier 2013, les demandeurs ne se seraient rendus à la police que quelques jours plus tard, à savoir le 19 janvier 2013, pour porter plainte contre les agresseurs4.

Le tribunal est dès lors amené à constater que les demandeurs ont bien eu accès à la police, tandis qu’il ne ressort pas de leurs récits que les autorités de leur pays ne seraient pas à même de leur offrir une protection effective contre les agissements de certains membres du mouvement wahhabite ou qu’ils auraient refusé de les aider. En effet, face à l’incapacité des demandeurs d’identifier les personnes qui leur auraient régulièrement rendu des visites depuis l’année 20105, il ne saurait être raisonnablement reproché aux forces de police locales de ne pas avoir été en mesure d’arrêter les coupables, ce d’autant plus que, tel que relevé ci-dessus, les demandeurs n’auraient dénoncé ces agissements pourtant prétendument réguliers qu’à deux reprises et que par ailleurs les demandeurs admettent que la police n’était pas nécessairement au courant des passages réguliers des Wahhabites. Le tribunal est à cet égard encore amené à relever que le demandeur a déclaré qu’après avoir dénoncé ses agresseurs à la police en janvier 2013, il n’aurait plus été harcelé6, ce qui témoigne a priori en faveur de l’existence en Bosnie-Herzégovine d’un système policier d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Force est encore au tribunal de rappeler que même dans les pays occidentaux dotés des systèmes policiers et judiciaires les plus efficaces, il est difficile, voire impossible de procéder à des arrestations lorsque les coupables n’ont pas pu être identifiés. L’impossibilité de la police d’éclaircir des crimes ou des délits perpétrés par des inconnus ne saurait dès lors être assimilée à une absence de protection. Ce constat n’est pas ébranlé par la déclaration d’un seul policier qui aurait expliqué à la demanderesse que personne ne pourrait leur apporter une quelconque aide contre les Wahhabites et qui leur aurait conseillé de quitter leur village.

A cela s’ajoute que si la demanderesse affirme certes de manière générale que la police n’entreprendrait rien contre le phénomène des Wahhabites, notamment de peur de représailles, force est de relever que les demandeurs auraient toujours pu porter leurs doléances devant les policiers d’un autre poste de police, respectivement devant une autorité supérieure, telle que la Section de Contrôle interne de la police, le Bureau Public des plaintes ou même le service de l’Ombudsman, pour se plaindre d’un traitement discriminatoire, respectivement d’un manque de zèle de la part des policiers locaux saisis de leurs plaintes, ce qu’ils n’ont toutefois pas fait.

Les demandeurs n’ont donc pas fourni d’éléments de nature à renverser le constat du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 précité, selon lequel la Bosnie-Herzégovine est à considérer comme pays d’origine sûr.

1 Page 2/9 du rapport d’audition de Madame ….

2 Page 3/9 du rapport d’audition de Madame ….

3 Page 4/7 du rapport d’audition de Monsieur ….

4 Page 3/9 du rapport d’audition de Madame ….

5 Pages 4/9 du rapport d’audition de Madame … et 4/7 du rapport d’audition de Monsieur ….

6 Page 3/7 du rapport d’audition de Monsieur ….

Il suit des considérations qui précèdent que les demandeurs n’invoquent pas de faits démontrant que la Bosnie-Herzégovine ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr dans leur chef, de sorte que c’est à bon droit que le ministre, après analyse de leur situation concrète, a conclu qu’ils sont originaires d’un pays d’origine sûr, et qu’il a à bon droit pu statuer sur leurs demandes de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, seul un recours en réformation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de ce volet du recours, les demandeurs, se basant sur les mêmes faits que ceux invoqués dans le cadre du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer sur leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, insistent sur le fait que leurs demandes de protection internationale devraient être analysées en tenant compte de la situation générale existant dans leur pays d’origine. Or, la violation des droits de l’Homme resterait une réalité incontestable en Bosnie-Herzégovine. A cela s’ajouterait que l’Etat bosnien serait incapable de contenir les actes barbares perpétrés par les Wahhabites qui imposeraient en effet des pratiques religieuses violant manifestement les droits de l’Homme.

Ces violations seraient d’ailleurs illustrées par le fait même que des membres du mouvement wahhabite auraient voulu forcer le demandeur à se faire pousser la barbe et la demanderesse à porter le voile. A cela s’ajouterait que leur droit au respect de leur vie privée et familiale aurait été violé du fait que leur maison aurait toujours fait l’objet de visites de la part des Wahhabites.

Dans la mesure où ils auraient fait l’objet d’actes de discrimination d’une extrême gravité du fait de leur refus d’intégrer le mouvement wahhabite et que ces actes auraient été perpétrés par un groupe capable de semer la terreur sans être inquiété par les autorités publiques, les demandeurs estiment devoir bénéficier de la protection internationale, ce d’autant plus qu’ils considèrent craindre avec raison de subir de nouvelles violences en cas de retour dans leur pays d’origine.

Le délégué du gouvernement pour sa part estime que ce serait à bon droit que le ministre a refusé le statut de protection internationale au demandeur.

En vertu de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays.

L’article 37 de la même loi énumère comme atteintes graves, sous ses points a), b) et c), «la peine de mort ou l'exécution ; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, indépendamment de la question de la qualification des faits invoqués par les demandeurs à la base de leurs demandes de protection internationale ou encore de celle de savoir si les actes invoqués sont d’une gravité suffisante pour être qualifiés de persécutions ou d’atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006, force est au tribunal de relever que les auteurs des représailles craintes par les demandeurs sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat. Les demandeurs ne sauraient dès lors faire valoir un risque réel de subir des persécutions ou des atteintes graves que si les autorités bosniennes ne veulent ou ne peuvent leur fournir une protection effective contre ces persécutions ou atteintes graves, en application de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006.

En effet, tant la notion de « réfugié » que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent, outre nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine, une absence de protection dans le pays d’origine, soit que la personne concernée refuse d’accepter la protection des autorités du pays dont elle a la nationalité, soit qu’elle n’y a pas accès.

Dès lors, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale7. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut8.

L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. En cas de persécution ou d’atteinte grave infligée par des entités non étatiques, la crainte d’être persécutée ou de subir des atteintes graves est considérée comme fondée si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée. A cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 reconnaît la possibilité pour des personnes persécutées ou subissant des atteintes grave 7 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.

8 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

de la part d’acteurs non étatiques d’obtenir une protection internationale si l’Etat ne veut ou ne peut lui accorder une protection, tandis que l’article 29 (2) définit la protection comme suit : « La protection contre les persécutions et atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection ». Cela inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autorités du pays d’origine, d’identifier, de poursuivre et de punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves sans cependant que cette exigence n’impose pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100%, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policières et judiciaires les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux. A cet égard, le tribunal rappelle également que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants du pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ou une atteinte grave ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Or, les demandeurs n’apportent aucun élément de nature à démontrer que la Bosnie-

Herzégovine ne prend pas des mesures raisonnables pour empêcher la commission des agissements dont ils font état, ni qu’elle ne dispose pas d’un système policier et judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner de tels actes.

En effet, comme le tribunal vient ci-avant de le retenir dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur les demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, les demandeurs ont bien eu accès aux autorités policières bosniennes.

Par ailleurs, le fait même que le demandeur n’ait plus été harcelé par ses agresseurs une fois qu’il les aurait dénoncés à la police témoigne a priori en faveur de l’existence d’un système d’une efficacité suffisante pour maintenir une certaine dissuasion.

Si les demandeurs reprochent certes de manière générale aux autorités bosniennes d’être impuissantes face aux agissements des membres du mouvement wahhabite, force est toutefois au tribunal de relever qu’il ressort des explications circonstanciées du ministre et de la partie étatique, sources internationales à l’appui, que les autorités bosniennes ne sont pas inactives et ne tolèrent pas les agissements des Wahhabites sur leur territoire. Les évolutions les plus récentes soumises à l’appréciation du tribunal ne permettent pas de constater un climat élevé et généralisé de réelle insécurité pour les Musulmans désirant continuer à pratiquer leur religion selon les usages locaux. A cet égard, force est au tribunal de constater que les autorités bosniennes ont démontré leur détermination à contrer sur l’ensemble du territoire les agissements des islamistes radicaux wahhabites qu’elles ne soutiennent pas. Le gouvernement exerce d’ailleurs un contrôle certain à l’égard des membres appartenant à cette mouvance extrémiste de l’Islam et assure une surveillance de la situation. Ainsi, « […] dem bosnischen Staat ist es bisher gelungen, den Einfluss der wahhabitischen Lehre auf die Muslime ihres Landes in Grenzen zu halten. […] So achten die Behörden genau darauf, wer als Imam an den bosnischen Moscheen eingesetzt, oder wer als Lehrer an den vielen islamischen Lehranstalten tätig wird. Ebenso gelang es, die Vollzugsbehörden von einer wahhabitischen Unterwanderung weitestgehend frei zu halten.»9 Par ailleurs, en ce qui concerne le fléau du wahhabisme en Bosnie-Herzégovine, il résulte des sources internationales et rapports internationaux cités par la partie étatique que les forces de l’ordre ont dernièrement subi de profondes réformes en vue de l’amélioration de leurs services.

Si le phénomène des Wahhabites en Bosnie-Herzégovine n’est pas négligeable, il ne saurait cependant être prétendu que les autorités de la Bosnie-Herzégovine resteraient inactives face aux violences émanant de ce groupement. Il ressort ainsi des sources internationales auxquelles la partie étatique fait référence que les autorités bosniennes ne tolèrent pas des tendances religieuses extrémistes et qu’elles opèrent sur l’ensemble du territoire pour contrer les activités de ces groupes.

Le tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation, vient ci-avant de retenir dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée que le ministre a valablement pu considérer que les demandeurs sont originaires d’un pays d’origine sûr au sens de la loi, de sorte que c’est à bon droit qu’il a décidé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le bien-fondé de leurs demandes.

Actuellement, le tribunal, statuant par rapport au volet du rejet de la demande en obtention de la protection internationale en tant que juge de la réformation, ne saurait que réitérer son analyse précédente au niveau de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et motifs invoqués par les demandeurs à l’appui de leurs demandes en obtention d’une protection internationale dans le cadre de leurs auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, que les consorts … ne remplissent pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale pris en son double volet, les demandeurs n’ayant en effet fourni, dans le cadre de la procédure contentieuse, aucun élément complémentaire pertinent permettant de conclure que les autorités bosniennes seraient dans l’incapacité de leur fournir une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006. Les demandeurs ne sauraient dès lors, à travers la protection internationale, réclamer la protection d’un autre Etat.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré les demandes de protection internationale sous analyse comme non justifiées, la Bosnie-Herzégovine n’étant pas seulement à considérer abstraitement comme pays d’origine sûr du fait de son énumération sur la liste des pays d’origine sûrs, mais également concrètement, compte tenu de la situation individuelle des demandeurs et des moyens contenus dans leur requête introductive d’instance, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle 9 Revue Qantara, « Radikalismus auf dem Vormarsch », octobre 2010 litigieuse. Le recours en annulation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».

En l’espèce, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire au motif que la décision portant refus de reconnaissance d’une protection internationale devrait être réformée.

Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que c’est à bon droit que le ministre a déclaré les demandes de protection internationale des demandeurs comme non justifiées, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 17 juin 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale des consorts … dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 17 juin 2014 portant refus d’une protection internationale aux consorts … ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 17 juin 2014 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, juge, Laurent Lucas, juge, Hélène Steichen, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 27 août 2014 par le juge Alexandra Castegnaro, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 août 2014 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 34810
Date de la décision : 27/08/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-08-27;34810 ?

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