Tribunal administratif N° 34797 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 juin 2014 Chambre de vacation Audience publique de vacation du 20 août 2014 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 34797 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 juin 2014 par Maître Ghizlane AATTI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …(Kosovo), de nationalité kosovare, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la seule décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 6 juin 2014 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2014 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en sa plaidoirie à l’audience publique du 20 août 2014.
Le 2 mai 2014, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».
Monsieur … fut entendu le même jour par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-
Duché de Luxembourg en conformité avec l’article 8 de la loi du 5 mai 2006.
Monsieur … fut également entendu les 13 et 26 mai 2014 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, Direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 6 juin 2014, envoyée par courrier recommandé le 12 juin 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait été statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20, paragraphe (1), points a) et b) de la loi modifiée du 5 mai 2006, et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2014, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la seule décision du ministre du 6 juin 2014 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale.
Le tribunal est tout d’abord amené à relever que malgré l’indication précise, dans l’acte entrepris, des voies de recours adéquates contre les diverses décisions qu’il comporte, ainsi qu’en dépit de l’obligation du demandeur de mentionner précisément dans sa requête l’acte qu’il entend quereller1, il ressort clairement à la fois du dispositif de la requête, de sa structure, ainsi que des moyens invoqués que le demandeur n’a pas formé ni de recours en annulation de la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, ni de recours en annulation de la décision ministérielle portant à son égard ordre de quitter le territoire, ces deux décisions ne se trouvant par ailleurs nullement mentionnées dans la requête.
Or, il y a lieu de rappeler à ce sujet que l’objet de la demande, consistant dans le résultat que le plaideur entend obtenir, est celui circonscrit dans le dispositif de la requête introductive d’instance2, étant donné que les termes juridiques employés par un professionnel de la postulation sont à appliquer à la lettre, ce plus précisément concernant la nature du recours introduit, ainsi que son objet, tel que cerné à travers la requête introductive d’instance3, le juge n’étant pas habilité à faire droit à des demandes qui n’y sont pas formulées sous peine de méconnaître l’interdiction de statuer ultra petita45.
Dès lors, le tribunal est contraint de restreindre son analyse à l’unique recours explicitement introduit par le demandeur, à savoir celui tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la seule décision du ministre refusant de faire droit à sa demande de protection internationale.
Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Ledit recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.
A l’appui de son recours, Monsieur … se rapporte tout d’abord à prudence de justice quant aux causes d’illégalité externe pouvant le cas échéant affecter la décision ministérielle entreprise.
Quant au fond, Monsieur … expose être né au Kosovo mais résider au Monténégro avec sa famille depuis 2003.
1 R. ERGEC, «Contentieux administratif luxembourgeois », Pas. adm., 2012, p. 69 et les jugements qu’il y cite.
2 Cour. adm. 19 janvier 2012, n° 28858C-28867C du rôle, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n°284.
3 Cour adm. 4 mars 2008, n°23157C du rôle, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n°284.
4 Ordonnance présidentielle 12 juillet 2010, n°27063 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n°445.
5 Ordonnance présidentielle, 13 janvier 2010, n° 26477 du rôle, consultable sous www.jurad.etat.lu.
En avril 2014, il aurait tenté de rentrer au Kosovo, notamment à …, mais le lendemain, il aurait été sévèrement agressé et frappé par plusieurs personnes ; par peur des représailles, Monsieur … n’aurait pas porté plainte et aurait décidé de retourner au Monténégro.
Or, malgré le fait qu’il aurait vécu au Monténégro durant de nombreuses années, il n’aurait jamais été accepté par la population monténégrine parce qu’il appartiendrait à la communauté kosovare : l’ampleur de ces tensions aurait été telle qu’il aurait craint pour son intégrité physique et morale et n’aurait eu d’autre choix, une fois mis à la porte, de fuir vers le Luxembourg, par crainte de représailles. S’il avait certes envisagé de porter plainte plusieurs fois, il aurait, craignant des actes de vengeance, dû se résoudre à s’en abstenir. Dès lors, il affirme que s’il devait subir une reconduite au Monténégro, il se retrouverait incontestablement dans une situation de détresse faisant craindre ainsi pour son intégrité physique et morale.
Il en conclut qu’il conviendrait de lui reconnaître le droit d’accéder aux droits primaires et fondamentaux au Luxembourg, alors que le système au Monténégro serait loin d’être abouti et fiable, le demandeur affirmant en particulier que le système de corruption bien établi au Monténégro ne laisserait aucune chance à une personne telle que lui, disposant de faibles moyens financiers, et de surcroît « apatride », de demander au gouvernement en place, ainsi qu’aux autorités de tutelle de le protéger ou au minima de respecter ses droits.
Le délégué du gouvernement soutient pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant «tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2) n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Dès lors, tant la notion de « réfugié » que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine, ledit « pays d’origine » étant pour sa part défini à l’article 2 m) de la loi du 5 mai 2006, comme étant « le pays ou les pays dont le demandeur a la nationalité ou, s’il est apatride, le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle ».
En l’espèce, il est de prime abord constant en cause, d’une part, que le demandeur est de nationalité kosovare, de sorte que seul le Kosovo est à considérer comme étant son pays d’origine au sens de la loi, et d’autre part, qu’il ne fait état d’aucune raison valable pour laquelle il n’aurait pas pu, le cas échéant, solliciter la protection des autorités de son pays d’origine, à savoir le Kosovo, les développements du demandeur dans le cadre de sa requête introductive d’instance ayant tous trait, comme relaté ci-dessus, aux raisons l’ayant amené à ne pas porter plainte à l’encontre de Monténégrins au Monténégro.
Il s’ensuit que le demandeur ne relève pas, par définition, de la première des conditions permettant d’accéder à la protection internationale, à savoir le fait de ne pas pouvoir profiter de la protection conférée par son pays d’origine, le demandeur n’ayant d’ailleurs pas fui le Kosovo pour se rendre au Luxembourg, mais le Monténégro.
Force est encore au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Il convient de relever qu’aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a) ».
Quant aux atteintes graves, l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006, lesquels peuvent être :
« a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait aboutir, les articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006 s’appliquant tant à la demande d’asile qu’à celle de protection subsidiaire.
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure qu’il apparaît qu’il ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
Il convient à cet égard tout d’abord de relever que le demandeur n’a pas contesté la décision du ministre de statuer sur sa demande de protection internationale par le biais d’une procédure accélérée en se fondant sur les points a) et b) de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006 qui sont libellés ainsi :
« (1) Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; (…) ».
Au regard de ces dispositions, en ne contestant pas la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur sa demande de protection internationale, Monsieur … reconnaît a priori, implicitement mais nécessairement, d’une part, que les faits qu’il a soumis lors de son audition ne sont pas pertinents ou qu’ils sont d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, et, d’autre part, que ces dernières conditions ne sont clairement pas remplies dans son chef.
De surcroît, le tribunal ne peut que constater que le recours déposé par le demandeur à l’encontre du refus ministériel de lui accorder un des statuts conférés par la protection internationale n’apporte pas d’élément nouveau qui permettrait un éclairage différent des faits de l’espèce ayant amené le ministre à statuer sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée.
Le tribunal relève en effet que les agressions et menaces que le demandeur déclare avoir subies émaneraient de personnes privées, de sorte qu’il ne saurait de toute façon faire valoir un risque réel de subir des persécutions ou des atteintes graves de ce chef que si les autorités de son pays d’origine ne veulent ou ne peuvent pas lui fournir une protection effective ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.
Il y a, à cet égard, encore lieu de rappeler l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 qui définit la protection comme suit : « La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » Si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.
En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
En l’espèce, il ressort des termes de son audition que suite aux menaces pourtant quotidiennes qu’il aurait reçues, le demandeur ne se serait jamais adressé à la police de peur de faire l’objet de représailles de la part de l’auteur des menaces dont il aurait été victime. Si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces régulières, communément la forme d’une plainte.
En effet, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale6. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut7.
Force est encore au tribunal de relever que dans le cadre de la procédure contentieuse, le litismandataire du demandeur tente vainement de justifier l’inaction de ce dernier en invoquant de manière tout à fait générale et abstraite le prétendu dysfonctionnement du système policier et judiciaire monténégrin, argumentation qui toutefois, comme relevé ci-
avant, n’est pas pertinente, le pays d’origine du demandeur étant le Kosovo et non le Monténégro. Le demandeur n’a dès lors pas plus fourni, dans le cadre de la procédure contentieuse, d’élément complémentaire pertinent permettant de conclure que les autorités monténégrines seraient dans l’incapacité de lui fournir une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006, de sorte qu’il ne saurait, à travers la protection internationale, réclamer la protection d’un autre Etat.
Il s’ensuit que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, pris en son double volet, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée et que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 6 juin 2014 portant refus d’une protection internationale à Monsieur … ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire ;
condamne le demandeur aux frais.
6 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.
7 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 20 août 2014 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Alexandre Castegnaro, juge, Hélène Steichen, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20/8/2014 Le Greffier du Tribunal administratif 8