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07/08/2014 | LUXEMBOURG | N°34994

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 août 2014, 34994


Tribunal administratif Numéro 34994 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 juillet 2014 chambre de vacation 1 Audience publique extraordinaire du 7 août 2014 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34994 du rôle et déposée le 31 juillet 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Karim

a Hammouche, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, ...

Tribunal administratif Numéro 34994 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 juillet 2014 chambre de vacation 1 Audience publique extraordinaire du 7 août 2014 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34994 du rôle et déposée le 31 juillet 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Karima Hammouche, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … (Tunisie), de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 juillet 2014 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er août 2014 ;

Vu le mémoire en réplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 août 2014 par Maître Karima Hammouche au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Karima Hammouche et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 6 août 2014.

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En date du 12 juillet 2013, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 ».

Par une décision du 3 décembre 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration constata que depuis le 19 août 2013, Monsieur … ne s’était plus présenté, de sorte qu’il n’avait pas fourni les éléments nécessaires pour établir le bien-fondé de sa demande de protection internationale, et que depuis le 18 septembre 2013, il ne s’était plus présenté au service compétent du ministère des Affaires étrangères pour faire prolonger son attestation de demandeur de protection internationale. Le ministre retint que sa demande était dès lors considérée comme implicitement retirée, conformément à l’article 11 de la loi du 5 mai 2006. A défaut d’adresse connue au moment de la notification de la décision ministérielle en question, celle-ci fut notifiée par voie d’affichage public, tel que cela ressort d’un constat établi par le service de police judiciaire en date du 6 décembre 2013. Aucun recours contentieux ne fut introduit contre la prédite décision devant le tribunal administratif.

Le 31 janvier 2014, Monsieur … fut interpellé par la Police grand-ducale lors d’un contrôle dans un café. Il présenta aux forces de l’ordre une attestation de dépôt d’une demande de protection internationale venue à échéance. Monsieur … fut emmené au commissariat de police à Luxembourg-Gare et le procès-verbal (« Fremdennotiz ») n° R55040 fut rédigé le 1er février 2014.

Le 14 juillet 2014, Monsieur … fut encore interpellé par la Police grand-ducale lors d’un contrôle d’identité dans la rue Joseph Heintz à Luxembourg-Ville. Il présenta aux forces de l’ordre une attestation de dépôt d’une demande de protection internationale venue à échéance le 13 septembre 2013. Le même jour fut dressé le procès-verbal (« Fremdennotiz ») n° 2014/23212/655/KL.

Par un arrêté du 14 juillet 2014, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », prit une décision de retour, assortie d’une interdiction du territoire pour une durée de trois ans à l’encontre de Monsieur ….

Par un arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification. L’arrêté de placement est basé sur les considérations et motifs suivants :

« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le procès-verbal N° 2014/23212/665/KL du 14 juillet 2014 établi par la Police grand-ducale, Unité CP Gare-Hollerich ;

Vu la décision de retour du 14 juillet 2014 ;

Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;

Attendu que l’identité de l’intéressé n’est pas établie ;

Attendu qu'au vu de la situation particulière de l’intéressé, il n’existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu’une mesure de placement alors que les conditions d’une assignation à domicile conformément à l’article 125 (1) ne sont pas remplies ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'établissement de l’identité et de l’éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

Par requête déposée le 31 juillet 2014 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision de placement au Centre de rétention précitée du 14 juillet 2014.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1), de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation.

Le recours principal en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Il n’y a par conséquent pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient que la décision de placement en rétention déférée du 14 juillet 2014 mentionnerait un délai de recours erroné ce qui entraînerait sa nullité.

Le délégué du gouvernement n’a pas pris position par rapport à ce moyen.

Force est au tribunal de constater que la décision sous examen du 14 juillet 2014 indique effectivement un délai de trois mois pour introduire un recours contentieux, alors qu’en application de l’article 123 (2) de la loi du 29 août 2008 un recours en réformation doit être introduit devant le tribunal administratif dans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision de placement en rétention visée par le recours.

Conformément aux exigences d’essence supérieure d’un procès équitable, telles que découlant de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH », dans l’hypothèse d’une indication erronée du délai de recours mentionnant un laps de temps plus long que le délai légal applicable, la formulation erronée du délai de recours équivaut à une absence d’indication y relative, de sorte que sous cet aspect aucun délai de recours n’a commencé à courir à l’encontre du destinataire de la décision négative contenant l’indication d’un délai de recours non correct1.

Ainsi, en raison de l’indication erronée du délai de recours contenue dans la décision déférée du 14 juillet 2014, le délai de recours n’a pas commencé à courir, mais ladite décision n’est pas nulle pour autant. Le tribunal tient encore à relever que malgré cette indication erronée du délai, le présent recours a été introduit dans le délai légal, tel que cela a été retenu ci-dessus.

Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

Le demandeur fait valoir ensuite que la décision querellée, qui aurait des conséquences graves sur ses libertés fondamentales puisqu'elle aurait pour effet de restreindre notamment sa liberté d'aller et venir, serait, en l’espèce, disproportionnée par rapport au but poursuivi, à savoir la garantie de l'exécution d'une future mesure d'éloignement qui dépendrait du bon vouloir des autorités tunisiennes auxquelles les autorités luxembourgeoises n’auraient adressé qu’un seul courrier.

1 Cf. trib. adm. 21 janvier 2002, n°13031 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 198 et autres références y citées.

Le caractère disproportionné de la mesure serait d’ailleurs accentué par le fait qu’il pourrait bénéficier d’une assignation à résidence auprès de son amie vivant au Luxembourg, c’est-à-dire qu’une mesure suffisante et moins coercitive que le placement en rétention serait envisageable dans son chef. Le demandeur se réfère encore à une attestation testimoniale de son amie, versée parmi les pièces de son dossier, indiquant qu’ils vivraient en concubinage depuis une année environ. Ainsi, un risque de fuite n’existerait pas dans son chef puisqu’il n’aurait pas l’intention de quitter sa concubine ou le territoire luxembourgeois. Contrairement aux affirmations de la partie étatique, sa concubine ne se trouverait d’ailleurs pas en détention préventive.

Dans ce contexte, le demandeur affirme également qu’il n’aurait commis aucune infraction depuis son arrivée sur le territoire luxembourgeois, de sorte qu’il n’y aurait pas de risque d’atteinte à l’ordre public.

Par ailleurs, le demandeur estime que la décision de rétention serait contraire aux articles 6, 7 et 14 de la CEDH.

Le demandeur expose ensuite qu’il aurait fait automatiquement l’objet d’une mesure de placement au Centre de rétention, et qu’il n’en aurait toutefois été informé que tardivement, c’est-à-dire à un moment où cette information n’aurait plus eu aucune utilité pour une défense efficiente contre la motivation de la décision prise, le demandeur estimant qu’il aurait dû être entendu avant la prise de décision du ministre ayant donné lieu à sa mise en rétention administrative afin de lui permettre de s’y opposer dès lors qu’elle aurait engendré une restriction de sa liberté d’aller et de venir.

Il en conclut que la décision déférée du 14 juillet 2014 devrait encourir l’annulation pour violation de l’article 6 point 1. de la CEDH.

Quant à la violation de l’article 7 de la CEDH, le demandeur se réfère à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, pour soutenir que la décision déférée serait à qualifier de peine au sens de l’article 7 de la CEDH et contraire au point 1 de cette même disposition, dans la mesure où il se verrait infliger une peine d’emprisonnement pour des motifs étrangers à ceux pouvant faire l’objet d’une sanction pénale.

Enfin, il estime que la décision attaquée violerait son droit à un procès équitable alors qu’il se serait vu infliger une peine privative de liberté sans avoir été entendu à cet égard, le demandeur invoquant dans ce contexte l’article 14 de la CEDH.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que la décision de rétention serait justifiée en fait et en droit, de sorte que le demandeur serait à débouter de son recours.

L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 dispose qu’« afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée (…). Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) ». En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « (…) La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. (…) ».

L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour la durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

Dès lors, la seule expectative d’une mesure d’éloignement suffit à justifier une décision initiale de rétention et l’argumentaire contraire du demandeur est à écarter, dès lors que le demandeur ne dispose pas de documents d’identité et de voyage valables et qu’il a fait l’objet d’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire le 14 juillet 2014.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

A cet égard, le tribunal est amené à constater que les diligences effectuées par les autorités luxembourgeoises auprès des autorités tunisiennes, en l’occurrence le courrier ministériel du 16 juillet 2014 demandant aux autorités tunisiennes de procéder à l’identification du demandeur en vue de la délivrance éventuelle d’un laissez-passer, constituent, à l’état actuel, des démarches suffisantes en vue de l’identification et de l’éloignement du demandeur au sens de l’article 120 (3) de la loi du 29 août 2008, étant donné qu’il faut laisser aux autorités tunisiennes le temps de faire les recherches nécessaires dans leurs registres nationaux.

Il s’ensuit que les reproches afférents formulés par le demandeur ne sont pas de nature à énerver la régularité de la décision litigieuse, laquelle ne saurait partant être considérée comme disproportionnée alors que s’inscrivant précisément dans le cadre légal prévu à cette fin.

Le demandeur estime encore que le ministre aurait dû choisir une option moins coercitive que son placement en rétention dans l’attente de l’organisation de son éloignement, en l’assignant à résidence auprès de sa concubine demeurant à Esch-Alzette, alors qu’il n’existerait pas de risque de fuite dans son chef.

A cet égard il échet de constater qu’aux termes de l’article 125 de la loi du 29 août 2008: « (1) Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre une décision d’assignation à résidence à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

(…) ».

L’article 111, paragraphe (3) c) auquel se réfère l’article 125 précité dispose que :

« (…) Le risque de fuite est présumé dans les cas suivants:

1. si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34;

2. si l’étranger se maintient sur le territoire au-delà de la durée de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire;

3. si l’étranger s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement;

4. si une décision d’expulsion conformément à l’article 116 est prise contre l’étranger;

5. si l’étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d’identité ou de voyage;

6. si l’étranger ne peut justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage en cours de validité, ou qu’il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu’il n’a pas déclaré le lieu de sa résidence effective, ou qu’il s’est soustrait aux obligations prévues aux articles 111 et 125.

Le risque de fuite est apprécié au cas par cas. ».

Ainsi, force est de constater que selon les articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, le ministre dispose de la faculté, soit de placer en rétention, soit d’assigner à résidence l’étranger en vue de son éloignement.

En l’espèce, à défaut par le demandeur de soumettre des éléments concluants quant à des attaches particulières au Luxembourg susceptibles d’établir l’existence de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de fuite conformément à l’article 125 de la loi du 29 août 2008, l’attestation testimoniale d’une dame demeurant à Esch/Alzette étant insuffisante à cet égard, et le risque de fuite étant, par ailleurs, présumé dans son chef, dans la mesure où il tombe sous les prévisions de l’article 111, paragraphe (3) c) de la loi du 29 août 2008, le constat du ministre, contenu dans la décision déférée du 14 juillet 2014, qu’il existe un risque de fuite dans le chef du demandeur et partant la décision de procéder à son placement au Centre de rétention n’encourent aucun reproche, indépendamment de la question de savoir si le demandeur constitue une menace pour l’ordre public. Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter.

En ce qui concerne les différents moyens du demandeur basés sur des violations alléguées de la CEDH, le tribunal constate que ceux-ci reposent tous en substance sur la même prémisse, à savoir qu’une mesure de rétention constituerait une peine, respectivement serait équipollente à une sanction pénale.

Or, comme relevé ci-avant, l’objectif assigné à la mesure de placement constitue en la mise à disposition du gouvernement d’un étranger en séjour irrégulier afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, et ce dans le but d’écarter du territoire des personnes non-autorisées à y séjourner. La finalité primordiale d’une telle mesure est ainsi celle d’assurer un contrôle de l’immigration et non celle de sanctionner les personnes concernées pour des faits passés. Partant, les mesures administratives s’inscrivant dans ce contexte du contentieux de l’éloignement n’ont pas le caractère d’une sanction pénale2.

Plus précisément, en ce qui concerne l’article 6 point 1. de la CEDH, lequel précise notamment que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle », le tribunal, outre de constater que la décision sous rubrique ne relève ni d’une question à caractère civil, ni d’une accusation pénale, ne perçoit pas dans quelle mesure le droit du demandeur à un procès équitable, tel que circonscrit par la disposition citée ci-avant, aurait été violé, le demandeur ayant pu introduire un recours en réformation et valablement défendre sa cause.

Dans la mesure toutefois où le demandeur ait entendu voir appliquer cette disposition non pas au niveau de la procédure contentieuse, mais au niveau de la procédure administrative, le demandeur estimant qu’il aurait dû être préalablement entendu avant la prise de la décision initiale de placement, il échet de constater que si l’article 6 de la CEDH impose certes des impératifs à respecter en matière de procès équitable, les garanties afférentes n’ont néanmoins pas pour autant vocation à s’appliquer au niveau d’une procédure purement administrative, en ce qu’elles n’entrent en ligne de compte qu’à un stade ultérieur, au niveau de l’instance juridictionnelle compétente pour connaître du recours dirigé contre la décision administrative traduisant l’aboutissement de ladite procédure.

Pour autant que le demandeur ait entendu viser l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, il échet de noter que la décision ministérielle déférée du 14 juillet 2014 ne tombe pas dans le champ d’application dudit article 9.

Il s’ensuit que le moyen avancé par le demandeur, basé sur une violation alléguée de l’article 6 de la CEDH au niveau de la procédure administrative ayant précédé la décision déférée sous examen laisse en tout état de cause d’être fondé.

En ce qui concerne la prétendue violation de l’article 7.1 de la CEDH, il échet de relever que celui-ci dispose que : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise ».

Or, comme retenu ci-avant, la décision actuellement déférée au tribunal ne constitue pas une peine, mais une mesure administrative explicitement prévue par la loi.

Quant à l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme invoqué par le demandeur3, celui-ci n’est pas transposable à sa situation, dès lors que ledit arrêt a trait au remplacement par le juge pénal en appel et sur le réquisitoire du ministère public, sans que le 2 Cf. notamment trib. adm. 18 février 2004, n° 16938 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Droits de l’homme et libertés fondamentales, n° 46.

3 Arrêt 15.12.2009, Gurguchiani c. Espagne, n° 16012/06.

prévenu n’ait été entendu, d’une peine de prison infligée à un étranger par une expulsion du territoire et une interdiction de retour, peine de remplacement prévue par le code pénal espagnol, partant d’une situation ne présentant aucune similitude avec celle du demandeur, faisant l’objet d’une mesure administrative, contradictoirement débattue devant le tribunal de céans.

Enfin, en ce qui concerne l’article 14 de la CEDH tel qu’invoqué, le tribunal relève que ledit article, lequel vise l’interdiction des discriminations, ne trouve en tout état de cause pas à s’appliquer en l’espèce. Dans la mesure où le demandeur ait entendu viser l’article 13 de la CEDH, lequel consacre le droit à un recours effectif – et non pas le droit à un procès équitable, visé par l’article 6 de la CEDH -, le tribunal ne saurait que réitérer son constat selon lequel le demandeur a pu introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision déférée et valablement défendre sa cause, de sorte à avoir pu bénéficier d’un recours effectif devant une instance nationale tel que prescrit par l’article 13 de la CEDH.

Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours principal en réformation recevable en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Andrée Gindt, juge, Olivier Poos, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 7 août 2014 à 11:00 heures par le premier vice-président, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

s. Arny Schmit s. Carlo Schockweiler 8


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 34994
Date de la décision : 07/08/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-08-07;34994 ?

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