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06/08/2014 | LUXEMBOURG | N°32133

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 août 2014, 32133


Tribunal administratif N° 32133 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2013 3e chambre Audience publique extraordinaire du 6 août 2014 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre deux décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 32133 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2013 par Maître A

rdavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxem...

Tribunal administratif N° 32133 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2013 3e chambre Audience publique extraordinaire du 6 août 2014 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre deux décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 32133 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2013 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Serbie) et de son épouse, Madame …, née le …, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leur enfant mineure …, tous de nationalité serbe et demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 30 janvier 2013 portant refus de faire droit à leur demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2013 ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 septembre 2013 ;

Vu l’avis du greffier du tribunal administratif du 25 septembre 2013 ayant informé les parties que le tribunal a prononcé la rupture du délibéré afin de leur permettre de déposer un mémoire supplémentaire ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 novembre 2013 ;

Vu l’avis du greffier du tribunal administratif du 13 novembre 2013 ayant informé les parties que le tribunal a accordé à Maître Fatholahzadeh un délai complémentaire pour déposer un mémoire supplémentaire ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 5 décembre 2013 par Maître Fatholahzadeh au nom et pour compte de Monsieur … et consorts ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire ainsi que Maître Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 février 2014.

Le 10 avril 2012, Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par la « loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations des consorts … sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Monsieur … fut entendu en dates des 24 mai, 19 juin, 23 juillet, 7 septembre, 22 et 23 novembre 2012 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Madame … fut entendue en dates des 25 mai et 8 juin 2012 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

A cette occasion, ils déclarèrent avoir quitté leur pays d’origine, la Serbie, en raison de problèmes qu’ils auraient eu avec le courant musulman des wahhabites. Après une cure de désintoxication fin 2008, Monsieur … aurait adhéré à leur mouvement ce qui aurait eu comme conséquence qu’il n’aurait plus pu prendre de décisions sans leur accord. L’apprentissage au sein de cette organisation aurait eu pour but de faire de lui un « djihad », mais après une année d’initiation au sein de cette organisation, il aurait porté un regard de plus en plus critique envers leurs idéaux. En octobre ou en novembre 2009, Monsieur … aurait dû épouvanter des musulmans qui n’auraient pas respecté les règles des wahhabites à l’aide d’une batte de baseball, tâche qu’il aurait cependant refusée d’effectuer. Ce refus lui aurait emporté des critiques et il serait finalement entré en conflit avec les wahhabites lorsqu’en avril 2010, il aurait refusé d’imposer à son épouse de se couvrir et de fréquenter la mosquée. Il aurait alors décidé d’arrêter de fréquenter les wahhabites, mais il aurait craint pour sa vie puisque ces derniers considéreraient les personnes désirant sortir de leur mouvement comme des traîtres. En effet, il aurait entendu dire que les wahhabites lapideraient, frapperaient ou fouetteraient les repentis. Cependant, son épouse aurait accepté de se couvrir et de faire la prière dans la mosquée afin de lui éviter des problèmes. Dans un premier temps elle aurait apprécié le contact avec les autres femmes dans la mosquée, mais elle aurait eu peur quand ces dernières lui auraient dit qu’elle devrait se faire exciser. Après cet évènement, Monsieur … aurait fait part aux wahhabites de ne plus les fréquenter et ces derniers lui auraient répondu d’un ton menaçant que la « charia » allait régler l’affaire. Toujours en avril 2010, les époux … se seraient promenés en couple en ville quand ils auraient croisé trois wahhabites qui les auraient d’abord rabaissés puis ils auraient giflé Monsieur …. Ils se seraient immédiatement rendus à un bureau de police pour porter plainte, mais cette plainte n’aurait pas été acceptée et le policier leur aurait simplement dit d’éviter de fréquenter les wahhabites.

Vers la fin de mai 2010, trois ou quatre wahhabites auraient attendu Monsieur … devant son domicile avec des battes de baseball. Ils l’auraient traité de traître et l’auraient frappé. Bien qu’il ait encouru divers blessures, il aurait dans un premier temps refusé de se faire hospitaliser, mais étant donné que les blessures se seraient avérées plus graves, il aurait finalement accepté de se rendre à l’hôpital. Il ne serait par la suite plus sorti de sa maison pendant environ quatre mois.

Pendant ce temps, sa famille aurait remarqué des personnes surveillant leur maison. Elle aurait voulu porter plainte, mais elle y aurait renoncé étant donné que les wahhabites auraient infiltré la police et que, de toute façon, la police serbe ne voudrait pas se mêler de conflits religieux. Par la suite, les wahhabites se seraient opposés au mariage des époux … et leur auraient interdit d’entrer dans une mosquée. Quand Monsieur … se serait rendu début décembre 2010 à la mosquée « Arab », les wahhabites lui auraient craché dessus. Face à cette situation, Monsieur … aurait demandé de l’aide à son père qui serait allé voir un policier en lui remettant tous les documents, c'est-à-dire des cd-roms, livres et lettres confidentiels que Monsieur … aurait eu en sa possession du temps de son adhésion au mouvement des wahhabites. Le policier aurait répondu à son père que la police allait s’occuper de l’affaire et que des recherches seraient en cours. Cependant, malgré les promesses de la police, cette dernière n’aurait rien entrepris de sorte que les époux … auraient décidé de s’exiler à Ulcinj au Monténégro où Monsieur … aurait travaillé en tant que pizzaiolo. Néanmoins, les wahhabites les auraient poursuivis jusqu’au Monténégro et ils auraient menacé le patron de Monsieur … de brûler son établissement s’il ne le licenciait pas. Ainsi, ils auraient quitté le Monténégro fin juillet 2011 et seraient revenus à Novi Pazar où ils se seraient finalement mariés le 7 août 2011.

Son conflit avec les wahhabites aurait pris une nouvelle tournure en octobre 2011, lorsqu’ils auraient commencé à arrêter son père en ville pour lui expliquer que son fils devrait revenir chez eux et demander pardon. A cette même occasion, ils auraient également demandé à son père pourquoi il les aurait dénoncés à la police et qu’ils seraient au courant de toutes démarches qu’ils auraient entreprises. A cette époque, la police aurait en effet arrêté un nombre de wahhabites, de sorte que ces derniers en auraient conclu que Monsieur … serait la source de leurs problèmes. Finalement, Monsieur … se serait décidé de se rendre auprès du centre wahhabite de Furkan vers mi-octobre 2011, afin d’essayer de régler son conflit en parlant avec le Sheikh. Or, cette conversation aurait mal tourné dans la mesure où le Sheikh lui aurait déclaré qu’il ne le laisserait jamais partir et qu’il appartiendrait aux wahhabites. Il aurait été retenu par quatre personnes et le Sheikh aurait commencé à citer du coran pendant que les autres auraient frappé Monsieur …. Lorsqu’ils l’auraient finalement lâché, il aurait pu rentrer et il aurait demandé conseil auprès de son père qui aurait répondu que la police serait corrompue et qu’elle serait impliquée dans les affaires des wahhabites.

Ainsi, depuis novembre 2011, Monsieur … n’aurait plus osé circuler dans la ville et il n’aurait pas non plus trouvé d’emploi.

A l’occasion de la fête de Nouvel An Monsieur … aurait été frappé par un garde du corps du « mufti » … qui lui aurait indiqué que les wahhabites allaient le détruire. Suite à ces menaces, les époux … auraient déménagé dans leur maison de weekend se trouvant à Suvi Do. Cependant, en date du 24 janvier 2012, quelqu’un leur aurait coupé l’électricité et aurait jeté des pierres dans les fenêtres de la maison de weekend, provoquant l’évanouissement de son épouse. Les époux … soupçonnent que les wahhabites seraient responsables de ces faits. La police serait venue sur les lieux afin de constater les faits.

Suite à cet incident, les époux … seraient de nouveau partis pour rejoindre leur famille à Novi Pazar où le 26 janvier 2012, ils auraient déposé une demande de protection auprès de la police. Cependant, en mars 2012, la police aurait refusé de donner une suite favorable à cette requête. Par la suite, Monsieur … aurait essayé de récupérer les documents remis à la police afin de déposer une plainte auprès d’un tribunal à Belgrade qu’il aurait jugé moins corrompu.

Par ailleurs, ils auraient été menacés par téléphone et dans la rue. Le 27 février 2012, des personnes se seraient présentées auprès de leur maison et auraient expliqué à la mère de Monsieur … qu’ils devraient retirés les plaintes déposées auprès de la police.

Enfin, le 6 avril 2012, un minibus aurait coupé la route à Monsieur … à deux kilomètres de sa maison et plusieurs personnes barbues l’auraient encerclé et forcé à monter dans leur véhicule. Pendant le trajet de trois ou quatre heures, il aurait été frappé. Puis, arrivé dans un lieu calme près d’une forêt, il aurait profité d’une brève absence de ses ravisseurs pour casser les vitres du minibus et pour s’enfuir dans la forêt où il aurait pu atteindre une route nationale et où un chauffeur de camion l’aurait amené jusqu’à la prochaine ville. Dans le taxi l’amenant à Nova Varos, il aurait appelé son épouse afin qu’elle prépare leurs affaires pour partir le plus rapidement possible. Arrivé à la maison le lendemain matin, son père aurait insisté à ce qu’il quitte le pays et leur aurait acheté deux tickets de bus pour la première destination disponible et ainsi ils seraient finalement arrivés au Luxembourg.

Par décisions du 30 janvier 2013, notifiées aux intéressés par lettre recommandée envoyée le 31 janvier 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-

après par « le ministre », informa les consorts … que leur demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours à destination de la Serbie, ou de tout autre pays dans lequel ils seraient autorisés à séjourner.

Le ministre releva tout d’abord deux contradictions dans le récit des consorts … dans la mesure où, d’une part, Monsieur … aurait déclaré que son père leur aurait acheté les tickets de bus pour venir au Luxembourg alors que son épouse aurait affirmé que lors de leur départ même leurs parents n’auraient pas su où ils allaient. D’autre part, il ne ressortirait pas du récit de Monsieur … pour quelle raison les wahhabites lui auraient remis des documents compromettants alors qu’il aurait été qu’un simple sympathisant.

Par ailleurs, le ministre basa sa décision sur les considérations que les motifs à la base de la demande de protection internationale des consorts …, en l’occurrence des menaces et des agressions provenant de personnes privées, seraient à qualifier de délits de droit commun commis par des personnes privées du ressort des autorités de leur pays d’origine et punissable en vertu de la législation serbe.

Il en serait de même de l’enlèvement de Monsieur … du 6 avril 2012 perpétré par des personnes inconnues. Le ministre en conclut que les faits dont les consorts … auraient été victimes ne relèveraient pas du champ d’application de la Convention de Genève étant donné qu’il n’existerait pas, dans leur chef, une crainte de persécution en raison de leurs opinions politiques, de leur race, de leur religion, de leur nationalité ou de l’appartenance à un groupe social, susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine. Il s’y ajouterait, que les wahhabites ne sauraient être considérés comme des acteurs de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006 étant donné qu’il ne ressortirait pas des rapports d’entretien des consorts … que l’Etat ou d’autres organisations étatiques présentes sur le territoire de leur pays d’origine ne pourraient ou ne voudraient pas leur accorder une protection contre ces agissements.

Finalement, le ministre basa sa décision sur la considération que les consorts … proviendraient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 et du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûr au sens de la loi du 5 mai 2006.

Quant à la demande de protection subsidiaire, le ministre estima que les faits invoqués à l’appui de leur demande de protection internationale ne constitueraient par ailleurs pas d’atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2013, les époux …-…, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leur enfant mineure …, ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 30 janvier 2013 portant refus de leur demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1. Quant au recours en réformation introduit contre la décision du ministre du 30 janvier 2013 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce. Le recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs, après avoir rappelé les principaux faits à la base de leur demande de protection internationale, font valoir qu’ils auraient été victimes de persécution par le groupe extrémiste des wahhabites sans que les autorités policières de leur pays d’origine ne veuillent leurs accorder une protection. Ainsi, contrairement à l’appréciation erronée faite par le ministre, ils auraient fait l’objet de violations graves et répétées des droits de l’Homme au sens de l’article 31, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006. Plus particulièrement, ils estiment que les faits relatés constitueraient des violences tant physiques que morales. Quant à la protection des autorités policières, les demandeurs estiment qu’ils auraient été victime de discriminations alors qu’aucune des plaintes qu’ils auraient déposées n’auraient été suivies d’effets, les autorités policières seraient allées jusqu’à détruire les preuves remises. Par ailleurs, au sujet des preuves remis par le père du demandeur à la police, ils auraient recouru au service d’un avocat afin de récupérer ces documents, mais cette démarche n’aurait rien donné car la personne qui aurait reçu lesdits documents aurait été rétrogradée et mutée.

Quant aux contradictions soulevées par le ministre, les demandeurs font valoir que la demanderesse aurait uniquement fait référence à ses propres parents sans vouloir y inclure ses beaux-parents.

Enfin, les demandeurs estiment que l’autorité ministérielle n’aurait pas analysé à suffisance leur dossier car ils n’auraient pas pu prendre connaissance de l’intégralité des éléments soumis faute de traduction intégrale des pièces déposées par eux.

Les demandeurs estiment que l’influence des wahhabites serait grandissante dans leur région et qu’une lettre du ministère de l’Intérieur serbe leur refusant une protection policière, documenterait à suffisance l’absence d’une protection adéquate contre les agissements décrits.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut partant au rejet du recours.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 31, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 :« Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

De prime abord, le tribunal tient à relever que la contradiction, respectivement l’invraisemblance, soulevées par le ministre ont, d’un côté, été redressées de manière plausible par les demandeurs, et, de l’autre côté, ne sont pas suffisantes pour ébranler la crédibilité de leur récit dans son ensemble.

En ce qui concerne le moyen des demandeurs que les décisions déférées devraient encourir l’annulation au motif qu’elles pêcheraient par un manque d’instruction étant donné que le ministre n’aurait pas traduite une pièce, de sorte qu’il n’aurait pas pu la prendre en compte dans le cadre de son appréciation, force est de constater que les demandeurs manquent de soumettre au tribunal des éléments suffisamment précis en quoi cette pièce serait capitale, de sorte à changer l’appréciation de leur demande de protection internationale. Partant, le moyen afférent laisse d’être fondé.

Quant au fond de la demande de protection internationale, force est au tribunal de constater que les agressions et menaces dont étaient victimes les demandeurs se meuvent sur une toile de fond religieuse, de sorte à rentrer dans le champ d’application de la Convention de Genève et de l’article 2) c) de la loi du 5 mai 2006. Par ailleurs, s’il ressort certes des rapports d’entretien des demandeurs au sein du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, que ces agressions et menaces sont d’une gravité certaine et semblent s’amplifier, il n’en demeure pas moins qu’il ne ressort pas des éléments soumis au tribunal que les autorités policières et judiciaires serbes n’auraient pas voulu ou pas pu leur accorder une protection adéquate.

En effet, force est au tribunal de relever que, dans la mesure où les auteurs des persécutions invoquées sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat, les actes invoqués par les demandeurs ne sauraient être qualifiés de persécutions que si les autorités de leur pays d’origine ne veulent ou ne peuvent pas leur fournir une protection efficace.

En l’espèce, au vu des éléments soumis à son appréciation, pièces à l’appui dont notamment plusieurs documents provenant de sources européennes officielles, notamment de la Commission européenne, le tribunal est amené à conclure, d’une part, que s’il est exact que le mouvement des wahhabites garde une certaine influence dans la région originaire des demandeurs, leur influence est en net déclin, notamment en raison de plusieurs actions conduites par les autorités policières serbes, et, d’autre part, étant donné que les autorités de leur pays d’origine luttent activement contre l’extrémisme musulman, il y a lieu d’admettre que les demandeurs peuvent bénéficier d’une protection adéquate. S’il est exact que les demandeurs ont éprouvé une certaine difficulté d’obtenir de l’aide de la police locale, il n’en reste pas moins qu’ils auraient dû se tourner vers la hiérarchie policière afin de dénoncer une telle inaction.

Quant au refus du ministère de l’Intérieur de leur accorder une protection policière, les demandeurs auraient dû contester la légalité de ce refus devant les instances compétentes de leur pays d’origine. A défaut de ce faire, le tribunal est amené à conclure qu’une absence de protection adéquate ne ressort pas des éléments lui soumis.

Par voie de conséquence, et dans la mesure où il est constant en cause que les auteurs des agressions dont ont été victimes les demandeurs sont des personnes privées, ces derniers ne sauraient être qualifiées d’acteurs de persécutions au sens de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié des demandeurs.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 f), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal constate qu’à l’appui de leur demande de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Or, tel que développé ci-avant dans le cadre de l’analyse de la demande en obtention du statut de réfugié, il ne ressort d’aucun élément du dossier que les demandeurs ne sauraient se prévaloir de la protection des autorités de leur pays d’origine, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a refusé de leur accorder la protection subsidiaire au sens de l’article 2 de la loi du 5 mai 2006.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

2. Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 30 janvier 2013 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 30 janvier 2013 est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

Aux termes de l’article 19, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre vaut décision de retour, laquelle est définie par l’article 2. r) de la même loi comme étant la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire. L’ordre de quitter le territoire y prononcé comporte l’indication du délai pour quitter le territoire ainsi que le pays à destination duquel le demandeur sera renvoyé en cas d’exécution d’office.

A cet égard, les demandeurs exposent que dans la mesure où ils auraient fait valoir une crainte justifiée de persécution sinon d’atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006, l’ordre de quitter le territoire serait à annuler.

Le tribunal vient cependant de retenir que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale sous analyse, de sorte qu’il a pu assortir la décision négative d’un ordre de quitter le territoire conformément à l’article 20, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 30 janvier 2013 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

au fond, le déclare non justifié, et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais ;

Ainsi délibéré par :

Claude Fellens, vice-président, Hélène Steichen, attaché de justice, Daniel Weber, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 6 août 2014 par le vice-président, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

Arny Schmit Claude Fellens 11


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 32133
Date de la décision : 06/08/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-08-06;32133 ?

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