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04/08/2014 | LUXEMBOURG | N°34629

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 août 2014, 34629


Tribunal administratif N° 34629 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juin 2014 3e chambre Audience publique extraordinaire du 4 août 2014 Recours formé par Monsieur …, … contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34629 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2014 par Maître Faisal Quraishi, avocat à la Co

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Tribunal administratif N° 34629 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juin 2014 3e chambre Audience publique extraordinaire du 4 août 2014 Recours formé par Monsieur …, … contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34629 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2014 par Maître Faisal Quraishi, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … (Bosnie-

Herzégovine), et être de nationalité bosnienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 20 mai 2014 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du même ministre portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juin 2014 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique du 9 juillet 2014.

En date du 12 novembre 2013, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Par lettre recommandée, envoyée le 13 mars 2014, Monsieur … fut convoqué à un entretien pour le 2 avril 2014 afin d’être entendu sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décisions du 20 mai 2014, notifiées à l’intéressé par une lettre recommandée envoyée le 21 mai 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se fondant sur les dispositions de l’article 20, paragraphe (1), point c) et j) de la loi du 5 mai 2006 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Afin de justifier le recours à la procédure accélérée, le ministre retint de prime abord que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûr au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006. Le ministre reproche en outre au demandeur de ne pas avoir rempli ses obligations découlant de l’article 6, paragraphe (5) de la loi du 5 mai 2006 dans la mesure où il ne se serait pas présenté au service des réfugiés du ministère des Affaires étrangères et européenne afin de prolonger son attestation de demandeur de protection internationale et qu’il ne se serait pas présenté à l’entretien du 2 avril 2014 auquel il avait été convoqué par lettre recommandée du 13 mars 2014, de sorte qu’il aurait également violé ses obligations inscrites à l’article 9 de la loi du 5 mai 2006.

Le ministre estima que le comportement du demandeur montrerait son désintérêt pour la procédure d’asile qui serait incompatible avec l’existence dans son chef d’une crainte fondée de persécution ou d’un risque réel de subir des atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006.

Le ministre ajouta encore que les éléments du dossier ne permettraient pas de conclure que Monsieur … ait établi une crainte fondée d’être persécuté en ce qu’aucune déclaration de sa part permettrait d’établir de façon probante qu’il ait été victime d’un acte de persécution ou justifie d’une crainte de persécution.

Le ministre estima en effet que la simple déclaration d’avoir été persécuté dans son pays d’origine en raison de son orientation sexuelle serait insuffisante pour conclure qu’il aurait droit à la protection internationale.

S’agissant de la protection subsidiaire, le ministre conclut que le récit du demandeur ne comporterait aucun motif sérieux et avéré de croire qu’il court un risque réel de subir l’une des atteintes graves définies à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans son pays d’origine.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2014, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 20 mai 2014 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 20, paragraphe 4, de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation introduit par le demandeur.

Partant, le tribunal est compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

L’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoyant ensuite un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a encore valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée pour autant qu’elle refuse d’accorder au demandeur une protection internationale. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Enfin, dans la mesure où l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître d’une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 20 mai 2014. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours en annulation introduit contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée le demandeur conteste qu’il aurait violé ses obligations inscrites à l’article 9, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 et reproche au ministre qu’en lui refusant un second rendez-vous aux fins de procéder à un entretien afin de l’entendre sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, le ministre aurait violé l’article 9, paragraphe (1) précité. A l’appui du recours en réformation introduit contre la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale le demandeur conclut à l’annulation de cette décision au motif qu’en refusant de lui accorder un deuxième rendez-vous pour un entretien le ministre aurait violé son droit fondamental d’être entendu.

Le délégué du gouvernement fait valoir que le demandeur n’aurait pas jugé utile d’excuser son absence à l’entretien auquel il aurait été convoqué, ni n’aurait-il versé un certificat médical prouvant son incapacité à se présenter à l’entretien, de sorte que se serait à bon droit que le ministre aurait conclu à une absence non-justifiée.

Le tribunal tient à relever à titre liminaire que s’il est saisi en l’espèce de recours contre trois décisions différentes susceptibles, tel que cela a été retenu ci-avant, l’une d’un recours en réformation et les deux autres d’un recours en annulation et s’il est encore exact que les pouvoirs du tribunal statuant dans le cadre d’un recours en annulation sont plus limités que ceux lui conférés dans le cadre d’un recours en réformation, son examen se limitant dans le premier cas au contrôle délimité par l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, et si son examen se situe dans les deux types de recours à des époques différentes, à savoir au jour de la prise de la ou des décisions litigieuses dans le cadre du recours en annulation et au jour où il statue s’il s’agit d’un recours en réformation, en l’espèce les moyens précités visent la phase de l’instruction administrative de la demande de protection internationale sous analyse, de sorte qu’ils sont communs aux trois volets de l’acte entrepris et se limitent à des moyens de pure légalité sans par ailleurs que le moment de l’examen du tribunal n’ait une incidence par rapport à ces moyens. Dans ces circonstances, le tribunal procèdera à un examen commun des moyens présentés.

Aux termes de l’article 9 de la loi du 5 mai 2006 « (1) Le demandeur a le droit d’être entendu par un agent du ministre. Il a l’obligation de répondre personnellement aux convocations du ministre. […]. » La disposition légale précitée impose au ministre de garantir à un demandeur d’asile un entretien dans lequel il peut exposer les motifs l’ayant amené à quitter son pays d’origine et à demander aux autorités luxembourgeoises d’être protégé contre des actes de persécutions au d’atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006. Par ailleurs, cette disposition oblige le demandeur de répondre personnellement aux convocations du ministre.

En l’espèce, il ressort des explications des parties ainsi que des documents soumis à l’appréciation du tribunal et notamment du dossier administratif, que le demandeur a été convoqué par lettre recommandée du 13 mars 2014, envoyée le même jour, à un entretien au sens de l’article 9, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2014, qui devrait se tenir en date du 2 avril 2014. Il n’est pas contesté par le demandeur qu’il ne se soit pas présenté à cet entretien et qu’il a omis d’informer l’agent en charge de son dossier des raisons de son absence.

Partant, le tribunal est amené à retenir que le demandeur a violé les obligations lui incombant en vertu de l’article 9, paragraphe (1) précité de la loi du 5 mai 2006.

Cependant, le mandataire du demandeur a, à plusieurs reprises, sollicité auprès des autorités ministérielles compétentes la fixation d’un second rendez-vous, sans, il est vrai, qu’il n’ait été en mesure de présenter un certificat médical susceptible de justifier l’absence de son mandant à l’entretien du 2 avril 2014 tel que le ministère l’a exigé à travers plusieurs courriers échangés.

Dans ce contexte, le tribunal tient à relever que s’il est exact que l’article 9, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006 confère au ministre la faculté de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale au cas où le demandeur ou son avocat ont été absent à l’entretien auquel ils ont été dûment convoqués, il n’en reste pas moins que le droit du demandeur de protection internationale d’être entendu personnellement afin de pouvoir exposer les motifs se trouvant à la base de la protection internationale est à qualifier de droit fondamental dont la limitation doit être réservée à des cas exceptionnelles. Par voie de conséquence le ministre est dans l’obligation d’utiliser la faculté de statuer sur une demande de protection internationale même en cas d’absence du demandeur à l’entretien fixé avec la plus grande circonspection et recourir à ce droit qu’en cas d’un défaut de collaboration manifeste et persistant du demandeur de protection internationale.

En l’espèce, le mandataire du demandeur a solliciter à maintes reprises la fixation d’un deuxième entretien sans que le ministre ait réservé une suite favorable à cette demande, de sorte que le tribunal est amené à conclure qu’au vu des circonstances de l’espèce, documentées par l’insistance du demandeur, à travers les courriers de son mandataire, de collaborer à l’instruction de la demande de protection internationale, le ministre a violé le droit du demandeur d’être entendu afin qu’il puisse expliquer les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Dans ce contexte, le tribunal tient encore à relever qu’en exigeant à l’article 20, paragraphe (1), sous j) de la loi du 5 mai 2006, un manquement grave à l’obligation découlant de l’article 9, paragraphe (1) de cette même loi afin que le ministre puisse statuer sur le bien-

fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, alors qu’un manquement simple n’est exigé en ce qui concerne les obligations découlant de l’article 9, paragraphe (2) de cette même loi, le législateur a souligné le caractère fondamental du droit du demandeur de protection internationale d’être entendu quant aux motifs l’ayant amené à quitter son pays d’origine.

L’instruction administrative en vue de la prise des trois décisions déférées ayant été viciée, il y a lieu de conclure à l’annulation de la décision du ministre de statuer sur le bien-

fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à l’annulation, dans le cadre du recours en réformation, de la décision portant refus de la demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, sans qu’il soit nécessaire d’analyser les autres moyens soumis à l’appréciation du tribunal.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 20 mai 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée :

au fond, le déclare justifié ;

partant, annule la décision ministérielle de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et renvoie l’affaire devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile en prosécution de cause ;

reçoit le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 20 mai 2014 ayant refusé aux demandeurs l’octroi d’une protection internationale ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision ministérielle du 20 mai 2014 portant refus d’une protection internationale et renvoie l’affaire devant le ministre ministre de l’Immigration et de l’Asile en prosécution de cause ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 20 mai 2014 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, annule la décision ministérielle du 20 mai 2014 portant ordre de quitter le territoire ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Hélène Steichen, juge et lu à l’audience publique extraordinaire du 4 août 2014, par le vice-président en présence du greffier en chef Arny Schmit.

Arny Schmit Claude Fellens 5


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 34629
Date de la décision : 04/08/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-08-04;34629 ?

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