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25/07/2014 | LUXEMBOURG | N°34824

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 juillet 2014, 34824


Tribunal administratif N° 34824 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2014 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 25 juillet 2014 Recours formé par Monsieur ….., contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34824 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2014 par Maître Philippe Stroess

er, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom d...

Tribunal administratif N° 34824 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2014 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 25 juillet 2014 Recours formé par Monsieur ….., contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34824 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2014 par Maître Philippe Stroesser, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., déclarant être né le 12 novembre 1977 à Tunis (Tunisie) et être de nationalité tunisienne, alias ….., prétendant être né le …. à …. (Maroc) et être de nationalité marocaine, alias ….., prétendant être né le …. en Algérie, et être de nationalité algérienne, demeurant actuellement détenu au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 17 juin 2014 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2014 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Lydia Boucherba, en remplacement de Maître Philippe Stroesser, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 23 juillet 2014.

En date du 26 janvier 2011, Monsieur ….., alias ….., alias ….., dénommé ci-après « Monsieur ….. », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations de Monsieur ….. sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Par lettre recommandée du 22 février 2011, Monsieur ….. fut convoqué à une audition prévue le 25 février 2011 dans le but de procéder à un test linguistique.

Monsieur ….. fut incarcéré au Centre pénitentiaire du Luxembourg entre le 19 avril 2011 et le 10 janvier 2012, puis entre le 10 août 2012 et le 11 août 2012 et enfin actuellement depuis le 23 mai 2014.

En vue d’être entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, Monsieur ….. fut invité par deux convocations remises en mains propres en date des 13 août 2012 et 18 avril 2014 à des entretiens prévus pour les 14 septembre 2012 respectivement 23 avril 2014.

Monsieur ….. ne se présenta à aucun de ces entretiens.

Par décisions du 17 juin 2014, notifiées à l’intéressé en mains propres le 20 juin 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur ….. qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se fondant sur les dispositions de l’article 20 (1) sous j) de la loi du 5 mai 2006 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à destination de la Tunisie ou de tout autre pays dans lequel il serait autorisé à séjourner.

La décision du ministre est motivée par la considération qu’en ne se présentant pas aux rendez-vous fixés pour les entretiens en vue de lui permettre d’exposer les faits invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale, Monsieur ….. aurait violé les obligations lui incombant en tant que demandeur d’une protection internationale en vertu de l’article 9 de la loi du 5 mai 2006.

Au fond, le ministre releva que les motifs fournis au moment du dépôt de la demande d’une protection internationale ne seraient pas susceptibles de fonder une crainte raisonnable de persécution ni d’établir le risque réel de subir l’une des atteintes graves définies par l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 dans la mesure où ses déclarations reflèteraient exclusivement des motifs économiques, à savoir le fait de ne pas avoir de travail à Tunis et de chercher un emploi à Luxembourg pour soutenir sa famille en Tunisie.

Le ministre releva en outre que l’identité du demandeur ne serait pas établie, ce dernier n’ayant produit aucune pièce d’identité et ayant séjourné en Belgique et en France sous les alias de ….., prétendant être né le 13 novembre 1980 à Casablanca (Maroc) et être de nationalité marocaine, ainsi que de ….., prétendant être né le 12 novembre 1980 en Algérie.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2014, Monsieur ….. a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 17 juin 2014 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision du ministre portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 17 juin 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision du ministre déférée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de ce volet du recours le demandeur soutient d’abord que ce serait à tort que le ministre aurait décidé de statuer sur sa demande de protection internationale en application de l’article 20 (1) j) de la loi du 5 mai 2006, alors qu’en vertu de l’article 20 (2) de cette même loi, le ministre aurait dû prendre sa décision de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée au plus tard dans un délai de deux mois à partir du jour où il apparaît que le demandeur tombe sous un des cas prévus au paragraphe (1) de l’article 20 précité.

Comme il aurait déposé sa demande de protection internationale en date du 26 janvier 2011, la décision déférée du 17 juin 2014 de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, soit plus de trois années plus tard, aurait partant été prise en violation de l’article 20 (2).

Le demandeur met encore en exergue que suite au constat que son identité serait sujette à caution en raison de l’absence de papiers d’identité, ainsi que des alias utilisés dans d’autres pays, le ministre aurait déjà pu constater au jour de la demande qu’il tomberait dans un des cas d’ouverture de l’article 20 (1) pour avoir fait des « déclaration incohérentes, contradictoires, improbables ou insuffisantes au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationales ».

Au fond, le demandeur fait plaider que du fait qu’il ne disposerait pas de papiers d’identité, il ne saurait être tenu pour responsable du non-respect de l’obligation de prouver son identité telle qu’elle résulte de l’article 9 (2) de la loi du 5 mai 2006.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants : (…) j) le demandeur n’a pas rempli les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 9(2) de la présente loi ou a gravement manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 6(4) et 9(1) de la présente loi, à moins qu’il ne soit pas responsable du non-respect de ces obligations; (…) ».

L’article 6 (4) de la loi du 5 mai 2006 dispose ce qui suit : « Le demandeur a l’obligation de remettre ses documents d’identité, ainsi que toute autre pièce utile à l’examen de la demande de protection internationale. (…) » L’article 9 de la loi du 5 mai 2006 dispose à son tour : « (1) Le demandeur a le droit d’être entendu par un agent du ministre. Il a l’obligation de répondre personnellement aux convocations du ministre. Le ministre peut enregistrer, par les moyens techniques adaptés, les déclarations faites oralement par le demandeur, à condition que ce dernier en ait été préalablement informé. Le ministre peut soumettre le demandeur à un test linguistique.

Lorsque le demandeur est accompagné par un avocat, il devra néanmoins répondre personnellement aux questions posées.

(2) Le demandeur a l’obligation de soumettre dans les meilleurs délais tous les éléments nécessaires pour établir le bien-fondé de sa demande. Le demandeur est réputé avoir présenté tous les éléments nécessaires s’il a fourni des déclarations ainsi que tous les documents en sa possession concernant son âge, sa situation, y compris celle de sa famille, son identité, sa nationalité, ses pays et lieux de résidence antérieurs, ses demandes d’asile précédentes, son itinéraire de voyage, ses documents de voyage et les motifs à la base de sa demande de protection internationale. (…) » Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) j) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit si le demandeur n’a pas soumis dans les meilleurs délais tous les éléments nécessaires pour établir le bien-fondé de sa demande, étant entendu que le demandeur est réputé avoir présenté tous les éléments nécessaires s’il a fourni des déclarations ainsi que tous les documents en sa possession concernant son âge, sa situation, y compris celle de sa famille, son identité, sa nationalité, ses pays et lieux de résidence antérieurs, ses demandes d’asile précédentes, son itinéraire de voyage, ses documents de voyage et les motifs à la base de sa demande de protection internationale, soit si le demandeur n’a pas remis ses documents d’identité, ainsi que toute autre pièce utile à l’examen de la demande de protection internationale, soit si le demandeur n’a pas répondu personnellement aux convocations du ministre, étant finalement relevé qu’en ce qui concerne les obligations prévues par l’article 9 (2) de simples manquements suffisent, alors que pour les obligations érigées par les article 9 (1) et 6 (4), les manquements doivent être graves pour tomber sous le champ d’application de l’article 20 (1) j).

Quant au moyen sollicitant l’annulation de la décision déférée du fait qu’elle ne serait pas intervenue dans un délai de deux mois à partir du moment où le demandeur serait susceptible de rentrer dans un des cas prévus à l’article 20 (1), force est de relever que la décision déférée en se basant exclusivement sur le point j) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, se fonde principalement sur le fait que le demandeur n’a pas répondu aux convocations du ministre en vertu de l’article 9 (1) de la loi du 5 mai 2006 et qu’il n’a pas suffi à son obligation, lui incombant en vertu de le l’article 9 (2) de la même loi, de soumettre au ministre dans les meilleurs délais tous les éléments nécessaires pour établir le bien fondé de sa demande et notamment les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale.

En vertu de l’alinéa (2) de l’article 20 de la loi du 6 mai 2006, « Le ministre prend sa décision au plus tard dans un délai de deux mois à partir du jour où il apparaît que le demandeur tombe sous un des cas prévus au paragraphe (1) qui précède. (…) » Force est au tribunal de souligner que le ministre, ayant convoqué le demandeur à deux reprises en vue d’un entretien au sujet des motifs de la demande de protection internationale, ne peut constater la violation des obligations prévues aux articles 9 (1) et 9 (2) précités qu’à partir du moment où il doit constater que le demandeur ne s’est pas présenté aux rendez-vous fixés en vue de l’instruction de son dossier, dont le dernier a été prévu pour le 23 avril 2014.

En prenant en date du 17 juin 2014 la décision d’invoquer l’article 20 (1) j) précité, soit moins de deux mois après le constat que le demandeur ne s’est pas présenté au dernier rendez-vous fixé pour procéder à un entretien, force est au tribunal de constater que le ministre n’a pas violé l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006 et que partant le moyen y relatif est à rejeter.

En ce qui concerne le fond de la décision déférée et plus précisément les conditions d’application du point j) de l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006, visant en substance l’hypothèse dans laquelle le demandeur ne fournit pas au ministre les documents et éléments de fait nécessaires à l’analyse du bien-fondé de sa demande de protection internationale, ou ne répond pas aux convocations du ministre, il appartient au tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée, d’apprécier sur base des moyens invoqués, si c’est à bon droit que le ministre a fait application de l’article précité afin de décider sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

En l’occurrence, il n’est pas contesté par le demandeur qu’il ne s’est pas présenté au ministère en vue d’un entretien, et ce malgré le fait qu’il a accusé réception de deux convocations à cette fin et que les dates prévues pour les entretiens respectifs se situaient dans des périodes pendant lesquelles le demandeur ne se trouvait pas incarcéré au Centre pénitentiaire de Luxembourg, de sorte qu’il est constant que Monsieur ….. n’a pas répondu aux convocations du ministre sans présenter une quelconque excuse ou explication, et qu’il a ainsi gravement contrevenu à l’article 9 (1) précité de la loi du 5 mai 2006.

Force est encore au tribunal de constater que le demandeur, à l’exception d’avoir indiqué de façon très sommaire dans le formulaire de dépôt de sa demande de protection internationale, qu’il serait venu au Luxembourg à cause du fait qu’il n’aurait pas de travail à Tunis, n’a jamais fourni un quelconque autre fait relatif à la motivation de sa demande de protection internationale. Le demandeur n’ayant pas voulu procéder à l’entretien avec l’agent du ministère des Affaires étrangères, et les déclarations auprès de la police restant totalement muettes quant à un quelconque fait qui aurait pu motiver sa demande de protection internationale, il n’est pas à considérer comme ayant soumis au ministre tous les éléments visés à l’article 9 (2) de la loi du 5 mai 2006.

En ce qui concerne le défaut de soumettre au ministre des documents d’identité, l’argument du demandeur suivant lequel il ne serait pas mesure de fournir des indications sur son identité du fait qu’il ne disposerait pas de papiers d’identité tombe à faux, alors qu’il ressort de ses propres déclarations faites auprès de la Police en date du 26 janvier 2011 qu’il aurait laissé son passeport en Tunisie.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a décidé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Monsieur Mustafa sur base de l’article 20 paragraphe 1 point j) de la loi du 5 mai 2006.

Partant, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 17 juin 2014 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Ledit recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Sous ce rapport, le demandeur se limite à arguer de manière abstraite qu’il pourrait craindre raisonnablement d’être l’objet de persécutions susceptibles de rendre sa vie intolérable en l’absence d’une quelconque protection de la part des autorités policières.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par l’un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs au sens de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, le statut de réfugié n’est octroyé que si le demandeur ne dispose pas de protection dans son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne peut bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, force est au tribunal de constater que le demandeur n’indique pas un seul fait concret à l’appui de sa demande autre que celui d’être venu au Luxembourg en raison du fait qu’il n’aurait pas pu trouver du travail à Tunis. Etant donné que le demandeur n’a pas voulu procéder à l’entretien avec l’agent du ministère des Affaires étrangères en vue d’étayer le motifs à base de sa demande, le tribunal constate que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié du demandeur dans la mesure où ce dernier n’a rapporté aucun élément de fait susceptible d’être analysé à la lumière des critères de persécution visés à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la persécution pour motifs tenant à la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social, étant relevé que le fait de ne pas trouver de travail dans son pays d’origine, en l’absence de tout autre élément concret pouvant faire entrer un tel fait dans les critères précités de l’article 2 d), est à considérer comme un motif purement économique non susceptible d’être pris en compte dans le cadre de l’analyse des conditions d’obtention du statut de réfugié.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006 dispose que peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 (…) ».

L’article 37 de la loi du 5 mai 2006 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi.

Or, tel qu’il a été relevé ci-avant dans le cadre de l’analyse de la demande en obtention du statut de réfugié, la demande de protection internationale est basée exclusivement sur un motif purement économique qui ne saurait dès lors, par sa nature et à défaut d’autres éléments, pas non plus être considéré comme une atteinte grave au sens de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a refusé de lui accorder la protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée en ses deux volets, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 17 juin 2014 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 20, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006, « Une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».

A cet égard, le demandeur se limite à faire valoir que dans la mesure où il aurait fait état d’une crainte justifiée de persécution sinon d’atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006, l’ordre de quitter le territoire serait à annuler.

Or, le tribunal vient de retenir que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale sous analyse, de sorte qu’à défaut d’autres moyens, il ne saurait utilement mettre en cause la légalité de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire conformément à l’article 20, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision ministérielle du 17 juin 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 17 juin 2014 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 17 juin 2014 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Olivier Poos, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 25 juillet 2014, 15 heures, par le vice-

président, en présence du greffier Monique Thill.

s. Monique Thill s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 juillet 2014 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 34824
Date de la décision : 25/07/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-07-25;34824 ?

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