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16/07/2014 | LUXEMBOURG | N°34746

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 juillet 2014, 34746


Tribunal administratif N° 34746 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juin 2014 chambre de vacation Audience publique du 16 juillet 2014 Recours formé par les époux … et consorts, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 23, L. 5.05.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34746 du rôle et déposée le 24 juin 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Hakima GOUNI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ord

re des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Albanie), et de son épouse, Mada...

Tribunal administratif N° 34746 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juin 2014 chambre de vacation Audience publique du 16 juillet 2014 Recours formé par les époux … et consorts, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 23, L. 5.05.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34746 du rôle et déposée le 24 juin 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Hakima GOUNI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Albanie), et de son épouse, Madame …, née le …, agissant tant en leur nom personnel qu'en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité albanaise, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 20 mai 2014 ayant déclaré leur demande de protection internationale irrecevable sur base de l’article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juillet 2014 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Hakima GOUNI et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

Le 5 juin 2012, les époux … … et …, accompagnés de leurs fils mineurs …, ci-après dénommés les « consorts … », tous de nationalité albanaise, introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

Cette demande fut rejetée par une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 18 septembre 2012.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 octobre 2012, les consorts … introduisirent un recours tendant à la réformation de la décision de rejet de leur demande de protection internationale et à l'annulation de l'ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

Par jugement du 27 juin 2013 (n° 31543 du rôle), le tribunal administratif réforma la décision critiquée du 18 septembre 2012 et accorda aux consorts … le statut de réfugié, le tout avec annulation de l'ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

Aux yeux du tribunal, il ressortait des déclarations des consorts … que les faits qui les avaient amenés à quitter leur pays d’origine étaient motivés par des critères de fond définis à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir, d’une part, le fait que leurs opinions politiques n'étaient pas tolérées par le parti démocratique au pouvoir en Albanie puisqu’elles constituent des critiques aux méthodes employées par le pouvoir et, d’autre part, le fait de ne pas pouvoir exercer librement des activités au sein d’une association pour la défense des droits des Rom.

Les premiers juges estimèrent plus particulièrement que les consorts … avaient fait état, de manière crédible, que Monsieur … avait été membre du parti démocratique et qu’il avait accepté de s’engager dans ce parti politique uniquement en contrepartie de la promesse que le parti démocratique, une fois au pouvoir, s’occuperait de la situation des Rom en Albanie. Monsieur … avait participé à la création d’une association dénommée « … », luttant pour la défense des droits des Rom en Albanie, mais cette association n'obtint aucun soutien de son propre parti lorsqu'il fut sollicité par Monsieur … pour construire une cantine, ni lorsqu’il sollicita la mise à disposition d’un local et d’un professeur pour organiser des cours pour des Rom illettrés. Monsieur … avait dénoncé ouvertement, lors d’une réunion du parti démocratique en avril 2012, la rupture de leurs promesses par les responsables dudit parti et il suspectait les deux associations qui luttent officiellement pour les droits des Rom en Albanie et qui bénéficient du soutien du gouvernement, d’être corrompues et de détourner les fonds leur attribués au profit des dirigeants du parti démocratique. Le tribunal estima encore que les consorts … avaient fait état, de manière crédible, du fait que Monsieur … s’était adressé en mai 2012 à un ministre pour solliciter des fonds pour une nouvelle association qu’il voulait créer, appelée «L’Union Rom d’Albanie » et ayant pour objectif de dénoncer les malversations et le vol de fonds destinés à la communauté Rom et que, face au refus de celui-ci, il avait menacé ce dernier d’organiser des manifestations pour protester contre la politique du gouvernement ; que peu de temps après cette entrevue, au moment de la préparation des manifestations contre le gouvernement, les 7 et 9 mai 2012, les consorts … avaient reçu deux appels téléphoniques de la part d’une personne inconnue qui aurait enjoint à Monsieur … d’abandonner ses engagements et qui l’avait menacé de tuer ses enfants et sa femme.

Sur ce, le tribunal conclut qu'eu égard à l’engagement de Monsieur … pour les droits des Rom et aux menaces qu’il avait subies, les consorts … pouvaient craindre avec raison de risquer des persécutions graves en cas de retour dans leur pays d’origine, au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.

Le 19 juillet 2013, l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg releva appel de ce jugement du 27 juin 2013.

Par arrêt du 22 octobre 2013 (n° 33085C du rôle), la Cour administrative réforma le jugement ainsi entrepris et rejeta définitivement le recours contentieux des consorts ….

Selon la Cour, si l’état de la nouvelle démocratie en Albanie pouvait apparaître comme n’étant pas parfaite, par rapport aux standards occidentaux, elle n'était cependant pas verrouillée à telle enseigne que l'alternance politique ne soit pas possible. La Cour releva qu'au niveau national, lors d'élections libres au printemps 2013, le parti démocratique avait été évincé du pouvoir et remplacé par le parti socialiste et en dégagea que la capacité de nuisance du parti démocratique s'en trouvait sérieusement réduite.

Elle estima encore que tous les développements relatifs aux contraintes exercées sur certaines personnes en vue d'adhérer à des associations n’étaient pas pertinents dans le cas des consorts …, étant donné que Monsieur … avait, de son propre gré, fondé une association et que les problèmes qu'il a rencontrés se situaient sur le plan du financement des projets de celle-ci.

Quant aux menaces dont se plaignaient les consorts …, la Cour retint que « pour condamnables et désagréables qu'elles soient, il faut se rendre à l'évidence que dans les Balkans où les problèmes interethniques sont et restent graves, un très grand nombre de personnes, essentiellement celles appartenant à des minorités ethniques, font l'objet de menaces voire de violences légères de la part de membres de la population sans que cet état de choses déplorables puisse être considéré comme constituant une persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006 et justifier qu'une famille quitte définitivement son pays d'origine ». Elle souligna que la Convention de Genève, dont la loi du 5 mai 2006 est le reflet, a été conclue au lendemain de la Deuxième guerre mondiale dans un contexte où les menaces et mauvais traitements des personnes obligées de se réfugier ne se résumaient pas à des menaces verbales.

Elle estima encore qu’il était un fait que les consorts … ont reçu en tout et pour tout, selon leurs propres déclarations, deux menaces téléphoniques, pour le surplus de la part de personnes anonymes dont on ignore même s'il s'agit d'agents du parti démocratique.

Enfin, la Cour ajouta que les consorts … n'avaient même pas tenté de rechercher la protection de la police, estimant que celle-ci était corrompue à telle enseigne qu'ils n'avaient rien à espérer d'elle et considéra qu’il s’agissait d'une attitude trop intransigeante eu égard au contexte général de la situation en Albanie, précisant que « s'il y a certes, dans ce pays comme dans certaines vieilles démocraties d'ailleurs, un certain degré de corruption, certes hautement déplorable, la police n'y est pas inefficace à telle enseigne qu'elle ne serait ni capable ni disposée à instruire une plainte en raison de menaces anonymes. Il faut souligner, dans ce contexte, que l'Albanie range parmi les Etats ayant un indice de développement humain élevé. Elle est candidate officielle à l'adhésion à l'Union européenne. » En date du 25 avril 2014, les consorts …, n’ayant été ni expulsés du Luxembourg, ni rapatriés dans leur pays d’origine, introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006.

Monsieur et Madame … furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, respectivement en date du 30 avril et 5 mai 2014 sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur nouvelle demande de protection internationale.

Par décision du 20 mai 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa les consorts … que leur nouvelle demande de protection internationale avait été déclarée irrecevable sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006. Cette décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à vos nouvelles demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 25 avril 2014.

Avant tout autre développement, il convient de rappeler que vous aviez déposé des premières demandes de protection internationale au Luxembourg en date du 5 juin 2012 qui ont été rejetées comme non fondées par une décision ministérielle en date du 18 septembre 2012.

Vous aviez invoqué à la base de ces demandes que vous auriez quitté l'Albanie pour des raisons de sécurité. Monsieur, en 1999 lors des élections en Albanie, des membres du parti démocratique vous auraient invité à devenir secrétaire général d'une des onze divisions du parti. Le parti vous aurait promis de loger les Roms et de régler le problème de l'absence d'eau. Cependant, le parti socialiste aurait remporté les élections. En 2009, le parti démocratique aurait gagné les élections et vos problèmes auraient commencé. Les Roms auraient voulu que vous teniez les promesses relatives aux logements mais vous déclarez que vous n'auriez pas fait les études nécessaires pour assurer cette tâche. Vous auriez donc consulté les membres du parti démocratique qui vous auraient promis de régler les problèmes, mais qui n'auraient pas tenu leur promesse. Deux mois avant les élections locales en 2011, le parti démocratique vous aurait convoqué pour que vous l'aidiez à gagner les élections. On vous aurait promis de vous trouver un travail et de s'occuper des problèmes des Roms. Vous auriez été d'accord sous condition de pouvoir créer une association pour les Roms. Ayant reçu le feu vert, le parti vous aurait ensuite promis de vous aider à réaliser tous les projets que vous auriez en relation avec les Roms. En mars 2011, vous auriez créé une association pour les Roms dénommée « … ». Deux à trois mois avant les élections, vous auriez voulu ouvrir une cantine pour les Roms. En avril 2011, vous seriez allé chez les membres du parti démocratique pour qu'ils approuvent ce projet. Vous auriez obtenu l'accord du délégué du premier ministre, mais les fonds pour construire la cantine auraient dû être approuvés par la commune. Or, ladite commune aurait été contrôlée par le parti socialiste.

Ainsi, vous auriez dû attendre les résultats des élections de mai 2011 qui auraient été remportées par le parti démocratique. En septembre 2011, vous vous seriez adressé au maire de votre commune, …, pour qu'il approuve le projet. Cependant, ce dernier vous aurait répondu qu'il ne pourrait rien faire car il aurait d'autres priorités. Vous déclarez que vous seriez au courant que la commune aurait reçu des fonds pour financer des projets liés aux Roms. Vous auriez entendu de la directrice des Affaires sociales à Tirana que l'Albanie aurait reçu beaucoup d'argent pour les Roms, mais que personne ne réclamerait cet argent. Ainsi, les autorités albanaises auraient reçu 500 000 000.- euros du conseil américain et 400 000 000.- euros d'une association américaine. En avril 2012, lors d'une réunion du parti démocratique, vous auriez demandé aux membres pourquoi ces fonds n'auraient jamais été utilisés. Vous auriez aussi demandé pourquoi ils collaboreraient avec d'autres associations pour les Roms, comme « Sh.K E.I » ou « ADRA. », mais pas avec la vôtre. Vous affirmez que les dirigeants des partis démocratiques créeraient des associations qui seraient dirigées par des membres de leurs familles afin de pouvoir indirectement toucher les fonds. Après cette réunion, vous vous seriez adressé au Ministre Spiro KSERA pour créer « l'Union Rome d'Albanie ». Vous auriez aussi voulu trouver un député qui pourrait représenter les Roms au Parlement; or, le ministre aurait refusé ce projet. Vous auriez ensuite voulu organiser une manifestation pour protester contre les mauvaises conditions de vie des Roms. Le 7 mai 2012, aux alentours de la période de ladite manifestation, vous auriez reçu des menaces téléphoniques sur votre téléphone portable. On vous aurait dit d'abandonner tous vos projets, de vous rappeler que vous auriez une épouse et des enfants et que votre vie serait un enfer si vous mentionniez de nouveau certaines associations pour les Roms. Vous ne vous seriez pourtant pas adressé à la police puisque celle-ci ne ferait rien et parce que vous n'auriez pas voulu aggraver la situation. Vous ajoutez que les Roms seraient maltraités et violés en Albanie.

Ils vivraient dans des conditions misérables et ils n'auraient pas de droits. Selon vos dires, les lois ne fonctionneraient pas en Albanie et vous ne seriez donc pas protégé.

Vous avez été déboutés de vos premières demandes par un arrêt de la Cour administrative en date du 22 octobre 2013 qui estima que: « (…) quelque imparfaite que puisse apparaître, par rapport aux standards occidentaux, l'état de la nouvelle démocratie en Albanie, elle n'est pas verrouillée à telle enseigne que l'alternance politique ne soit pas possible. C'est ainsi qu'au niveau national, lors d'élections libres au printemps 2013, le parti démocratique a été chassé du pouvoir et remplacé par le parti socialiste. Il est partant à admettre que la capacité de nuisance du parti démocratique s'en trouve sérieusement réduite. La représentante étatique a par ailleurs souligné à juste titre que les développements du tribunal relatifs aux contraintes exercées sur certaines personnes en vue d'adhérer à des associations ne sont pas pertinents dans le cas des consorts …, étant donné que Monsieur … a, de son propre gré, fondé une association et que les problèmes qu'il a rencontrés se situent sur le plan du financement des projets de celle-ci.

Quant aux menaces dont se plaignent les consorts …, pour condamnables et désagréables qu'elles soient, il faut se rendre à l'évidence que dans les Balkans où les problèmes interethniques sont et restent graves, un très grand nombre de personnes, essentiellement celles appartenant à des minorités ethniques, font l'objet de menaces voire de violences légères de la part de membres de la population sans que cet état de choses déplorables puisse être considéré comme constituant une persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006 et justifier qu'une famille quitte définitivement son pays d'origine. Il faut souligner que la Convention de Genève (…) a été conclue au lendemain de la Deuxième guerre mondiale dans un contexte où les menaces et mauvais traitements des personnes obligées de se réfugier ne se résumaient pas à des menaces verbales (…). Il faut y ajouter que les consorts … n'ont même pas tenté de rechercher la protection de la police, estimant que celle-ci est corrompue à telle enseigne qu'ils n'avaient rien à espérer d'elle. Il s'agit d'une attitude trop intransigeante eu égard au contexte général de la situation en Albanie. S'il y a certes dans ce pays comme dans certaines vieilles démocraties d'ailleurs, un certain degré de corruption, certes hautement déplorable, la police n'y est pas inefficace à telle enseigne qu'elle ne serait ni capable ni disposée à instruire une plainte en raison de menaces anonymes (…) ».

Vous n'êtes par la suite pas retournés volontairement en Albanie et vous avez déposé une demande de sursis à l'éloignement en date du 3 mars 2014 à cause de votre état de santé, Monsieur, et de celui de votre fils.

En mains les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 30 avril et 5 mai 2014.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez déposé une deuxième demande de protection internationale à cause des mêmes problèmes que ceux exposés lors de votre première demande. Vous signalez qu'on vous aurait menacé d'arrêter de vous intéresser aux problèmes des roms. De plus, vous auriez reçu trois attestations d'organisations roms qui corroboreraient votre récit concernant la manifestation que vous auriez voulu organiser. Vous auriez demandé ces documents en février 2014, mais vous ne les auriez reçus qu'en début avril 2014 parce que la poste aurait « tardé ». Par ailleurs, vous expliquez que l'Etat albanais serait «complètement corrompu ».

Vous ajoutez que votre beau-frère, le dénommé … se serait également occupé des problèmes des roms mais qu'il aurait été assassiné par une personne inconnue en 1997 ou 1998.

Vous précisez que vous voudriez changer un détail concernant l'entretien de votre première demande de protection internationale. Ainsi, vous auriez été abordé par des membres du parti démocratique en 2009 et non pas en 1999.

A noter que vous avez remis plusieurs documents pour étayer vos dires, dont:

1. Trois attestations d'organisations roms concernant la présumée manifestation que vous auriez voulu organiser. Ainsi, … de l'« Unioni Rrom Korce — Disutni Albania » (document 1) informe dans une lettre datée du 8 février 2014 que vous auriez voulu organiser une manifestation dans le but de promouvoir les droits des roms. Cependant, cette manifestation n'aurait jamais eu lieu parce que vous auriez reçu des menaces par téléphone. L'auteur de la lettre ajoute que l'injustice et la discrimination à l'égard des roms persistent en Albanie. Le dénommé … du « Centre For Contemporain Roma Vision » confirme ce récit dans une lettre non datée (document 2) et ajoute que la corruption serait la raison pour laquelle les « gigantic funds » dédiés aux roms d'Albanie, seraient détournés. Enfin, un certain … de la « … » confirme dans une autre lettre non datée les constats susmentionnés. A noter que vous précisez que votre neveu habitant en Angleterre aurait traduit ces attestations en anglais.

2. Trois articles parus dans des journaux albanais. L'article paru dans « Sot News » le 11 avril 2014 (document 4) semble avoir été traduit en français par « Google translate » ce qui pose des problèmes au niveau de la compréhension du texte. En tous cas, il aborde le sujet de la corruption de hauts fonctionnaires d'Etat ou de ministres, empêchant que des fonds destinés à l'amélioration des conditions de vie des roms soient correctement utilisés. L'article paru le 18 août 2013 dans « 55 Online » (document 5) informe sur le fait que le maire de … aurait été transféré à Tirana parce qu'il ferait partie des personnes ayant bénéficié d'argent détourné de fonds destinés à la population rom. Il serait dorénavant responsable de la gestion de ces fonds au sein du gouvernement de Edi RAMA. Dans un article publié le 21 août 2013 dans « Ekspres » (document 6), l'auteur signale que l'épouse du premier ministre, Madame Linda RAMA, serait, à travers ses ONG, une des grandes bénéficiaires des fonds destinés à la population rom. Il en serait de même de l'épouse de l'Ombudsman, Madame Marta ONORATO.

3. Un rapport d'« Amnesty International » publié en 2014 et intitulé « Albania — Submission to the European Commission Against Racism and intolerance ».

Madame, vous confirmez les dires de votre époux et vous affirmez ne pas pouvoir «donner des nouveaux faits » (p. 2/4). Vous auriez déposé une deuxième demande de protection internationale parce que vous seriez menacée et que vous auriez peur pour la vie de votre famille.

Madame, Monsieur, il s'agit de noter que l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 dispose que: « Le ministre considérera comme irrecevable la demande de protection internationale d'une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés ou d'une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu'ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l'incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. ».

Or, force est tout d'abord de constater que les soucis que vous invoquez ont déjà été traités dans le cadre de vos premières demandes de protection internationale. En effet, tout comme vos accusations de corruption, vous aviez déjà fait part des menaces téléphoniques que vous auriez reçues lors de la précédente procédure. Le seul fait nouveau est que vous êtes dorénavant en possession de trois attestations ou d'articles de journaux censés corroborer vos dires et ne saurait en tous cas augmenter de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions pour prétendre à une protection internationale. Il s'agit de préciser, Monsieur, que vous n'auriez sollicité ces attestations qu'en février 2014 alors que vous auriez pu le faire bien avant. Ainsi, il s'agit de soulever que vous n'auriez donc pas été dans l'incapacité de solliciter ces documents et de les remettre « au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse » qui n'a abouti qu'en octobre 2013. Il en est de même des articles parus sur internet en août 2013. Ainsi, vous auriez donc attendu presque deux ans depuis votre arrivée au Luxembourg avant de demander lesdites attestations. Le constat est semblable concernant l'assassinat présumé de votre beau-frère en 1997 ou 1998 dont vous n'avez pas parlé dans le cadre de votre première demande de protection internationale alors que vous auriez à tout moment pu en faire état.

En tout état de cause, il s'agit de constater, Madame, Monsieur, que les seules menaces téléphoniques dont vous auriez été victimes en 2012 ne revêtent pas un degré de gravité tel à être assimilées à une persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006. Comme noté ci-dessus, d'après la Cour administrative de telles menaces sont certes «déplorables » mais ne sauraient à justifier qu'une famille quitte définitivement son pays d'origine ». Ainsi, il convient de relever que les craintes que vous exprimez, s'analysent plutôt en l'expression d'un simple sentiment général d'insécurité plutôt qu'en une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention.

Les faits que vous avancez dans le cadre de vos deuxièmes demandes de protection internationale ne sont donc pas des éléments nouveaux pouvant augmenter de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire.

Par conséquent, je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, vos demandes de protection internationale sont irrecevables au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

Vos nouvelles demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors déclarées irrecevables. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 juin 2014, les consorts … ont régulièrement fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 20 mai 2014 déclarant irrecevable leur demande de protection internationale sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent qu’ils n’auraient reçus les pièces déposées à l’appui de leur nouvelle demande qu’en février 2014, bien qu’ils les auraient sollicitées deux mois plus tôt auprès des trois associations roms. Ils précisent ne pas avoir jugé utile de formuler une telle demande auparavant et dès leur arrivée, « alors que les juges de premières instance avaient réformé la première décision ministérielle du 18 septembre 2012 ».

Ils concluent à l’annulation de la décision ministérielle litigieuse pour défaut de motivation, sinon motivation erronée.

Ensuite, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir violé la loi, respectivement d’avoir commis un excès de pouvoir, moyennant un non-respect du principe de proportionnalité.

Selon les demandeurs, le ministre, en retenant que les faits avancés par eux dans le cadre de leurs deuxièmes demandes de protection internationale ne sont pas des éléments nouveaux pouvant augmenter de manière significative la probabilité qu'ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, se serait limité à une simple allégation « qui est au demeurant formellement contestée et contredite par les éléments communiquées à la base de la seconde demande de protection internationale des requérants et par la lettre de l'article 23 de la loi du 5 mai 2006 ».

Ils insistent sur ce que les trois attestations testimoniales par eux produites confirment l'engagement du demandeur et sa volonté de manifester contre le gouvernement albanais corrompu, ; que le fait qu’il a été menacé par téléphone et témoigneraient de l'injustice et de la discrimination des Rom en Albanie ; que les trois articles de journaux albanais feraient état de différents cas de corruption de personnes du pouvoir ou proche du pouvoir et que le récent rapport d'Amnesty International confirmerait la discrimination des minorités égyptiennes et Rom en Albanie.

Ainsi, force serait de constater qu’ils auraient présenté des éléments nouveaux « même si les faits à la base de leur demande restent inchangés » et que ces éléments augmenteraient sans conteste de manière significative la probabilité de se voir accorder une protection internationale en ce qu’ils viendraient « corroborer les faits présentés par les requérants gisants à la base de leur première demande ».

Dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner le caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis, en ce sens qu’au cas où une disproportion devait être retenue par le tribunal administratif, celle-ci laisserait entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision.1 En ce qui concerne tout d’abord le reproche que la décision ministérielle ne serait pas suffisamment motivée.

Le moyen en question manque en fait.

En effet, il y a lieu de rappeler que si, en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et que certaines catégories de décisions, dont celles refusant de faire droit à une demande, tel que c’est le cas en l’espèce, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, il suffit que ces indications soient sommaires, d’une part, et il y a lieu de constater qu’en l’espèce, il ressort de la motivation ci-

avant libellée de la décision litigieuse du 20 mai 2014 que celle-ci se trouve motivée à la fois en fait et en droit en ce qui concerne les raisons ayant amené le ministre à déclarer irrecevable la deuxième demande de protection internationale des demandeurs, en ce qu’elle indique les dispositions légales à sa base, se réfère expressément aux éléments mis en avant par les demandeurs et les discute exhaustivement, d’autre part.

Partant, le moyen tiré d’une insuffisance de motivation de la décision ministérielle doit être écarté pour ne pas être fondé.

Concernant les reproches de la violation de la loi, respectivement de l’excès de pouvoir, en raison du non-respect du principe de proportionnalité, il y a lieu de mettre en exergue les termes de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006 en ce qu’il dispose : « Le ministre considérera comme irrecevable la demande de protection internationale d’une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés ou d’une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. (…) » 1 Cf. Tribunal administratif 27 février 2013, n° du rôle 30584, disponible sous www.jurad.etat.lu Le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction d’une demande de protection internationale est dès lors conditionné par la soumission de faits ou d’éléments qui, d’une part, doivent être nouveaux, et, d’autre part, comporter des indications sérieuses d’une crainte fondée de persécution, le demandeur devant avoir été dans l’incapacité – sans faute de sa part – de se prévaloir de ces nouveaux faits ou éléments au cours de la procédure précédente, en ce compris la procédure contentieuse.

Il y a lieu de souligner que ce droit ne constitue en principe pas en quelque sorte une «troisième instance », mais une exception - soumise à des conditions d’ouverture strictes - à l’autorité de chose jugée dont est revêtue la procédure contentieuse antérieure, respectivement à l’autorité de chose décidée dont est revêtue la première décision de refus de protection internationale.

Il appartient dès lors au ministre d’analyser si les faits ou éléments qui lui ont été soumis au cours d’une deuxième demande de protection internationale constituent effectivement des éléments nouveaux et sont susceptibles en même temps d’augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale, le caractère nouveau des faits ou éléments avancés en cause s’analysant notamment par rapport à ceux avancés dans le cadre des précédentes procédures. - A cet égard, l’article 23 de la loi du 5 mai 2006, et, plus particulièrement, les termes « éléments » et « faits » sont à interpréter en ce sens qu’ils ne constituent pas des synonymes, le premier visant toute donnée nouvelle, telle que des documents probatoires nouveaux, le deuxième désignant des actes qui se sont produits nouvellement et dont le demandeur réclame avoir été victime. En l’espèce, les documents produits par les demandeurs constituent des éléments nouveaux, mais non pas des faits nouveaux.

Le tribunal constate de prime abord qu’il ressort sans équivoque des rapports d’audition des demandeurs en dates des 30 avril et 5 mai 2014 que ces derniers n’ont pas invoqué de faits nouveaux à l’appui de leur deuxième demande de protection internationale. En effet, à la question de l’agent en charge des entretiens libellée comme suit : « Quels sont les faits nouveaux que vous introduisez pour justifier votre deuxième demande de protection internationale ? », la demanderesse a répondu : « Je ne peux pas vous donner des nouveaux faits. Ça fait deux ans qu’on est au Luxembourg. La raison pour laquelle j’ai déposé une deuxième demande c’est parce que j’ai peur pour la vie de ma famille et de moi. Nous sommes menacés là-bas. Je n’ose même pas penser au retour », et le demandeur y a répondu que : « J’ai quelques documents sur moi.

J’ai trois attestations d’organisations des Roms. Je voudrais aussi changer quelques détails concernant mon récit de la première fois. J’avais dit lors de la première audition que j’avais été approché par des membres du parti démocratique en 2009 par contre dans le rapport de l’entretien il est marqué 1999. Lors de la première audition je vous avais parlé d’une manifestation que je voulais organiser pour dénoncer la corruption des personnes au pouvoir.

Malheureusement je n’avais pas les preuves nécessaires lors de la première audition. Maintenant j’ai reçu trois attestations de différentes organisations que je veux vous donner. (…) ».

Cet état des choses, c’est-à-dire la constance des motifs de persécution, est également admis par les demandeurs, ceux-ci estiment cependant que les précisions apportées par eux et leurs nouvelles pièces seraient à considérer comme des « éléments nouveaux » justifiant la réouverture d’une nouvelle procédure.

Or, de nouvelles pièces, qui ne tendent pas à documenter des faits ou des situations qui se sont produits après le rejet définitif de la demande initiale de protection internationale, mais uniquement à accréditer la réalité des affirmations constantes des demandeurs, ne sauraient être considérées comme constituant des nouveaux éléments au sens de la loi que dans le cas de figure où le rejet de la demande initiale a été motivé par des considérations de crédibilité ou de preuve de la matérialité des faits avancés. Or, tel n’a point été le cas en l’espèce, où la décision des juges d’appel, à l’instar de celle des premiers juges, n’a pas été fonction de considérations de preuve, mais de considérations relatives à la gravité des faits avancés par les demandeurs.

En outre, le tribunal ne saurait admettre que les consorts … aient été, sans faute de leur part, dans l’impossibilité de se prévaloir des attestations additionnelles au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. Le fait que les attestations testimoniales versées en cause ne leur seraient parvenues qu’au début de l’année 2014 ne saurait les dédouaner de ne pas les avoir sollicitées plus tôt. Il en est de même du récit relativement à l'assassinat présumé du beau-frère du demandeur, qui aurait eu lieu en 1997 ou 1998, étant donné qu’il aurait été parfaitement possible aux demandeurs d’en faire état dans le cadre de la première demande de protection internationale.

Quant à la production d’articles de journaux et du rapport d'Amnesty International de 2014 intitulé « Albania — Submission to the European Commission Against Racism and intolerance » tendant à illustrer la situation générale existant en Albanie, de même que la rectification de la date d’un événement, prétendument actée de façon erronée, le tribunal est amené à constater qu’il n’appert pas en quoi ces éléments ou l’un d’eux augmenterait de manière significative la probabilité que les demandeurs remplissent les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale.

Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent que le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni l’appréciation à la base de la décision litigieuse et donc son bien-fondé, de sorte que la nouvelle demande de protection internationale des demandeurs a valablement pu être déclarée irrecevable en application de l’article 23 de la loi précitée du 5 mai 2006, les demandeurs ne fournissant aucun nouvel élément suivant lequel il existe de sérieuses indications d'une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève ou d’atteinte grave augmentant de manière significative la probabilité qu’ils remplissent les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours formé par les demandeurs est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 16 juillet 2014 par :

Henri CAMPILL, président, Claude FELLENS, vice-président, Françoise EBERHARD, vice-président, en présence du greffier en chef Arny SCHMIT.

s. SCHMIT s. CAMPILL 12


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 34746
Date de la décision : 16/07/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-07-16;34746 ?

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