Tribunal administratif N° 34562 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 mai 2014 2e chambre Audience publique du 14 juillet 2014 Recours formé par Monsieur ….. et consorts, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 34562 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mai 2014 par Maître Faisal Quraishi, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le …. à …. (Albanie), et de son épouse, Madame ….., née le …. à … (Albanie), accompagnés de leurs enfants mineurs ….., né le …. à …. (Grèce) et ….., né le …. à …., tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à …., tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 mai 2014 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 5 mai 2014 refusant de faire droit à leur demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 juin 2014 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Faisal Quraishi et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 juillet 2014.
Le 31 janvier 2014, Monsieur ….. et son épouse, Madame ….., accompagnés de leurs enfants mineurs ….. et ….., ci-après désignés par « les consorts ….. », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations des consorts ….. sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour.
Monsieur ….. fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, les 7 février et 28 mars 2014 sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, les auditions de Madame …..-….. ayant eu lieu les 7 février et 27 mars 2014.
Par décision du 5 mai 2014, notifiée par courrier recommandé envoyé le 6 mai 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts ….. qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1), points a) et c) de la loi du 5 mai 2006, et que leur demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Pour rejeter leur demande de protection internationale, le ministre a retenu que l’Albanie devrait être considérée comme un pays d’origine sûr dans le chef des consorts ….. et que les motifs invoqués par les consorts ….., se résumant à des problèmes d’ordre privé, ne rentreraient pas dans le champs d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 juillet 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, ci-après désignée par « la convention de Genève », et de la loi du 5 mai 2006 pour constituer des délits de droit commun, punissables selon la loi albanaise et pour ne pas être suffisamment graves. Les consorts ….. auraient par ailleurs pu faire l’objet d’une protection de la part des autorités étatiques albanaises, respectivement auraient disposé de la possibilité d’une fuite interne au sens de l’article 30 (1) de la loi du 5 mai 2006. Les faits avancés par les consorts ….. ne permettraient pas non plus de conclure à l’existence d’un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mai 2014, les consorts ….. ont fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 5 mai 2014 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre portant refus de faire droit à leur demande de protection internationale du même jour et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
En fait, les demandeurs, déclarant être de nationalité albanaise, font valoir à l’appui de leur recours que les problèmes qui les auraient conduits à introduire une demande en obtention de la protection internationale auraient commencé suite à l’arrestation et à la condamnation de leur voisin, Monsieur …., à une peine d’emprisonnement de sept ans pour possession illégale d’armes de leur voisin, Monsieur …. Monsieur ….. aurait été victime de menaces et d’insultes à partir de juillet 2013 de la part du frère de Monsieur ….. qui l’aurait accusé d’avoir dénoncé son frère aux autorités policières albanaises. En décembre 2013, le frère de Monsieur ….. aurait par ailleurs agressé le demandeur qui aurait dû être hospitalisé pendant quatre jours suite à cette altercation. Au regard des agissements violents du frère de Monsieur ….. à l’égard du demandeur, fondés sur la loi du Kanun, les consorts ….. auraient été obligés de quitter leur pays d’origine.
A titre liminaire, il y a lieu de relever que les demandeurs estiment, sans pour autant développer plus amplement le moyen, que la décision ministérielle ne serait pas suffisamment motivée. Face à une décision indiquant clairement les motifs à sa base, en les développant sur un total de six pages et en l’absence de développements plus circonstanciés concernant le prétendu défaut de motivation de la décision ministérielle litigieuse et au regard du fait qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence des demandeurs pour rechercher lui-
même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base des conclusions des demandeurs1, il y a lieu de rejeter le moyen tiré d’une absence de motivation de la décision déférée pour ne pas être fondé.
1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 5 mai 2014 de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi modifiée du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours, les demandeurs contestent avoir exposé des faits non pertinents ou d’une pertinence insignifiante en vue de l’obtention de la protection internationale. En effet, ils prétendent être victimes des effets de la loi du Kanun en Albanie en raison des agissements violents de la part du frère de Monsieur ….. qui tiendrait le demandeur pour responsable de l’arrestation et de l’emprisonnement de son frère. Quant à la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur le fondement de l’article 20 (1), c) de la loi du 5 mai 2006, les demandeurs font valoir qu’ils auraient exposé des raisons valables pour penser que l’Albanie ne serait pas à considérer comme un pays d’origine sûr eu égard à leur situation personnelle.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
(…) c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; (…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de cette demande en obtention d’une protection internationale, ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.
1 Trib. adm. 5 juillet 2000, n°11527 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n°378 et les autres références y citées.
Par ailleurs, il convient de relever que les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-
fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, le fait qu’une seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.
En ce qui concerne plus précisément le cas énuméré au point c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, force est de constater qu’aux termes de l’article 21 de cette même loi, auquel l’article 20 (1) fait expressément référence : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, mais que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » En l’espèce, il est constant en cause que par règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, l’Albanie a été retenue comme constituant un pays d’origine sûr. Etant donné qu’il est encore constant en cause que les demandeurs ont la nationalité albanaise et ont résidé en Albanie avant de venir au Luxembourg, c’est a priori à bon droit que le ministre a pu conclure qu’ils proviennent d’un pays d’origine sûr.
Or, au vu du libellé des différents paragraphes de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr n’est pas suffisant pour conclure ipso facto qu’il soit statué sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, étant donné qu’aux termes de l’article 21 (2) de la même loi, le ministre est obligé, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, de procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de la demande de protection internationale, si le demandeur possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
En l'espèce, le tribunal constate que le ministre, après examen de la demande de protection internationale des demandeurs, a conclu qu'ils proviennent d'un pays qui, dans leur chef, est à qualifier de pays d'origine sûr, de sorte qu'il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de loi du 5 mai 2006, de vérifier si les demandeurs lui soumettent, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de leur situation personnelle.
Or, les demandeurs omettent d'établir pareilles raisons concrètes. En effet, l'analyse de la situation personnelle décrite par eux ne permet pas d'en dégager des éléments suffisants impliquant que ce constat ministériel s’en trouve ébranlé. S’il est en effet incontestable que les problèmes de vengeance sont réels en Albanie, il n’est cependant pas établi en l’espèce, d’une part, que les faits mis en avant par les demandeurs soient fondés sur la loi du Kanun, et, d’autre part, que les autorités albanaises n’auraient pas pu ou voulu assurer la protection des demandeurs. Il convient de noter que la notion de protection de la part des autorités du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion, étant cependant relevé qu’en l’espèce les demandeurs ont déclaré lors de leurs auditions ne pas avoir fait appel aux autorités policières albanaises2 qui s’étaient rendues auprès de Monsieur ….., lors de son hospitalisation pour enquêter sur les circonstances de son agression.
Il suit des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu conclure que les demandeurs proviennent d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 20 (1) c), respectivement de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, de sorte que c’est à bon droit qu’il a décidé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale.
Partant, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y a lieu d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006, cet examen devenant surabondant.
2) Quant au recours en réformation, sinon en annulation de la décision du ministre du 5 mai 2014 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
2 Page 3 du rapport d’audition de Monsieur ….. du 28 mars 2014.
Ledit recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
En ce qui concerne la légalité externe de la décision déférée, les demandeurs soulèvent en premier lieu une prétendue violation de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, en arguant que le ministre aurait pris tardivement la décision de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.
Le délégué du gouvernement n’a pas pris position sur ce moyen.
L’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006 dispose que :
« (2) Le ministre prend sa décision au plus tard dans un délai de deux mois à partir du jour où il apparaît que le demandeur tombe sous un des cas prévus au paragraphe (1) qui précède. (…) ».
Il résulte de la disposition légale qui précède que le délai imparti au ministre pour prendre une décision dans le cadre d’une procédure accélérée est de deux mois à compter du jour où il devient manifeste qu’un demandeur de protection internationale tombe dans un des cas prévus à l’article 20 (1). Dès lors, à partir du moment où ce délai de deux mois a expiré, le ministre n’est plus en mesure d’accélérer la procédure d’asile.
En l’espèce, il est constant en cause que les demandeurs ont déposé leur demande de protection internationale en date du 31 janvier 2014 et qu’ils ont été entendus en date du même jour par par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Les demandeurs en concluent que dans la mesure où le ministre aurait dès lors été au courant de leur pays de provenance depuis cette même date, il aurait dû prendre une décision au plus tard deux mois après, c’est-à-dire le 31 mars 2014.
Or, et même à supposer que le ministre ait effectivement eu connaissance du pays d’origine des demandeurs dès le dépôt de leur demande de protection internationale, il y a lieu de retenir que le délai de deux mois tel que prévu à l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006 ne commence pas à courir à partir de la date où le ministre a connaissance du pays d’origine d’un demandeur d’asile, mais à partir du moment où il dispose de la totalité des motifs invoqués par un demandeur de protection internationale, c’est-à-dire à la fin de l’entretien, respectivement de la relecture de l’entretien de celui-ci. Pour savoir si un demandeur de protection internationale tombe dans un de ces cas de figure prévus à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, il est cependant nécessaire d’avoir connaissance de l’ensemble des éléments à la base de la demande de celui-ci et non pas de son seul pays d’origine. Ce n’est cependant que lors de l’entretien auprès de la direction de l’Immigration, tel que prévu à l’article 9 de la loi du 5 mai 2006, que le demandeur de protection internationale a la possibilité et même l’obligation d’exposer l’ensemble des faits à la base de sa demande, étant rappelé que le service de police judiciaire se limite d’après l’article 8 de la même loi de procéder à toute vérification de l’identité et de l’itinéraire d’un demandeur de protection internationale.3 En l’espèce, il ressort des pièces du dossier administratif, ainsi que des explications non contestées du délégué du gouvernement que les demandeurs ont été auditionnés par un 3 Cf. Trib. adm. 18 juin 2014, n°34405 du rôle, disponible sous www.ja.etat.lu agent de la direction de l’Immigration en date des 7 février, 27 et 28 mars 2014 et que la relecture ainsi que la signature, avec la précision que les demandeurs n’ont retenu aucune information essentielle portant un changement significatif au contexte de la demande de protection internationale, des procès-verbaux de ces entretiens a eu lieu les 27, respectivement 28 mars 2014.
Force est dès lors de retenir que conformément à l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006 et à l’article 3 de la Convention européenne sur la computation des délais signée à Bâle le 16 mai 1972, approuvée par la loi du 30 mai 1984, ci-après « la Convention de Bâle », le délai imparti au ministre pour prendre une décision dans le cadre de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006 a en l’espèce commencé à courir au plus tôt le 27, respectivement le 28 mars 2014 à minuit, soit le 28, respectivement le 29 mars 2014, pour expirer le 28, respectivement le 29 mai 2014 à minuit, c’est-à-dire postérieurement à la prise de décision litigieuse adoptée le 5 mai 2014.
Au vu de ce qui précède, le moyen relatif à une violation de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006 est partant à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant au bien-fondé de leur recours, les demandeurs font valoir que le ministre aurait effectué une appréciation erronée des faits gisant à la base de leur demande de protection internationale, au motif, d’une part, que la réalité des menaces de mort pesant sur eux serait clairement établie et, d’autre part, que les autorités policières refuseraient de leur fournir une protection contre les persécutions, respectivement contre les atteintes graves de la part de la famille de leur voisin incarcéré dont ils risqueraient d’être les victimes.
Le délégué du gouvernement pour sa part estime que ce serait à bon droit que le ministre a refusé le statut de protection internationale aux consorts …… En vertu de l'article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l'article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d'un pays tiers qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) ».
Par ailleurs, l’article 31 de la loi du 5 mai 2006 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des liens auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des parties ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) » Il suit des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que les demandeurs encourent en cas de retour dans leur pays d’origine.
En l’espèce, il ressort des déclarations des demandeurs telles qu’actées dans leurs rapports d’audition respectifs que les faits qui les ont amenés à quitter leur pays d’origine ne sont pas motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social. En effet, les menaces de la part de la famille de leur voisin incarcéré pour possession illégale d’armes, que les demandeurs prétendent être fondées sur la loi du Kanun, trouvent leur origine dans un conflit d’ordre privé, et constituent des infractions de droit commun, de sorte que ces agissements ne sauraient fonder une demande de protection internationale pour ne pas être de nature à rentrer dans le champ d’application de la convention de Genève.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder aux demandeurs le statut de réfugié.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f), précité définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate que les demandeurs invoquent les mêmes motifs quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans leur chef d’un statut de protection subsidiaire que ceux qui sont à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Or, il y a lieu de relever que le tribunal ne s’est pas vu soumettre de la part des demandeurs des éléments susceptibles d’établir, sur base des mêmes évènements ou arguments que ceux invoqués dans le cadre de la demande tendant à se voir reconnaître le statut de réfugié, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’ils encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité.
A titre superfétatoire, le tribunal constate que les personnes par lesquelles les demandeurs déclarent avoir été menacés sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat, partant la crainte de faire l’objet d’atteintes graves ne saurait être considérée comme fondée que si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective aux demandeurs ou s’il n’y a pas d’autorités étatiques susceptibles d’accorder une protection :
c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source des atteintes graves4.
En effet, la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. L’existence d’une atteinte grave ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.
A cet égard, il ressort des déclarations des demandeurs lors de leurs auditions par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, qu’ils n’ont pas fait appel aux autorités policières albanaises, Monsieur ….. affirmant que « (…) lorsque je me suis retrouvé à l’hôpital, la police est venue et ils m’ont demandé ce qui s’était passé et pourquoi il y avait eu cette bagarre. Je ne leur ai rien dit car j’avais du respect pour cette famille (…) » 5.
Au vu de ce qui précède, il n’est dès lors pas démontré que les autorités albanaises auraient été dans l’incapacité ou auraient refusé de fournir aux demandeurs une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 contre les prétendues atteintes, dont les consorts ….. déclarent avoir été, respectivement risqueraient d’être victimes.
Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres éléments, les demandeurs restent en défaut d’établir qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, ils risqueraient la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. C’est partant à juste titre que le 4 Trib. adm. 13 juillet 2009, n° 25558, Pas. adm. 2012, V° Etrangers, n° 113.
5 Page 3 du rapport d’audition de Monsieur ….. du 28 mars 2014.
ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il leur a refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 5 mai 2014 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi modifiée du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».
A cet égard, les demandeurs font valoir que dans la mesure où ils auraient invoqué une crainte justifiée de persécution sinon d’atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006, l’ordre de quitter le territoire serait à annuler.
Or, le tribunal vient de retenir que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale sous analyse, de sorte qu’a priori, il a pu assortir la décision négative d’un ordre de quitter le territoire conformément à l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, sans violer le principe de précaution.
A défaut d’autres moyens, le tribunal ne saurait mettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire, de sorte que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 5 mai 2014 de statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 5 mai 2014 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 5 mai 2014 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Anne Gosset, premier juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 14 juillet 2014 par le vice-président, en présence du greffier Monique Thill.
s. Monique Thill s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 juillet 2014 Le greffier du tribunal administratif 12