Tribunal administratif Numéro 32478 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 mai 2013 2e chambre Audience publique du 14 juillet 2014 Recours formé par Monsieur ….., contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’immigration en matière de protection internationale (art. 19, L. 5.05.06)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 32478 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2013 par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le …. à ….
(Burundi), de nationalité burundaise, demeurant actuellement à …., tendant à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 15 avril 2013 ayant rejeté sa demande en obtention d’une protection internationale comme étant non-fondée ainsi qu’à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Sandrine Francis, en remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, et Madame le délégué du gouvernement Caroline Peffer en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 décembre 2013.
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Le 1er juillet 2009, Monsieur ….. introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».
Le même jour, il fut entendu par un agent du service de la police judiciaire section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et sur son iténéraire de voyage suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Il fut entendu en dates des 10 juillet, 26 octobre et 7 novembre 2012 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 15 avril 2013, notifiée par courrier recommandé envoyé le 16 avril 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur ….. que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 1er juillet 2009.
En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 1er juillet 2009 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères du 10 juillet 2012.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté Nairobi le 30 juin 2009, ensemble avec un prêtre qui aurait payé pour le voyage, pour Bruxelles avec « Egyptian Airlines ». De Bruxelles, vous [se]riez venu au Luxembourg en voiture.
Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez vécu à ….. au Burundi où vous seriez né mais qu'en août 1989, vous seriez allé à …. en Tanzanie où vous auriez été accueilli par le « Tanzania Catholic Refugee Services (TCRS) ». Ultérieurement, vous auriez été transféré au camp de réfugiés « Mtabila » en Tanzanie. Vous précisez que vous auriez été en possession d'une carte d'identité du camp de réfugiés et que vous y auriez fréquenté l'école. En outre, vous auriez fait des études en journalisme au Swaziland pendant deux ans mais vous n'auriez pas travaillé en tant que journaliste.
Il ressort de vos dires que vos parents se trouveraient probablement au camp « Mtabila » mais des rumeurs auraient circulé que le camp fermerait le 30 juin 2009. Ainsi, vous auriez dû retourner au Burundi. Ainsi, vous déclarez que le gouvernement tanzanien aurait dit que le Burundi serait sûr pour retourner et que les personnes déplacées recevraient à nouveau des terres. Or, il serait difficile pour vous de recommencer une vie dans votre région d'origine au Burundi et vous auriez des problèmes avec vos familles. Selon vos dires, vos parents seraient d'ethnies différentes et vous n'appartiendriez à aucune d'elles. Vos parents auraient quitté le Burundi parce que les familles ne les auraient pas acceptés. Ils auraient été « excommuniqués » et leurs enfants n'auraient plus de droit à l'héritage. En plus, vous ne seriez pas en sécurité parce que la haine au Burundi entre les ethnies serait encore présente. Vous indiquez que: « So generally, I was afraid because I have no place to call my 'home' and I was afraid of my safety. I didn't know where to start. » (p. 5/12). Vous invoquez avoir entendu de personnes qui seraient rentrées au Burundi, notamment un cousin à vous en 2007, qui y auraient subi des tentatives de meurtre.
Vous ajoutez que votre père aurait été un gouverneur local où il aurait résidé en 1985 et il aurait été accusé d'être responsable d'avoir tué des Hutus.
Vous déclarez que vous seriez revenu du Swaziland le 13 juin 2009 et vous seriez alors allé voir le prêtre ….. et vous lui auriez expliqué ne pas vouloir aller au Burundi. Prêtre ….. vous aurait aidé à organiser votre départ et le 28 juin 2009 vous auriez finalement entamé le voyage.
Vous ne faites pas état d'autres problèmes.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.
Monsieur, vous indiquez être de nationalité burundaise mais ne plus y avoir vécu depuis 1986. Dans un premier temps, il convient de constater que l'analyse de votre demande de protection internationale ne peut être faite qu'au vécu au Burundi. Or, à part les incidents qui auraient eu lieu en 1985, vous ne faites pas état d'un quelconque événement personnel qui vous aurait poussé à quitter le Burundi. Hormis le fait que les événements de 1985 sont trop éloignés dans le temps pour fonder une demande de protection internationale en juillet 2009, il convient de constater que la situation au Burundi s'est nettement améliorée depuis 2005 et le pays connaît de moins en moins de problèmes liés aux ethnies : « Der Antagonismus zwischen den Bevölkerungsgruppen der Hutu (ca. 85 Prozent der Bevölkerung) und Tutsi (ca.
13 Prozent der Bevölkerung, daneben circa 2 Prozent Twa), der Staat, Wirtschaft und Gesellschaft seit der Unabhängigkeit 1962 geprägt hat, ist kaum mehr wahrnehmbar. ».
Selon vos dires, votre camp en Tanzanie devrait fermer et vous devriez retourner au Burundi. Vous dites craindre des « revanches » de personnes burundaises en cas de retour dans votre pays d'origine parce que vous seriez Hutu et Tutsi et parce que vos familles auraient repris les terres de votre père. Il ressort de nos recherches que l'UNHCR promeut effectivement le retour de réfugiés burundais se trouvant actuellement en Tanzanie parce que : « Compte tenu de l'amélioration de la situation au Burundi, les réfugiés burundais dont il a été établi qu'ils n'avaient plus besoin de protection internationale devraient regagner leur pays en 2012. Les réfugiés burundais qui resteront en Tanzanie, sans doute en nombre assez restreint, seront transférés dans un autre site lorsque le camp de Mtabila fermera ses portes et y résideront en attendant de trouver des solutions durables. Le HCR prendra des dispositions pour prolonger brièvement la vie du camp après la date de fermeture, ce qui lui laissera le temps d'arrêter convenablement et totalement les activités. ».
En effet, il est prévu pour des personnes se trouvant dans des situations comme la vôtre, que les problèmes de terres seraient pris en charge et des solutions seraient recherchées : « Le HCR prévoit donc de mener des activités de réintégration pour quelque 38 500 rapatriés burundais en 2012. Les rapatriés les plus vulnérables sont ceux qui n'ont pas accès à des terres. Les besoins suscités par les litiges fonciers seront pris en charge en étroite collaboration avec des partenaires d'exécution locaux et l'organisme public chargé de ces questions, la Commission nationale des terres et autres biens (CNTB). ».
Ce fait est corroboré par les conclusions du rapport du Internal Displacement Monitoring Centre du 18 août 2011 :
« Land disputes can be resolved through various mechanisms: formal courts;
traditional authorities known as Bashingantahe; mediation by NGOs; and the National Commission for Land and Other Properties (Commission Nationale de Terre et Autres Biens or CNTB). In practice, most of the CNTB cases have related to disputes over the land of returning refugees, and few IDPs have turned to the CNTB to resolve issues of land tenure in settlements. According to IDMC interviews, IDPs may see it as the government's responsibility to resolve land disputes and to settle any related claims for compensation, given that it was the state that authorised their settlement in the first place. In contrast, most people holding rights over the land on which IDP settlements have been built have applied to the CNTB, in search of compensation or in some cases the restitution of their land (Brookings/IDMC, June 2011). ». Il ne saurait être établi que vous ne pourriez pas obtenir une aide et protection en ce qui concerne les problèmes de terres avec vos familles.
Il convient de souligner le fait que vous n'auriez plus vécu au Burundi depuis 1986 et que vous auriez vécu en tant que réfugié en Tanzanie d'une manière permanente. De même, vous auriez fréquenté l'école et vous auriez même réussi à faire des études universitaires au Swaziland pendant deux ans avec l'autorisation du gouvernement tanzanien. Dans ce contexte, aucun indice ne saurait être établi qui puisse démontrer que : « The government of Tanzania, the govemment of Burundi and UNHCR, all of them tricked people. » (p. 7/12). En effet, « More than 1,000 Burundians are returning to their homeland almost every day with the help of the UN refugee agency and its partners, after losing their refugee status in Tanzania.
Taking advantage of a last opportunity for assistance in making the journey, close to 8,000 former refugees have returned from Mtabila refugee camp in Tanzania since October 31 on convoys organized by UNHCR, the International Organization for Migration, and other partners. The first convoy carried only 356 people, but more are signing up every day.
"We see more and more people coming forward and the pace of the convoys is picking up," said Chansa Kapaya, UNHCR's representative in Tanzania. "Co-operation between the Tanzanian government and humanitarian agencies on issues related to the orderly return continues to be excellent." ». Le rapport continue en mettant l'accent sur le fait que « All returnees are registered by UNHCR and receive a month's food ration as well as a small cash grant. They also receive a number of useful household items, such as sleeping mats, mosquito nets, buckets, ferry cans, some clothing and sanitary materials. As well, they begin the process of getting a vital government ID card. (…) Some of the returnees – who had fled civil strife in the 1990s – seemed genuinely surprised to find a country at peace, apparently believing Burundi was still at war.
Since April 2002, UNHCR has supported the government of Burundi to reintegrate more than half a million returning refugees – helping them reclaim their land, settle land disputes, build homes and start businesses.
"We have helped retumees to resume their normal life," said Catherine Huck, UNHCR's representative in Burundi. "UNHCR intends to continue working closely with the government and development organizations to make sure that this latest group of returnees can restart their lives and contribute to stability in Burundi." ».
Monsieur, vos craintes concernant le retour au Burundi ne sauraient à l'heure actuelle être fondées. En effet, s'il est vrai que le Burundi connaît un taux de pauvreté élevé et que des tensions sporadiques entre les ethnies apparaissent de temps à autres, il ressort des recherches en nos mains que : « The security situation improved after the last rebel group laid down its arms in 2008, and there has been no new conflict-induced displacement since then. The majority of people consulted in a comprehensive IDP survey by OCHA in 2005 declared that they felt well integrated into their current location and comfortable among their new neighbours, and expressed a wish to remain in the IDP settlements. » Le gouvernement burundais est déterminé, malgré les difficultés qui persistent, à offrir aux réfugiés burundais des possibilités de réinsertion :
« In 2008 the government adopted a strategy document to guide the repatriation and integration of returning refugees without land (Government of Burundi, Commission Intégrée Ad Hoc -Rapatriement et Réintégration, 2008). The document foresaw the creation of new villages with basic services and the allocation of additional land to allow greater numbers of beneficiaries to reestablish viable livelihoods. It also aimed to accommodate members of different ethnic groups in the same location in an effort to foster reconciliation, peace and security, and envisaged the development of simplified procedures to allow the rural population to register their homes and land with the commune in order to avoid potential land conflicts. ». Il ne saurait donc être établi que vous ne pourriez pas vous installer dans une autre région du Burundi pour échapper aux prétendus mauvais traitements de vos familles et personnes de votre région d'origine. Au contraire, le gouvernement burundais soutient la création de nouveaux villages ethniquement mixtes pour favoriser l'insertion sociale.
Par ailleurs, vos craintes sont purement hypothétiques qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable et ne sauraient cependant constituer des motifs visés par la Convention de Genève. Vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d'insécurité qu'une crainte de persécution. Or, un sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention.
Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Etant donné que les faits invoqués à la base de votre demande de protection internationale ne saurait être actuellement admis comme justifiant à suffisance une crainte de persécution ; dès lors, et a fortiori, l'absence matérielle de crainte actuelle fondée s'impose également en ce qui concerne la demande tendant à obtenir la protection subsidiaire.
En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. Le Burundi a aboli la peine de mort en 2009. Vous ne faites également pas état de risque réel de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou de risques réels émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international. En s'appuyant sur tous les rapports et jurisprudences cités, la situation actuelle au Burundi ne saurait être considérée comme conflit armé interne ou international.
Ainsi, les faits que vous alléguez ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Burundi, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2013, Monsieur ….. a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 15 avril 2013 portant refus d’une protection internationale et tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, compris dans la même décision.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 15 avril 2013 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur, de nationalité burundaise dont le père appartiendrait à l’éthnie des Tutsis et la mère à celle des Hutus, expose avoir dû quitter le Burundi en 1986, en raison des affrontements interethniques qui auraient eu lieu et auxquels son père, en tant que membre du gouvernement local de ….., aurait dû participer, l’exposant, suite à son congédiement du gouvernement local, à la vengeance des familles des victimes. Le demandeur, installé avec sa famille dans un camp en Tanzanie jusqu’à la fermeture de celui-ci en 2009, fait valoir être dans l’impossibilité de retourner dans son pays d’origine qu’il connaîtrait à peine et dont il ne parlerait que très peu la langue, au motif, d’une part, que la situation socioéconomique, ainsi que la situation des réfugiés souhaitant s’y réinstaller seraient préoccupantes. Il cite à cet égard le rapport du Secrétaire général sur le Bureau des Nations Unies au Burundi du 18 janvier 2013, l’article du 6 octobre 2008 de la part d’IRIN, un service du « UN Office for the Coordination of Humanitarian Affairs » intitulé « Burundi :
Fighting for land », ainsi que le rapport du 25 octobre 2012 du « International Crisis Group » intitulé « Burundi : Bye-bye Arusha ? ». Par ailleurs, il estime qu’il y serait exposé tant à la vengeance des familles de ses parents qui auraient répudié ces derniers à cause de la mixité ethnique de leur mariage qu’à celle des familles des victimes des affrontements interethniques auxquels son père aurait participé dans les années 1980.
Quant au fond, le demandeur conclut à la réformation de la décision déférée pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits en ce que le ministre aurait, à tort, retenu que les faits présentés à l’appui de sa demande de protection internationale n’auraient pas justifié l’octroi du statut de réfugié, respectivement de protection subsidiaire. Le demandeur conteste finalement pouvoir bénéficier, d’une part, d’une protection étatique contre les risques de faire l’objet d’actes de vengeance de la part de sa famille, respectivement de la part des familles des victimes des affrontements interethniques dans les années 1980 en se fondant pour étayer ses contestations, sur deux rapport de l’organisation « Human Rights Watch » intitulés « Mob Justice in Burundi, Official Complicity and Impunity » de mars 2010 et « You will not have peace while you are living :
The escalation of Political Violence in Burundi » de mai 2012, sur le rapport d’Amnesty International de juillet 2012 intitulé « Burundi, l’heure du changement : le point sur les droits humains », ainsi que sur un article paru sur Internet d’IRIN du 15 octobre 2012 intitulé « Brundi : l’Etat est-il responsable des assassinats ciblés ? », et, d’autre part, de la possibilité d’une fuite interne.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : «(1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection (…) ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de son audition ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006.
En effet, même si le départ de la famille du demandeur s’est effectué sur la toile de fond d’une guerre civile qui aurait éclaté en raison de problèmes interethniques, force est cependant de constater, d’une part, que les risques d’actes de vengeance de la part des familles des victimes des affrontements interethniques auxquels son père aurait participé dans les années 1980 doivent être considérées comme étant purement hypothétiques, étant donné qu’il ne ressort d’aucun élément concret soumis à l’appréciation du tribunal que le Burundi, faisant certes l’objet d’agitation dues aux tensions politiques entre le gouvernement et les parties politiques d’opposition, serait en proie à des actes de vengeance liés aux conflits interethniques des années 1980. Il y a lieu de relever, d’autre part, que les menaces de mort pesant sur le demandeur de la part de sa famille en raison du mariage de ses parents appartenant à deux ethnies rivales, sont, d’après les déclarations du demandeur, fondées sur un litige successoral qui se meut dans le cadre de la possession de terrains familiaux, étant encore précisé que le demandeur est resté en défaut d’invoquer un quelconque incident concret quant aux menaces de mort, mis à part l’empoisonnement de son cousin, dont les circonstances ne peuvent cependant pas être rattachées à des problèmes familiaux tels que mis en avant par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale, mais plutôt par la consommation d’alcool fabriqué de manière artisanale1. Dès lors, il y a lieu de conclure que les actes relatés n’ont pas été motivés par un des cas d’ouverture prévus par l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social.
Partant, le recours en réformation contre la décision déférée en ce qu’elle refuse au demandeur le bénéfice du statut de réfugié, est à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) 1 « He was poisoned by a local alcohol », page 7 du rapport d’audition de Monsieur …. du 10 juillet 2012.
et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f), précité définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Or, il y a lieu de relever que le tribunal ne s’est pas vu soumettre de la part du demandeur des éléments susceptibles d’établir, sur base des mêmes évènements ou arguments que ceux invoqués dans le cadre de la demande tendant à se voir reconnaître le statut de réfugié, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité. Plus particulièrement, le demandeur reste en défaut d’établir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres éléments, c’est à juste titre que le ministre a retenu que le demandeur n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il courrait le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il lui a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 15 avril 2013 portant l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour (…) ». En vertu de l’article 2 o) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».
En l’espèce, le demandeur se limite à solliciter l’annulation de l’ordre de quitter le territoire au motif que la décision ministérielle lui refusant l’octroi de la protection internationale encourrait la réformation.
Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que le demandeur ne remplit pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que le tribunal ne saurait en l’état actuel du dossier mettre en cause ni la légalité ni le bien-
fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 15 avril 2013 portant rejet d’un statut de protection internationale à Monsieur …..;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 15 avril 2013 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Anne Gosset, premier juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 14 juillet 2014 par le vice-président, en présence du greffier Monique Thill.
Monique Thill Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 juillet 2014 Le greffier du tribunal administratif 12