Tribunal administratif N° 33643 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 novembre 2013 2e chambre Audience publique du 7 juillet 2014 Recours formé par Monsieur ….., contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 33643 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 2013 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le …. à …. (Turquie), de nationalité turque, demeurant actuellement à …., tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 14 octobre 2013 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 janvier 2014 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 mai 2014.
Le 9 septembre 2011, Monsieur ….. introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations de Monsieur ….. auprès d’un agent du service de police judiciaire, police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, furent actées dans un rapport daté du 13 septembre 2011.
Monsieur ….. fut entendu en date des 30 mai et 27 juin 2013 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 14 octobre 2013, notifiée en mains propres à l’intéressé le 12 novembre 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur ….. que sa demande en obtention d’une protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 9 septembre 2011.
En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 13 septembre 2011 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères des 30 mai et 27 juin 2013.
Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté votre pays le 5 septembre 2011. A Istanbul vous auriez embarqué à bord d'un camion à destination du Luxembourg où vous seriez arrivé trois jours plus tard. Le dépôt de votre demande de protection internationale date du 9 septembre 2011. Vous avez déposé votre carte d'identité au service compétent du Ministère des Affaires étrangères le même jour.
Il résulte de vos déclarations que vous seriez d'ethnie kurde et originaire de la province de …., Turquie. Le motif principal que vous évoquez à la base de votre demande de protection internationale est la pression militaire que vous, et votre famille, auriez subie dès votre enfance dans votre région d'origine. Votre tante paternelle aurait joint la guérilla du PKK et en conséquence votre famille aurait été visée par les militaires turcs. Quand vous auriez été très jeune, à l'âge de 3-4 ans, les militaires seraient venus régulièrement dans votre village, les habitants auraient été rassemblés, les hommes frappés et les maisons fouillées.
Votre père aurait refusé de collaborer avec les militaires en tant que gardien du village et par conséquent il aurait été maltraité. Suite à ce mauvais traitement il serait à moitié paralysé.
En 2005 vous auriez quitté ….., votre ville natale, pour Istanbul où vous seriez resté jusqu'à votre départ pour le Luxembourg en septembre 2011. Vous auriez adhéré en 2007 au DTP, précurseur du parti BDP et vous auriez « participé aux meetings et aux Norouz organisés par le BDP ». Vous auriez été un membre officiel de l'aile de jeunesse du BDP (cf. p.8 de votre entretien). A Istanbul vous auriez eu des problèmes « avec des gens fascistes ». Sur votre lieu de travail, vous auriez été provoqué par des collègues de travail à cause de votre adhésion au parti BDP (cf. p.13 de votre entretien). Ces collègues de travail vous auraient accusé de soutenir les actions violentes au nom de la cause kurde. Lors des festivités du Norouz, le 21 mars 2010, vous auriez été attaqué par des « fascistes » sur le chemin de retour. Les « fascistes » auraient attaqué le train dans lequel vous auriez voyagé. Vous auriez riposté et la police serait intervenue. Vous auriez été mis en garde à vue où vous auriez été interrogé et insulté par la police. Vous auriez été relâché après trois ou quatre heures. Vous spécifiez que vous n'auriez pas été maltraité lors de l'interrogatoire (cf. p.10 de votre entretien). C'est la seule fois que vous auriez été mis en garde à vue, vous n'auriez jamais été emprisonné. Par ailleurs, vous seriez recherché en Turquie à cause de votre insoumission qui est la conséquence de votre refus d'effectuer votre service militaire. Vous avez justifié votre refus d'accomplir vos obligations militaires par le fait que vous ne vouliez pas tuer des gens, « surtout si ce sont des gens de mon peuple et qui sont innocents », et vous ajoutez que vous seriez un objecteur de conscience. De plus, vous auriez peur d'être tué par vos supérieurs si vous n'exécutiez pas les ordres. Vous précisez que près de 1000 Kurdes auraient été tués de cette manière lors de leur service militaire et que leur mort aurait toujours été déclarée officiellement comme suicide. Vous prétendez que lors d'un retour en Turquie vous préféreriez rejoindre le PKK plutôt que faire votre service militaire (cf. p.16 de votre entretien). Vous auriez reçu votre convocation un mois avant votre départ pour le Luxembourg. Après réception de votre convocation vous ne seriez plus retourné à votre logement et vous vous seriez caché chez un ami. Vous spécifiez, pourtant, lors de votre entretien que votre insoumission au service militaire « n'est pas la raison principale » qui a motivé votre départ de votre pays d'origine. En outre, vous dites éprouver un sentiment général de peur de la police et des militaires (cf. p.10 de votre entretien).
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.
En effet, en ce qui concerne les agressions et provocations de vos anciens collègues de travail, force est de constater que tous les faits relatés constituent en effet des délits de droit commun, commis par des personnes privées du ressort des autorités de votre pays et punissables en vertu de la législation. S'agissant d'actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques pour l'un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d'asile. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.
En ce qui concerne les pressions militaires que vous auriez subies dans votre ville natale, quand vous auriez été encore très jeune, elles sont trop éloignées dans le temps pour être prises en compte dans l'examen de votre demande de protection internationale. En effet, la situation dans votre région a évolué depuis votre enfance et les hostilités entre le PKK et le gouvernement turc ont cessé, les rebelles du PKK ont entamé leur retrait de la Turquie en mai 2013 et le PKK et le gouvernement turc se sont engagés dans un processus de paix et de réconciliation.
Vous évoquez, également, que vous auriez peur de la police et des militaires.
Cependant, les craintes que vous exprimez s'analysent en l'expression d'un simple sentiment d'insécurité générale commun aux minorités, plutôt qu'en une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, vous n'auriez jamais été emprisonné et vous ne témoignez [d’] aucun cas de maltraitance à part les insultes verbales que vous auriez subies de la part de la police.
En ce qui concerne l'attaque du train dans lequel vous auriez voyagé, il est tout d'abord à noter que vous n'auriez pas été visé personnellement. De plus, les agressions dont vous auriez été victime ne revêtent pas un caractère de gravité particulière et suffisante au point de valoir comme actes de persécution au-delà du caractère non éligible des auteurs de persécutions suivant les dispositions du point c) de l'article 28 ensemble le paragraphe 2 de l'article 29 de la loi modifiée du 5 mai 2006. Je relève aussi que vous dites avoir riposté à cette attaque.
Quant à votre appartenance au Parti BDP elle n'est étayée par la production d'aucune pièce ; elle reste donc à l'état de supposition. En supposant cette adhésion établie, je relève que vous ne faisiez partie que de l'aile de la jeunesse sans fonction dirigeante, ce qui ne vous plaçait pas dans une position particulièrement exposée.
Quant à votre qualité d'insoumis que vous invoquez à l'appui de votre demande d'asile, vous déclarez ne pas vouloir accomplir votre service militaire car vous pensez que vous seriez envoyé dans l'est de la Turquie et que vous seriez amené à tuer vos frères kurdes en étant obligé de prendre part aux combats opposant l'armée turque aux militants du PKK.
Toutefois, il convient de souligner que « l'attribution du lieu où un conscrit doit accomplir son service militaire est effectuée de façon aléatoire, à savoir par ordinateur. Ce faisant, on ne tient nullement compte de l'appartenance ethnique des intéressés. Les tâches du conscrit sont les suivantes : des tâches administratives pour le compte de l'armée, en ce compris l'entretien des installations et le rôle de chauffeur ; des tâches auprès de la Jandarma, qui assure la sécurité en dehors des villes ; des tâches de surveillance dans des musées et autres bâtiments publics et une affectation au sein des Peace Keeping Forces dans le cadre de l'OTAN.
De plus, avec l'augmentation du nombre de communiqués faisant état du décès de conscrits dans le contexte de la lutte contre le PKK, la presse et la population ont exprimé de plus en plus de critiques quant au fait que des conscrits soient affectés aux combats contre les rebelles. C'est d'ailleurs le parti majoritaire dans le gouvernement actuel, l'AKP, qui se montre le plus sensible à ces critiques, d'autant plus sensible qu'un grand nombre de ses électeurs figurent parmi les familles de conscrits. » Depuis début mai 2008, la Turquie ne recrute plus de nouveaux conscrits comme officiers de réserve dans les brigades de commandos destinées à combattre le PKK. En 2012, la professionnalisation de l'armée se poursuit.
Par ailleurs: « In mid-February 2012, Barip Görmez, a 33-year-old Jehovah's Witness who had been imprisoned since 2007 for being a conscientious objector, was acquitted of all charges stemming from his conscientious objection and released from a Turkish military prison. Also, in early March 2012, just after the end of the reporting period, a Turkish military court ruled that conscientious objection should be recognized, citing ECtHR rulings against Turkey and Armenia on conscientious objectors and the religious freedom provision of the Turkish constitution. Reportedly, the Turkish parliament also is discussing options for legally recognizing conscientious objection and offering alternatives to military service. » En tout état de cause, il ressort de l'Operational Guidance Note du UK Home Office que: « The House of Lords in the case of Sepet (FC) & Another (FC) [2003] UKHL 15 found that in general those who refused to perform military service in Turkey (including Kurds) were not subject to disproportionate or excessive punishment in law or in fact and were fiable to prosecution and punishment irrespective of the reasons for their refusal. Therefore it is unlikely that in the majority of cases, the consequence of a claimant's general 'unwillingness to serve' in the armed forces or objection to enter a 'combat zone' will be such that they would qualify for asylum or Humanitarian Protection. » Vos craintes de devoir accomplir des actions que la conscience réprouve en accomplissant votre service militaire sont dénuées de fondement.
On peut ajouter que plusieurs articles tout récents corroborent le constat d'une amélioration du sort des Kurdes en Turquie. Ainsi, « Al Monitor » affirma en juin 2013 que « Erdogan is planning to expedite some democratic opening moves related to Kurdish and Alevi issues to overcome his image erosion internally and externally. (…) According to reports leaking from the Council of Ministers, the government is planning to implement some concrete measures to continue with its Kurdish opening with mother tongue education, strengthening local administrations, softening the Law for Combating Terrorism and granting amnesty to PKK militants who have given up their guns. » En effet, le gouvernement turc a entrepris en 2012 des mesures visant à améliorer leur situation et leur intégration au sein de la société turque. Ainsi, il ressort du rapport de l'UK Home Office de mai 2013 que « Following the general election of 12 June 2012 and the re-
election of Prime Minister Recep Tayyip Erdogan’s AKP government pledged to embark on a complete revision of the 1982 Constitution through consensus and negotiation with the opposition, parties outside of Parliament, the media, NGOs, with academics and with anyone who had something to say. Changes to the Constitution were crucial for Turkey's minorities, since only three minority groups were currently recognised, namely Armenians, Greeks and Jews. The others, including Alevis, Kurds and Roma, remain excluded. Even recognised minorities continue to face discrimination and the Parliament Conciliation Commission had been set up to work on revising the Constitution. Representatives of minority groups had begun to push for their cultural, linguistic and civil and political rights to be incorporated in the new Constitution and to be recognised as equal citizens. » Ce constat est renforcé par le fait que « On 12 June 2012 Al Jazeera reported, Turkey has announced plans to allow schools to teach the Kurdish language as an elective subject, a step aimed at reconciliation that Kurdish minority activists argue does not go far enough.
Recep Tayyip Erdogan, the Turkish prime minister, told his ruling party members in parliament on Tuesday that if "enough students come together, Kurdish can be taken as an elective lesson, if will be taught and if will be learned". Erdogan told parliament the measure was "a historic step". The government is trying to stop decades of fighting with Kurdish fighters seeking autonomy in the largely Kurdish southeast. The teaching of Kurdish has long been banned in schools on the grounds that it could divide the country along ethnic lines. In recent years Justice and Development Party (AKP) government has adopted a softer approach, permitting Kurdish-language institutes and private courses as well as Kurdish language television broadcasts. However, it is the first time Turkish public schools will be able to offer Kurdish language courses at a time the government has faced criticism for dragging its feet on its so-called Kurdish initiative. Activists and Kurdish politiciens, however, insist on autonomy and full Kurdish education in schools. (…) Ankara announced a so-called "Kurdish opening" in 2009 in a bid to persuade fighters of the Kurdistan Workers' Party (PKK) to end their decades-long struggle. The initiative included investment in Turkey's poorer southeastern region and greater recognition of Kurdish cultural and identity rights, but it faltered amid continued violence and a Turkish nationalist backlash. (…) Erdogan on Tuesday said his party was open to dialogue with all parties, including a pro-Kurdish party, for a solution. In 2011, Turkey's first Kurdish language department opened in the Mardin Artuklu and Mus Alparslan universities. The first alumni of these two schools are expected to graduate in 2015. Batman University is also expected to start up a Kurdish language department in the near future. » Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En l'espèce, il ressort d'une analyse de la situation actuelle en matière de sécurité en Turquie que, à l'heure actuelle, on constate effectivement dans le sud-est du pays – rappelons que vous auriez résidé à ….. – que les affrontements entre les forces armées turques et les milices du PKK sont seulement très sporadiques et ont principalement lieu dans des zones proches des régions montagneuses frontalières entre la Turquie et l'Irak. Le 20 mars 2013 le chef emprisonné du PKK Abdullah ÖCALAN a annoncé le cessez-le-feu et le retrait des rebelles PKK, entamé en mai 2013, se déroule sans incident majeur. Dès lors, il peut être conclu qu'il n'existe actuellement pas dans le sud-est de la Turquie un risque réel de menaces graves contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. De plus, il ressort clairement de votre récit que vous avez quitté votre région d'origine pour vous installer à Istanbul, ville dans laquelle vous ne pouvez pas dire que vous avez fait l'objet d'atteintes graves. Le fait d'avoir été mis sous pression par des collègues de travail relève du droit commun ou du droit de travail mais ne saurait vous valoir une protection subsidiaire. Ainsi, les faits que vous alléguez ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Turquie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner.
(…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 2013, Monsieur ….. a fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre du 14 octobre 2013 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.
A l’appui de son recours, le demandeur, déclarant être de nationalité turque et d’origine ethnique kurde, expose qu’il serait né à ….., un village dans le Sud-Est de la Turquie, dans la province de …. Au sein de sa famille, il n’aurait parlé que le kurde. Or, à l’école, il aurait été agressé en raison de ses origines kurdes et il se serait vu interdire de parler sa langue maternelle sous peine de recevoir de sévères punitions.
Le demandeur soutient que des militaires turcs seraient fréquemment descendus dans les villages et auraient fouillé les maisons afin de faire pression sur la population et l’empêcher de soutenir le PKK. Son père aurait été particulièrement visé par ces actions en raison de l’adhésion de sa sœur au PKK et il serait à moitié paralysé du fait des maltraitances qui lui auraient été infligées par les militaires turcs comme il aurait refusé de collaborer avec eux en tant que gardien de village. Son enfance aurait ainsi été marquée par des événements illustrant l’insécurité à laquelle il aurait dû faire face en raison de ses origines kurdes. Il fait encore valoir qu’il aurait été constamment confronté à de la violence et à la présence de militaires.
En 2005, à l’âge de 15 ans, le demandeur serait parti à Istanbul pour des raisons financières et afin d’échapper à la pression militaire. Il aurait travaillé dans une usine de textile où ses collègues de travail l’auraient sans cesse provoqué en raison de ses activités politiques.
Dans le but d’aider les personnes d’ethnie kurde, le demandeur aurait adhéré en 2007 au parti politique DTP et aurait été recruté en 2008 par le parti politique dénommé parti pour la paix et la démocratie (BDP) nouvellement créé. Ses activités politiques auraient consisté à distribuer des tracts et des journaux interdits afin d’informer la population sur les actions de son parti, ainsi qu’à participer à des réunions.
Le demandeur indique qu’à l’issue de festivités de Norouz en mars 2010, le train dans lequel il se serait trouvé aurait été attaqué par des fascistes et qu’il aurait alors, avec d’autres jeunes, participé à des jets de pierres, ce qui aurait entraîné sa mise en garde-à-vue.
Bien qu’il ignore avoir reçu une convocation à son service militaire, le demandeur objecte des raisons de conscience pour servir sous les armes. Ainsi, il ne voudrait ni tuer des personnes appartenant comme lui-même à l’ethnie kurde, ni être tué par ces personnes, ni encore être tué par des soldats turcs. A ce dernier égard, il affirme que beaucoup de soldats kurdes seraient tués, mais que leurs familles seraient informées qu’ils se seraient suicidés. En 2011, le commandant du commissariat militaire l’aurait contacté par téléphone et l’aurait menacé afin qu’il se présente pour son service militaire. En raison de sa crainte d’être trouvé, il se serait d’abord caché chez un ami pour ensuite fuir son pays d’origine en direction du Luxembourg.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 14 octobre 2013 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce. Le recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Le demandeur soutient que la décision déférée du 14 octobre 2013 devrait être réformée pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits, au motif que le ministre aurait, à tort, refusé de lui accorder le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.
Le demandeur affirme que la crainte de persécutions serait raisonnable lorsqu’elle serait basée sur une évaluation objective de la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile. Cette crainte découlerait du manquement des autorités du pays d’origine du demandeur à remplir leurs obligations de protection de leurs citoyens, qui résulteraient des engagements des Etats au titre de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Le demandeur est d’avis que l’ensemble des éléments de son dossier mettrait en exergue l’existence d’une crainte raisonnable de persécutions dans son chef en cas de retour en Turquie. En effet, sa vie serait sérieusement menacée en raison de ses opinions politiques et en raison de son appartenance au groupe social vulnérable de la minorité kurde de Turquie.
En ce qui concerne plus particulièrement sa mise en garde à vue à l’issue des festivités de Norouz, le demandeur expose que lors de son arrestation, il aurait été jeté par terre et se serait vu infliger des coups de matraque. Avant de le relâcher, la police l’aurait mis en garde de ne plus participer ni à des meetings, ni à la fête de Norouz. Il en déduit qu’il serait répertorié comme manifestant kurde, ce qui le mettrait dans une situation dangereuse en cas de retour dans son pays d’origine.
Quant à son refus d’effectuer le service militaire, le demandeur ajoute que les autorités turques le considéreraient comme déserteur et comme traître de la patrie, et qu’il serait recherché à ce titre. D’après le droit militaire turc, il risquerait des peines d’emprisonnement, sans avoir pourtant commis une infraction, mais pour avoir seulement exprimé une objection de conscience. Il soutient que même les autorités douanières seraient au courant de sa désertion et que partant, dès le passage de la frontière turque, il ferait sans doute l’objet d’une arrestation et serait ensuite forcé de servir sous les armes. Il renvoie encore à des articles de presse concernant les dangers auxquels sont exposés les soldats d’origine au kurde au sein de l’armée turque.
Le demandeur conteste encore que la situation de la minorité kurde en Turquie se serait nettement améliorée, telle que l’a retenu le ministre dans la décision déférée, et renvoie dans ce contexte aux revendications de son parti politique BDP. Il s’agirait de revendications en vue de la protection des droits de l’homme qui ne seraient toujours pas mises en place.
Dans ce même contexte, il fait encore référence à des articles de presse.
Au vu de l’ensemble de son récit, le demandeur est d’avis qu’il aurait subi des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et de l’article 31 (1) et (2) de la loi du 5 mai 2006. Il met encore en évidence qu’en tant que kurde, il ne pourrait accepter de devenir l’outil répressif au service d’une autorité animée par des desseins réprouvés par la communauté internationale, en l’occurrence l’épuration ethnique de la population kurde pour des motifs xénophobes et politiques. Son refus de faire son service militaire serait considéré par le gouvernement turc comme un acte d’opposition contre le pouvoir et donc comme l’expression d’une opinion politique. En raison de sa situation personnelle, et essentiellement de son objection de conscience, il risquerait des sanctions disproportionnées sans pouvoir bénéficier de la moindre protection étatique.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et il conclut au rejet du recours.
Aux termes de l'article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l'article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d'un pays tiers qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. (…) » Par ailleurs, l’article 31 de la loi du 5 mai 2006 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être:
a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) » L’octroi du statut de réfugié est donc notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait déjà été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons de considérer que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de ses auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, qui se résument en substance à l’interdiction de parler le kurde à l’école, à l’expression de craintes éprouvées en raison de la présence militaire à laquelle il aurait été confronté dans son village natal au cours de son enfance, à l’expression de craintes liées à son activisme pour la cause des kurdes et à son refus d’effectuer le service militaire, amène le tribunal à conclure qu’il ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
Quant à la présence massive de militaires turcs dans son village durant son enfance, s’il est indéniable que la situation de pression décrite par le demandeur ne lui a pas permis de vivre une enfance paisible, force est au tribunal de constater que c’est le père du demandeur qui a été essentiellement visé par les militaires turcs et non le demandeur lui-même. En effet, son père aurait subi de nombreuses gardes à vue musclées en raison de son refus d’assurer la charge de gardien de village et en raison des activités pro-kurdes poursuivies par la sœur de celui-ci. Or, s’il apparaît que l’attitude du père du demandeur traduisant l’expression d’une opinion politique peut entrer dans une catégorie des critères fixés à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, lorsque des persécutions ont été personnellement vécues par le demandeur de protection internationale en raison de l’expression de son opinion politique, en l’espèce, le tribunal constate que les critères de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 ne sont pas remplis dans le chef du demandeur. En effet, les maltraitances physiques et morales infligées à son père constituent dans le chef du demandeur des faits non personnels vécus par un autre membre de la famille, qui a priori ne peuvent pas justifier une crainte fondée de persécutions, et cela d’autant plus que le demandeur n’a pas établi l’existence dans son chef d’un risque réel d’être lui-même victime d’actes similaires en raison de sa situation particulière. Le demandeur a au contraire indiqué qu’il aurait quitté son village natal en 2005 à l’âge de quinze ans pour aller vivre à Istanbul et qu’il n’y serait plus retourné depuis. Force est dès lors de constater, à défaut d’autres indications, que depuis 2005, le demandeur n’a plus été confronté à la situation de pression militaire invoquée.
En ce qui concerne la garde à vue du demandeur à l’issue d’une fête de Norouz en 2010, le demandeur semble vouloir établir un lien entre cette garde à vue et son appartenance à l’ethnie kurde, de sorte que ce problème rentre a priori dans le champ d’application de la Convention de Genève. Il ressort de son entretien que sur son chemin de retour des festivités, le train dans lequel il aurait voyagé, aurait été attaqué par des personnes qu’il qualifie de fascistes et que par la suite, ces fascistes et certains passagers du train, dont le demandeur, se seraient affrontés. La police serait alors intervenue en recourant notamment à l’utilisation de jets d’eau et de gaz pour rétablir l’ordre public, ce qui relève de l’exercice de la mission légale d’un corps de police dans le cadre de manifestations publiques. S’il est déplorable que le demandeur ait été jeté par terre et ait reçu des coups de matraques lors de son arrestation, il échet de relever que son arrestation est intervenue lors d’une situation d’escalade de violence dans laquelle il revenait à la police d’agir de façon rapide et efficace ce qui implique, le cas échéant, l’emploi d’une certaine force dans l’intérêt de la sécurité publique. A cela s’ajoute que le demandeur a reconnu qu’il se serait opposé à la police. Le tribunal est dès lors amené à retenir que le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments concrets pour établir le lien entre son appartenance ethnique et les agissements de la police à l’issue des festivités de Norouz en cause, dans la mesure où les agissements critiqués des policiers ne s’expliquent non pas par l’origine kurde du demandeur, mais par le fait que les forces de l’ordre ont accompli leurs tâches normales consistant à rétablir l’ordre public.
Dans le contexte des activités politiques du demandeur, et plus particulièrement du fait que la police aurait confisqué des journaux qu’il aurait distribués pour son parti, le tribunal est pareillement amené à retenir, étant donné que le demandeur a lui-même répondu lors de son entretien qu’il se serait agi d’une publication illégale, que la police a agi dans le cadre de l’exercice de sa mission légale comprenant parmi d’autres la confiscation de tracts diffusés de manière illégale. Il s’ensuit, qu’à défaut d’autres éléments, cet événement ne peut pas non plus être rattaché à l’un des motifs de persécutions énumérés à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, en l’occurrence les opinions politiques du demandeur.
Quant aux provocations émanant de ses collègues de travail que le demandeur rattache également à ses activités politiques, c’est-à-dire son activisme pour le parti politique BDP, force est de constater qu’à défaut d’éléments plus concrets invoqués par le demandeur, ces provocations exclusivement verbales n’atteignent pas le seuil de gravité pour être qualifiés d’actes de persécution au sens de la Convention de Genève. Ce constat est encore corroboré par la circonstance que ces provocations n’auraient pas été encouragées par son employeur qui lui aurait conseillé de se tenir loin de ses collègues du travail, tout en lui expliquant qu’il ne pourrait cependant pas licencier tous les collègues de travail en cause pour des raisons d’intérêt de l’entreprise.
Quant aux craintes de persécutions du demandeur fondées sur son refus de faire son service militaire, pareil refus n’est pas, en lui-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’il ne saurait, à lui seul, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoient l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 et l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951.
En l’espèce le demandeur explique être un objecteur de conscience essentiellement par le fait qu’il ne voudrait ni tuer, ni être tué, mais qu’il voudrait mener un combat politique. S’il est vrai que le demandeur invoque la circonstance selon laquelle l’objection de conscience peut rentrer, le cas échéant, dans le champ d’application de la Convention de Genève pour relever des opinions politiques de l’intéressé, il convient néanmoins de noter que les Etats ont le droit d’organiser leur défense et peuvent à ce titre exiger de leurs citoyens qu’ils effectuent le service militaire sans que les droits de ces derniers soient violés de ce fait, tout comme les Etats ont le droit de sanctionner, de façon proportionnée, les citoyens qui refusent d’effectuer le service militaire sans pouvoir se prévaloir d’objections de conscience valables.1 En outre, le fait de devoir faire le service militaire n’implique pas nécessairement de devoir participer à une guerre et de tuer des gens, tel que cela ressort plus particulièrement des explications de la partie étatique, non utilement contestées à cet égard, selon lesquelles les circonscrits se voient notamment confier des tâches administratives et des tâches de surveillance.
Etant donné qu’il ressort de l’audition du demandeur qu’il se limite en substance d’affirmer qu’il ne voudrait ni tuer, ni être tué, et que l’obligation de faire le service militaire ne serait pas la raison principale de son départ de son pays d’origine, le tribunal est amené à retenir qu’à défaut d’explications plus circonstanciées, le demandeur n’a pas apporté d’éléments suffisants liés à sa situation personnelle pour établir que ces objections de conscience sont à de nature à faire tomber les craintes fondées sur son refus d’effectuer le service militaire dans le champ d’application de la Convention de Genève.
En ce qui concerne le fait que le demandeur n’aurait pas pu parler le kurde à l’école, cette interdiction de s’exprimer en sa langue maternelle revêt un caractère ethnique et rentre a priori dans le champ d’application de la Convention de Genève et est à considérer comme suffisamment grave dans le contexte de l’époque pour être qualifié de persécution, bien que ces faits se soient produits à une époque assez éloignée dans le temps et ne soient plus contemporains de la demande de protection internationale. Or, il ressort de l’audition du demandeur qu’à l’heure actuelle, il pourrait s’exprimer dans sa langue maternelle, le kurde.
En outre, le ministre a fait état dans la décision déférée du 14 octobre 2013, sources internationales à l’appui, d’une amélioration de la situation de la population kurde en Turquie et d’efforts déployés en vue de l’enseignement de la langue kurde à l’école. Il s’ensuit que la présomption de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 ne permet pas de justifier qu’à l’heure actuelle, le demandeur puisse éprouver une crainte d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine sur le fondement de cette restriction de parler sa langue maternelle.
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur le statut de réfugié.
1 UNHCR, Guidelines on International Protection n°10: Claims to Refugee Status related to Military Service within the context of Article 1A (2) of the 1951 Convention and/or the 1967 Protocol relating to the Status of Refugees, 3 décembre 2013 Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f) précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine « elle courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 (…) », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Or, il y a lieu de relever que le tribunal ne s’est pas vu soumettre de la part du demandeur des éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes évènements ou arguments que ceux invoqués dans le cadre de la demande tendant à se voir reconnaître le statut de réfugié, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, précité. Plus particulièrement, le demandeur reste en défaut d’établir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains et dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. Même considérés dans leur globalité, les actes invoqués par le demandeur ne sont pas de nature à constituer dans son chef une crainte fondée de courir un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans son pays d’origine.
Il s’ensuit, et en l’absence d’autres éléments, que c’est à juste titre que le ministre a retenu que le demandeur n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il courrait le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il lui a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de ladite loi.
Partant, le recours en réformation est également à rejeter comme étant non fondé en ce qu’il est dirigé à l’encontre de la décision ministérielle refusant au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
2) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 14 octobre 2013 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 14 octobre 2013 est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.
En l’espèce, le demandeur estime avoir fait état d’une crainte justifiée de persécution, sinon d’atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006 de sorte que la légalité, sinon le bien-
fondé de la décision portant ordre de quitter le territoire devrait être remis en cause.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour (…) ». En vertu de l’article 2. r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».
Il se dégage des conclusions ci-avant retenues par le tribunal que le ministre a refusé à bon droit d’accorder au demandeur un statut de protection internationale, de sorte qu’il a également pu valablement émettre l’ordre de quitter le territoire.
Le demandeur fait encore exposer que l’ordre de quitter le territoire encourrait l’annulation au motif qu’il violerait l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration. Il fait valoir qu’un retour en Turquie l’exposerait à des traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Aux termes de l’article 129 de la loi précitée du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. ».
Il convient de relever, tel que l’a fait d’ailleurs le demandeur, que l’article 129, précité, renvoie à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Quant à l’incidence de l’article 3 de la CEDH, si ledit article proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Turquie, le tribunal administratif a conclu ci-avant à l’absence dans le chef du demandeur de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, point b) de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal actuellement ne saurait pas se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH2, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du 2 CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.
demandeur en Turquie soit dans ces circonstances incompatibles avec l’article 3 de la CEDH.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 14 octobre 2013 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 14 octobre 2013 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
Anne Gosset, premier juge, Andrée Gindt, juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 7 juillet 2014, par le premier juge, en présence du greffier Monique Thill.
s. Monique Thill s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 juillet 2014 Le greffier du tribunal administratif 16