Tribunal administratif N° 33500 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 octobre 2013 2e chambre Audience publique du 3 juillet 2014 Recours formé par Monsieur ….., contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 33500 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 octobre 2013 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le …. à ….
(Turquie), de nationalité turque, demeurant actuellement à …., tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 17 septembre 2013 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 avril 2014.
Le 12 août 2011, Monsieur ….. introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations de Monsieur ….. auprès d’un agent du service de police judiciaire, police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, furent actées dans un rapport daté du 18 août 2011.
Monsieur ….. fut entendu en date des 13 juin, 26 juillet et 16 août 2013 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 17 septembre 2013, envoyée à l’intéressé par courrier recommandé avisé le 20 septembre 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur ….. que sa demande en obtention d’une protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 12 août 2011.
En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains les rapports du Service de Police Judiciaire du 18 août 2011 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères des 13 juin 2013, 26 juillet 2013 et 16 août 2013.
Monsieur, il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté votre pays d'origine vers juillet 2011 parce que vous auriez été menacé par la police. Votre oncle vous aurait conseillé de venir au Luxembourg et vous aurait organisé le trajet. Vous auriez payé 6.600.- euros pour le trajet et vous dites avoir laissé votre passeport auprès de votre oncle à Istanbul.
Il résulte de vos déclarations auprès de l'agent du Service des Réfugiés que vous seriez d'ethnie kurde et que vous auriez quitté la Turquie parce que vous auriez été maltraité par la police. Vous dites que vous auriez été arrêté et frappé à plusieurs reprises par des policiers qui vous auraient questionné sur le PKK et les liens présumés de votre père avec cette organisation.
Ainsi, vous auriez été arrêté pour la première fois lorsque vous auriez voulu fêter le Norouz à ….. en 2007 ou en 2008. Les policiers ne vous auraient pas permis de célébrer cette journée et auraient dispersé les gens en utilisant du gaz lacrymogène et des balles en plastique. A ce moment vous auriez commencé à jeter des pierres sur les policiers ensemble avec d'autres personnes. Vous signalez que vous auriez alors été arrêté et placé en garde à vue où un policier vous aurait giflé. Après cet incident vous auriez décidé d'arrêter vos études et de déménager à Istanbul où vous auriez vécu auprès de votre oncle. Vous n'auriez pas connu de problèmes à Istanbul.
Après le Norouz de 2010, vous auriez décidé de rentrer à …… Vous auriez alors pris connaissance d'une convocation qui vous aurait été envoyée pendant votre absence afin de passer à l'hôpital pour passer le test médical concernant le service militaire. Cependant, vous ne vous seriez pas présenté à ce test et vous signalez que vous ne voudriez pas effectuer votre service militaire parce que vous ne voudriez pas tuer des gens et ne pas être victime d'un complot. Vous seriez d'avis être considéré comme un « insoumis » dans le cas d'un retour en Turquie.
Vous ajoutez que vous auriez également participé à une grève de la faim à ….., organisée par le BDP (parti de la paix et la démocratie), pour soutenir des prisonniers politiques liés au PKK, dont le dénommé ….., bourgmestre de la commune d'…… Les policiers seraient intervenus pour disperser la foule et il y aurait alors eu des affrontements. Vous dites que vous auriez participé au jet de pierres et de cocktails Molotov sur des policiers et que vous auriez alors été arrêté, placé en garde à vue et interrogé. Vous signalez avoir été frappé et menacé de mort par un policier en civil qui aurait pointé une arme sur votre tête;
néanmoins, vous auriez été relâché par la suite. Comme vous auriez eu peur et que vous auriez craint être tué, vous auriez décidé de partir de nouveau à Istanbul afin de fuir la Turquie. Votre oncle aurait alors trouvé une filière de passeurs et vous seriez parti pour le Luxembourg.
Enfin, vous précisez que vous, tout comme votre père, n'auriez pas de liens avec le PKK. Votre père serait néanmoins impliqué dans le parti BDP et aurait souvent été emmené à des gardes à vue pendant votre enfance. Lors de ces incidents, des policiers auraient également fouillé et saccagé votre maison. Vous connaîtriez aujourd'hui des troubles psychologiques à cause de ces incidents.
Monsieur, il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. Le simple fait d'appartenir à une minorité ethnique n'est pas suffisant pour prétendre au statut de réfugié. Selon la jurisprudence de la Cour administrative une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des traitements discriminatoires.
Ainsi, vous signalez avoir été arrêté à plusieurs reprises à …… Vous dites que des policiers vous auraient giflé lors d'une garde à vue et qu'un policier en civil vous aurait menacé de mort avec son arme. En plus, les autorités auraient interdit de célébrer le Norouz de 2007 ou 2008 en dispersant la foule avec du gaz lacrymogène. De même, vous mentionnez des affrontements avec les forces de l'ordre lors d'une grève de la faim en soutien aux prisonniers PKK. Enfin, des policiers auraient fouillé et saccagé votre maison à plusieurs reprises pendant votre enfance et votre père aurait souvent été interrogé et placé en garde à vue.
Signalons en premier lieu que les incidents dont vous faites état et qui se sont produits dans votre jeunesse, à savoir les perquisitions de votre maison et les gardes à vue de votre père, sont trop éloignés dans le temps et ne sauraient par conséquent pas être pris en compte dans le cadre de votre demande de protection internationale.
Quant à vos allégations d'avoir été victime de violence policière à l'occasion du Norouz de 2007 ou de 2008 et lors d'une grève de la faim en soutien aux prisonniers PKK, il y a tout d'abord lieu de noter que vous affirmez avoir jeté, ensemble avec d'autres manifestants, des pierres et des cocktails Molotov sur les forces de l'ordre. Or, vous ayant rendu coupable d'actes de violence envers la police, il paraît évident que vous fassiez l'objet d'arrestations et de gardes à vue.
Il convient ensuite de signaler que, s'il est certes vrai que la population kurde a fait l'objet de persécutions par le passé, la situation de la minorité kurde a nettement évolué depuis. En effet, le gouvernement turc a entrepris en 2012 des mesures visant à améliorer leur situation et leur intégration au sein de la société turque. Ainsi, il ressort du rapport de l'UK Home Office de mai 2013 que « Following the general election of 12 June 2012 and the re-election of Prime Minister Recep Tayyip Erdogan's AKP government pledged to embark on a complete revision of the 1982 Constitution through consensus and negotiation with the opposition, parties outside of Parliament, the media, NGOs, with academics and with anyone who had something to say. Changes to the Constitution were crucial for Turkey's minorities, since only three minority groups were currently recognised, namely Armenians, Greeks and Jews. The others, including Alevis, Kurds and Roma, remain excluded. Even recognised minorities continue to face discrimination and the Parliament Conciliation Commission had been set up to work on revising the Constitution. Representatives of minority groups had begun to push for their cultural, linguistic and civil and political rights to be incorporated in the new Constitution and to be recognised as equal citizens. » Ce constat est renforcé par le fait que « On 12 June 2012 Al Jazeera reported, Turkey has announced plans to allow schools to teach the Kurdish language as an elective subject, a step aimed at reconciliation that Kurdish minority activists argue does not go far enough.
Recep Tayyip Erdogan, the Turkish prime minister, told his ruling party members in parliament on Tuesday that if "enough students come together, Kurdish can be taken as an elective lesson, it will be taught and it will be learned". Erdogan told parliament the measure was "a historic step". The government is trying to stop decades of fighting with Kurdish fighters seeking autonomy in the largely Kurdish southeast. The teaching of Kurdish has long been banned in schools on the grounds that it could divide the country along ethnic lines. In recent years Justice and Development Party (AKP) government has adopted a softer approach, permitting Kurdish-language institutes and private courses as well as Kurdish language television broadcasts. However, it is the first time Turkish public schools will be able to offer Kurdish language courses at a time the government has faced criticism for dragging its feet on its so-called Kurdish initiative. Activists and Kurdish politicians, however, insist on autonomy and full Kurdish education in schools. (…) Ankara announced a so-called "Kurdish opening" in 2009 in a bid to persuade fighters of the Kurdistan Workers' Party (PKK) to end their decades-long struggle. The initiative included investment in Turkey's poorer southeastern region and greater recognition of Kurdish cultural and identity rights, but it faltered amid continued violence and a Turkish nationalist backlash. (…) Erdogan on Tuesday said his party was open to dialogue with all parties, including a pro-Kurdish party, for a solution. In 2011, Turkey's first Kurdish language department opened in the Mardin Artuklu and Mus Alparslan universities. The first alumni of these two schools are expected to graduate in 2015. Batman University is also expected to start up a Kurdish language department in the near future. » Par ailleurs, selon un article de BBC News du 23 novembre 2011: "The Turkish prime minister, Recep Tayyip Erdogan, has apologised for the killing of more than 13,000 Kurds by the Turkish military in the late 1930s. He is the first Turkish leader to make the apology. The killings occurred when the army crushed a Kurdish rebellion in Dersim, using aerial bombings and poison gas. The apology comes at a time of tension between Turkey and its minority Kurdish population. Mr Erdogan made the unexpected apology during a meeting of party officials in the Turkish capital Ankara. "If there is need for an apology on behalf of the state, if there is such a practice in the books, I would apologise and I am apologising," Mr Erdogan said in remarks which were televised. The BBC's Jonathan Head in Istanbul says there are many dark chapters in Turkey's history, which have remained closed to its citizens, but now the prime minister has opened one of them, by offering the apology on behalf of the Turkish state. » A cela, il faut ajouter que plusieurs articles tout récents corroborent le constat d'une amélioration incontestable du sort des Kurdes en Turquie. Ainsi, « Al Monitor » affirma en juin 2013 que « Erdogan is planning to expedite some democratic opening moves related to Kurdish and Alevi issues to overcome his image erosion internally and externally. (…) According to reports leaking from the Council of Ministers, the government is planning to implement some concrete measures to continue with its Kurdish opening with mother tongue education, strengthening local administrations, softening the Law for Combating Terrorism and granting amnesty to PKK militants who have given up their guns. ».
Il ressort donc clairement de ces rapports et articles que le gouvernement turc est activement en train d'améliorer la situation des Kurdes au sein de la société turque en leur garantissant plus de droits et plus de libertés.
Par ailleurs, on peut préciser que si par le passé les autorités turques ont effectivement interdit la célébration du Norouz, les Kurdes ont bel et bien le droit de le fêter de nos jours. En effet, d'après les informations en nos mains, les célébrations du Norouz ont été légalisées en Turquie depuis 2000. Ainsi, à titre d'exemple, notons que les Kurdes ont pu ouvertement et sans incident aucun célébrer le nouvel an à Istanbul en 2010. En outre, si des affrontements ont effectivement eu lieu entre les forces de l'ordre et des manifestants à Istanbul et à Diyarbakir en 2012, cela était dû au fait que les célébrations du Norouz avaient été anticipées à une date antérieure à la date officielle autorisée par le gouvernement, à savoir le 21 mars. Il en est de même concernant le Norouz de 2013. Alors que les festivités du jour même se sont déroulées sans incidents, la police a effectivement dispersé les foules qui s'étaient rassemblées sans autorisation un jour plus tôt pour fêter le Norouz. En l'occurrence, aucun reproche ne saura être signalé à l'encontre des autorités turques pour avoir dispersé une manifestation non autorisée.
Concernant vos allégations de « torture » de la part de policiers d'….. envers votre personne, il y a lieu de noter que vous auriez été arrêté et placé en garde à vue « 5, 6 ou 7 fois » (p. 10/19). Or, hormis le fait d'avoir été menacé et giflé, vous ne faites état d'aucun autre incident pendant ces interrogations. Vous affirmez certes que les policiers auraient voulu que vous passiez « de leur côté » et qu'ils auraient souvent répété les mêmes questions afin que vous finissiez par avouer les liens présumés de votre père avec le PKK. Or, force est de constater que ces incidents et ces pratiques d'interrogation ne revêtent pas un caractère de gravité tel qu'ils puissent être assimilés à des formes de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006. En effet, même si ces interrogations policières ont pu être traumatisantes pour vous, elles sont toutefois exemptes d'une gravité particulière et suffisante au point de valoir comme actes de persécution.
Quoi qu'il en soit, on peut soulever que vous auriez toujours eu la possibilité de dénoncer le comportement violent des policiers auprès des autorités compétentes: « Un représentant de la HRFT a dit que les plaintes concernant la torture ou les mauvais traitements infligés par la police peuvent être déposées au bureau du procureur (HRFT 30 mai 2012). Selon le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, le procureur, qui est responsable de l'enquête, est assisté par la police ou la gendarmerie (Nations Unies 7 févr.
2007, paragr. 45). D'après le rapport de la HRFT, c'est au procureur qu'il incombe de lancer une enquête dès qu'il reçoit une plainte de torture (HRFT 15 oct. 2010, 19). En outre, le procureur doit examiner la scène de l'incident et recueillir des éléments de preuve (ibid.). Il doit superviser les installations où les détenus seraient placés et interrogés (ibid.).».
Dans ce contexte, on peut noter que « As of 1 October 2012, authorities dismissed 236 Turkish General Staff personnel for disciplinary and moral reasons but non for excessive use of force. As of 8 October 2012, the TNP reported that 870 investigations were opened against TNP personnel for excessive use of force, with 674 indictments. Authorities did not dismiss any Jandarma for excessive use of force, although they were investigating three cases at the end of 2012”.
Quant au fait que vous ne voudriez pas effectuer votre service militaire pour des raisons de conscience et pour ne pas être « victime d'un complot », force est tout d'abord de constater que vous n'auriez pas encore reçu de convocation pour le service militaire puisque vous n'auriez pas encore passé votre contrôle médical. Il n'est donc pas encore établi que vous seriez convoqué pour effectuer votre service militaire.
Il importe ensuite de noter que « According to the constitution, National service was the right and duty of every Turk (Article 72). Under Military Law No. 1111, men's liability for military service started in the year they turned 20. Liability continued to the age of 41, except on grounds of health or disability. Women were not conscripted and could join the armed forces only after attending military school. Length of service was 15 months for private soldiers and noncommissioned officers (NCOs) and 12 months for reserve officers. Students could defer conscription until they had completed higher or vocational education. There was no provision for conscientious objectors. University graduates may perform 6 months' military service, or 12 months if they are trained to become reserve officers. Certain professional groups (doctors, teachers, civil servants) may be permitted to perform special service. However, this special service was a service within the Armed Forces, and with uniform. Usually, those serving in special service were not sent on combat operations. » Néanmoins, it y a lieu de souligner que: « In February 2012, Bari Gdrmez, a 33-year-
old Jehovah Witness who had been imprisoned since 2007, having been charged 13 times for disobedience of orders for being a conscientious objector, was acquitted of all charges for his conscientious objection and released from a Turkish military prison. Also, in March 2012, a Turkish military Court ruled that conscientious objection should be recognized, citing ECHR rulings against Turkey and Armenia on conscientious objectors and the religious freedom provision of the Turkish constitution. Reportedly, the Turkish Parliament was discussing options for legally recognizing conscientious objection and offering alternatives to military service. » En plus, « Le vice-Premier ministre turc Billent Arinç a annoncé que le coût du service militaire à devise est passé de 10.000 à 6.000 euros. « Cette nouvelle disposition concerne tous les jeunes Turcs expatriés », a déclaré M. Arinç. « Elle vise à rassurer nos concitoyens » qui avaient exprimé leurs inquiétudes auprès du gouvernement, après une loi entrée en vigueur en février dernier, augmentant de 5.112 à 10.000 euros le coût du service militaire à devise. En effet, si une loi de 1927 oblige tout homme possédant la nationalité de la République de Turquie à accomplir le service militaire dès qu'il atteint l'âge de 20 ans, l'obligation est suspendue pendant la durée des études ou du séjour à l'étranger de plus de 3 ans, jusqu'à une limite maximum de 38 ans. Ainsi, tout citoyen turc masculin résidant à l'étranger peut effectuer jusqu'à ses 38 ans, un service militaire « à devise » en payant une somme forfaitaire. ».
Il en ressort donc des rapports et article susmentionnés que le service militaire est certes obligatoire en Turquie, mais que le droit à l'objection de conscience est actuellement débattu au parlement turc. En plus, il existe la possibilité d'effectuer un service militaire à devise pour les Turcs résidant à l'étranger.
En tout état de cause, il ressort de l'Operational Guidance Note du UK Home Office que: « The House of Lords in the case of Sepet (FC) & Another (FC) [2003] UKHL 15 found that in general those who refused to perform military service in Turkey (including Kurds) were not subject to disproportionate or excessive punishment in law or in fact and were liable to prosecution and punishment irrespective of the reasons for their refusal. Therefore it is unlikely that in the majority of cases, the consequence of a claimant's general unwillingness to serve in the armed forces or objection to enter a combat zone will be such that they would qualify for asylum or Humanitarian Protection. ».
Finalement, il s'agit de préciser que vous restez en défaut de présenter une raison valable justifiant votre impossibilité de profiter d'une fuite interne, pour ainsi échapper à vos malfaiteurs présumés. Relevons qu'en vertu de l'article 30 (1) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, le ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.
Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine.
Selon les lignes directrices de I'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.
En l'espèce, Monsieur vous indiquez avoir déménagé à Istanbul après le Norouz de 2007 ou 2008 pour échapper à vos problèmes rencontrés à …… Bien que vous ne fassiez état d'aucun problème et d'aucun incident concret pendant votre séjour à Istanbul, vous auriez décidé de retourner à ….. en 2010 où vos problèmes auraient recommencé. En effet, vous dites que vous seriez retourné à ….. parce que votre village vous aurait manqué et parce que vous ne vous seriez pas plu dans la maison de votre oncle. Or, des seules raisons privées, voire de convenance personnelle, ne sauraient suffire pour légitimer une impossibilité de fuite interne. Il ne se dégage donc pas de ces constats une impossibilité de profiter d'une fuite interne. Ainsi, il n'est pas établi en l'espèce que vous n'auriez pas pu recourir vous-même à une réinstallation à l'intérieur de la Turquie en vue d'échapper aux problèmes que vous auriez rencontrés à …… Compte tenu des constatations qui précèdent concernant les conditions générales dans votre pays et votre situation personnelle, force est de retenir que les critères du paragraphe 2 de article 30 de la loi modifiée du 5 mai 2006 sont clairement remplis.
Je constate ainsi que vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006 En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Etant donné que les faits invoqués à la base de votre demande de protection internationale ne sauraient être actuellement admis comme justifiant à suffisance une crainte de persécution ; dès lors, et a fortiori, l'absence matérielle de crainte actuelle fondée s'impose également en ce qui concerne la demande tendant à obtenir la protection subsidiaire.
En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. Vous ne faites également pas état de risque réel de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou de risques réels émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international. En s'appuyant sur tous les rapports […] cités, la situation actuelle en Turquie ne saurait être considérée comme conflit armé interne ou international.
Ainsi, les faits que vous alléguez ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Turquie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner.
(…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 octobre 2013, Monsieur ….. a fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre du 17 septembre 2013 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 17 septembre 2013 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce. Le recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur, déclarant être de nationalité turque et appartenir à l’ethnie kurde, soutient que la décision déférée du 17 septembre 2013 devrait être réformée pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits, au motif que le ministre aurait à tort refusé de lui accorder le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.
Le demandeur affirme que la crainte de persécutions serait raisonnable lorsqu’elle serait basée sur une évaluation objective de la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile. Cette crainte découlerait du manquement des autorités du pays d’origine du demandeur à remplir leurs obligations de protection de leurs citoyens, qui résulteraient des engagements des Etats au titre de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La mise en cause des droits civils et politiques constituerait une persécution.
Le demandeur expose qu’il aurait dû quitter son pays d’origine en raison d’une crainte permanente de persécution rendant sa vie intolérable fondée sur son appartenance à un groupe social vulnérable, en l’occurrence la minorité kurde de Turquie.
Des membres de sa famille auraient quitté la Turquie en direction de l’Allemagne en raison de problèmes politiques en relation avec leur activité pour la cause kurde. Son père se serait engagé pour la communauté kurde sur le plan politique et aurait à ce titre fait l’objet d’arrestations arbitraires de la part des autorités turques.
Quant à la possibilité de célébrer le Norouz, le demandeur fait valoir qu’il aurait voulu célébrer cette fête à ….., c’est-à-dire sa ville d’origine, et non à Istanbul qui bénéficierait d’un statut particulier en raison de sa proximité avec l’Occident. Il signale encore le fait d’avoir été mis en garde à vue après avoir participé à une grève de la faim.
Le demandeur se réfère ensuite à ses indications faites lors de son entretien, tout en insistant plus particulièrement sur sa crainte d’être contraint à effectuer le service militaire en cas de retour dans son pays d’origine, voire d’être emprisonné.
Il fait également valoir que les événements vécus avant son départ pour Istanbul en l’année 2008, à savoir essentiellement des maltraitances lui infligées par des policiers turcs et des gardes-à-vue subies par son père, resteraient gravés dans sa mémoire et seraient à l’origine de ses problèmes psychologiques actuels, de sorte que les conséquences de ces événements seraient encore perceptibles à l’heure actuelle.
Le demandeur conteste encore que la situation de la minorité kurde en Turquie se serait nettement améliorée, telle que l’a retenu le ministre dans la décision déférée, et renvoie dans ce contexte aux revendications du parti politique turc dénommé parti pour la paix et la démocratie (BDP). Il s’agirait de revendications en vue de la protection des droits de l’homme qui ne seraient toujours pas mises en place.
Le demandeur est partant d’avis qu’il aurait subi des actes de persécutions et plus particulièrement des violences physiques et mentales, au sens de la Convention de Genève et de l’article 31 (1) et (2) de la loi du 5 mai 2006, en raison de son appartenance à l’ethnie kurde.
Il conteste finalement, d’une part, en renvoyant à plusieurs sources internationales, la possibilité de dénoncer le comportement violent des policiers, dans la mesure où les droits les plus élémentaires ne seraient pas appliqués en Turquie, et, d’autre part, qu’il pourrait bénéficier d’une fuite interne en se basant sur ses obligations liées au service militaire, étant donné que les autorités turques le rechercheraient activement afin qu’il effectue son service militaire, voire pour le condamner à une peine d’emprisonnement pour s’être soustrait à ses obligations militaires. Il risquerait des sanctions disproportionnées sans pouvoir bénéficier de la moindre protection. Il explique qu’il refuserait d’être enrôlé pour des raisons de conscience, étant donné qu’en tant que Kurde, il ne pourrait accepter de devenir l’outil répressif au service d’une autorité animée par des desseins réprouvés pour la communauté internationale, en l’occurrence l’épuration ethnique reposant sur des considérations xénophobes et politiques.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et il conclut au rejet du recours.
Aux termes de l'article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l'article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d'un pays tiers qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. (…) » Par ailleurs, l’article 31 de la loi du 5 mai 2006 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être:
a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) » L’octroi du statut de réfugié est donc notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait déjà été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons de considérer que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de ses auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, qui se résument en substance à des maltraitances lui infligées par la police de sa ville d’origine ….., à son refus d’effectuer le service militaire et à des troubles psychologiques causés par les événements vécus pendant son enfance, amène le tribunal à conclure qu’il ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
Quant aux maltraitances infligées au demandeur par la police locale d’….., le demandeur les rattache à ses origines kurdes, de sorte que ces problèmes rentrent a priori dans le champ d’application de la Convention de Genève. Or, force est au tribunal de constater qu’il ressort des déclarations du demandeur lors de son entretien que ces maltraitances auraient eu lieu dans le cadre des fêtes du Norouz et d’une grève de faim après qu’il aurait participé à des jets de pierre sur les forces de l’ordre, c’est-à-dire après qu’il aurait commis des actes de nature à constituer des infractions pénales. Le tribunal est dès lors amené à retenir que le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments concrets pour établir le lien entre son appartenance ethnique et les agissements de la police locale. En effet, le demandeur a reconnu lui-même à plusieurs reprises lors de son entretien qu’il a été arrêté par la police pour avoir jeté des pierres sur celle-ci1 et que la police interroge souvent les jeunes parce que ce sont ces derniers qui jettent des pierres2, de sorte que les gardes à vue et les interrogatoires invoquées par le demandeur s’expliquent non pas par son origine kurde, mais par le fait que les forces de l’ordre ne font que poursuivre des infractions commises par le demandeur, étant relevé plus particulièrement qu’il s’agit en l’espèce d’infractions commises à l’égard des policiers eux-mêmes.
Si le comportement violent des policiers lors de certaines gardes-à-vue3 est certes hautement reprochable, force est au tribunal de constater qu’il s’agit d’incidents isolés, survenus d’ailleurs dans le contexte bien particulier d’infractions commises à l’égard de membres de la force publique lors d’escalades de la violence à l’issue de fêtes du Norouz, respectivement d’une grève de faim. Ce constat est encore corroboré par la déclaration du demandeur selon laquelle : « Maintentant à Diyarbakir il y a, plus ou moins, un million et demi de Kurdes qui participent au Norouz. Actuellement le Norouz est aussi fêté dans d’autres villes avec des centaines de milliers de personnes. Ils ne peuvent pas les empêcher d’y participer, ils passent par un contrôle c’est tout. Les Kurdes se sont réunis et les policiers savent que s’ils allaient à l’encontre des participants, ils auraient beaucoup de problèmes. Ils empêchent encore la participation dans les petits villages comme le mien. […] », dont il ressort que de façon générale la police n’effectue que des contrôles lors des fêtes de Norouz, ce qui fait partie de la tâche ordinaire d’un corps de police dans le cadre de manifestations publiques, de sorte que les maltraitances invoquées par le demandeur sont à considérer comme des écarts dans le chef de certains policiers locaux sans qu’il ne ressorte des déclarations du demandeur qu’il s’agit d’une pratique ordinaire des autorités policières turques. A cet égard, il convient encore de mentionner que le demandeur n’a fait aucune démarche pour se plaindre de ce comportement inapproprié de certains policiers locaux auprès des autorités supérieures compétentes.
Quant aux craintes de persécutions du demandeur fondées sur son refus d’effectuer le service militaire, pareil refus n’est pas, en lui-même un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’il ne saurait, à lui seul, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi 1 Cf, rapport d’audition du demandeur, pp. 6, 7, 9, 11, 13 2 Cf. rapport d’audition du demandeur, p. 9 3 Cf. rapport d’audition du demandeur, p. 11 que le prévoient l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 et l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951.
En l’espèce le demandeur explique son refus d’effectuer le service militaire par le fait qu’il ne voudrait pas tuer des gens et par l’affirmation qu’« il y a beaucoup de soldats kurdes qui sont tués lors de leur service militaire par d’autres soldats. Ensuite, ils disent que ces soldats sont morts accidentellement. »4 En ce qui concerne cette dernière affirmation, le tribunal est amené à retenir qu’il ne s’agit que d’une simple allégation étayée par aucun élément concret, de sorte qu’elle ne saurait en l’espèce justifier l’octroi du statut de réfugié au demandeur.
S’il est encore vrai que le fait de ne pas vouloir tuer des gens constitue une objection de conscience pouvant rentrer, le cas échéant dans le champ d’application de la Convention de Genève pour relever des opinions politiques de l’intéressé, il convient néanmoins de noter que les Etats ont le droit d’organiser leur défense et peuvent à ce titre exiger de leurs citoyens qu’ils effectuent le service militaire sans que les droits de ces derniers soient violés de ce fait, tout comme les Etats ont le droit de sanctionner, de façon proportionnée, les citoyens qui refusent d’effectuer le service militaire sans pouvoir se prévaloir d’objections de conscience valables.5 En outre, le fait de devoir effectuer le service militaire n’implique pas nécessairement de devoir participer à une guerre et de tuer des gens.
Etant donné qu’il ressort de l’audition du demandeur qu’il se contente en substance d’affirmer qu’il ne voudrait pas tuer des gens6, qu’il n’aurait pas encore reçu une convocation pour le service militaire, mais uniquement pour le contrôle médical7, et que le service militaire n’est pas la raison principale pour laquelle il a quitté son pays d’origine8, le tribunal est amené à retenir qu’à défaut d’explications plus circonstanciées, le demandeur n’a pas apporté d’éléments suffisants liés à sa situation personnelle pour établir que ces objections de conscience sont à de nature à faire tomber les craintes de persécutions fondées sur son refus d’effectuer le service militaire dans le champ d’application de la Convention de Genève.
Quant aux problèmes psychologiques du demandeur qu’il explique par le fait que pendant son enfance, la police aurait à plusieurs reprises placé son père en garde-à-vue au motif qu’elle l’aurait soupçonné d’entretenir des liens avec le PKK9, s’il apparaît a priori que l’exercice d’une activité politique, respectivement le fait d’être soupçonné de mener une activité politique, peut entrer dans une catégorie des critères fixés à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 lorsque des persécutions ont été personnellement vécues par le demandeur de protection internationale en raison de l’exercice de cette activité, en l’espèce, le tribunal constate que les critères dudit article 2 d) ne sont pas remplis. En effet, les gardes-à-vue subies par le père du demandeur constituent dans le chef du demandeur des faits non personnels vécus par un autre membre de la famille. A cela s’ajoute que des problèmes psychologiques constituent des problèmes d’ordre médical qui ne peuvent de ce fait pas être rattachés à l’un des critères de persécution prévus par l’article 2d) de la loi du 5 mai 2006 ou par la Convention de Genève. Etant donné qu’il ne ressort en outre pas des indications du 4 Cf. rapport d’audition du demandeur, p. 14 5 UNHCR, Guidelines on International Protection n°10: Claims to Refugee Status related to Military Service within the context of Article 1A (2) of the 1951 Convention and/or the 1967 Protocol relating to the Status of Refugees, 3 décembre 2013 6 Cf. rapport d’audition du demandeur, p. 14 7 Cf. rapport d’audition du demandeur, p. 15 8 Cf. rapport d’audition du demandeur, p. 15 9 Cf. rapport d’audition du demandeur, p. 5 demandeur qu’il aurait essayé de faire soigner sa pathologie et encore moins qu’il aurait été confronté à un refus d’accès aux soins concernant ses problèmes psychologiques pour un motif lié à sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un certain groupe social ou ses opinions politiques, le tribunal est amené à retenir que les problèmes psychologiques du demandeur ne sont en l’espèce pas à considérer comme présentant la nature d’un acte de persécution.
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur le statut de réfugié.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine « elle courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 (…) », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Or, il y a lieu de relever que le tribunal ne s’est pas vu soumettre de la part du demandeur des éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes évènements ou arguments que ceux invoqués dans le cadre de la demande tendant à se voir reconnaître le statut de réfugié, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, précité. Plus particulièrement, le demandeur reste en défaut d’établir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains et dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En ce qui concerne encore plus particulièrement les problèmes psychologiques dont le demandeur fait état, l’article 37, précité, de la loi du 5 mai 2006 énumère sous ses points a), b) et c) les atteintes graves au sens de cette loi. Force est de constater à cet égard, d’une part, que ledit article 37 se réfère à des traitements ou des sanctions «infligées », tandis que l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 énumère les acteurs des persécutions et des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’« atteintes graves » lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable. Dès lors, une maladie en tant que telle n’est pas susceptible de justifier l’octroi d’une protection subsidiaire. En l’espèce, même à supposer que ces problèmes psychologiques trouvent leur origine dans le fait que pendant son enfance son père aurait été placé à plusieurs reprises en garde-à-vue, tel que le soutient le demandeur, ils ne permettent pas davantage de justifier la demande en obtention d’une protection subsidiaire, dans la mesure où, tel que cela a été retenu ci-avant, il s’agit d’événements vécus par un autre membre de la famille et non pas directement par le demandeur, peu importe les conséquences que ces événements aient pu avoir sur l’état de santé du demandeur.
Il s’ensuit, et en l’absence d’autres éléments, que c’est à juste titre que le ministre a retenu que le demandeur n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il courrait le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il lui a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de ladite loi.
Partant, le recours en réformation est également à rejeter comme étant non fondé en ce qu’il est dirigé à l’encontre de la décision ministérielle refusant au demandeur le bénéfice de la protection subsidiaire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
2) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 17 septembre 2013 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 17 septembre 2013 est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.
En l’espèce, le demandeur sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait de subir des atteintes graves et il existerait un danger sérieux et réel pour sa vie en raison de sa situation particulière.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre vaut décision de retour, laquelle est définie par l’article 2. r) de la même loi comme étant la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire. L’ordre de quitter le territoire y prononcé comporte l’indication du délai pour quitter le territoire ainsi que le pays à destination duquel le demandeur sera renvoyé.
Le tribunal vient cependant de retenir que le demandeur n’a à aucun moment fait état d’une crainte justifiée de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006, ni d’un risque de subir des atteintes graves telles que définies à l'article 37 de la même loi, de sorte que le ministre pouvait valablement assortir son refus d’accorder une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire.
Il s’ensuit que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 17 septembre 2013 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 17 septembre 2013 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
Françoise Eberhard, vice-président, Andrée Gindt, juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 3 juillet 2014, par le vice-président, en présence du greffier Monique Thill.
s. Monique Thill s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 juillet 2014 Le greffier du tribunal administratif 17