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30/06/2014 | LUXEMBOURG | N°33339

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 juin 2014, 33339


Tribunal administratif Numéro 33339 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 septembre 2013 1re chambre Audience publique du 30 juin 2014 Recours formé par Monsieur … et son épouse Madame …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L. 5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33339 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 septembre 2013 par Maît

re Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au...

Tribunal administratif Numéro 33339 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 septembre 2013 1re chambre Audience publique du 30 juin 2014 Recours formé par Monsieur … et son épouse Madame …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L. 5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33339 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 septembre 2013 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo) et de son épouse, Madame …, née le … (Kosovo), tous les deux de nationalité kosovare, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 9 août 2013, portant refus de leurs demandes de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 novembre 2013;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée, Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Catherine WAGENER en remplacement de Maître Frank WIES, ainsi que Madame le délégué de gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 mai 2014.

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En date du 27 décembre 2012, Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après « les époux … » introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».

En date du même jour, les époux … furent entendus par un agent de la police grand-

ducale, section police des étrangers et des jeux, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1En date du 7 février 2013, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, tandis que son épouse fut entendue en date du 8 février 2013.

Par décision du 19 février 2013, expédiée par lettre recommandée du même jour, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », informa les époux … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006, disposition légale prévoyant que le ministre peut statuer sur une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée si le demandeur n’a exposé des faits sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, et que leurs demandes avaient été refusées comme non fondées tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mars 2013, les époux … ont fait introduire un recours tendant, d’après le dispositif de la requête introductive d’instance, 1) à la réformation de la décision précitée du ministre du 19 février 2013 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accéléré, 2) à la réformation de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à leurs demandes de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

Par jugement du 6 mai 2013, n°32166 du rôle, le tribunal administratif a déclaré le recours en annulation introduit par les époux … contre la décision du ministre du 19 février 2013 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée recevable et fondé, le tribunal ayant en effet retenu que les faits invoqués par les demandeurs, contrairement à l’appréciation du ministre, étaient a priori pertinents au regard de l’examen visant à déterminer s’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection international. Dans ce même jugement, le tribunal administratif a reçu le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 19 février 2013 portant refus du statut de protection internationale dans le chef des époux … en la forme et l’a déclaré justifié, le tribunal ayant, dans le cadre dudit recours en réformation, annulé la décision du ministre du 19 février 2013 et renvoyé l’affaire en prosécution de cause devant le même ministre.

Par décision du 9 août 2013, expédiée par courrier recommandé du 12 août 2013, le ministre, informa les époux … de ce qu’il avait évalué leurs demandes de protection internationale par rapport aux conditions d’obtention du statut de réfugié et de celles d’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire et que leurs demandes en obtention d’une protection internationale avaient été rejetées comme non fondées, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes 2complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 27 décembre 2012.

En date du 19 février 2013, vos demandes de protection internationale furent rejetées comme non-fondées par décision ministérielle dans le cadre d'une procédure accélérée. Le Tribunal administratif annula cette décision en date du 6 mai 2013 et renvoya l'affaire devant le ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Immigration en prosécution de cause.

En application de la loi précitée du 5 mai 2006, vos demandes de protection internationale ont été évaluées par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 27 décembre 2012 et les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères des 7 et 8 février 2013.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que votre père habiterait, ensemble avec votre frère, en Allemagne depuis des années. Ils auraient géré un hôtel et pendant une année, une personne kosovare, le dénommé …, y aurait été hébergé gratuitement en contrepartie de réaliser des réparations. Lorsque cette personne aurait tout de même exigé d'être payée pour ses travaux, votre père aurait refusé. … aurait alors appelé ses frères et lors d'une bagarre le 5 avril 2012, votre frère aurait tué un de ses frères. Votre frère se trouverait en détention préventive et votre père se serait encloîtré chez soi depuis cet incident. Selon vos dires, vous vous trouveriez depuis dans une situation de vengeance et vous vous seriez caché chez vos oncles dans un autre village du Kosovo.

Ainsi, vous auriez demandé à vos voisins de demander une réconciliation avec la famille de la victime, mais cette dernière n'aurait pas accepté.

Vous indiquez qu'un jour, lorsque vous seriez rentré chez vous, des personnes masquées, dont vous ignorez l'identité, auraient tiré sur un portail se trouvant devant votre maison. Vous précisez que vous n'auriez pas été visé et que vous auriez seulement entendu les tirs. Vous pensez que ça aurait été …. La police serait venue sur les lieux et l'enquête serait toujours en cours.

Une autre fois, vous auriez aperçu quatre personnes masquées derrière votre maison.

Vous auriez eu peur et vous seriez entré à l'intérieur de votre maison; vous dites ne pas comprendre pourquoi vous n'auriez pas appelé la police. De même, vos voisins vous auraient dit que des personnes seraient à plusieurs reprises venues chez vous en votre absence. Vous vous seriez caché auprès de la famille de votre concubine à Pristina par après.

Par ailleurs, vous dites que vous n'auriez jamais été personnellement menacé par qui que ce soit et vous précisez que « Je me suis senti menacé. » (p. 3/8).

Enfin, il ressort de vos dires que vous n'auriez pas pu vous installer dans une autre région du Kosovo parce que le pays serait trop petit.

Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Vous précisez que votre beau-frère 3aurait tué le frère de … dans un acte de légitime défense.

Vous ajoutez que la police aurait fait une enquête après que des inconnus auraient tiré avec un engin explosif sur la porte de votre maison. Elle continuerait toujours ses recherches, et vous seriez persuadée que « S'ils retrouvent …, la police l'interrogerait » (p. 4/7).

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

En tout état de cause, les faits exposés ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécutés dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article ter, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, vos demandes de protection internationale sont uniquement basées sur des motifs d'ordre privé ne répondant à aucun des critères de fond définis par lesdites Convention et loi.

Ainsi, vous dites que vous vous trouveriez dans une situation de vengeance avec la famille … parce que votre frère, Monsieur, aurait tué un membre de cette famille en Allemagne.

Vous n'auriez cependant jamais été menacés personnellement. En plus, des personnes inconnues auraient tiré sur la porte d'entrée de votre maison. De même, Monsieur, vous auriez une fois aperçu des personnes inconnues masquées derrière votre maison et vos voisins vous auraient signalé avoir vu à plusieurs reprises des personnes inconnues attendre devant votre maison.

Force est de constater que les incidents susmentionnés constituent des délits et crimes relevant du droit commun, punissables selon la loi kosovare, qui ne sauraient être considérés comme des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006. Il faut également remarquer que lesdits agresseurs ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006. S'agissant d'actes émanant de personnes privées, en l'occurrence des personnes inconnues non autrement spécifiées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques pour l'un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d'asile. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. En application de l'article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l'espèce, il ne ressort pas des rapports d'audition que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire du Kosovo ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l'encontre de ces personnes. En effet, vous affirmez que la police aurait ouvert une enquête après que des inconnues auraient tiré sur un portail se trouvant à vingt-cinq métrés de votre maison; l'enquête serait d'ailleurs toujours en cours. Madame, vous affirmez que les policiers vous auraient dit que « si quelqu'un nous menaçait, il fallait qu'on les informe » (p. 3/7). Par ailleurs, vous n'auriez pas signalé à la police que des personnes inconnues auraient été aperçues derrière votre 4maison. Or, on ne saurait déduire à partir de ces constats un défaut de volonté de protection de la police kosovare envers vos personnes. Bien au contraire, il en ressort que la police aurait répondu à vos appels et qu'elle aurait fait son travail. Il s'en suit qu'on ne saura conclure que les autorités de votre pays ne veulent ou ne peuvent pas vous protéger contre les agissements de personnes inconnues.

En effet, la police kosovare, malgré le fait qu'elle n'est régionalement pas représentée à un niveau optimal dû au nombre restreint d'effectifs, se prévaut d'une bonne réputation: « Des sources signalent que la police du Kosovo mène ses activités sous l'autorité du ministère des Affaires internes (Ministry of Internal Affairs) et compte environ 7 000 policiers (Conseil de l'Europe 2 juill. 2009, paragr. 82; É.-U. 8 avr. 2011, sect. 1.d). Selon des statistiques affichées sur le site Internet de la police du Kosovo, en 2009, 85,8% des policiers étaient Albanais, 9,4% étaient Serbes et 4,8% appartenaient à une autre minorité ethnique (Kosovo 2009).

L'International Crisis Group souligne que les Serbes et d'autres minorités sont fortement représentés dans la police (19 mai 2010, 5). ». En effet « L'International Crisis Group décrit la police du Kosovo comme [traduction] « la plus forte des institutions du Kosovo pour ce qui est d'assurer la primauté du droit ». Soulignons les conclusions de l'Assemblée Générale du Conseil de l'Europe dans son rapport du 7 janvier 2013 concernant le rôle positif de la police kosovare au sein de la société: « Polling data in 2009 and 2010 found the Kosovo Police to be the most trusted Kosovo institution. Organisational restructuring has led to an improved perception of the Kosovo police by the public. The police has met its training targets and achieved diversity in terms of ethnicity and gender, with 10% of ethnic Serbs and 15% of women officers. If has a low level of corruption. » Concernant la municipalité de Kamenice (dont vous êtes originaires), il ressort d'un rapport de l'OSCE de janvier 2013 que: « The Kosovo police station in Kamenicë/Kamenica municipality has 92 police officers; 81 Kosovo Albanians and 11 Kosovo Serbs, while 18 are female. Sixteen (16) police officers are stationed in the police sub-station in Muqivercë/Muciverce village. As for the international military presence, the United States KFOR covers the area (source: Kosovo police). ».

Il y a ensuite lieu de mettre en avant le fait que vous n'auriez jamais été menacé personnellement, alors que le problème de vengeance avec la famille … existerait depuis avril 2012. Monsieur, vous déclarez uniquement que « Je me suis senti menacé. » (p. 3/8). Madame, vous ne faites état d'aucun problème dans votre pays d'origine. Ainsi, on est amené à juger que vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d'insécurité qu'une crainte de persécution. Or, de simples craintes hypothétiques qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient cependant constituer des motifs visés par la Convention de Genève. Un sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention.

Néanmoins, malgré le fait que des problèmes de vengeance existent encore au Kosovo, cette pratique n'est pas très répandue et des efforts ont été faits en vue d'éradiquer cette pratique: « Des sources signalent qu'au début des années 1990, …, professeur d'albanais à l'université de Pristina, a mené un mouvement de réconciliation à grande échelle pour mettre fin aux vendettas au Kosovo (IMIR 2004, 10; IWPR 19 févr. 2004; Malcolm 1998, 20; Nations Unies 12 août 2009). Les estimations du nombre de réconciliations obtenues à cette époque 5varient : l'IMIR souligne que des centaines de familles impliquées dans 1 200 vendettas se sont réconciliées (2004, 10); l'Internationale des résistant(e)s à la guerre (IRG) affirme quant à elle qu'il y a eu environ 2 000 cérémonies de réconciliation (IRG 1er janv. 2001; voir aussi IWPR 14 juill. 2005). Environ 500 militants sont allés partout au Kosovo pour convaincre les familles participant à une vendetta de faire la paix (IWPR 21 avr. 2005; IRG 1er janv. 2001; IMIR 2004, 10). L'une des motivations clés pour la réconciliation à l'époque aurait été le besoin des Kosovars albanais de s'unir dans la lutte contre le gouvernement de la Serbie (IWPR 21 avr.

2005; IWPR 19 févr. 2004; IMIR 2004, 10).

(…) un conciliateur souligne que les vendettas ne sont [traduction] « pas un phénomène aussi répandu que par le passé » (IMIR 2004, 10). Le 20 août 2009, lors d'un entretien téléphonique avec la Direction des recherches, un représentant du Réseau du journalisme d'enquête des Balkans (Balkan Investigative Reporting Network — BIRN; Rrjeti Ballkanik i Gazetarisë Hulumtuese) de Pristina a affirmé que le nombre de vendettas a diminué depuis le mouvement de réconciliation d'… (…) le représentant du PNUD évalue qu'il y a eu en moyenne trois cas par année de meurtres hautement médiatisés liés à des vendettas au Kosovo entre 2004 et 2009 (ibid.). Le représentant du BIRN a affirmé que les gens cherchent de plus en plus à obtenir justice par l'entremise des tribunaux plutôt que par les vendettas (BIRN 20 août 2009). (…) Les représentants du PNUD et du BIRN ont affirmé qu'il y a certaines ONG au Kosovo qui aident les familles à résoudre les vendettas (Nations Unies 12 août 2009; BIRN 20 août 2009). Le représentant du BIRN a nommé le Conseil pour la protection des droits de la personne et des libertés (Council for Protection of Human Rights and Liberties) (ibid.), alors que le représentant du PNUD a nommé Partnership Together (Nations Unies 12 août 2009). Selon le représentant du BIRN, l'institut de l'université de Pristina où … a travaillé œuvre également à la résolution des vendettas, de même qu'un certain nombre d'aînés qui agissent à titre de conciliateurs (BIRN 20 août 2009). » Madame, vous expliquez d'ailleurs que des histoires de vengeance pourraient être réglées à l'aide d'un imam ou des « vieux du village » (p. 4/7). Il ne ressort cependant pas de vos entretiens que vous auriez essayé d'entrer en contact avec ces gens pour essayer de vous réconcilier avec la famille ….

Quoi qu'il en soit, Madame, Monsieur, même à supposer une telle histoire de vengeance établie en l'espèce, il convient de souligner qu'il s'agit de délits de droit commun, aucun arrière-

fond politique, racial ou ethnique n'existe. Il a d'ailleurs été jugé par le Tribunal administratif que « Quant aux menaces de vengeance émanant de la famille du dénommé … dont les demandeurs font état, force est au tribunal de constater que les demandeurs restent en défaut de fournir des précisions qui permettraient de donner à ces menaces une qualification autre que celle d'infractions de droit commun, lesquelles menaces sont dès lors à considérer comme des problèmes interpersonnels et d'ordre privé qui ne peuvent de ce fait être rattachés à l'un des critères de persécution prévus à l'article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 ou par la Convention de 6Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951. » (TA ; n°30.681 du rôle ; 12 juin 2012).

En dernier lieu, il s'agit de noter que vous restez en défaut de présenter une raison valable justifiant votre impossibilité de profiter d'une fuite interne, pour ainsi échapper à vos malfaiteurs présumés. Relevons qu'en vertu de l'article 30 (1) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, le ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de l'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.

En l'espèce, Monsieur vous indiquez uniquement que le Kosovo serait trop petit.

Madame, vous ajoutez que la sécurité serait limitée. Il ressort cependant de vos entretiens qu'en 2012, vous auriez séjourné à Baran/Kosovo à l'occasion de votre mariage; vous auriez également vécu à Pristina auprès de membres de votre famille, Madame. De même, Monsieur, vous auriez vécu chez vos oncles dans un autre village du Kosovo. Vous ne faites état d'aucun incident, voire d'un quelconque problème, pendant tout ce temps. Or, il ne se dégage pas de ces constats une impossibilité de profiter d'une fuite interne. Ainsi, il n'est pas établi en l'espèce que vous n'auriez pas pu recourir vous-même à une réinstallation à l'intérieur du Kosovo en vue d'échapper à la volonté de vengeance de la famille ….

Compte tenu des constatations qui précèdent concernant les conditions générales dans votre pays et votre situation personnelle, force est de retenir que les critères du paragraphe 2 de article 30 de la loi modifiée du 5 mai 2006 sont clairement remplis.

Relevons finalement que vous possédez la nationalité kosovare et qu'en vertu de l'article 21 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection et du règlement grand-ducal du 19 juin 2013 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, la République du Kosovo doit être considérée comme pays d'origine sûr où il n'existe pas, généralement et de façon constante de persécution au sens de la Convention de Genève. Ce constat n'a pas pu être contredit par l'examen individuel de vos demandes de protection internationale.

Un pays est considéré comme sûr s'il veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l'état de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De plus, lorsque sur la base de la situation légale, de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques, il peut être démontré que, d'une manière générale et de manière durable, il n'existe pas de recours à des persécutions au sens de la 7Convention de Genève du 28 juillet 1951, ni des motifs sérieux de croire que le demandeur de protection internationale court un risque réel de subir une atteinte grave telle que déterminée à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006, le pays d'origine concerné peut valablement être considéré comme pays d'origine sûr.

A titre complémentaire, il convient également de relever qu'au Kosovo, les critères suivants sont garantis :

 l'existence d'un système judiciaire indépendant ;

 la reconnaissance des libertés et des droits démocratiques de base, y compris de mécanismes de recours si ces droits ou libertés sont violés ;

 l'existence d'organisations de la société civile.

Cet aspect est d'autant plus conforté par le fait qu'en date du 13 avril 2013, la Commission a estimé que le Kosovo a atteint ses objectifs concernant plusieurs priorités à court terme recensées dans l'étude de faisabilité de l'année dernière dans les domaines de l'État de droit, de l'administration publique, de la protection des minorités et du commerce. Suite à ces avancées, « The Commission submits its proposal for a Council decision authorising the opening of negotiations on a Stabilisation and Association Agreement between the European Union and Kosovo».

Notons à cet égard que lors de sa visite à Pristina en date du 1er juillet 2013, le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy a félicité le Premier Ministre du Kosovo, Hashim Thaçi, des progrès réalisés au Kosovo : « Kosovo has taken a big step on its path towards the European Union. Your country has worked hard to meet the expectations of EU governments and institutions, and it has delivered. All member states commend you, unanimously, for this work and express their appreciation with this decision. ».

Compte tenu des constatations qui précédent concernant la situation juridique, l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et la mesure dans laquelle une protection est offerte dans votre pays d'origine contre d'éventuels persécutions ou mauvais traitements, le Ministère des Affaires étrangères est d'avis que, d'une manière générale et uniformément, il n'est pas recouru au Kosovo à la persécution au sens de la Convention relative au statut des réfugiés. Ainsi, force est donc de constater que les critères du paragraphe 4 de l'article 21 sont clairement remplis. De plus, il n'existe pas de motif sérieux de croire que vous courez un risque réel de subir une atteinte grave telle que déterminée à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006.

Je constate ainsi que vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays.

Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, vous n'invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, selon le même raisonnement que celui appliqué à l'évaluation 8de vos demandes de protection internationale, des raisons d'ordre privé ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire parce qu'ils n'établissent pas que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Etant donné que les faits invoqués à la base de vos demandes de protection internationale ne sauraient être actuellement admis comme justifiant à suffisance une crainte de persécution ; dès lors, et a fortiori, l'absence matérielle de crainte actuelle fondée s'impose également en ce qui concerne les demandes tendant à obtenir la protection subsidiaire.

En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. Vous ne faites également pas état de risque réel de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou de risques réels émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international. En s'appuyant sur tous les rapports et cités, la situation actuelle au Kosovo ne saurait être considérée comme conflit armé interne ou international.

Ainsi, les faits que vous alléguez ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.

Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Kosovo, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner.

La décision de rejet de vos demandes de protection internationale est susceptible d'un recours en réformation devant le Tribunal administratif.

Un recours en annulation devant le Tribunal administratif peut être introduit contre l'ordre de quitter le territoire ».

Par requête déposée le 11 septembre 2013 au greffe du tribunal administratif, les époux … ont fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision ministérielle précitée du 9 août 2013 portant refus de leurs demandes en obtention d’une protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, inscrit dans la même décision.

1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en 9réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être introduite contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, et en fait, les époux … rappellent être tous deux de nationalité kosovare et de religion musulmane.

Les demandeurs expliquent que le père et le frère de Monsieur … habiteraient en Allemagne depuis le début des années 1990 et y exploiteraient un hôtel. Un dénommé … y aurait résidé à titre gratuit pendant un an et au moment de son départ, ce dernier serait tombé en désaccord avec le père du demandeur concernant certains dégâts qu’il aurait accepté de réparer en contrepartie de son logement gratuit. Le dénommé … aurait cependant ensuite exigé d’être indemnisé pour les travaux accomplis, tandis que le père du demandeur s’y serait opposé et l’aurait, suite à cela, congédié. De rage, … aurait enfoncé une porte de l’hôtel et appelé ses frères qui habiteraient également en Allemagne, au renfort. En date du 5 avril 2012, une bagarre aurait alors éclaté entre la famille du demandeur et la famille …, bagarre au cours de laquelle le frère du demandeur aurait tué un des quatre frères de …. Les demandeurs se seraient ainsi retrouvés malgré eux mêlés à une affaire de Kanun et ils auraient été immédiatement menacés au Kosovo.

Monsieur … aurait essayé en vain de se réconcilier avec la famille …. Les époux … se seraient par la suite momentanément séparés et ils se seraient réfugiés auprès de leurs proches respectifs, avant de s’installer ensemble auprès de la famille de Madame … à Pristina.

Le demandeur expose qu’un soir, peu de temps après le meurtre du frère du dénommé …, plusieurs personnes masquées auraient tenté de l’attraper lorsque celui-ci et son épouse seraient rentrés à la maison. Pris de panique, les époux … se seraient réfugiés à l’intérieur de leur maison, les demandeurs expliquant encore qu’ils auraient été tellement effrayés qu’ils n’auraient pas appelé la police.

Durant la période du 5 avril 2012 au 21 novembre 2012, les demandeurs auraient été informés par leurs voisins que des membres de la famille … seraient venus quotidiennement à leur domicile.

Le 21 novembre 2012, une série de tirs auraient été dirigés contre leur domicile. La police aurait trouvé des douilles par terre et elle aurait également parlé d’une explosion très forte qui aurait touché le portail de la maison des demandeurs. La police aurait également procédé à des interrogatoires et aurait examiné la scène « de l’attaque », mais elle aurait néanmoins avoué son impuissance.

A la suite de cet incident, les demandeurs se seraient cachés auprès de la famille de la demanderesse à Pristina et auraient décidé de quitter le Kosovo par peur des représailles de la famille ….

10En droit, les demandeurs reprochent en premier lieu au ministre d’avoir commis une erreur d’appréciation, alors que contrairement à l’appréciation ministérielle, ils seraient exposés à des atteintes graves dans leur pays d’origine. A cet égard, ils rappellent avoir sollicité le pardon de la famille …, laquelle aurait cependant refusé de donner suite à cette tentative de réconciliation. Les demandeurs affirment à cet égard que la situation au Kosovo serait différente de celle dépeinte par le ministre dans sa décision attaquée, les demandeurs soulignant à cet égard, en se basant sur différentes articles de presse et rapports internationaux, que contrairement à l’appréciation ministérielle, la pratique de la vengeance y connaîtrait une impressionnante recrudescence depuis plusieurs années et qu’il n’y existerait pas d’organisme gouvernemental œuvrant à la résolution des vendettas.

Ils font encore valoir que la décision du ministre friserait la mauvaise foi en soulignant la « bonne réputation » de la police du Kosovo, alors qu’il ressortirait de nombreuses sources internationales que la situation humanitaire y serait déplorable et que la protection des droits fondamentaux insuffisante, voire inexistante. Ils précisent encore avoir demandé de l’aide à la police kosovare, laquelle se serait cependant contentée de poser des questions, de faire des constations et de s’avouer impuissante. Les demandeurs en concluent qu’ils n’auraient pas pu réclamer une protection adéquate des forces policières locales contre les agressions et menaces contre leurs vies.

Ils soulignent encore que ce serait à tort que le ministre a retenu qu’ils n’auraient jamais été menacés personnellement, les demandeurs précisant à cet égard que Monsieur … aurait été victime d’une tentative d’enlèvement, qu’une série de tirs auraient été dirigés contre leur domicile et que la police aurait par ailleurs parlé d’une explosion qui aurait touché le portail de leur domicile. Ainsi, le ministre aurait dû se baser sur l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 et leur accorder le statut de la protection internationale.

En se basant sur l‘article 30 (2) de la loi du 5 mai 2006, les demandeurs excluent encore toute possibilité de fuite interne. Ainsi, ils font plaider qu’il appartiendrait au ministre d’identifier la partie du pays où ils ne risqueraient pas de subir des persécutions, respectivement des atteintes graves, ce qu’il aurait cependant omis de faire. Par ailleurs, le ministre aurait fait une mauvaise application dudit article dans la mesure où il aurait inversé la charge de la preuve relative à la fuite interne, cette charge de la preuve appartenant d’après les demandeurs au ministre.

Finalement, les demandeurs font plaider que ce serait à tort que le ministre a qualifié le Kosovo comme pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 et ils concluent à la réformation de la décision ministérielle sous analyse.

Le délégué du gouvernement soutient pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

11La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant «tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Il convient de relever qu’aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006, lesquels peuvent être :

12« a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait aboutir, les articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006 s’appliquant tant à la demande d’asile qu’à celle de protection subsidiaire.

Or, nonobstant la question de la qualification des faits invoqués par les demandeurs, force est pour le tribunal de relever que les auteurs des éléments lui soumis sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat. Les demandeurs ne sauraient dès lors faire valoir un risque réel de subir des persécutions ou des atteintes graves que si les autorités kosovares ne veulent ou ne peuvent leur fournir une protection effective contre ces persécutions ou atteintes graves, en application de l’article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006.

C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou des atteintes graves. A cet égard, il y a lieu de rappeler les termes de l’article 29 de la même loi, relatif à la notion de protection suivant lesquels: « (1) La protection peut être accordée par : a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci. (2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres 13lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection ».

L’essentiel est d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. A cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une protection peut être considérée comme suffisante si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou des atteintes graves et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée. Cela inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves sans cependant que cette exigence n’impose pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100%, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policières et judiciaires les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux. En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et l’existence d’une persécution ou d’atteintes graves ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel mais suppose une insuffisance de démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

En l’espèce, le tribunal a retenu dans son jugement prémentionné du 6 mai 2013, rendu dans le cadre de la décision ministérielle du 19 février 2013 de statuer sur la demande de protection internationale des époux … dans le cadre d’une procédure accélérée, que les faits à la base de la demande de protection internationale des époux … étaient pertinents pour être a priori susceptibles de constituer des atteintes graves telles que visées à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, étant donné qu’il s’agit non seulement de menaces de mort, mais encore d’agressions concrètes. Par ailleurs, le tribunal a constaté que ces faits étaient en rapport direct avec l’incident qui s’est produit en Allemagne et que la famille … avait refusé la demande de pardon, le tribunal ayant conclu qu’il ne découlait pas du dossier de l’époque que les demandeurs ont pu se réclamer d’une protection adéquate des forces policières locales contre les agressions et menaces contre leurs vies, alors qu’il était notamment ressorti des sources internationales dont se s’étaient prévalus les demandeurs que « les policiers sont réticents à intervenir en cas de vendetta en raison du risque potentiel pour eux-mêmes et pour leur famille, en particulier puisqu’il n’y a pas de pension pour soutenir les familles des policiers s’ils sont tués ». Ainsi, le tribunal était venu à la conclusion qu’en vertu de ces mêmes sources, il « n’y a pas d’organisme gouvernemental œuvrant à la résolution des vendettas au Kosovo » et d’après le rapport d’audition de la demanderesse, la réconciliation ne fonctionne que « par le biais de personnes proches de la 14famille ou par l’intermédiaire de l’Imam ou bien des vieux du village », de sorte qu’il n’aurait pas été établi que ces agressions et les menaces de mort cesseront en cas de retour des demandeurs au Kosovo.

Il y a d’abord lieu de constater qu’il résulte des rapports d’entretiens des demandeurs auprès de la direction de l’Immigration que lorsque le demandeur s’est fait agresser par quatre personne masquées, il n’a pas fait appel à la police pour déposer une plainte, mais s’est contenté de se cacher dans la maison, le demandeur ayant en effet déclaré « Je ne comprends pas pourquoi je n’ai pas appelé la police ». Or, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence d’une agression, de menaces et d’insultes, communément la forme d’une plainte. Par ailleurs, il résulte des déclarations des demandeurs au cours de la phase précontentieuse que lorsque les inconnus ont tiré sur le portail se trouvant devant la cour de leur domicile, Monsieur … s’est adressé à la police, laquelle s’est rendue immédiatement sur les lieux et a ouvert une enquête, en procédant notamment à des interrogatoires et en essayant, d’après les dires des demandeurs de vérifier la cause de l’explosion, enquête qui est d’ailleurs toujours en cours.

Si les demandeurs soulignent certes dans leur recours sous analyse que lesdits policiers se seraient avoués impuissants, les demandeurs en concluant qu’ils ne pourraient pas bénéficier d’une protection adéquate dans leur pays d’origine, le tribunal ne saurait cependant suivre ce raisonnement étant donné, d’une part, que la police, lorsque le demandeur a fait appel à celle-ci, a immédiatement réagi et, d’autre part, que les policiers en question leur ont même, d’après les déclarations de la demanderesse au cours de son entretien auprès de la direction de l’Immigration, conseillé de les informer dès qu’ils seraient de nouveau menacés, de sorte à bien leur avoir offert une protection. Par ailleurs, il résulte des observations complémentaires circonstanciées formulées par la partie étatique dans le cadre du présent recours, que si les demandeurs avaient été d’avis que leurs doléances n’avaient pas été accueillies avec le sérieux nécessaire par les policiers locaux en question, et que ceux-ci avaient effectivement été réticents à intervenir dans la vendetta les opposant à la famille …, les époux … auraient pu s’adresser à une instance supérieure, et notamment à l’Inspectorat de Police du Kosovo, organe de contrôle interne, dont la mission consiste en autres à vérifier les méthodes de travail policières ainsi qu’à analyser les plaintes pour abus de pouvoir, ce qu’ils ont cependant omis de faire.

Au vu de ce qui précède, il n’est dès lors pas démontré que les autorités kosovares seraient dans l’incapacité de fournir aux époux … une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et sans qu’il ne soit besoin de statuer plus en avant, que c’est à bon droit que le ministre a rejeté les demandes en obtention du statut de réfugié et du statut conféré par la protection subsidiaire présentée par les époux … comme étant non fondées. Le recours est par conséquent à déclarer comme non fondé pour autant qu’il est dirigé contre le refus du ministre d’accorder aux époux … le statut de réfugié et le statut conféré par la protection subsidiaire.

152. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

En l’espèce, les demandeurs sollicitent l’annulation de l’ordre de quitter le territoire au motif que la décision portant refus dans leurs chefs d’un des statuts conférés par la protection internationale devrait être réformée.

Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour (…) ». En vertu de l’article 2 de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Il résulte des conclusions retenues ci-avant que le ministre a en l’espèce valablement pu opposer aux demandeurs un refus à leurs demandes en obtention du statut de réfugié ainsi qu’en obtention de la protection subsidiaire, de sorte qu’il a a priori également valablement pu leur opposer l’ordre de quitter le territoire.

Les demandeurs font encore exposer que l’ordre de quitter le territoire encourrait l’annulation au motif qu’il violerait l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration. Il fait valoir qu’un retour au Kosovo les exposerait à des traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Aux termes de l’article 129 de la loi précitée du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

Il convient de relever que l’article 129, précité, renvoie à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour au Kosovo, le tribunal administratif a conclu ci-avant à l’existence dans le chef des demandeurs d’une possibilité de protection suffisante de la part des autorités kosovares et qu’ils ne sauraient dès lors prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que le tribunal ne saurait actuellement pas se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse.

16Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH1, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi des demandeurs au Kosovo soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 9 août 2013 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision déférée du 9 août 2013 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 30 juin 2014 par :

Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

s. Schmit s. Sünnen 1 CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 33339
Date de la décision : 30/06/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-06-30;33339 ?

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